Beaucoup de nos «?plasticiens?» se contentent d’avoir des idées, peu d’idées qu’ils exploitent longtemps. Ils commencent par surprendre, voire émerveiller, au point que la belle idée bientôt emblématique de l’artiste devient un «?must?» dans les grands musées où l’on repère de loin ses incarnations. Mais, trop connue, elle finit ainsi par ennuyer puis disparaître des salles et parfois, l’artiste disparaît en même temps. Cette précarité est la contrepartie d’une audace, peut-être d’une facilité, celle d’avoir renoncé au travail de la main, au rapport physique de l’artiste avec l’énigme de la beauté. Si Martial Raysse, dont Beaubourg récapitule le parcours, a échappé à ce destin d’étoile filante, ce n’est pas grâce à l’enthousiasme de peindre qui portait les maîtres d’hier, mais plutôt en ne lâchant pas «?l’éternelle inquiétude?» que Péguy jugeait inséparable de la condition moderne.
Dans le sillage d’Arman, Martial Raysse a commencé en assembleur d’objets, mais ensuite son parcours a pris des voies diverses et complexes, moins à cause d’un amour de la «?peinture peignante?» que d’un refus de croire que les choses sont bien comme ça, qui l’a empêché d’être un amuseur. Quand, vers 1960, il compose des panoplies d’objets achetés à la quincaillerie, c’est pour transfigurer ce qui est trivial. Il part du plus ordinaire non pour s’y complaire, mais pour l’arracher au dédain qui l’entoure et l’exhausser, cela sans l’envelopper dans aucune éloquence. Ainsi un petit tableau de 1967?: rien qu’une surface de plastique gris froissé occupant la moitié basse du support, surmontée d’une tache rouge évoquant l…