Après des décennies de dénonciation de la « passion égalitaire » qui caractériserait la dynamique démocratique, il est devenu difficile de défendre l’égalité comme horizon politique. Cette difficulté est plus grande encore lorsqu’il est question des étrangers clandestins qui subissent la précarité sociale, mais incarnent aussi des différences culturelles de plus en plus souvent interprétées comme des obstacles à l’intégration. Dans leur personne et dans leur corps, la distinction hautement discutable entre le « social » et le « sociétal » se trouve abolie. C’est sans doute pourquoi ils font l’objet de tant de réprobation alors que le débat politique et intellectuel se réoriente sur des thèmes identitaires qui rendent plus inaudibles encore les exigences d’égalité. Dès lors que la différence entre les formes de vie prend l’aspect d’une couleur de peau, d’un accent, d’une habitude vestimentaire ou d’un usage du corps, il n’est plus seulement question de l’égalité comme principe, mais de la perception de l’égalité. Quels sont les obstacles qui nous empêchent de voir dans l’étranger un égal ? Ce qui a de plus en plus de mal à se dire sur le plan des principes (l’égalité absolue entre les formes de vie) a-t-il une chance de mieux se comprendre sur le plan de l’expérience sensible ?
C’est pour faire face à ces questions que j’ai répondu à l’initiative de la Cimade d’inviter des intellectuels et des artistes à intervenir sur le statut des étrangers dans la société française. Engagée depuis 1939 dans un travail d’aide et de conseil aux réfugiés, l’association a voulu sortir de l’alternative entre le discours et l’expérience en proposant aux intervenants de nourrir leur conférence par une « immersion » dans un centre d’accueil de la Cimade…