Pour comprendre la portée des ruptures qui ont eu lieu en 1989, il est souhaitable de les replacer dans un contexte historique plus large dont les révolutions française et américaine (elles-mêmes inscrites dans un mouvement plus général décrit par R. R. Palmer dans l’Âge des révolutions démocratiques) constituent le point de départ. Les espérances politiques nées de ces révolutions démocratiques n’ont abouti ni en France, ni aux États-Unis, et encore moins ailleurs. En effet, les deux siècles suivants ont vu l’apparition – et à vrai dire le succès tout relatif – de plusieurs formes d’antipolitique.
Avant de poursuivre, il convient de préciser que, par ce concept, je ne me réfère pas à ce que nombre de dissidents d’Europe centrale et orientale entendaient par ce terme, ni à l’opposition de la société contre l’État totalitaire. Il ne s’agit pas non plus de la tentative de créer une société civile autonome désavouant l’État, ou de la recherche existentialiste de ce que V. Havel appelait « vivre dans la vérité ». Ce que je désigne par ce terme est une tendance historique persistante et globale qui permet de comprendre que ces mouvements dissidents, aussi paradoxal que cela puisse paraître, renfermaient bel et bien une force politique déterminante dans la chute des totalitarismes résiduels.
L’antipolitique trouve sa source dans la naissance même de la pensée politique. Platon, qui écrivait après la défaite d’Athènes suivie de la restauration de la démocratie incertaine qui condamnera Socrate à mort, s’y livrait déjà…