Comme le note Éric Libiot dans L’Express (15 juin 2006), il est de coutume d’attribuer au cinéma français la qualité de « filmer le verbe » : « Le cinéma américain bouge, le français parle. » Cet axiome vaut autant pour ce qu’il révèle que ce qu’il masque. À quelques exceptions près (Cukor et Capra aux États-Unis, Melville en France, entre autres), les grands courants du cinéma français et américain le vérifient. Mais la réussite de certaines comédies repose précisément sur la manière dont elles jouent à la fois du corps burlesque (dans la tradition du slapstick où a brillé « Fatty » Arbuckle, et du burlesque américain de Keaton et Chaplin) et du comique théâtral (dans la tradition de la comédie italienne et d’un certain cinéma français – Tati, Guitry) ; des gestes et des mots. Stanley Cavell a montré que les comédies hollywoodiennes qui ont diverti l’Amérique dans les années 1930, avec Spencer Tracy ou Cary Grant et Katharine Hepburn ou Irenne Dunne, sont les dignes successeurs de la tradition du slapstick du music-hall américain, autant que du burlesque muet. Les couples mis en scène par Cukor, Capra, Sturges et McCarey mettent en œuvre un véritable art de la conversation amoureuse, qui requiert autant l’esprit que le corps. Ces échanges reposent autant sur des mots d’esprit que sur la rencontre burlesque des corps qui trébuchent, se cognent, se ratent.
Dans Changement d’adresse, Emmanuel Mouret puise aux diverses sources du comique. Son univers, décrit par sa comédienne Frédérique Bel, est « fait de tact, de non-dits, de gêne, de jeux de mots, de douceur, de candeur, d’émotions contenues »…