« Serrez-vous ! Poussez ! Poussez ! Serrez vous encore, monsieur, encore ! » Une policière sort du portail : « Écoutez-moi bien ! Si on demande à quelqu’un parmi vous de repartir, vous devez vous exécuter, vous êtes très nombreux ! Entendu ? On en a marre ! » C’est vrai, nous sommes très nombreux, la misère est fertile, quelle honte ! Si seulement nous pouvions disparaître, sans que le monde entende nos histoires et nos vécus. Dans la foule, seuls les Africains francophones comprennent ; les Tamoules, les Afghans, les Irakiens, les Syriens et les Asiatiques ne comprennent rien et on interdit à certains d’entre eux d’exhiber leur anglais comme dernier signe de possession de quelque chose… « Désolé, je ne parle pas anglais », dit le fonctionnaire.
« Tenez vos enfants ! Asseyez-vous ! Pas de bruit ! Éteignez vos téléphones ! » Une sorte de sabir fragmenté commence à se propager dans la salle et aux guichets : « Vous… Enfants… Pays ? » Combien d’interprètes chôment en ce moment ? « Ami parler français ? »
La file d’attente à l’extérieur de la préfecture est facilitée par des barrières métalliques astucieusement ajustées, et défie la compréhension des administrés. Tout est facilité, sauf la langue : ces demandeurs d’asile n’ont pas besoin de ce luxe. Ils ont tout laissé derrière eux et ce dernier luxe, la langue maternelle, ils peuvent l’enlever comme on enlève son slip avant un examen médical sur une table. Heureux ceux qui ont un asile. Une femme de Zabadani, dans un documentaire sur des femmes syriennes exilées au Liban, disait : « Nous ne sommes pas comme ça, ce que nous étions n’était pas “réfugies”, nous étions autre chose… »…