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Article de revue

Le suicide assisté : la nouvelle « peine de mort » induite par la société contemporaine ? Une analyse à la frontière entre droit et psychanalyse

Pages 37 à 53

Notes

  • [1]
    MARCHESINI S.-M. « Le suicide assisté : la nouvelle « peine de mort » induite par la société contemporaine ? Une analyse à la frontière entre Droit et Psychanalyse. » In : Intervention prononcée le 19/11/2011, Colloque International « Mort et médecine », Atelier : 3. Le Droit face à la fin de vie, le 19 et 20 novembre 2011 à Strasbourg-France.
  • [2]
    LEGENDRE P. La fabrique de l’homme occidental. Turin : Éditions Arte (n° 129), Texte intégral inédit, 2000.
  • [3]
    DEMICHEL F. « Les défis actuels du droit médical face à l’éthique » In : Conférence prononcée le 8/4/2005, Colloque « Pratiques soignantes, éthique et sociétés : impasses, alternatives et aspects interculturels ». : « Ne serait-il pas plus judicieux de construire, à côté du droit de la responsabilité, un droit de la réparation sans responsabilité ?».
  • [4]
    Dans un chapitre sur « La linguistique statique et la linguistique évolutive » : « La linguistique synchronique s’occupera des rapports logiques et psychologiques reliant des termes coexistant et formant systèmes, tels qu’ils sont aperçus par la même conscience collective. La linguistique diachronique étudiera au contraire les rapports reliant des termes successifs non aperçus par une même conscience collective, et qui se substituent les uns aux autres sans former système entre eux ».(SAUSSURE F. D. Cours de linguistique générale. Paris : Payot, 1972, p. 140.)
  • [5]
    « Théorie de l’Argumentation rhétorique» dans le discours du Droit de Chaïm Perelman. (PERELMAN C. Éthique et Droit. Éditions de l’Université de Bruxelles, 1990, p. 121-131-151.)
  • [6]
    « Théorie des signifiants distincts des signifiés » de Lacan, dans laquelle il place la rhétorique et démontre pourquoi la métaphore phallique est un signifiant central du psychisme humain et fonctionne comme un déterminant de vérités toujours relatives. (LACAN J. « La métaphore du sujet ». In: Écrits II, Appendice II, Paris : Éditions du Seuil, 1999, p. 359-363.)
  • [7]
    LACAN J. L’instance de la lettre dans l’inconscient ou la raison depuis Freud. In : Écrits I, Paris : Éditions du Seuil, 1999, p. 490-526.
  • [8]
    LEBRUN J.-P. De la servitude des nouveaux rois, Texto 2004.
  • [9]
    MARANHÃO J.-L. de S. (1998), O que é a morte. São Paulo : Brasiliense, Coleção Primeiros Passos ; p. 150.
  • [10]
    DOR. J. « discours (quatre -) » In : Dictionnaire international de la psychanalyse sous la direction d’Alain de Mijolla. Hachette Littératures 2002, p. 486.
  • [11]
    « Je me réfère ici à la version de la conférence diffusée par Espace analytique en annexe à son courrier interne, le texte n’étant pas disponible dans une version publiée.» (LESOURD) S. « Comment taire le sujet ? Des discours aux parlottes libérales ». Éditions Érès, 2006, p. 113.
  • [12]
    LESOURD. S. La construction du sujet dans la modernité. Tome 1, H.D.R. 2001, p. 171.
  • [13]
    LESOURD S. L’évacuation du sujet dans les « parlottes » techno-médicales. © 2011 Clínica de Psicologia e Psicanálise do Hospital Mater Dei ; Belo Horizonte – MG; versão impressa ISSN 1980-2005, Epistemo-somática v.4 n.2 Belo Horizonte dez. 2007.
  • [14]
    LESOURD S. « La folie ordinaire des discours modernes ». In : Figures de la psychanalyse, 2004/2 (n°10), 216 pages, Editeur Erès, p. 105-110. URL: www.cairn.info/revuefigures-de-la-psy-2004-2-page-105.htm. DOI : 10.3917/fp.010.0105.
  • [15]
    FREUD, 1915 apud MIJOLLA-MELLOR, S. Dictionnaire International de la psychanalyse. Sous la direction d’Alain de Mijolla. Hachette Littératures, 2005, p. 1103.
  • [16]
    Ibid., MIJOLLA-MELLOR, p. 1103.
  • [17]
    LEBRUN, J.-P. « L’avenir de la haine » In : Revue internationale La clinique lacanienne, Parentalités d’aujourd’hui …et d’ailleurs. Editions Érès 2007, n° 12, p. 127-143.
  • [18]
    LEBRUN. J.-P. De la servitude des nouveaux rois, Texto 2004.
  • [19]
    La pulsion de mort (Thanatos) « est ce qui fait tendre les êtres vivants vers un état sans vie. Elle ne peut se manifester seule ; son travail se reconnaît, notamment au travers des contraintes de répétition, lorsqu’elle a partie liée avec Eros. En ce qu’elle tend à ramener le vivant à l’état antérieur, elle est une composante de toute pulsion. Dans cet alliage, sa tendance dominante est la « dé-mixtion », la « dé-liaison », la dissociation. Pure, mais muette, à l’intérieur de l’appareil psychique, elle est « domptée par la libido », pour une part, et ainsi, défléchie vers l’extérieur par « l’action spécifique » de la musculature sous forme de pulsion de destruction, de pulsion d’emprise ou de volonté de puissance : c’est là le sadisme proprement dit ; le masochisme érogène originaire constitue la part qui reste « à l’intérieur ». (DELION, P. « pulsion de mort (Thanatos) » In : Dictionnaire International de la Psychanalyse. Sous la direction d’Alain de Mijolla. Hachette Littératures, 2005, p. 1428-1429.
  • [20]
    En bref, « le refoulement est un processus de la vie psychique normale qui consiste à maintenir (surtout par la censure) certaines représentations dans l’inconscient et à préserver ainsi la solidité du moi.». Un processus de « mise à l’écart des pulsions qui se voient refuser l’accès à la conscience.» CHEMAMA, R. Dictionnaire de la Psychanalyse. Paris : Larousse, 2007. p. 362.
  • [21]
    JAFFE Aniela. Conférence sur « La Vieillesse et la Mort : les atermoyer ou les accepter ?», réalisée en 1973, fût professée à Berlin durant l’Internatinalen Gemeinschaft « Artz und Seelsorger » et publiée par l’Edition Klett en 1974.)
  • [22]
  • [23]
    MARANHÃO, J.-L. de S. O que é a morte. São Paulo : Brasiliense, 1998, Coleção Primeiros Passos, p. 150.
« C’est dans le fond de l’amour que jaillit l’espérance de l’immortalité. »
Gabriel Marcel

I – Le droit face à la fin de vie

1La Loi, n? 2005-370 du 22 avril 2005, dite « Loi Leonetti » concernant les droits des patients en fin de vie, représente une des premières expressions d’une logique relative moins universaliste, accueillant la volonté des patients et ouvrant un nouveau chemin juridique à la subjectivité, dans les limites de la licéité du respect à la vie. Elle ouvre un espace pour une analyse concrète de l’arrêt de « l’acharnement thérapeutique » à travers la consultation de « directives anticipées » éventuellement formulées par le malade, en maintenant la limite que constitue « l’homicide », sans décriminaliser ou dépénaliser l’euthanasie à travers le suicide assisté consenti.

2Cette loi a cherché une solution éthique, plus proche de la singularité individuelle, à l’encadrement juridique de la relation médecin-patient en fin de vie. Elle a permis de respecter, d’un côté la volonté du patient, les notions de soins palliatifs, la dignité humaine du mourant et de sa famille, la qualité de fin de vie, et d’un autre côté les principes de la responsabilité et de la sécurité juridique des professionnels de santé.

3Le leitmotiv de cette loi est le respect de l’expression de la volonté et de la dignité de vie du mourant, même s’il n’est plus conscient, par la consultation de « directives anticipées » par le malade, et/ou de la personne de confiance ou de ses proches, en rééquilibrant les droits et les devoirs dans la relation médicale. Elle évite la judiciarisation de la pratique médicale, par rapport à l’arrêt de traitement ou son abstention, au moyen d’une procédure définie, qui respecte les principes de « collégialité et traçabilité » de la décision.

4Mais dans la pratique clinique et/ou juridique, comment trouver le « juste milieu » dans la prise de décision pour chaque cas individuel ? C’est-à-dire comment « juger d’un mode raisonnable et singulier », les conflits entre la volonté du patient à vivre ou à mourir, les différentes opinions de ses proches et des médecins, concernés par la traçabilité de la décision ? Comment ne pas mettre en œuvre la pulsion de mort contre les systèmes de protection de la vie et de la dignité humaine ?

5Pour réfléchir sur cette question complexe, relative aux valeurs fondatrices de l’ordre social et juridique international, nous partons d’une approche épistémologique critique du Droit à travers la théorie des Discours lacanienne.

6C’est à la protection de la vie et à la promotion de ses valeurs inhérentes que s’attachent les discours du Droit. En effet, le Droit pénal, par exemple, établit la classification des interdits majeurs entre le privé et le public, et en réprime la transgression en infligeant un châtiment. Or, la question d’un nouveau « droit à mourir dans la dignité » s’inscrit dans cette mission confiée au Droit de repérer les traces des expériences, d’accompagner le nomadisme des frontières entre les actes licites et illicites par rapport à la valeur suprême de la vie.

7D’abord, il faut préciser que les disciplines juridiques réglementent les droits et les devoirs concernant non seulement la vie, mais également la fin de vie, et même l’après mort. Elles adoptent la logique scientifique classique du « tiers exclu », guidées par les sciences mathématiques, et plus récemment par la neuroscience. Ainsi, la rationalité des lois et les décisions juridiques ne prennent-elles pas en compte les différents niveaux de la réalité psychique consciente et inconsciente. La possibilité « d’ interprétation psychanalytique de formations inconscientes » – comme les rêves, les actes manqués, et le phénomène de transfert de références (traces mnésiques) – n’existe pas au regard du Droit. Les rapports des experts médicaux et scientifiques ont une vision organique et biologique et adoptent la méthode analytique des sciences exactes. La science juridique comme médicale, en partant méthodologiquement des « lois de cause et d’effet », considère que la « cause du psychisme » humain et des comportements transgressifs est de prédominance génétique plutôt qu’étymologique et culturelle.

8En effet, l’objectivisme et le pragmatisme juridique s’éloignent, de plus en plus, de la subjectivité et de la rhétorique. Paradoxalement, le juridictionnel se consolide au moyen de nouvelles technologies. Mais d’autre part, l’idéal de la justice s’affaiblit du côté de la compréhension de la complexité des actes et des relations humaines, ainsi que des faits et des négociations juridiques.

II – À la frontière entre droit et psychanalyse

9Au contraire, la vision transdisciplinaire Droit/Psychanalyse amplifie le concept de la personne et du citoyen en partant de la considération de l’inconscient, de l’étude des « structures psychiques subjectives » et de la notion de « sujet clivé» entre le Moi et le Surmoi par effet des signifiants discursifs. De son côté, le Droit classique ne prend pas en considération les conflits intrapsychiques ni les fantasmes partagés dans l’espace où s’articulent l’individuel et le collectif. Le développement d’une nouvelle éthique relative qui respecte les singularités subjectives serait donc nécessaire pour comprendre les comportements humains contemporains et pour établir les différents niveaux de capacité, de responsabilité et de culpabilité juridique.

10Cependant le Droit évolue vers un nouveau style. Il se présente, selon Pierre Legendre, comme une échelle institutionnelle indispensable à l’instauration « de la vie et de la subjectivité [2]» grâce à une éthique moins universaliste. Une éthique envisagée aussi bien lors de l’élaboration des projets de lois, que pendant les techniques de médiation, d’arbitrage, et de décision judiciaire.

11Cette prise en compte des logiques distinctes entre les niveaux, conscient et inconscient, de la subjectivité humaine rend plus facile l’écoute et la compréhension des revendications des Droits des minorités, comme par exemple ceux qui réclament l’euthanasie. Elle perfectionne aussi le système juridique et approfondit le débat sur la révision des lois de bioéthique.

12Face à la crise du Droit en rapport avec une nouvelle conception du corps humain médicalisé et aux changements discursifs que cela entraîne, il faut réfléchir, dans une vision plus complexe et transdisciplinaire, sur la légitimité et les possibilités d’accueils de certaines revendications. Ceci, à fin de ne pas transformer les courants de pensée éthique du Droit en une expression de la « science de la morale ». Ou encore, à fin d’éviter une réification discursive de « la morale de la science », en confondant les normes juridiques avec les pratiques scientifiques qui peuvent être bénéfiques ou nuisibles à la nature et à l’humanité. En effet, les exceptions aux principes d’inviolabilité et d’intégrité du corps humain sont nombreuses dans les législations bioéthiques internationales. Des lois infra-constitutionnelles commencent à dépénaliser l’euthanasie, mais sans décriminaliser au niveau constitutionnel, pénal ou même supra-constitutionnel, l’atteinte à la vie humaine.

13Non seulement les progrès technoscientifiques mais aussi les transformations des mœurs et des discours contemporains poussent le Droit vers une nouvelle prise de position par rapport à sa place et à sa fonction. Cela indique la reconstruction d’un système qui tient compte des facteurs de contingence et qui a pour but la « constitution, réparation et protection de la subjectivité ». Ces changements amèneront à la reconstruction des organisations juridiques, dans lesquelles les relations de pouvoir seront soutenues par des principes fondateurs autres que les seules « culpabilité, traçabilité et responsabilité [3].

14Donc, dans la contemporanéité, ne reste-t-il aux juristes et aux législateurs que la tâche de reprendre une réflexion sur les « interdits fondamentaux de la civilisation », leurs influences dans les relations humaines, dans les comportements conscients et inconscients, et dans la norme juridique ? Cette réflexion sur la conception freudienne de la Culture comme horizon institutionnel qui produit dans la psyché humaine « un déterminisme inconscient de subjectivité disciplinée » ouvre, en effet, des horizons nombreux et inattendus. Elle aide à comprendre que la « réalité psychique » est souvent opposée à la « réalité et à la demande matérielle ». Toutefois, la question demeure : Comment est-il possible de rendre indépendante la norme juridique de l’ordre scientifique, sans la laisser vide à ses pôles factuels et axiomatiques ?

III – Une nouvelle conception de la loi : une instance symbolique

15Nous cherchons donc à construire un nouvel axe de recherche pour répondre à des questions si complexes, qui ne peuvent pas être clarifiées par un seul homme et par une seule discipline.

16Le rapprochement du Droit et de la Psychanalyse ouvre des raisonnements sur les différentes dimensions, consciente et inconsciente, des lois et de leurs interprétations, grâce aux outils de la néo-linguistique. L’essentiel dans cette interaction disciplinaire, c’est de comprendre la notion de « signifiant » venue de la rhétorique antique, à travers le structuralisme. Elle nous aide à réintroduire la subjectivé dans les discours par l’étude des fournitures du langage. Elle y parvient par l’usage persuasif de la métaphore et de la métonymie, des effets des processus inconscients sur la substitution et la combinaison des « signifiants » dans les dimensions respectivement synchronique et diachronique [4].

17Ces études discursives nous éclairent sur les « procédés de l’argumentation scientifique ». Du côté de la psychanalyse, elles rendent compréhensibles par la connaissance des éléments structuraux de l’inconscient référé à notre « capacité de jugement singulier ». Déjà du côté du Droit, elles instruisent par la connaissance des principaux courants de pensées - le courant de la « triangulation morale », le courant de la théorie critique de l’école de Francfort, et le courant espagnol – qui cherchent, conformément à leurs contingences historiques, à établir les fondements de la bioéthique, à partir d’un idéal de « capacité de jugements raisonnables ».

18Afin de réfléchir à ces questions nous faisons appel à l’important dialogue existant entre la « Théorie de l’Argumentation [5] » de Chaïm Perelman, belge, philosophe du Droit, et la « Théorie des effets signifiants distincts des signifiés dans les discours [6]», de Jacques Lacan. Dans ce dialogue, et plus précisément à propos de la « métaphore comme fonction rhétorique », Lacan la justifie en y ajoutant la logique de l’inconscient.

19Nous indiquons les textes [7] correspondants à ce dialogue comme l’une des pierres angulaires d’un nouveau mode de réflexion sur « les conflits » entre le désir du sujet et les interdits du social humain, mais aussi entre les différentes lois juridiques des sociétés concrètes et la « Loi du langage » : celle-ci étant dite « Loi du Nom du Père » c’est-à-dire une instance surmoïque de l’inconscient humain.

20Cette approche des différents champs discursifs, du Droit et de la Psychanalyse, donne ainsi naissance à une nouvelle conception de la Loi. Celle-ci devient une instance symbolique légitimée dans plusieurs niveaux collectifs et subjectifs. C’est un processus signifiant, référé à l’Idéal, qui opère dans l’intersection subjective et sociale et qui a de l’importance pour la « construction de la subjectivité ».

21En bref, ce travail de la Culture d’« interdire » la jouissance, selon Lebrun [8], ce fait à cinq niveaux : le niveau que Lacan a appelé l’humus humain, le niveau du social humain, le niveau de la société concrète, le niveau de la famille et le niveau de la réalité psychique du sujet. Donc, dans cette nouvelle conception de Loi résultant d’un travail de la Culture, il ne s’agit pas de la qualité des lois, mais, de la nature même et légitimation culturelle d’une instance symbolique, c’est-à-dire, d’une catégorie du symbolique en vertu de « la loi proposée à cette chaîne » de la structure du langage. Dite sur un autre mode, c’est l’introduction de la structure linguistique au cœur de la Loi, et donc de la condition subjective de l’humain.

22La compréhension de la Loi juridique comme une instance symbolique - qui a des racines plus profondes et qui fonctionne en chaîne dans les catégories linguistiques (métaphore et métonymie), dans les différents niveaux, conscient et inconscient -, permet de réfléchir d’une nouvelle manière au pouvoir du Droit et de la technologie médicale, en termes de respect de la subjectivité et du développement d’une vie et d’une mort plus humaines.

23Elle pose la question de l’emploi rhétorique du discours et des changements conséquents dans les transmissions de référentiels allusifs à l’interdiction des crimes fondamentaux d’homicide et d’inceste dans toutes leurs nuances. Elle produit des scissions dans le débat sur « l’euthanasie », « le suicide assisté » et « le consentement » à fin d’analyser et de « resignifier » le principe éthique, pierre angulaire du système juridique universel « Tu ne tueras point (Exode, 20.13) ».

IV – Les soins palliatifs, les directives anticipées et la « collégialité et traçabilité » de la décision médicale : une réintroduction de la subjectivé dans la loi des patients en fin de vie

24Le Droit français, n’autorise pas l’euthanasie, mais se tourne plutôt vers une approche de soins palliatifs. Vers un rééquilibrage de la relation patient-médecin. Il prend en compte, d’un côté, la volonté individuelle et/ou familiale, à travers les « directives anticipées », et de l’autre côté, la « collégialité et traçabilité » de la décision médicale et ce, malgré les fortes pressions médiatiques et les divers faits de société liés à l’euthanasie.

25La Loi française concernant les droits des patients en fin de vie, dans une éthique plus relative et de respect du désir individuel, même si elle maintient l’interdiction implicite de l’euthanasie, ouvre un nouveau chemin juridique à la subjectivité, dans les limites de la licéité du respect à la vie. Le Droit français n’accorde aucun poids au « consentement » du malade dans la constitution des éléments de ce type d’infraction. Le mobile de la compassion n’étant pris en compte que pour fixer la peine et, le cas échéant, en cas de culpabilité, éclairer les intentions de l’auteur.

26Compris comme le fait de donner à autrui la mort, c’est en fonction de l’intention de l’auteur de l’acte ou du mode opératoire qu’une qualification juridique se dégagera. Le Droit pénal français permet de poursuivre l’euthanasie comme meurtre, empoisonnement ou non-assistance à personne en danger.

27Le comité national d’éthique en France, dans une posture plus proche de l’éthique relative de la Psychanalyse ne suggère pas une dépénalisation ou décriminalisation de l’euthanasie, mais une appréciation et une écoute, au cas par cas, des circonstances exceptionnelles qui peuvent y conduire, afin d’éviter un trop grand décalage entre le Droit et les réalités humaines.

28À ce point de notre raisonnement, il faut préciser que la Psychanalyse adopte la logique du « tiers inclus », et se soucie de la préservation de la subjectivité. « Comment » et « en quoi », une société à ses différents niveaux, individuel et collectif, intervient-elle dans la construction de l’appareil psychique. Elle étudie les lois qui régissent le champ de la pensée, le monde de l’âme, en plaçant au niveau inconscient la cause du psychisme dans le « consentement » aux interdictions fondatrices. Elle voit la présence active de la mort au cœur de la vie et de la civilisation.

29Toutes les contraintes de structure des différents niveaux de la société humaine qui établissent « la limite » toujours représentée par l’interdiction de l’homicide et de l’inceste, remettent en question la rhétorique positiviste et universelle des lois juridiques. Elles le font à travers la réintroduction dans le discours scientifique du paradoxe de la structure inconsciente du « sujet clivé », lorsqu’elles sont considérées par les discours de chaque société concrète, y compris dans ses contingences historiques.

30Nous savons que le « sujet clivé » entre ses références, pour trouver un compromis entre les instances Moi-Surmoi doit « consentir » inconsciemment aux interdictions fondatrices au parricide, matricide et à ses nuances incestueuses. Les normes et les lois de chaque société concrète – sociales ou juridiques – ont comme fonction de soutenir le « consentement » à cette « perte », à cette limitation de jouissance mortifère.

31Après l’affaiblissement de tout l’ethos universel, rationnel, éthique ou religieux, le signifié « mort », se rapproche de plus en plus du réel, jaillit fortement dans toutes les paroles de toutes les sociétés. Nous nous demandons si l’humanité à travers les meurtres cherche à rétablir le contrat social pour pouvoir survivre ? A partir du moment où l’euthanasie a droit de cité et ne constitue plus en soi une transgression dans les esprits, on se demande, quelles représentations socio familiales soutiendront l’interdiction des crimes d’« homicide » dans les sociétés rationalistes séculaires occidentales ?

32Actuellement, la mort est considérée comme un événement privé, honteux et objet d’interdiction, opposé à la vie et au sexe. Dans la société libérale capitaliste, nous assistons à un phénomène où l’obscénité ne se situe plus dans les événements du début de la vie, (conception, naissance, contraception), mais plutôt, dans ceux relatifs à la fin de la vie. Ainsi, les bébés ne naissent plus « apportés par des cigognes », mais les « vieux » disparaissent entre les fleurs d’un beau jardin, quand ils ne sont plus utiles. L’excitante pornographie de la violence et de la mort médiatisée prouve le déplacement vers le tabou dans la société postmoderne [9].

33Dans cette société vouée à la productivité et au progrès, la mort perd son sens métaphysique. Il ne reste plus de temps ni d’espace pour la signification de la mort. Celle-ci ne convient pas à l’équilibre du « plus-de-jouir », soustraction de jouissance par le discours homologue à la « plus-value » repéré par Karl Marx, entre les pulsions de vie et de mort, ou entre les principes de plaisir et de réalité.

V – L’évacuation du sujet dans les discours sociaux

34Selon la théorie lacanienne des quatre structures des Discours (discours du Maître – où se situe l’origine du discours du Droit –, de l’Universitaire, de l’Hystérique, de l’Analyste), il y a une structure minimale signifiant (S1 S2) du langage [10], et par ses effets cette structure produit le sujet toujours séparé de l’objet. C’est-à-dire qu’il n’y a pas de possibilités de jouir pleinement de l’objet quel qu’il soit. Mais l’ordre de fonctionnement de cette structure signifiant est inversé dans la cinquième formule algébrique proposée pour expliquer le « Discours du Capitaliste [11]». Cette inversion structurelle dans les discours change les rapports du sujet aux signifiants de références et aux objets de la vie. Elle efface la différence entre « l’objet du désir inconscient » et les objets de consommation. Cette dérive logique produit, dans les discours courants de nos jours, des pièges cognitifs discursifs en promettant à tous la satisfaction de tous leurs désirs, et sans doute des controverses scientifiques. Cette inversion de la logique fondamentale produit, selon Lesourd [12], l’évacuation du sujet dans les discours qui organisent les liens sociaux. Les relations entre le sujet et les objets de consommation s’établissent maintenant « sans limite à la jouissance mortifère ». Il dit que l’évacuation subjective et l’impossibilité même de subjectivation se font sentir plus spécifiquement dans les « parlottes » technico-médicales [13] qui promettent, d’une manière tout à fait subtile, des modalités perverses de jouissance illimitée. Il dit également qu’il y a un rapport entre les réglages de la perte de jouissance, les folies ordinaires et les discours postmodernes [14].

35Tous les individus sociaux réglementés comme sujet du Droit, pris un par un, selon la Psychanalyse, sont des sujets du langage, c’est-à-dire que chacun est « sujet dès sa métaphore paternelle ». Chaque sujet est l’effet du discours soutenu sur la base d’un refoulement inconscient des pulsions libidinales, des limitations signifiantes référées au Phallus, et à la différence des sexes et des générations. Ce refoulement est capable de produire des significations qui vont orienter les choix du sujet pendant toute sa vie. Ce sujet considéré comme effet d’une métaphore est recouvert par la logique phallique. Il est effet du signifiant-maître. Il est représenté par un signifiant qui le renvoie à des autres signifiants. Mais on voit par l’analyse structurale qu’opère Lacan à travers les quatre structures discursives (les discours du maître, de l’hystérique, de l’universitaire, de l’analyste), et sa proposition postérieure d’une cinquième formule pour le Discours du Capitaliste, que cette logique phallique qui organise la communication et les liens sociaux a subi une dérive de références du fait des changements du libéralisme.

36On peut donc conclure, à ce stade, que l’inversion logique indiquée dans l’ordre du circuit des quatre discours – antérieurement caractérisée par une rupture dans le lien entre le sujet clivé $ et l’objet a, au niveau inconscient, établissant une impossibilité de liaison entre le savoir et la jouissance –, cause des mutations des références socio-familiales au sujet. Les sujets postmodernes sont engendrés par les effets des « parlottes » et des signifiés. Ils ne sont plus constitués par des significations, des valeurs morales et des idéaux. Les sujets sont des « effets des énoncés » chaque fois plus en dehors de la logique phallique, détachés d’un niveau synchronique du système langagier. En conséquence plus facilement identifiés à des produits du marché et croyant à des paroles pleines des promesses efficaces.

VI – L’euthanasie déguisée en suicide assisté consenti

37L’étude comparée des législations internationales nous montre que la dépénalisation de l’euthanasie ou les solutions intermédiaires, en faisant prévaloir les valeurs essentielles de liberté de l’individu à choisir le droit de mourir à travers le « consentement », caractérisent une déviance discursive dérivée du discours capitaliste débridé. Ce discours transforme l’être humain en un produit du Marché « non pensant et consommateur », et chaque fois plus orienté par « les processus narcissiques et par la pulsion de mort ».

38Le suicide assisté commence à s’inscrire dans les sociétés et dans les législations de certains pays, sous couvert de « libéralisme » ou de reconnaissance du « droit à mourir dans la dignité », en ouvrant la voie à l’euthanasie. Il ne s’agit pas simplement de détourner le sens commun des mots, mais il s’agit d’invisibles changements discursifs, du détournement de la signification juridique, de la modification d’un type de crime selon le droit pénal, en feignant d’en renforcer la valeur d’usage. C’est un détournement qui procède par associations sidérantes, qui opposent terme à terme « suicide » « assisté » et constituent un véritable oxymore. En effet, l’euthanasie, déguisée en suicide assisté, revient dans les discours contemporains, comme si elle consistait en une « condamnation à mort » inconsciente du sujet lui-même. Mais aussi dans le discours du Droit qui, au service du libéralisme, ne prend pas en considération la dépression du sujet ou le fait qu’il subisse les influences des discours courants dans la Société, qui cherche à se débarrasser des trop vieux, des trop pauvres, ou des trop « non conformes » au politiquement correct, par le spectacle narcissique de quelques stars suicidaire d’internet.

39Les discours contemporains forgent de nouvelles expressions dans la linguistique juridique comme « suicide assisté » ou « assistance au suicide » par un raisonnement a contrario sensé des lois constitutionnelles, pénale et civile, autorisant à tuer, si le « mobile égoïste » de l’assistant n’est pas établi, tout ça pour changer le point d’interdiction à l’homicide au prétexte d’un « consentement » questionnable. Ces dérives persuasives amplifient la notion de « consentement », les poussant jusqu’à l’illégalité, pour justifier et autoriser l’« homicide ».

40La dépénalisation ou la décriminalisation de l’euthanasie, c’est-à-dire l’admission du signifiant « euthanasie » forgé juridiquement par le signifié « suicide assisté » avec « consentement » pourra créer au minimum, à court terme, la neutralisation du Droit pénal. Donc, la notion de « consentement » ne peut pas être amplifiée jusqu’à l’illégalité, pour justifier et autoriser les comportements transgressifs, pervers, ou même l’« homicide ». Il faudrait donc analyser la nature et les modes de consentement de chaque sujet dans son contexte et sa structure psychique. Le « consentement informé » ne peut être utilisé en mode indiscriminé, comme un instrument valable, s’il est contraire à la loi et aux principes éthiques de l’existence humaine. L’homme et la science ne peuvent pas tout maîtriser ou « tout faire » en laissant libre « les pulsions de mort » de dominer la vie. La civilisation et la liberté n’existent qu’à partir de l’établissement de tabous et du refoulement pulsionnel vers la sublimation. C’est l’équilibre du « principe de plaisir par le principe de réalité » qui détermine les jouissances tolérables dans une société, ainsi que les conditions d’humanisation.

41La conséquence de ces détournements discursifs nous amène au changement de l’« interdiction fondamentale de tuer ». Elle pourra entraîner à long terme une entropie ou une anomie du système juridique lui-même.

VII – Les processus d’« identification primaire » inconsciente et les décisions raisonnables

42Les décisions concernant la limitation ou l’arrêt des traitements, ou encore le prolongement et le maintien en survie dépendent toujours du bon sens. Elles dépendent aussi d’une appréciation globale de la dimension bio-psycho-sociale et spirituelle des patients. La capacité de jugement raisonnable et singulier dépend du processus d’« identification primaire » inconsciente, et de la « résolution œdipienne » de chaque être humain concerné dans la prise de décision. La capacité de jugement dépend donc de la conception que chacun a de « ce qu’est la vie et la mort », « le corps et l’âme », « le sacré et le profane », « l’amour et la haine », « l’humanisation et la déshumanisation ».

43Selon les particularités du système inconscient, notamment au fait qu’il ignore à la fois le temps et plus radicalement la négation, chacun d’entre nous est persuadé de son immortalité et notre propre mort ne nous est pas représentable. Logiquement la conscience ne saurait représenter la mort sans continuer d’exister, et aussi souvent que nous tentons de nous la représenter, « nous pouvons remarquer qu’en réalité nous continuons à être là en tant que spectateur [15]». Cette incapacité à se représenter sa propre mort n’implique pas pour autant que nous ne puissions nous angoisser de la certitude d’avoir à mourir. L’angoisse de mort occupe une place centrale dans notre psychisme, c’est à elle que renvoie l’angoisse de castration. Pourtant, nous avons des représentations oniriques qui symbolisent la mort, par exemple le rêve de la mort de personnes chères.

44Chez les névrosés, la mort apparaît comme une possibilité de résoudre leur propre conflit fondamental. En supprimant un élément de l’indécision, elle leur permet de trancher, mais elle reste liée à la haine inconsciente dans le conflit d’ambivalence. Dans la névrose obsessionnelle la mort apparaît comme une solution. Mais pour tout sujet elle constitue une valeur qui, par contraste et par son caractère de risque, exalte la vie. La mort est une énigme semblable à celle de la naissance, et ambivalente entre la souffrance et le soulagement.

45La psychanalyse pose la question de la causalité de la mort.

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« On sait que l’adulte, plutôt que de voir dans la mort un destin inéluctable, en considérera les causes occasionnelles, voire cherchera des responsables (1915b). L’enfant dans cette même perspective n’hésitera pas à faire de la mort le résultat d’un meurtre. Car c’est là que la relation à la mort demeure sous sa forme originelle, soit la pulsion de tuer refoulée par l’interdit moral majeur : « Tu ne tueras point ».Toutefois il y a un domaine où cette pulsion peut se donner libre cours, c’est la fiction littéraire qui offre en outre le plaisir de se conserver en vie et la certitude de n’avoir tué personne. « Dans le domaine de la fiction nous trouvons cette pluralité de vies dont nous avons besoin.» Le fait que la littérature dite « du crime » connaisse de tout temps un si grand succès atteste, aussi sûrement que l’existence de l’impératif moral, l’existence et la persistance de cette pulsion au meurtre et de l’énigme que comporte alors ce retour de la mort, ici envisagé sous un angle ludique[16] ».

47Nous nous demandons donc s’il y a liberté ou absence de liberté dans le dit « droit de mourir » dans la dignité ?

48Sommes-nous les témoins, dans le cas d’un « suicide-assisté », du dernier moment d’un condamné à la nouvelle « peine de mort » induite par la société contemporaine ?

49Cette réflexion est importante parce que nous sommes dépassés par des mutations séculaires inédites, dans le fonctionnement collectif, qui opèrent dans l’intersection subjective et sociale. C’est-à-dire que nous passons par des mutations des contraintes de structure, au niveau inconscient du langage, qui ont de l’importance pour la subjectivité.

50Les représentations dans les discours sociaux ne sont plus le résultat d’un travail culturel de contrainte de la haine[17], c’est-à-dire de la pulsion meurtrière capable de produire le refoulement inconscient à partir d’un point de négativité. Le discours et la pratique de ceux qui militent pour l’euthanasie n’attestent que de la persistance de la pulsion au meurtre, et de l’énigme que comporte l’éternel retour de la mort dans la civilisation.

51Dans ce sens le psychanalyste Jean-Pierre Lebrun remarque le symptôme d’une négativité déplacée, pulvérisée, qui annonce la suppression de la catégorie de l’impossible. C’est-à-dire la disparition de la limite qui impose une moins-jouissance dans la relation sujet/objet. La fin d’un lien social organisé en un système d’une position d’extériorité, de place d’exception, ce qui mène au discrédit de la différence de places générationnelles et de la transcendance comme une logique acceptable. Selon Lebrun nous sommes en train d’aboutir à la fin d’un régime symbolique de la vie collective qui a été soutenu par l’Incomplétude et la Consistance[18]. Actuellement, nous sommes en train de vivre, dans le même temps, l’émergence de la construction d’un autre type de lien social qui accentue la Complétude et l’Inconsistance, une fois que le système symbolique et les discours courants ne semblent plus considérer la catégorie de l’impossible. En effet, ils ne semblent plus travailler à travers les contraintes et la castration, la pulsion de mort [19] en chaque sujet, pour produire le refoulement [20] des représentations phalliques capables d’entraîner vers la vie et la subjectivation. Ainsi nous constatons un symptôme dans l’intersection subjective et sociale, juste dans le point entre le privé et le public, un retour de la mort comme un spectacle où les individus ne sont plus des spectateurs mais des auteurs.

52Nous osons dire que dans ce bouleversement nous assistons à une sorte de « condamnation à mort » comme un retour au travail de la « pulsion de mort », qui n’est plus symbolisée au prix d’une dette contractée dans l’arbre généalogique. Une « pulsion de mort » qui ne s’amenuise plus par le Nom du Père (par la représentation qui symbolise le phallus) et qui ne se limite plus par la foi et la pérennité de l’Ancêtre qui trône là-haut, dans la place de l’exception et de la transcendance, dans la nuit des temps. Nous participons à une société où les conditions humaines retournent anthropologiquement à un processus psychosocial de condamnation et d’auto-culpabilité. Nous habitons dans une société où les « réalités psychiques » ont du mal à considérer l’impossible de l’amour, c’est-à-dire que les représentations de la mort ont des difficultés à se dialectiser en « désir de vivre ». Nous nous demandons donc quels chemins existeront dans l’avenir quand il n’y aura plus de refoulement, ni l’interdit moral majeur : « Tu ne tueras point !?»

53En conséquence de cette dérive discursive qui touche de très près la structure topologique qui fonde le rapport du réel, du symbolique, et de l’imaginaire de la subjectivité, les individus n’ont plus beaucoup de choix. Il faut être utile et bien-portant, ou il faut « consentir » à sa propre condamnation sociale au nouvel échafaud : auto-réaliser la « pulsion de mort », sur son corps quand « l’anatomie, c’est l’unique destin possible ».

VIII – Dans le conflit entre l’amour et la vie : la foi et l’espérance de l’immortalité

54A partir de cet axe de recherche, nous pensons qu’il faudrait produire comme dans la technique psychanalytique, des scissions dans les signifiants qui circulent dans ces débats publiques pour mieux comprendre les nouvelles subjectivités, et trouver de nouveaux chemins et soins palliatifs aux plus profondes douleurs que sont « la perte, le deuil et l’abandon ». Il faudrait essayer de transformer le désespoir ou la jouissance devant la mort du « sujet excessivement clivé » et plus narcissique d’aujourd’hui, en espérance d’immortalité qui jaillit dans l’amour.

55Pour moi en tant qu’être humain, j’ai la conviction que la mort ne se vend pas, jamais !

56Elle est comme la vie, un Don ! Le temps de l’expérience de la mort ne doit pas être interrompu. Selon Jung, il fait partie d’un processus d’individualisation qui force l’homme à une transformation intérieure de son âme. Il s’agit d’un processus qui dépasse la connaissance intellectuelle et donne du sens à la vie la réconciliant avec son destin [21]. Selon le philosophe français, Gabriel Marcel [22], principal représentant de l’« existentialisme chrétien », qui s’oppose aux philosophes de l’angoisse et du désespoir devant la mort [23] « C’est dans l’itinérance de la vie que l’espérance se révèle ».

57Un principe mystérieux qui situe l’homme dans le domaine de la transcendance. L’espérance met l’homme en marche, en direction du but de la réalisation pleine de son Être. Elle est une anticipation de l’avenir et se représente « comme ouverte à travers le temps », tandis que le désespoir est la « conscience du temps fermé ». D’où le caractère prophétique de l’espérance, car même sans pouvoir dire ce qu’elle voit, ce qu’il adviendra, elle « affirme comme si elle voyait », comme si elle avait une vision dévoilée du futur. Ainsi, l’espérance est la « mémoire du futur ».

58La mort n’est pas un principe dévorateur ou une invitation au désespoir : c’est un tremplin d’espérance absolue, un saut sur le temps vers la transcendance. Telle espérance ne rencontre pas son fondement dans des preuves d’ordre rationnel, mais plutôt dans l’« assurément prophétique » qui est donné par l’expérience d’amour. C’est dans le fond de l’amour que jaillit l’espérance de l’immortalité.

59À l’occasion d’un débat au Congrès de Philosophie qui se déroula à Paris en 1937, Léon Brunschvicg, jugeant cette espérance excessivement intéressée et égoïste, a affirmé à Gabriel Marcel : « La mort de Léon Brunschvicg intéresse moins Léon Brunschvicg, la mort de Gabriel Marcel intéresse moins Gabriel Marcel », sur quoi ce dernier a répondu :

60

Ce qui importe n’est pas ma mort, ni la sienne, mais la mort des personnes que nous aimons. En d’autres termes, le problème, l’unique problème, essentiel est celui qui établit le conflit de l’amour et de la vie. Aimer quelqu’un [disait Marcel] c’est lui dire : Tu ne vas pas mourir… Si je consens à ton annihilation je trahirais notre amour, et, donc, c’est comme si je t’abandonnais à la Mort.


Mots-clés éditeurs : euthanasie, droits des patients en fin de vie, droit de mourir dans la dignité, subjectivité, acharnement thérapeutique, soins palliatifs, directives anticipées

Mise en ligne 08/11/2012

https://doi.org/10.3917/eslm.141.0037

Notes

  • [1]
    MARCHESINI S.-M. « Le suicide assisté : la nouvelle « peine de mort » induite par la société contemporaine ? Une analyse à la frontière entre Droit et Psychanalyse. » In : Intervention prononcée le 19/11/2011, Colloque International « Mort et médecine », Atelier : 3. Le Droit face à la fin de vie, le 19 et 20 novembre 2011 à Strasbourg-France.
  • [2]
    LEGENDRE P. La fabrique de l’homme occidental. Turin : Éditions Arte (n° 129), Texte intégral inédit, 2000.
  • [3]
    DEMICHEL F. « Les défis actuels du droit médical face à l’éthique » In : Conférence prononcée le 8/4/2005, Colloque « Pratiques soignantes, éthique et sociétés : impasses, alternatives et aspects interculturels ». : « Ne serait-il pas plus judicieux de construire, à côté du droit de la responsabilité, un droit de la réparation sans responsabilité ?».
  • [4]
    Dans un chapitre sur « La linguistique statique et la linguistique évolutive » : « La linguistique synchronique s’occupera des rapports logiques et psychologiques reliant des termes coexistant et formant systèmes, tels qu’ils sont aperçus par la même conscience collective. La linguistique diachronique étudiera au contraire les rapports reliant des termes successifs non aperçus par une même conscience collective, et qui se substituent les uns aux autres sans former système entre eux ».(SAUSSURE F. D. Cours de linguistique générale. Paris : Payot, 1972, p. 140.)
  • [5]
    « Théorie de l’Argumentation rhétorique» dans le discours du Droit de Chaïm Perelman. (PERELMAN C. Éthique et Droit. Éditions de l’Université de Bruxelles, 1990, p. 121-131-151.)
  • [6]
    « Théorie des signifiants distincts des signifiés » de Lacan, dans laquelle il place la rhétorique et démontre pourquoi la métaphore phallique est un signifiant central du psychisme humain et fonctionne comme un déterminant de vérités toujours relatives. (LACAN J. « La métaphore du sujet ». In: Écrits II, Appendice II, Paris : Éditions du Seuil, 1999, p. 359-363.)
  • [7]
    LACAN J. L’instance de la lettre dans l’inconscient ou la raison depuis Freud. In : Écrits I, Paris : Éditions du Seuil, 1999, p. 490-526.
  • [8]
    LEBRUN J.-P. De la servitude des nouveaux rois, Texto 2004.
  • [9]
    MARANHÃO J.-L. de S. (1998), O que é a morte. São Paulo : Brasiliense, Coleção Primeiros Passos ; p. 150.
  • [10]
    DOR. J. « discours (quatre -) » In : Dictionnaire international de la psychanalyse sous la direction d’Alain de Mijolla. Hachette Littératures 2002, p. 486.
  • [11]
    « Je me réfère ici à la version de la conférence diffusée par Espace analytique en annexe à son courrier interne, le texte n’étant pas disponible dans une version publiée.» (LESOURD) S. « Comment taire le sujet ? Des discours aux parlottes libérales ». Éditions Érès, 2006, p. 113.
  • [12]
    LESOURD. S. La construction du sujet dans la modernité. Tome 1, H.D.R. 2001, p. 171.
  • [13]
    LESOURD S. L’évacuation du sujet dans les « parlottes » techno-médicales. © 2011 Clínica de Psicologia e Psicanálise do Hospital Mater Dei ; Belo Horizonte – MG; versão impressa ISSN 1980-2005, Epistemo-somática v.4 n.2 Belo Horizonte dez. 2007.
  • [14]
    LESOURD S. « La folie ordinaire des discours modernes ». In : Figures de la psychanalyse, 2004/2 (n°10), 216 pages, Editeur Erès, p. 105-110. URL: www.cairn.info/revuefigures-de-la-psy-2004-2-page-105.htm. DOI : 10.3917/fp.010.0105.
  • [15]
    FREUD, 1915 apud MIJOLLA-MELLOR, S. Dictionnaire International de la psychanalyse. Sous la direction d’Alain de Mijolla. Hachette Littératures, 2005, p. 1103.
  • [16]
    Ibid., MIJOLLA-MELLOR, p. 1103.
  • [17]
    LEBRUN, J.-P. « L’avenir de la haine » In : Revue internationale La clinique lacanienne, Parentalités d’aujourd’hui …et d’ailleurs. Editions Érès 2007, n° 12, p. 127-143.
  • [18]
    LEBRUN. J.-P. De la servitude des nouveaux rois, Texto 2004.
  • [19]
    La pulsion de mort (Thanatos) « est ce qui fait tendre les êtres vivants vers un état sans vie. Elle ne peut se manifester seule ; son travail se reconnaît, notamment au travers des contraintes de répétition, lorsqu’elle a partie liée avec Eros. En ce qu’elle tend à ramener le vivant à l’état antérieur, elle est une composante de toute pulsion. Dans cet alliage, sa tendance dominante est la « dé-mixtion », la « dé-liaison », la dissociation. Pure, mais muette, à l’intérieur de l’appareil psychique, elle est « domptée par la libido », pour une part, et ainsi, défléchie vers l’extérieur par « l’action spécifique » de la musculature sous forme de pulsion de destruction, de pulsion d’emprise ou de volonté de puissance : c’est là le sadisme proprement dit ; le masochisme érogène originaire constitue la part qui reste « à l’intérieur ». (DELION, P. « pulsion de mort (Thanatos) » In : Dictionnaire International de la Psychanalyse. Sous la direction d’Alain de Mijolla. Hachette Littératures, 2005, p. 1428-1429.
  • [20]
    En bref, « le refoulement est un processus de la vie psychique normale qui consiste à maintenir (surtout par la censure) certaines représentations dans l’inconscient et à préserver ainsi la solidité du moi.». Un processus de « mise à l’écart des pulsions qui se voient refuser l’accès à la conscience.» CHEMAMA, R. Dictionnaire de la Psychanalyse. Paris : Larousse, 2007. p. 362.
  • [21]
    JAFFE Aniela. Conférence sur « La Vieillesse et la Mort : les atermoyer ou les accepter ?», réalisée en 1973, fût professée à Berlin durant l’Internatinalen Gemeinschaft « Artz und Seelsorger » et publiée par l’Edition Klett en 1974.)
  • [22]
  • [23]
    MARANHÃO, J.-L. de S. O que é a morte. São Paulo : Brasiliense, 1998, Coleção Primeiros Passos, p. 150.
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