« Meurtrier, meurtrier… » Ce sont les mots qu’Anna murmure à Vronski la première fois qu’elle s’abandonne à lui, au tout début du roman de Tolstoï. Et ce sont aussi peut-être les mots qu’il se dit à lui-même à la fin du texte, penché sur son corps, déchiqueté par le train, comme si, nous dit le narrateur, il en était le meurtrier, comme s’il était le train même.
La rencontre est si souvent ratée. Parfois, la fêlure est déjà dans la structure des choses, comme dans le mariage « à la mode du pays » entre commerçants européens et signares, ces riches Africaines ou métisses aux réseaux sociaux multiples. L’historien William Cohen définissait ce « mariage-pays », pratiqué à Saint-Louis et sur l’île de Gorée aux xviiie et xixe siècles, comme « une relation contractuelle schématisée qui ne valait que tant que l’Européen résidait en Afrique. Ce qui le différenciait du mariage du Code civil était le fait que ce n’était pas un lien qui durait jusqu’à la mort, mais seulement pendant la durée de la résidence de l’Européen au Sénégal ». C’était une relation paradoxale, quoi. Encore une autre.
Tu ne m’écoutes plus. Théo, tu te souviens, la première fois, au café, je te répétais les mots de Montaigne à propos de La Boétie : « Parce que c’était lui, parce que c’était moi. » C’était pour te dire que c’est mon amitié que je te propose. Ce qu’il y a de meilleur en moi, c’est mon regard, et c’est ça que je t’offre. Bien sûr, je la vois venir de loin ta routine de séducteur, qui consiste surtout, avec tes cheveux longs et ta minceur, à insister sur ton côté androgyne à la Mick Jagger…