Esprit – Vu de France, le scandale Murdoch – qui a notamment mené à la fermeture du tabloïd News of the World – a parfois étonné par les proportions qu’il a prises outre-Manche, et l’on a pu avoir du mal à en saisir l’importance. En quoi cette affaire a-t-elle touché quelque chose de central à la société et aux médias anglais ? S’agit-il d’une prise de conscience, du fait que le succès de la presse à scandale ne pouvait qu’avoir un coût en termes de respect de la vie privée des personnes ?Thierry Naudin – Qu’il ait fallu l’autorité du New York Times et sa contre-enquête pour que les premières révélations du Guardian en 2009 soient enfin prises au sérieux en Grande-Bretagne en dit long sur le cynisme et l’opportunisme où baigne une presse londonienne en lent déclin (crise économique, internet) et dominée par des milliardaires (Times, Sun, Telegraph, Express, Mail). Le Guardian et l’Independent se distinguent en ne comptant ni sur les célébrités (supposées attirer un lectorat jeune), ni sur la famille royale (pour le lectorat vieillissant) pour résister à la tendance, et s’attirent donc des accusations de « pères-la-morale » nuisibles à leur crédit auprès de l’opinion. La volte-face du public (et celle des annonceurs, qui a « tué » le News of the World) a suivi deux types de révélations sur les méthodes employées par la presse à sensation : premièrement, l’écoute des portables de très jeunes victimes de crimes (pour pouvoir titrer sur la douleur d’amis désireux de maintenir le « contact » – magie de la téléphonie mobile… – au-delà de la mort) et de leurs proches ; secondement, la collusion avec de hauts responsables de la police judiciaire (Scotland Yard)…