Dans la Revanche des émotions. Essai sur l’art contemporain, Catherine Grenier a intitulé deux chapitres « Pierre Huyghe, Manifeste de l’inachèvement » (p. 119-133) et « Maurizio Cattelan, Vivre vite » (p. 134-142). Il ressort de cette présentation que ces deux artistes encore jeunes (ils n’ont pas cinquante ans) restent dans un pur cadre d’immanence, celui des contradictions et des désorientations de la condition contemporaine marchant « cul par-dessus tête ». Rien n’oriente l’interprétation vers un « sacré », a fortiori vers une transcendance, même s’il est question de mort et de tragique (à conjurer). Au contraire, le scandale, devenu chez Cattelan « mode d’accès privilégié à l’impensé et aux pulsions refoulées », est ici opposé à celui de Pasolini, censé « réactiver le sacré ». Catherine Grenier veut manifestement éviter le sociologisme et le culturalisme qui inscriraient platement ces créations dans les incertitudes et les « forclusions du présent ». Il n’est pas sûr qu’elle y parvienne entièrement, mais elle maintient en tout cas assez fermement le cap de l’immanence et voit l’art de la fin du xxe et du début du xxie siècle placé avant tout sous le signe de l’émotion, du « passage du concept à l’affect ».
À la dernière page seulement, elle semble indiquer, comme une ligne de fuite, la tendance dans laquelle nous serions déjà :
L’homme contemporain, isolé dans son présent, ayant renié successivement l’une puis l’autre des instances traditionnelles de la transmission, la religion et la politique, déçu enfin par tous les systèmes de construction d’un futur, vit aujourd’hui la dissolution des systèmes normatifs comme une perte génératrice d’angoisse et de solitude…