La lecture d’Anne Portugal déroute. Littéralement. Nous fait sortir de notre route ou routine poétique. C’est d’autant plus troublant qu’elle use d’une langue simple, très simple même. On voit clair à travers les mots qu’elle emploie. Il n’y a aucun mystère dans l’énoncé. Prenons au hasard la page 69 de Définitif bob, arrêtons-nous sur le premier vers : « Promenade en taxi le ciel change ». Difficile de s’arrêter, d’ailleurs, puisqu’un taxi a tendance à bouger, à s’éloigner, de sorte que nous courons avec lui derrière le complément de sens, de direction, que ne manquera pas d’apporter le vers suivant. Voici justement le vers suivant : « bref il est tout changé ». Pas d’ambiguïté sur le « il » anaphorique, qui semble renvoyer au ciel. On remarque toutefois la défaillance manifeste de la ponctuation. Son absence laisse du jeu au vers, en fin de vers, par quoi commence à s’insinuer le doute. Et si, se demande-t-on, il y avait eu échange de référent en route ? Un taxi peut très bien prendre un autre passager, un taxi surréaliste peut même prendre le ciel en charge. On a déjà vu plus extraordinaire. Désormais, le lecteur se tient sur ses gardes. Maintenant, récapitulons.
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Il est toujours question du ciel avec « et sa perle et sa fleur ». Ce sont des images, de même que « le monde à son premier balcon ». Dans l’esprit du lecteur la traduction se fait, en passant, sans besoin de s’appesantir, dans le mouvement même qui emporte le taxi : c’est le matin, la lumière de l’aube frappe les balcons, d’ailleurs le soleil est nommé (ce n’est pas comme chez Saint-John Perse …