Couverture de ESLM_145

Article de revue

Parler de la mort à l'école

Pages 109 à 123

Notes

  • [1]
    Préface Bacqué M.-F. in Deunff, J. (1991) Dis, Maîtresse c’est quoi la mort ? L’Harmattan, rééd. 2001.
  • [2]
    Ministère de la Jeunesse, de l’Éducation nationale et de la Recherche, Direction de l’enseignement scolaire (2008). Cycle des approfondissements : programme du CE2, CM1 et du CM2. Bulletin Officiel n°3, 19 juin 2008 hors-série. http://www.education.gouv.fr/bo/2008/hs3/default.htm
  • [3]
    Ministère de l’Éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche (2006). Le socle commun des connaissances et compétences. Parution en novembre 2006. Édition : Direction Générale de l’enseignement scolaire. http://educscol.education.fr/
  • [4]
    Keirse M. (2000), « Le deuil à l’école » in Faire son deuil, vivre un chagrin. De Boeck et Belin, 163-178.
  • [5]
    Romano H. (2007), « L’enfant face à la mort ». Etudes sur la mort, n°131, 95-114
  • [6]
    Tharrault P. et Pellerin F. (Mai 2005), Le débat-philo à l’école primaire, Angers.
    http://www.pedagogie.ac-nantes.fr/1178809025515/0/fiche___ressourcepedagogique
  • [7]
    Hervé G. (2002), « Comment dire l’indicible ? » In La littérature de jeunesse face à la mort, Textes et Documents pour la Classe, 843, 7-17.
  • [8]
    L’expérimentation s’est déroulée dans une école catholique.
  • [9]
    Le conseil d’enfants est un temps de vie de classe hebdomadaire.

Introduction

1« Parler de la mort à l’école ? », quelle surprenante question ! Surprenante, et quelque peu inquiétante. C’est pourtant une interrogation qui se pose aux professeurs des écoles. En effet, ceux-ci sont amenés à rencontrer des situations de perte, pour leurs élèves ou pour eux-mêmes. Quelles réactions adopter ? Cet article ne prétend pas donner de réponses toutes faites pour aborder ce sujet, mais il offre des pistes, sur la base d’expérimentations en classe, pour en parler.

2La mort concerne tous les individus, c’est une question universelle et que l’on ne peut pas éviter. Tout être humain y est un jour confronté et parfois dès son plus jeune âge. L’enfant rencontre très tôt la mort, que ce soit par le biais du décès d’un animal de compagnie ou par la mort d’une plante. Paradoxalement la société dans laquelle nous vivons a fait de la mort un tabou, comme si ne pas en parler la faisait oublier. Face à ce déni sociétal, la question du rôle du professeur des écoles est délicate. Cependant, l’école est un lieu reconnu pertinent pour parler de la mort [1]. Mais, cela fait-il partie des missions de l’enseignant de le faire et comment la question peut-elle être approchée ?

La mort est-elle au programme à l’école primaire ?

3Pour étudier la question, nous avons tout d’abord analysé la question de la mort dans les textes de référence du professeur des écoles. Les textes en parlent en termes de vie et non de mort essentiellement en sciences, en culture humaniste et en éducation physique et sportive.

4Dans la catégorie « le fonctionnement du vivant [2] », sont enseignés les stades du développement d’un être vivant. Bien qu’il s’agisse du développement végétal ou animal, la question de la mort y est effectivement abordée. Dans l’item « le fonctionnement du corps humain et la santé », les élèves sont sensibilisés à des questions d’hygiène et de santé. La culture humaniste a pour but d’ouvrir l’esprit des élèves à la diversité et contribue à leur construction en tant que citoyen. Dans le but de former une culture commune, les élèves étudient les grandes périodes de l’histoire et par conséquent, découvrent les « morts » qui ont marqué l’histoire : de la disparition de branches d’hommes préhistoriques à Louis XVI. De même, les grands conflits et les méthodes de guerre sont étudiés et ces sujets intéressent souvent beaucoup les élèves. Les techniques de combat et l’évolution des armes ne sont pas des sujets morbides pour autant. Nous avons observé l’intérêt des élèves dans notre classe lors de la réalisation d’exposés sur un sujet au choix, un groupe de garçon a choisi le thème des armes, un autre celui de la seconde guerre mondiale. Dans le socle commun de connaissances et de compétences [3], la question de la mort rejoint celle de la citoyenneté et la prévention des dangers mortels relatifs à la vie courante. Il n’existe pas dans le programme officiel d’obligation de parler de la mort en classe, mais il est question de protection et de pérennité de la vie. La mort est évoquée en termes :

  • de prévention, comme un danger à éviter ;
  • scientifiques, le cycle de la vie et la survie de l’espèce ;
  • historiques, pour le développement d’une culture humaniste.

5Le rôle de l’enseignant est d’aider l’enfant à se construire en futur adulte et à faire des choix de vie et non de mort. Ce sujet associe tant le développement des savoirs que celui des savoirs-faire et des savoirs-être et il peut donc être abordé en classe mais nous avons voulu savoir ce qu’en pensent les enseignants.

Qu’en disent les professeurs des écoles ?

6La question qui se pose pour l’enseignant est sa place et son rôle face aux questions fondamentales. Des interrogations portent sur la manière d’inclure l’apprentissage de la vie, de la joie et du chagrin dans des objectifs pédagogiques mais aussi sur la gestion de la vie de classe (que faire les jours qui précédent la fête des mères ou des pères, avec des enfants qui ont perdu leur parent ?). « Une école qui prépare à la vie n’a pas uniquement la tâche de faire place au chagrin quand il survient mais aussi celle d’être attentif à l’éducation et à la préparation à la perte [4] ». L’auteur affirme que les enseignants mieux informés des besoins des enfants en deuil pourraient plus facilement repérer des signes et réagir adéquatement. On entend souvent que les enseignants sont réticents à l’idée d’aborder la question ou ne se sentent pas capables de le faire. Face à cet a priori, nous avons voulu mener notre enquête pour identifier leur position sur ce sujet en réalisant un questionnaire les interrogeant sur les situations auxquelles ils ont été confrontés, leur réaction et les ressources dont ils disposent pour parler de la mort dans une classe.

7Un échantillon aléatoire de dix-huit enseignants en école primaire expose qu’ils ont déjà été confrontés à la mort. Les réactions des enseignants sont diverses, mais tous s’accordent à ne pas ignorer la situation. Bien que, pour la majorité des enseignants, il soit important de parler de la mort à l’école, la plupart préfère attendre que l’occasion se présente. L’idée que la mort touche tout le monde et que « cela fait partie de la vie qui doit être expliquée aux élèves » revient dans de nombreuses réponses. Il est consensuel de ne pas éluder le sujet car « l’ignorance est source d’angoisse » et cela permet aux enfants de « désacraliser la mort », comme le préconise H. Romano [5]. Les enseignants réfèrent à une diversité de personnes pour les aider : plus de la moitié se tournerait vers les collègues, le directeur ou chef d’établissement ou encore la ou le psychologue scolaire. Pour quelques enseignants, cela fait partie du rôle d’éducateur des professeurs des écoles de proposer des espaces de réflexion sur ces questions. Les professeurs ne se contentent pas de transmettre des connaissances, mais accompagnent l’enfant pour grandir et pour prendre sa place dans la société. Nous relevons que la famille est mentionnée comme un partenaire indispensable pour créer du lien et de la cohérence.

8Les réactions des enseignants sont très intuitives et correspondent souvent à ce qui est préconisé par les spécialistes du sujet. Des exemples d’outils ont été donnés tels que le débat philo avec des CM2 [6], l’utilisation d’albums de littérature de jeunesse [7] et la découverte du monde : sciences, histoire et éducation civique. Il est donc possible de parler de la mort à l’école ; les professeurs ne fuient pas le sujet si la situation se présente.

Qu’en disent les élèves ?

9Pour répondre à cette question, nous avons réalisé un questionnaire auprès des élèves de notre classe. Lors de l’annonce de la première question « C’est quoi pour toi la mort ? », la plupart des élèves ont eu des hésitations ou ont, par exemple, mis la tête dans leurs mains. Cela montre bien que la question de la mort posée « à froid » est embarrassante et déstabilisante. Pour eux, la mort se définit dans le sens d’un rapport à l’existence : « c’est la fin de la vie », « la vie s’arrête », « c’est qu’on n’existe plus ». Concrètement, cela implique que « le cœur s’arrête », qu’on ne « réapparaît jamais », qu’on ne « peut plus voir sa famille » et que « c’est un moment de souffrance ». Certains opposent spirituel et scientifique car « l’âme monte au ciel et le corps reste en bas ». Pour d’autres, la mort est directement liée à des croyances religieuses [8], notamment celles de la résurrection et de la réincarnation. La mort concerne surtout les personnes âgées, les malades et les victimes d’accidents. Dans l’entourage des enfants, est principalement concernée la famille : les grands-parents, les arrières grands-parents, un « tonton », un frère, etc. Quant à la question relative à leurs craintes, spontanément, les élèves répondent qu’ils n’ont pas peur ou qu’ils n’y pensent pas. L’explication religieuse de la mort rassure : « parce qu’on ressuscite en quelque sorte », « parce que de l’autre côté aussi, ça doit être bien », « parce que, si ça se trouve, on peut juste être une âme qui se balade ». Par contre, ils expriment la peur de perdre des proches : « parce que je serai tout seul », « parce que je les aime », « parce que je veux rester sur la terre avec mes frères et mes parents ». Un élève exprime l’inquiétude qu’il aurait de ne pas avoir pu réaliser tout ce qu’il aurait eu envie de faire.

10Quant au fait de parler de la mort à l’école, la majorité des élèves reconnait qu’ils n’aimeraient pas en parler avec leurs camarades : soit ils n’y pensent pas parce que « ce n’est pas très drôle » soit ils n’aiment pas trop en discuter (« je préfère que ça reste entre ma famille et moi »). D’autres élèves oseraient en parler avec leurs copains à condition que ceux-ci ne se moquent pas ou si l’occasion se présente. Des élèves en ont déjà parlé entre amis, à l’occasion du décès d’un animal, d’un frère ou d’un père : « Entre copines, on se demande ce qui va se passer » ou entre copains, « on se dit des grossièretés : je vais te tuer ». Clément avoue en avoir parlé en conseil d’enfants [9] et s’être senti mal. Ceux qui n’en ont pas parlé disent que « ce n’est pas intéressant », « ce n’est pas un sujet de conversation qu’on aimerait avoir » ou « que personne dans ma famille n’est mort ».

11Toutefois, dans le cadre scolaire, nombreux sont les sujets qui n’intéressent pas ou inquiètent les élèves au premier abord puis qui se révèlent source de savoir.

Alors, que faire en classe de CM1-CM2 ?

12Nous présentons maintenant les différents outils utilisés en classe pour aborder la question de la mort. Une visite au cimetière avait pour but d’aboutir à un débat philo en classe. Un élève de neuf ans a perdu son père quand il avait deux ans. L’année précédente, il évoquait l’absence de son papa pour des questions pratiques : la fête des pères ou la signature du livret. L’année de la recherche, au moment de l’anniversaire de son père, ses questions portaient sur ses émotions. Il demandait par exemple : « Est-ce que mon papa peut me manquer alors que je l’ai à peine connu ?». Lors de sorties à la piscine, il s’arrêtait systématiquement pour montrer la tombe de son père à ses copains : « Mon père, c’est tout en haut à droite ». Nous lui avons proposé de faire, avec la classe, une visite au cimetière, ce qu’il a accepté et nous avons également discuté de ses questions avec sa maman. Elle aussi jugeait ses réactions nouvelles, elle a donc consenti à la proposition de la visite au cimetière. Du point de vue pédagogique, cette activité était une occasion de matérialiser la question de la mort et de susciter un débat philo en classe. Ce débat avait pour but d’enrichir leur vocabulaire et leur expression orale, de développer des attitudes civiques et multiplier les échanges, ainsi que de travailler les savoirs-être en termes d’ouverture d’esprit et de réflexion.

13Le jour de la visite, nous avons expliqué aux élèves que nous irions au cimetière voir la tombe du père de Maximilien. Les élèves ont évoqué des personnes qu’ils connaissaient, enterrées dans ce même cimetière. Lors de l’entrée au cimetière, certains élèves ont dit qu’il fallait faire un signe de croix et du silence. Une fois devant la tombe, les élèves étaient plutôt solennels et nous avons observé un instant de recueillement. Ensuite, Maximilien a un peu parlé de son papa et les autres élèves lui ont posé des questions ; il n’était cependant pas très à l’aise. De retour en classe, les élèves se sont installés en coin regroupement. La discussion s’est faite à partir de questions « Pourquoi avons-nous été au cimetière ? Pour vous c’est quoi la mort ? ». L’échange a duré une quinzaine de minutes. Lors de la discussion, chacun des élèves respectait son tour de parole après avoir été invité à parler. Cependant, tous les élèves n’ont pas nécessairement participé et, dans l’ensemble, il leur a été difficile de justifier leurs points de vue. Au cours du débat, quelques élèves ont posé des questions sur l’euthanasie et d’autres ont parlé de la peine de mort.

14Dans le cadre de cette recherche, un exercice de rédaction de poème a été réalisé. Pour écrire leur propre poésie, les élèves ont choisi l’un des deux thèmes : « quand on est différent…» ou « quand on perd la vie…». Un quart des élèves a choisi le thème de la différence et les autres ont choisi le thème de la mort. Ce choix est probablement dû au travail fait en classe au préalable autour de ce sujet. Les élèves ont été déstabilisés par les thèmes qu’ils trouvaient très difficiles mais leurs productions ont été particulièrement riches et variées. (cf. encadré 1)

Encadré 1

Tous différents
Tous différents.
On l’est même avec la ressemblance de nos parents
Chacun dans son cœur
A une idée meilleure.
Si l’on devait comparer la pastelle à l’aquarelle
On n’y verrait que de simples jumelles.
Pourtant, c’est dans la lueur de l’espérance
Qu’elles évoluent chacune avec leurs différences
Parfois, ces différences peuvent pousser les gens au racisme
Et à l’égoïsme,
Même si, après tout,
Ensemble on est tout.

15Lors des temps de travail de classe sur leurs poèmes, les interactions entre les élèves étaient nombreuses : ils s’entre-aidaient pour trouver des rimes, cherchaient des idées, échangeaient sur la manière d’en parler. Cela leur a permis de travailler des compétences en vocabulaire et en rédaction. L’utilisation de rimes a obligé les élèves à chercher des mots qu’ils n’utilisaient pas couramment. On peut se demander si la difficulté des thèmes proposés peut bloquer la production d’écrits, mais les mêmes blocages avaient été observés lors d’un travail de réalisation de poésie, quelques mois plus tôt, qui portait sur un sujet au choix. Pour certains, le travail s’est fait en complète autonomie. D’autres élèves ont demandé de l’aide pour organiser leurs pensées. Ils sollicitaient l’enseignante, entre autres, pour trouver des rimes. Ils se lisaient leurs poèmes respectifs et se disaient souvent impressionnés par le travail de leurs camarades.

Comment les élèves traitent-ils de la mort par la poésie ?

16Ces poèmes ont trait à des questions fondamentales, mais les élèves ont mené leur réflexion en lien avec leur propre histoire. Ainsi, Julie, 10 ans, intitule son poème « quand on perd la vie » comme la consigne le proposait. Elle le traite à travers l’exemple d’un déménagement qu’elle a vécu. L’idée évoquée est celle de la séparation, de la rupture avec un temps passé. Pour reprendre l’adage : partir, c’est mourir un peu. (cf. encadré 2)

Encadré 2

Quand on perd la vie
Quand j’habitais Paris.
C’était le paradis.
Après m’être habillée
Je jouais avec des billets.
C’était dehors
que j’allais voir de l’or.
Quand j’allais voir mes animaux,
par exemple un agneau.
Quand je me baladais,
je voulais m’envoler comme un oiseau.
Et nager dans l’eau.
Et enfin pour m’élancer je sautais.

17Les deux poèmes suivants montrent aussi le lien entre la poésie et le vécu personnel de la mort par l’élève. Thibaut est un élève de CM2 dont le petit frère est mort d’une leucémie. Ses parents ayant du mal à évoquer ce décès, la mort de ce petit frère est taboue dans la famille. Dans ce poème, Thibaut utilise « tu » et « ton » qui renvoie, on peut le supposer, à ce frère décédé. (Cf. encadré 3). Déjà évoqué plus haut, Maximilien est un enfant qui a perdu son père. C’est un élève qui se trouve souvent en difficulté lors de la production d’écrits. L’évocation nominative de son papa dans ce poème s’est faite suite à une discussion avec l’enseignante. En effet, il utilisait des pronoms personnels pour l’évoquer et a choisi de dire « mon père » après cette conversation. (cf. encadré 4)

Encadré 3

Quand on est mort
La mort…
La mort ça fait de la peine aux amis,
La mort c’est quand on grandit.
Quand on meurt c’est peut-être qu’on a une maladie,
Ou qu’on meurt parce qu’on en a envie.
La mort c’est une tragédie,
Des fois, ça nous empêche de souffrir,
Mais ça ne fait pas rire.
Pourtant, la mort peut être une poésie.
Quand tu étais à l’hôpital,
Ton cœur était plein de douleur.
Pendant que le mien,
Etait plein de chaleur.

Encadré 4

La mort
Quand je perds quelqu’un de ma famille
Ma vie est anéantie,
Mes idées fourmillent
On va au paradis.
Je suis malheureux,
De le voir dans la tombe,
Mais mon père est heureux,
Auprès des colombes.
Je suis ivre de malheur,
Et je pleure.

18Le poème qui suit a été rédigé par Maxime, élève de CM2, qui a été assez déstabilisé à l’annonce des sujets et qui a écrit plusieurs essais pour sa poésie. Après avoir essayé de parler de ses sentiments, il a choisi d’écrire son poème en lien avec l’actualité. Il est intéressant de noter qu’il a choisi d’évoquer la mort par rapport à la guerre. (cf. encadré 5)

Encadré 5

La mort
C’est triste
et ça fait mal pour les Kadafistes
le tueur
il les tue tous et meurt
la mort
C’est pas l’or
Les squelettes
Ils ont des petites têtes

19Le travail sur les poèmes met en relief la difficulté d’écriture dans le respect des consignes. Cet exercice sert des compétences rédactionnelles et il oblige à une réflexion sur le vocabulaire utilisé tout en respectant plusieurs consignes à la fois. Didier est un élève hyperactif en situation de difficulté scolaire en français. La réalisation du poème a été très éprouvante pour lui. Sa production en est d’autant plus remarquable. (cf. encadré 6)

Encadré 6

Mort…
Quand je suis mort
Je ne vis plus.
Mais dehors, je vois mon corps,
Mon corps mort et étendu.
Mais mon esprit s’envole
Dans les nuages…
Et je survole
le monde malgré mon âge.
Et je regarde les gens s’amuser
Mais quel ennui !
C’est une tragédie
Mais moi je pars m’aventurer.

20Cet exercice de poésie s’est globalement montré fructueux tant du point de vue littéraire que du point de vue de la réflexion. Les élèves ont été inégalement concentrés mais ni plus ni moins que lors d’autres travaux scolaires.

Le thème de la mort développe-t-il l’ouverture d’esprit ?

21Pour évaluer qu’il y a ouverture d’esprit, il nous a fallu savoir si les élèves ont fait évoluer leurs représentations et ont élargi leur champ de pensées. Pour cela, la confrontation avec les autres est importante. Les poèmes ne peuvent travailler une telle compétence car, bien qu’il y ait eu des interactions entre élèves, celles-ci concernaient plutôt la forme que le fond. Participer à un échange construit des compétences langagières telles que « rester dans le sujet, situer son propos par rapport aux autres, apporter des arguments, mobiliser ses connaissances [2] ». Cet échange oblige à écouter l’autre, même si son point de vue est différent et à le prendre en compte. Le débat a permis de valider pour certains une compétence relative au fait de prendre part à un dialogue.

22Suite à la visite au cimetière, les élèves ont peu parlé d’émotions expliquant qu’ils n’avaient rien ressenti de particulier à y aller ; ils disent être allés rendre un hommage. Quand on leur demande : « Pour vous, c’est quoi la mort ? », les enfants s’accordaient à dire que ce n’était pas bien sauf si l’on souhaitait mourir. Par contre, la mort, « c’est bien » dans des situations spécifiques : la souffrance ou la maladie. « Les avantages pour celui qui meurt, c’est qu’il ne vieillit pas et que c’est rapide ». Également, « c’est bien pour ceux qui font du mal et qui tuent d’autres gens qu’ils meurent ». En somme, la mort « c’est la vraie vie et tout le monde meurt un jour ». Cette idée correspond aux représentations de la mort chez l’enfant [1]. Le fait de l’évoquer à l’oral oblige à formaliser que nous sommes tous amenés à décéder.

23Des enfants se sont interrogés sur l’euthanasie et le problème éthique : « Dans un film, une fois, il y a un homme qui a aidé sa femme à mourir et il s’est retrouvé en prison ». Mais les élèves se tournaient vers l’enseignante, dans l’attente de réponses : « Est-ce autorisé dans d’autres pays ? », « Mais si on souffre et qu’on préfère mourir ? ». De leur côté, certains élèves ont continué la discussion entre eux. Il semble qu’ils se sentaient plus libres d’échanger sans la présence du professeur des écoles qu’ils considèrent comme détenteur du savoir. Lors de la discussion, les élèves semblaient plutôt en accord entre eux mais leurs représentations très manichéennes n’ont pas pu provoquer de débat. Nous pouvons donc en conclure que cet échange n’a pas complètement développé l’ouverture d’esprit bien que certaines de leurs représentations aient évolué.

24Ceci montre que les élèves ont des compétences à développer en termes d’échanges et que l’ouverture d’esprit peut être travaillée en classe à l’aide de questions fondamentales. Cependant les questions qu’ils ont été amenés à se poser montrent une partie de la réflexion mise en œuvre.

Le thème de la mort développe-t-il la réflexion chez les élèves ?

25Pour entrer dans une attitude réflexive, les élèves doivent être capables de se poser des questions. Lors du débat, ils ont été amenés à réfléchir et à élargir leurs points de vue sur des sujets qui ne les concernent pas au quotidien, comme par exemple l’euthanasie ou la peine de mort. Les jeunes enfants ont de nombreuses préoccupations en lien avec leur vie de tous les jours ; partir de ces petits soucis du quotidien peut les amener à réfléchir à des questions plus larges. Pour ce faire, ils doivent être sollicités dans des lieux et des espaces favorables.

26La rédaction des poèmes a développé leur capacité de réflexion personnelle. Ils se sont interrogés sur ce qui se passe après la mort, et ont dû non seulement formaliser leurs pensées mais ensuite les mettre en mots. Ils ont réfléchi à la manière dont ils souhaitaient parler de la mort ou de la différence. Pour traiter le thème « quand on perd la vie », les élèves se sont interrogés, de manière plus ou moins consciente sur le fait de savoir s’ils souhaitaient parler de leur propre mort ou de celle des autres : « quand je perds quelqu’un de ma famille », ou encore les raisons qui provoquent la mort « quand on meurt c’est peut-être qu’on a une maladie » ou « qu’on meurt parce qu’on en a envie ». Certains évoquent les émotions que cela provoque : « C’est triste et ça fait mal », « Quelques gens ont du chagrin ». D’autres font allusion à une idée de soulagement, de libération : « ouf ! Personne ne m’a vu souffrir », « plus jamais d’ennui ».

27Certains élèves ont montré la capacité de formaliser des acquis sur la séparation soit de manière métaphorique : « Quand j’habitais Paris », soit de manière concrète : « je ne vois plus mes amis ». D’autres ont réinvesti ce qui a été vu à la télévision, notamment dans le poème qui évoque les Kadafistes. Des élèves présentent une opinion, voire un jugement : « on va au paradis avec les gens gentils qui méritent le bonheur ou en enfer avec les gens qui sont méchants ». La mort est également présentée d’un point de vue très pratique : « les squelettes dans leur tombe », « quand on meurt, on va dans un cimetière, mais ça pollue la terre », « on moisit et on pourrit ». Un des poèmes personnifie la mort, « elle devient offensive, puis emmène le mort, en lui jetant un sort ». La plupart des poèmes définissent la mort par rapport à la vie : « c’est la vie », « la fin de la vie », « je n’avais plus de vie », « ma vie vaut de l’or ».

28L’analyse des poèmes nous montre que les élèves ont développé des processus de réflexion en termes d’échanges, de vocabulaire et de formulation de leur pensée. Ces expérimentations ont développé la curiosité et l’intérêt des élèves sur les questions fondamentales. Cependant, le thème de la mort est peut-être trop sensible et intime pour que ce soit l’occasion d’échanges ouverts.

Quelles perspectives ?

29Cette recherche a été effectuée à partir d’un échantillon restreint d’élèves. L’expérimentation dépend du professeur, de la relation qu’il a établie avec les élèves. Les résultats de la recherche auraient pu être différents avec quelqu’un d’autre. Il eut également été intéressant de comparer les dires des élèves avec ceux qu’ils auraient eus avec des intervenants extérieurs.

30Bien que cette recherche se soit révélée fort intéressante, la plupart des professeurs ne voient pas l’intérêt d’utiliser cette thématique à des fins pédagogiques mais la soumette plutôt à l’occasion d’un événement qui appelle à la discussion. Cela pose donc à nouveau la question de cette thématique à l’école : si les enseignants ne se sentent pas capables d’aborder le sujet avec les élèves, rien ne les y oblige.

31Les limites présentées nous incitent à envisager, de manière plus globale, l’intérêt d’aborder les questions fondamentales à l’école. Comme mentionnés plus haut, les ateliers philosophiques paraissent être un bon moyen pour ouvrir l’esprit des enfants et leur permettre de s’interroger sur des thèmes auxquels ils ne réfléchissent pas au quotidien. Partir de la réalité des élèves, comme les conflits qui ont lieu au sein de l’école par exemple, est un moyen de choisir les sujets à aborder. Certains enseignants proposent de laisser les élèves suggérer le sujet soit à l’aide d’une boîte à idées ou de cahiers philo. Il est préférable que le sujet soit abordé sous forme de question. Mais cette modalité doit être travaillée et organisée sur l’année, avec des sujets variés. Les enseignants favorables ou ayant mis en place des débats philo en classe expliquent qu’il s’agit de permettre aux élèves de réfléchir sur des thèmes, dans le contexte d’échanges qui développent les compétences civiques relatives au débat. Chacun des élèves réfléchit en prenant des notes ou en faisant des dessins, pour les jeunes enfants, sur une question posée en classe. Enfin la discussion a lieu dans la classe dans les circonstances adaptées à un débat : les élèves se voient, des rôles sont répartis entre eux tels que le gestionnaire de la parole, les secrétaires, le rapporteur qui est chargé de reformuler ce qui vient d’être dit. Le rôle du maître est d’animer le débat et, éventuellement, de prendre note des grandes idées au tableau. Il garantit le bon fonctionnement. À la suite de ce moment collectif, les élèves prennent un temps individuel pour écrire à nouveau dans leur cahier philo pour noter ce que le débat leur a apporté. Le professeur est invité à écrire une petite trace écrite récapitulative du débat.

32Il semble intéressant d’utiliser les questions fondamentales comme thème dans des contextes pédagogiques, au service des compétences. En effet, dans l’expérimentation, nous avons mis le thème de la mort au service de compétences littéraires, mais cela peut également se faire en lien avec l’histoire, les arts visuels ou encore la géographie.

Conclusion

33Les résultats de l’analyse mettent en lumière que la mort touche les enfants personnellement ; cette dernière fait partie de la construction de l’enfant et ne peut donc être ignorée par l’école, celle-ci ayant un rôle éducatif. Le B.O. de juin 2008 [2] n’évoque pas la mort en tant que thème d’éducation mais elle est présente en termes de protection, de sécurité ainsi que dans les programmes d’histoire et de sciences. Nous avons vérifié que les textes de référence autorisent l’enseignant à accorder une place à la mort à l’école sans pour autant l’y obliger. Les enseignants expliquent que la mort est une question fondamentale et jugent qu’il ne faut pas éluder la question lors d’une situation d’élève en deuil. Mais peu d’entre eux évoquent la possibilité d’utiliser le thème à des fins pédagogiques, tout comme les auteurs de référence dans le domaine. Malgré une réticence a priori, les élèves ont finalement fait preuve d’intérêt autour de la mort. La méthode utilisée l’a été en lien avec les disciplines scolaires et la vie de la classe. Nous avons montré que les questions fondamentales peuvent être mises au service du développement des compétences des élèves et s’inscrire dans le programme scolaire. Mais le thème de la mort est un sujet sensible, à inscrire dans un contexte de réflexion plus large. Il nécessite d’être d’autant plus vigilant qu’il faut que l’enseignant se sente à l’aise avec ce choix et des précautions doivent être prises auprès des enfants, des parents et de la direction de l’établissement. Les élèves doivent pouvoir donner leur accord s’ils sont touchés personnellement et le sujet ne doit pas revêtir un caractère injonctif ou obligatoire pour l’enseignant ou l’élève touché par un décès. La relation avec des partenaires extérieurs de l’école est fondamentale. Les parents d’élèves ont fait preuve d’une grande confiance. Ils auraient pu être plus impliqués dans le projet, en leur proposant notamment la possibilité de participer à ce qui a été mis en place dans la classe. La mise en place des expérimentations a été très intéressante du point de vue professionnel. Les interrogations et remarques des élèves ont permis un vrai travail de réflexion. Par ailleurs, la production des poèmes a été un travail très riche, tant sur le fond que sur la forme. Les élèves ont stimulé leur esprit tout en acquérant des savoir-faire. Le choix du thème aurait probablement pu être différent ; d’autres questions fondamentales auraient probablement pu atteindre des objectifs similaires.

Remerciements

Je voudrais remercier le Centre National De Ressources Soins Palliatifs, qui a été une source intarissable de lectures et tout particulièrement Caroline Tête, qui s’est montrée très disponible et m’a accompagnée pour la réalisation de cet article.
Je tiens à remercier mes élèves et collègues qui ont pris part à ce projet avec moi, ainsi que tous les enseignants qui ont accepté de participer à cette recherche.
Merci à ma famille et mes amis, qui ont été à mes côtés tout au long de ce projet ; tout particulièrement Nicole Croyère qui m’a aidé pour la rédaction de cet article.

Mots-clés éditeurs : compétences, mort, école primaire, éducation

Mise en ligne 16/09/2014

https://doi.org/10.3917/eslm.145.0109

Notes

  • [1]
    Préface Bacqué M.-F. in Deunff, J. (1991) Dis, Maîtresse c’est quoi la mort ? L’Harmattan, rééd. 2001.
  • [2]
    Ministère de la Jeunesse, de l’Éducation nationale et de la Recherche, Direction de l’enseignement scolaire (2008). Cycle des approfondissements : programme du CE2, CM1 et du CM2. Bulletin Officiel n°3, 19 juin 2008 hors-série. http://www.education.gouv.fr/bo/2008/hs3/default.htm
  • [3]
    Ministère de l’Éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche (2006). Le socle commun des connaissances et compétences. Parution en novembre 2006. Édition : Direction Générale de l’enseignement scolaire. http://educscol.education.fr/
  • [4]
    Keirse M. (2000), « Le deuil à l’école » in Faire son deuil, vivre un chagrin. De Boeck et Belin, 163-178.
  • [5]
    Romano H. (2007), « L’enfant face à la mort ». Etudes sur la mort, n°131, 95-114
  • [6]
    Tharrault P. et Pellerin F. (Mai 2005), Le débat-philo à l’école primaire, Angers.
    http://www.pedagogie.ac-nantes.fr/1178809025515/0/fiche___ressourcepedagogique
  • [7]
    Hervé G. (2002), « Comment dire l’indicible ? » In La littérature de jeunesse face à la mort, Textes et Documents pour la Classe, 843, 7-17.
  • [8]
    L’expérimentation s’est déroulée dans une école catholique.
  • [9]
    Le conseil d’enfants est un temps de vie de classe hebdomadaire.
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