Jacob Taubes (1923-1987) est un penseur radical. Par là, il ne faut pas seulement entendre qu’il a réservé son intérêt à des théories extrêmes et à des auteurs sulfureux. On connaît sa proximité ambiguë avec Carl Schmitt dont il partage la conviction que toute philosophie politique cohérente est soit révolutionnaire, soit contre-révolutionnaire. Il n’y a pas de place, ni politiquement, ni théologiquement, pour le libéralisme dans une réflexion qui se confronte à la possibilité de l’extrême ou, mieux, à son imminence. Mais on aurait tort d’envisager la posture de Taubes en termes partisans. Le philosophe, spécialiste de sociologie des religions et de théologie, s’est établi en Suisse pour fuir avec sa famille les persécutions nazies, et il a enseigné dans des démocraties (aux États-Unis et en République fédérale d’Allemagne) auxquelles il n’a cessé de rendre hommage. S’il a concédé son adhésion de citoyen au pluralisme libéral c’est peut-être parce qu’il avait conscience de lui devoir la survie dans des temps déchaînés.
La radicalité de Jacob Taubes se situe à un autre niveau que celui des engagements personnels. Elle réside avant tout dans le souci de se confronter à l’origine de l’histoire occidentale. Cette racine n’est pas tant religieuse (ce qui reviendrait à l’analyser dans les termes d’une pensée de la culture) que théologique. Selon lui, l’origine de notre histoire est aussi celle des choses, et il ne saurait être question de la situer ailleurs qu’en Dieu. La radicalité de Taubes est épistémologique : on peut souscrire autant que l’on voudra à la modernité libérale, celle-ci demeure incapable de rendre compte d’elle-même…