Couverture de ESLM_140

Article de revue

La communication en matière de contrat obsèques : quelques repères et représentations

Pages 155 à 173

Passer de notre échappé au commercial – ou pas ?
Apparemment de plus en plus nous tombons dans des prestations, donc dans un service commercial comme un autre. Comme disait l’autre : « votre argent m’intéresse », peut-être qu’on peut maintenant considérer que : « votre mort m’intéresse », qui pourrait être effectivement le slogan de tous les intervenants. Donc c’est pour ça qu’on a considéré que ça pouvait être intéressant que Tanguy Chatel, sociologue, puisse intervenir sur ce sujet-là pour nous montrer – parce qu’apparemment il y a un lien entre souscription et communication – en quoi cette communication a évolué et en quoi ce qui était peut-être inacceptable ou difficile à promouvoir il y a quelques années ne l’est plus aujourd’hui.

1En ce qui me concerne, je me suis particulièrement intéressé à la question de la communication. C’est un thème intéressant parce qu’on va avoir des renvois et parfois des surprises par rapport à la question des besoins qu’on a vue juste avant.

2Je me suis intéressé à deux choses. Dans un premier temps je vais faire un rappel, fixer les idées autour des types de contrats pour qu’on ait les choses plus claires en tête. Même si elles sont plutôt bien connues, je présume. Après j’étudierais les représentations qui sont portées par ces communications, ces campagnes de publicité et autre.

3Première précaution avant de rentrer dans les repères historiques, j’ai trouvé peu de choses d’un point de vue historique. Donc l’essentiel, ça va être des informations plutôt récentes, voire plutôt actuelles. J’ai pu trouver des choses dans l’histoire. Je dois quand même beaucoup remercier Christian Rossignol de m’avoir fourni une part considérable du matériau que je n’avais pas le temps d’aller chercher moi-même. Donc les documents ont été abondamment fournis par Christian, et puis par Jean Vélan aussi, qui m’ont permis de faire ce travail, parce qu’il y a pléthore d’informations. Ne serait-ce qu’aller chercher l’information, c’est déjà un travail extrêmement chronophage.

4Alors quelques repères historiques. Damien l’a un peu évoqué : traditionnellement les obsèques c’est l’affaire des survivants, puisque d’une manière générale le rituel – et en particulier le rituel funéraire – c’est le moyen pour les vivants de rappeler qu’ils font société ensemble, et c’est aussi d’une certaine manière le moyen de libérer le mort de l’emprise qu’il exerce sur les vivants à travers un dernier adieu. Donc ça c’est la représentation classique permettant de renforcer le lien communautaire ; et aujourd’hui – effectivement – il y a une inversion. Il y a un phénomène qui est en pleine reconfiguration et qui nous introduit dans une inversion. Alors ce mouvement d’inversion on l’observe historiquement à partir des années 30 avec l’invention des CRAD : les Convois Réglés Avant Décès.

5Je vais vous proposer quelques éclairages sociologiques de manière illustrative plus qu’extrêmement rigoureuse d’un point de vue scientifique. Mais il me semble qu’on est quand même après la crise de 1929 et la Première Guerre mondiale dans une époque de grande incertitude au niveau mondial.

6Donc la notion de l’impermanence prend une force nouvelle dans la modernité du début du XXe siècle… Alors que jusqu’à présent on laissait tout aux survivants, et bien là il y a des personnes qui d’elles-mêmes expriment le besoin d’organiser à l’avance leurs obsèques.

7Il s’agissait pour les entreprises de pompes funèbres à l’époque de répondre à des demandes et tout ceci se faisait de manière non formalisée : on était sur une réponse empirique. Ça c’est le gros choc de la Première Guerre mondiale et de la crise de 29.

8Deuxième élément que j’ai souhaité retenir, c’est celui des crises économiques et financières des années 70, qui font jaillir non seulement l’incertitude du monde dans ses formes générales, mais une réelle incertitude financière, et on voit une accélération des produits financiers à partir de cette époque-là.

9La question du coût des obsèques devient une question qui commence à poser problème, et pour palier à cette incertitude financière, et bien on voit des messages de sécurisation financière qui commencent à émerger.

10Dans les années 80-90, à la suite de ce choc culturel, on voit l’émergence en 86, l’invention des conventions obsèques de Norwich Union. Moi je me souviens – vous aussi sans doute – de la figure de Jean-Marie Proslier dans les écrans de télévision. Mais c’est le point de départ de la publicité grand public, une publicité préalable. Ce n’est plus simplement répondre à une demande, là il s’agit d’un premier mouvement de provocation où il s’agit de générer un besoin plus que simplement d’y répondre.

11Puis 93, c’est les pompes funèbres générales qui inventent le testament obsèques, qui lui n’est pas simplement un produit financier, contrairement à la convention obsèques de Norwich Union, qui est un produit qui envisage l’application de prestations matérielles en complément de précautions financières avec aussi des services complémentaires ; on a parlé ce matin de l’importance du rapatriement ou des assistances supplémentaires, par exemple au téléphone. Un rapide déroulé historique, qui permet de voir un peu comment on en est arrivé à la situation d’aujourd’hui.

12Les types de contrats qui sont proposés aujourd’hui face à un client, il y a plusieurs modes de fonctionnement. Il y a des contrats dits « en capital », encore que les fournisseurs jouent sur les mots, mais c’est malgré tout de ça dont il s’agit : quand un client s’adresse à un organisme financier que ce soit une banque, une compagnie d’assurances, une mutuelle ou une caisse de retraite ; laquelle fait travailler de l’argent pendant un certain temps, jusqu’à un événement déclencheur qui sera le décès de la personne. Auquel cas le capital est versé à un bénéficiaire qui a pu être identifié éventuellement avant ou qui est simplement les ayants-droits du souscripteur. Et puis ce bénéficiaire conserve la latitude soit d’utiliser cet argent pour des services funéraires à proprement parler, soit au contraire il peut aller aux Bahamas, on l’a aussi évoqué, mais en tout cas juridiquement dans un tel type de contrat il n’est pas tenu, sinon d’accepter le capital qui lui est versé.

13Ça c’est le premier type de contrat qui juridiquement est un strict contrat en capital. Et dans ce cas-là l’obligation funéraire est une obligation morale qui incombe aux ayants-droits, et non pas une obligation juridique.

14Deuxième type de contrat, ce sont des contrats de prestation funéraire où le client peut choisir là encore de s’adresser à un organisme financier en déposant des fonds, lequel là encore fait travailler ces fonds, parce que c’est son métier. Mais à la différence du premier, dans ce cas-là il est prévu que le capital au moment du décès sera versé à un professionnel du funéraire identifié ou identifiable – parmi une liste pourquoi pas – et c’est ce professionnel du funéraire qui a la charge de mettre en œuvre les prestations funéraires. Donc là on est quand même sur un contrat de prestations funéraires avec des clauses financières.

15Et puis troisième type de contrat : le client s’adresse directement à un professionnel du funéraire, lequel a un partenaire qui est un organisme financier qui fait travailler à son tour l’argent, le reverse dans l’autre sens au professionnel du funéraire, lequel met en place les prestations prévues au contrat.

16Trois cas de figure, et ça se retrouve dans la publicité. Là par exemple le Crédit du Nord propose un contrat qui s’appelle « Capital Obsèques ». Donc on joue sur l’ambiguïté, mais on ne parle effectivement que du financement des obsèques et le Crédit du Nord rappelle bien qu’il s’agit d’une banque. Donc là il y a une légère ambiguïté, mais dans les conditions on ne parle pas du tout de l’organisation des obsèques.

17Alors ça c’est Aviva – anciennement Norwich Union – j’ai bien aimé cette petite clause : « vos bénéficiaires peuvent – s’ils le souhaitent – faire appel à un assistant funéraire pour prendre en charge l’organisation complète des obsèques ». Vous voyez, c’est tout à fait facultatif. Ça s’appelle malgré tout « convention obsèques ».

18On a aussi des banques ou des organismes financiers qui ont des partenaires dédiés, ou tout au moins privilégiés, c’est le cas du Crédit Agricole, là on est sur le deuxième cas de figure en termes de contrat. C’est un contrat en capital avec un partenaire funéraire bien identifié. On a aussi les mutuelles qui se mettent dans le coup, ça s’appelle « sollicitude », c’est bien dans l’esprit mutualiste, mais ça n’est qu’une opération en capital : il n’y a pas derrière de prestation funéraire prévue. Là c’est la FAP, on a des professionnels du funéraire qui jouent sur le fait que c’est un spécialiste du funéraire ; et on prévoit bien qu’il s’agit de préparer à l’avance ses obsèques. Donc là on est sur le troisième cas de figure.

19Et puis on a des opérateurs plus inattendus, j’ai trouvé ça sur internet, voilà : France Loisir qui vous propose aussi une convention obsèques, comme quoi… Maintenant tout est possible ! Ça, ça renforce bien l’idée que derrière il y a un marché juteux pour un grand nombre d’opérateurs.

20Pour situer rapidement le type de contrats. Quelques chiffres qui m’ont été fournis par Nelly. Aujourd’hui les entreprises de Pompes Funèbres n’auraient que 10 % de ce marché. Et comme on prévoit que ça soit un marché en extraordinaire expansion, la force commerciale des banques et assurances pourrait encore réduire ce pourcentage. Aujourd’hui les fonds seraient environ d’1 milliard d’euros pour 9,6 milliards d’euros garantis. On aurait 2,5 millions de contrats en cours, mais ce qui est intéressant c’est qu’en 2009 il y a eu +400 000 contrats souscrits ; et chaque année il y a environ 530 000 décès en France. Ce chiffre de contrats souscrits a été multiplié par quatre depuis 1997. Les nouveaux contrats sont surtout souscrits par le secteur de la banque assurance, et on prévoit 7 millions de contrats à l’horizon 2015. Donc voilà des éléments estimatifs, mais qui viennent montrer l’ampleur du marché et donc illustre les politiques en termes de communication des établissements derrière.

21Entre 2004 et 2009, en cinq ans, le nombre de décès couverts par contrat a plus que doublé, il est passé de 7 à 17 %. Aujourd’hui ces contrats sont à 75 % en capital et seulement 25 % des contrats en prestation obsèques. C’est tout à fait considérable quand même. Ça montre que derrière ce mot « obsèques » qui va servir d’appât, d’hameçon pour titiller la peur ou le désir de prévoir, en réalité on est essentiellement sur de l’opération financière. Donc ça peut poser effectivement d’un point de vue éthique la question de la moralisation de ce marché. Et puis les perspectives, c’est évidemment l’accroissement du marché, ne serait-ce que par effet mécanique, par le vieillissement de la population, ne serait-ce que par effet financier, parce qu’on sait – en particulier en France – que l’épargne est importante et que dans le contexte financier actuel les gens sont à la recherche de placements sûrs. Donc les banques vont jouer sur ce message, et puis il y a un effet culturel, les besoins sont en forte progression, mais aussi – et c’est là où j’en viens dans mon deuxième temps – les représentations sont en considérable évolution. Donc représentation autour de la mort, autour des métiers du funéraire, autour des contrats, autour des relations avec ses proches. Tout cet ensemble de représentations est en train de bouger de manière assez significative.

22Quelles sont les représentations – puisque c’est mon matériau de départ – telles qu’elles surgissent des prospectus, des affiches, des messages publicitaires que j’ai pu analyser ? Plusieurs modalités de communication. La plus classique c’est le prospectus. Un petit document plié en trois, disponible au guichet ou disponible en agence, qui diffuse un message simple, synthétique ; ça c’est le premier type de documents. Voilà un autre type de prospectus, « le livret obsèques » avec des informations de première nécessité.

23Deuxième type de document : des grandes affiches ou des publicités dans les magazines. J’aime beaucoup le nom « longue vie », voilà, je trouve qu’il y en a qui ont malgré eux un certain sens de l’humour… Et puis alors le fait de croquer l’abricot à pleines dents c’est… Voilà j’aime bien ce genre de message. Puis à côté : « il faut souscrire à longue vie parce que je pense avant tout à mon conjoint, parce que c’est simple et parce que je laisse un capital » ; Voilà les trois idées phares qui ressortent de cette affiche. Donc si vous souscrivez ça vous vivrez longtemps, c’est ça le message implicite derrière.

24Encore des affiches, qui sont là destinées à être mises en vitrine, « un document d’informations est disponible ici » ; et le message fort qui est là c’est celui des dernières volontés.

25Donc on cherche à attirer le client en lui disant : « ici on respectera vos dernières volontés ». C’est important parce que c’est… Est-ce que c’est véritablement le besoin du client ? Ou est-ce que c’est ce que l’on va essayer de lui faire prendre conscience que c’est une chose vraiment très importante aujourd’hui dans le monde actuel que de s’assurer que ses volontés seront respectées ?

26Voilà des publicités dans des magazines. Alors j’aime beaucoup celle-là aussi, parce que je trouve qu’il y a une espèce d’ambiguïté. À la fois il se la coule douce, allongé dans l’herbe, il est tranquille, mais on peut se demander s’il n’est pas déjà un peu mort aussi, parce qu’il a les yeux fermés. Alors il y a l’ambiguïté avec l’herbe du cimetière aussi. Enfin je trouve qu’il y avait quand même des choses assez bizarres derrière pour préparer ses funérailles, et puis elle le taquine. Bon il n’est pas tout à fait mort, mais ils sont déjà quand même allongés, il n’est plus debout. Il y a des sites internet qui donnent quelques informations : « combien ça coûte » ; ça montre bien que c’est un des soucis. « En trois minutes vous avez réglé le problème » ; donc vous n’avez même plus besoin d’y passer longtemps, c’est expédié. Et puis on vous fait un devis, vous recevez votre documentation tout de suite, internet pour ça c’est formidable, ça va très vite. Il y a aussi moyen de faire ça par téléphone, alors on vous propose des numéros verts, comme ça vous n’avez même pas à payer, c’est gratuit. Et puis quand on ne vous propose pas de numéro vert, on peut même vous rappeler, comme ça vous n’avez rien à faire, vous cliquez et on vous rappelle gratuitement.

27Il y a donc là une accroche qui est quand même extrêmement manifeste. Et puis des procédés de relance qui sont particulièrement violents. Alors on vous dit d’emblée que… Vous avez pris contact, vous avez demandé de la documentation, on vous dit : « vous avez déjà un capital de… Une protection gracieuse de 5000 € » ; ce n’est pas ce que cela veut dire, ça ne veut pas dire qu’on vous a versé 5000 € sur votre compte, je n’ai même pas compris. C’est une couverture gracieuse de 5000 € à durée limitée, donc si vous ne saisissez pas le contrat dans la durée de 20 jours vous allez perdre cet avantage que vous n’avez de toute façon jamais eu avant. Mais ce n’est pas grave, on vous offre les trois premiers mois d’assurance et en plus on vous indique quand même que vous avez un droit de renonciation de 90 jours. Donc là on est vraiment dans les méthodes marketing les plus agressives qui montrent qu’il y a une volonté captive extrêmement forte derrière. Document, s’il n’en est violent, qui peut emporter la décision des plus vulnérables, des plus âgés. En l’occurrence il y avait eu deux courriers de relance. Vous voyez, donc il y a là aussi une question éthique qui jaillit.

28Quels sont les mots clés de la communication ? Eh bien les plaquettes « s’informer » et « prévoir » ; « s’informer pour prévoir ». Donc il y a déjà une première idée que derrière la préparation des obsèques c’est quelque chose de compliqué. Compliqué dans les formalités et puis les circonstances n’aident pas à aborder ce moment-là de manière apaisée, lucide. Donc vous avez besoin d’être aidé, vous avez besoin d’informations, et puis en plus c’est risqué. Organiser des obsèques on ne peut pas se permettre de prendre le risque que ça soit mal fait, donc on ne s’oriente pas vers les obsèques en amateur, en n’ayant pas pris un certain nombre de précautions.

29S’informer, prévoir ensuite, il s’agit de prévoir pour soi, parce que c’est un contrat qu’on souscrit pour son propre décès a priori. Mais on l’a vu et on le reverra abondamment, parce que c’est un message largement matraqué qu’il faut prévoir pour les autres, puisque c’est de cette manière-là qu’on va les décharger. Et alors il faut prévoir, et c’est ça que je trouve très intéressant : « pour ne plus avoir à y penser ». Aujourd’hui on vous dit : « pensez à la mort maintenant parce que si vous y pensez maintenant vous n’y penserez plus après, vous serez libérés de ça ; et puisque vous serez libérés, vous pourrez vivre sereinement, vous pourrez vivre sans soucis ». Donc s’informer, prévoir, pour pouvoir enfin vivre.

30C’est-à-dire que tant que vous ne pensez pas à la mort : vous ne pouvez pas vivre sereinement ; dès que vous avez pensé à la mort : vous n’avez plus à y penser et vous pouvez de nouveau vivre sereinement. Alors on se mord la queue, c’est un message complètement paradoxal. On joue sur cette ambiguïté entre « la mort est un tabou » et en même temps « la mort il faut en parler » et on mélange les choses, il y a une induction psychique que je trouve assez bizarre.

31Voilà encore une autre affiche qui nous dit : « la convention obsèques permet de ne penser qu’à la vie ». Pensez à la mort comme ça vous ne penserez qu’à la vie. Vous voyez, d’un point de vue philosophique on se mélange pas mal.

32J’aime beaucoup celle-là aussi parce qu’on est face à face avec quoi ? Face à face avec la mort, parce que là ils ne sont pas face à face, ils sont dos à dos, dans les bras l’un de l’autre. Pas dos à dos quand même. On voit bien qu’ils regardent, ils regardent les obsèques, il y a une flèche là.

33Voix masculine (0.20.24) – Ça n’est pas une affiche ça monsieur.

34Tanguy Chatel – Alors c’est une publicité.

35Voix masculine (0.20.30) – Un document de communication à destination des partenaires pompes funèbres.

36Tanguy Chatel- Bon, en tout cas voilà, moi j’analyse le message. Il se trouve que là il y a un printemps qui germe, vous voyez, qui jaillit. Il y a quelque chose de l’ordre… Mais il y a toujours cette ambiguïté eros/thanatos entre la mort et la vie. Alors quels sont les enjeux ? Alors les trois enjeux, je l’ai dit : « s’informer » ; « prévoir pour prévoir » ; et « prévoir pour bien vivre ». Alors comme on est dans une circonstance de complexité et un contexte douloureux, vous avez besoin d’un tiers pour vous conseiller. C’est ce besoin d’informations, alors extrait je ne sais plus d’où, parce que je n’ai pas forcément tout noté, mais le premier des services à vous rendre c’est de vous informer à tout moment, et puis là on a un conseiller qui est vraiment dans la posture du conseiller, avec les mains signifiant clairement qu’il est en train de vous renseigner.

37Alors j’ai trouvé aussi des informations sur des sites qui n’ont rien à voir. Le site Orange, dans la rubrique « argent au quotidien » vous parle de ce que c’est qu’un contrat d’assurance obsèques. Vous voyez, on en trouve partout : chez France Loisir comme chez Orange. Et ça donne de l’information d’ailleurs, il y a des choses qui sont assez intéressantes dedans. On trouve des sites sur lesquels on vous donne les avantages et les inconvénients, et c’est assez clair, ça permet déjà de sortir d’une certaine confusion, d’une certaine ambiguïté.

38Alors ça, c’est s’informer, ensuite prévoir. Alors le vocabulaire autour du « prévoir », c’est toujours un petit peu les mêmes mots. C’est « s’assumer ». Il faut s’assumer, et pour mieux s’assumer il faudrait mieux s’assurer. Il faut se préparer : « mon départ moi je le prépare ». Le fait de s’assumer et de se préparer permet de se rassurer, et notamment on va aussi être rassuré parce qu’on a besoin d’être garanti, donc il faut veiller à ce que l’on ait des prestataires qui soient de qualité.

39Alors ça c’est le vocabulaire pour soi, et puis il y a le vocabulaire pour les autres : « non seulement moi j’ai besoin de me rassurer, mais j’ai besoin de rassurer mon entourage en allégeant son fardeau financier et psychique, et puis voilà, je vais épargner mes proches. « Comment épargner à ceux que l’on aime l’organisation de ses obsèques ». Donc c’est aussi un message un peu paradoxal, l’organisation des obsèques n’est pas un moment de vie, c’est un moment qui est vécu comme un fardeau. Et c’est vrai que ça l’est, c’est compliqué d’organiser des obsèques.

40Mais en même temps traditionnellement – j’en reviens au début de mon propos – c’était le moment où la vie reprenait ses droits l’organisation des obsèques. La vie pouvait se reconfigurer dans une autre perspective. Et là on nous dit : « bah non, si vous n’organisez pas les obsèques vous pourrez vivre mieux ». Vous voyez, un peu compliqué d’un point de vue anthropologique. Et alors du coup ça fait émerger qu’on n’a plus simplement un tiers conseiller, mais on commence à avoir un tiers mandataire, qui va être chargé de veiller à tout ça et qui va être un professionnel qualifié, garant d’un certain nombre de choses, qui va devenir un partenaire.

41Alors j’y reviendrais un peu plus loin, ce rôle c’est un rôle particulier, ce n’est pas juste un fournisseur vis-à-vis d’un client, il y a une espèce de relation de confiance particulière qui s’installe entre l’entreprise – que ce soit une entreprise de pompes funèbres ou le banquier ou la compagnie d’assurance. Et puis « vivre », alors vivre, quelques mots, en simplicité, on vivra plus simplement si on a prévu ça avant, tranquillement, dans la sérénité, on pourra partir à la pêche… Justement, ça c’est important, continuer à vivre. Et puis j’aime beaucoup celle-là aussi, parce qu’elle est pleine de symboles, pourtant c’est un contrat en capital chez LCL. Alors ils sont sur la plage, qui est quand même un lieu plutôt désert, avec la symbolique de la mer derrière. Ils sont pieds nus, ils sont bien dans les bras l’un de l’autre, et ça y est, ils ont prévu leurs garanties obsèques, donc ils n’ont plus besoin de parapluie. Voilà, ils sont à l’abri des intempéries désormais, le soleil va bientôt briller, tout va bien, la vie commence.

42Alors quels sont les arguments mis en avant ? Un des premiers arguments qu’on retrouve dans la plupart des campagnes, c’est : « vos volontés seront respectées ». Ça véhicule derrière l’idée que nous vivons dans un monde où nous pouvons craindre que nos volontés ne soient pas respectées. Vous voyez la représentation qui est induite derrière : « méfions-nous de notre entourage ! ». Il y a quelque chose d’assez ambigu derrière. « Pour faire respecter vos volontés, vous avez éventuellement la possibilité de les consigner ». Là j’ai sorti ce document parce que franchement si ça, ça s’appelle « mandat de dernières volontés » je ne sais pas ce que c’est. Parce qu’il y a juste là le minimum : « est-ce que j’aurais des obsèques civiles ou religieuses ? Dans quelle ville ? Est-ce que je veux des soins de convention ? » ; Enfin il y a vraiment… Ce n’est pas des volontés ça, ce n’est en rien un testament, je ne sais même plus d’où ça sort ce document, mais c’est vraiment le B A BA, on ne dit pas ce que la personne veut vraiment. Donc il y a quelque chose qui est de l’ordre « on vous donne un document dans lequel vous allez pouvoir être rassuré », mais en réalité vous ne consignez rien là-dedans, vous avez juste trois lignes ici « commentaire et dispositions spécifiques » ; vous avez intérêt à faire concis!

43Deuxième argument, alors là plus abouti, c’est des documents qui viennent détailler le type de prestations. Là on a quelque chose de très précis avec l’ensemble des prestations proposées en cas d’inhumation, en cas de crémation, et puis de manière générale pour le transport. S’il y a aussi éventuellement des prestations complémentaires : « Est-ce qu’il y aura des maisons funéraires ? Est-ce qu’il y aura un service d’écoute téléphonique ? Le type de fleurs ? » ; Enfin là on a quelque chose qui « pour 3500 €, voilà ce à quoi vous aurez droit avec des options dedans ».

44Troisième argument : « vos obsèques seront financées ». Donc les prestations seront prévues et en plus le financement sera assuré. Alors ça, je l’ai déjà détaillé, puis j’y reviendrais un peu tout du long.

45Quatrième argument, plus commercial celui-ci, c’est : « eh bien nous sommes fiables, regardez, les gens parlent de nous ». Donc on va mobiliser des témoignages pour dire et puis chacun va y aller de son histoire personnelle pour dire à quel point il a bien fait. Donc on crédibilise la démarche et de ce fait on engendre, on suscite encore davantage le besoin, à travers des témoignages, mais aussi en faisant la liste de ses différents partenaires : « moi je travaille avec des gens sérieux, voilà mes autres interlocuteurs ». Le fait de mettre ça montre qu’il y a vraiment un doute au départ et il faut le lever. Il y a l’image que les contrats obsèques ce n’est pas très glorieux, ce n’est pas très sympathique, donc il faut essayer de les rendre le plus sympathique possible.

46Et puis voilà un autre type d’argument pour crédibiliser, là il y a la garantie d’un service public.

47Alors maintenant j’essaie de resituer ces messages dans une lecture un petit peu plus sociologique. Je vais refaire une espèce de présentation extrêmement rapide de la sociologie actuelle. Il est communément admis que nous vivons dans une société individualiste et utilitariste. Alors individualiste ça veut dire : « c’est moi qui compte » ; et utilitariste ça veut dire : « bah je vais me servir des autres pour ma propre édification, pour mon propre épanouissement à moi, pour atteindre mes objectifs que je me suis fixés à moi ». Donc la société utilitariste c’est celle dans laquelle le rapport à l’autre est un rapport instrumental de plus en plus et donc un rapport de méfiance même, de domination ou de méfiance. Ça se traduit – cette société individualiste – par l’élection du principe d’autonomie comme étant la norme éthique suprême. Pendant longtemps, le point suprême de l’éthique, c’était la bienfaisance et la non-malfaisance ; et aujourd’hui l’autonomie prime sur la bienfaisance. Ça s’illustre par exemple dans la loi pour le droit des malades et fin de vie, où vos volontés s’imposent au médecin, et même s’il y a un bon traitement, et bien celui-ci, si vous ne voulez pas le recevoir, est obligé de s’incliner ; c’est votre volonté qui prime sur la bienfaisance et le bienfait. Deuxième repère sociologique pour essayer de situer l’ensemble de ces documents et les contrats obsèques pour les situer dans notre contexte : nous sommes dans une société qu’on dit matérialiste ; c’est-à-dire que ce qui a de la valeur c’est ce que je peux appréhender. C’est ce que je peux toucher, soit matériellement, soit même d’une manière plus ou moins virtuelle, mais en tout cas c’est ce que je peux arriver à maîtriser. Alors nous sommes donc dans une société où l’économie et le consumérisme sont tout à fait débridés, dominants, excessifs ; mais ça correspond bien à ce désir de posséder. Nous sommes dans une société de la science, de l’ingénierie, de la technologie ; donc là aussi on exerce un contrôle sur le réel, sur le vivant, donc on est dans une société du contrôle.

48Seul troisième critère dans une société où la maîtrise du temps est une donnée absolument majeure et qui est caractérisée par un double complexe. Un complexe de chronométrie : « il faut que les choses aillent vite, il faut qu’elles se réalisent tout de suite » ; et puis un complexe de chronologie, c’est-à-dire : ce qui prend son temps ça ne fait plus sens. Donc les vieux ne sont plus les sages, les vieux ce sont des poids lourds. Aujourd’hui ce sont les jeunes qui sont censés être « sages ». Donc le temps qui passe ne fait plus sens, n’est plus signifiant ; il faut que les choses fassent sens tout de suite.

49Quatrième élément, nous sommes dans une société globalisée. Alors ça se voit avec la mondialisation, mais ça se voit dans les offres commerciales avec le développement des packages ; on vous met tout sous forme de packages, il faut qu’il y ait tout en un. Et puis ça se voit aussi dans le domaine plus philosophique ou même sociologique, avec le développement des approches ontologiques. C’est-à-dire qu’on va aborder le problème dans sa globalité en essayant de repérer quand même au sein de ça des points de détail, mais ce qui est important c’est de rendre compte d’un phénomène dans sa globalité.

50Alors ça, bah ça définit que ce qui compte aujourd’hui c’est « moi », ce qui compte c’est que moi je sois capable de maîtriser tout de suite ce qui se passe et de tout prévoir globalement, mais aussi dans les moindres détails. Ça c’est le schéma culturel dominant, et les contrats obsèques répondent exactement à ce schéma culturel. Alors là on parle de tendances, la vision est simpliste. Il y a face à ces tendances, heureusement, comme en sociologie tout le temps des contre-tendances. On voit que l’individualisme aujourd’hui est tempéré par le développement de l’éco responsabilité, donc l’utilitarisme lui cède un peu, on se sent responsable de ses voisins, habiteraient-ils au bout du monde. Le bénévolat est très dynamique en France, donc là c’est une tempérance à l’individualisme.

51Il y a une tempérance à cette maîtrise du temps, à ce complexe de chronologie, chronométrie, c’est qu’il y a un mouvement, une émergence vers le « ici et maintenant » plus que vers le « tout, tout de suite ». C’est très différent, le « ici et maintenant » c’est très différent du « tout, tout de suite ». Il y a une saveur dans le « ici et maintenant » qui n’existe pas dans le « tout, tout de suite ». Le « tout, tout de suite », à peine je l’ai eu je m’en débarrasse déjà, je passe à autre chose. Le « ici et maintenant » il y a une certaine saveur, une certaine jouissance même, et on voit des travaux autour de l’éloge de la lenteur. Y compris dans le monde de l’entreprise où il y a des gens qui veulent lever le pied. Le matérialisme recule légèrement devant le consumérisme, peut-être, on peut le croire, et puis les spiritualités, les religions qu’on disait en baisse, eh bien on observe qu’il y a un regain de spiritualité, même si ça n’est plus exactement et simplement dans le contexte religieux. Donc le matérialisme tente à reculer devant cette émergence de spiritualité.

52Alors ce qui est intéressant c’est que ces tendances et contre-tendances… Une contre-tendance à la globalisation c’est qu’on est encore dans un monde de l’hyperspécialisation. Que ce soit en matière juridique, que ce soit en matière médicale ; dans tous les domaines, on reste là-dedans. Donc il n’y a pas d’un côté ceux qui sont pour et de l’autre côté ceux qui sont contre, en fait ces mouvements-là existent chez chacun d’entre nous. Nous sommes à la fois individualistes et altruistes, nous sommes à la fois matérialistes et de plus en plus spiritualistes. Nous ne renoncerions pas au téléphone portable que j’ai dans ma poche, et pourtant voilà, il y a des moments où je ne me reconnais pas dans cet outil-là. Donc ce qui est intéressant d’un point de vue anthropologique et sociologique aujourd’hui c’est de remarquer que nous essayons d’avoir une chose et son contraire, nous tâtonnons pour essayer de trouver une voie qui soit la synthèse des deux. Et on va retrouver ça aussi dans les contrats obsèques. Et qui ne vont pas être simplement l’illustration du : « moi je veux contrôler tout, tout de suite, dans ses moindres détails ».

53Alors les représentations anthropologiques autour de ça. La communication autour des contrats obsèques porte ce type de message : « vous êtes votre seul maître, mais malgré tout vous avez besoin de vous informer » ; c’est-à-dire que vous n’êtes quand même pas auto-suffisant. Vous avez donc besoin d’informations, mais vous avez aussi besoin de conseils et d’assistance. Donc vous êtes seul, mais vous n’êtes pas seul. Et on est là pour vous aider. Vous êtes responsables vis-à-vis des autres : « oui mes proches seront épargnés » ; des messages : « prévoir ses obsèques c’est penser à ses obsèques, c’est penser à ceux qu’on aime ». Donc celui qui prévoit ses obsèques par un contrat est quelqu’un qui est soucieux de ses proches. Mais en même temps attention, vos proches ne sont pas forcément fiables, méfiez-vous. Donc oui je vais m’assurer que mes volontés seront bien respectées. Vous voyez cette ambiguïté qu’il y a en permanence au cœur de ces messages.

54Troisième message : « vous devez vous préparer ». Ça c’est la dimension « je vais contrôler ; moi je vais contrôler » ; ça veut dire que je vais prévoir et je vais prévoir dans les moindres détails. Je ne veux pas laisser de mauvaises surprises, je ne veux pas avoir des soucis et je veux pouvoir continuer à mener une vie normale. Ça c’est la finalité du contrat obsèques. Ça sert à ça, à « mener une vie normale », soit pour vous soit pour vos proches. En tout cas la surprise, aujourd’hui dans le monde actuel c’est mauvais. Il faut tout prévoir pour ne pas avoir de surprises, c’est-à-dire ne pas avoir de mauvaises surprises. On n’imagine pas qu’il puisse y avoir une bonne surprise en n’ayant pas préparé. Donc des messages un peu simplificateurs.

55Et puis dernier message, qui n’est pas négligeable, c’est : « en plus vous faites une bonne opération financière ». Donc vous êtes responsable de vos proches, mais vous êtes aussi un bon gestionnaire de vos deniers. Alors voilà, plein de raisons de prévoir ses obsèques : « vous n’aurez plus à y penser » ; « vous voulez laisser une image conforme à vos souhaits » ; c’est important de laisser cette image. « Ça se passera comme vous l’avez voulu, tout est prévu, votre conjoint sera libéré des soucis matériels, il n’y aura plus de préoccupations matérielles ». Et en plus il y a un avantage fiscal : « vous n’avez pas de droits de succession ». Donc à partir de ça – si on s’inscrit dans ce schéma culturel là – on a toutes les bonnes raisons effectivement de souscrire à un contrat obsèques. Le problème c’est que nous ne nous inscrivons pas que dans ce schéma culturel là.

56Alors les messages autour des conventions obsèques véhiculent des représentations autour de la mort. La représentation traditionnelle autour de la mort c’était : « la mort est horrible » ; depuis le moyen-âge sinon l’antiquité, la mort est horrible. La mort était un phénomène subi, dès lors qu’on n’avait – en plus – pas tellement les moyens de soulager la souffrance, eh bien il fallait vivre, endurer sa souffrance par la force des choses. Donc on était étymologiquement dans la passion : le fait de souffrir. La mort était vécue, la bonne mort était même du point de vue religieux : la mort espérante, c’est-à-dire la mort qui prend son temps, qui est résignée. On se résigne à mourir, donc mourir c’était être aussi un peu passif à l’égard de la mort. La mort se devait d’être patiente, lente, et en plus elle devait être consciente.

57Ça c’est la représentation vraiment historique quasiment jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, voilà la culture de la mort qui est véhiculée, en particulier en France, et cette culture promouvait comme figure celle du patient. Le patient – c’est la même étymologie – c’est bien celui qui est dans la passion, qui souffre, celui qui est passif et celui qui fait preuve de patience. Là on a déjà deux éléments. Le rapport au temps : prendre son temps dans la mort. Et puis le rapport au matérialisme, finalement on ne contrôlait pas grand-chose de sa propre fin de vie. Et puis la modernité est venue générer petit à petit une autre représentation de la mort. Aujourd’hui la mort ne doit plus être horrible, elle devrait – pourrait même – être belle ou bonne. C’est l’étymologie de l’euthanasie : « la bonne mort ». Pourrait-on avoir une belle mort ? Oui, mais cette belle mort aujourd’hui ça serait une mort choisie, de préférence indolore. Donc on est en rupture totale avec ce qui se faisait avant. Une mort provoquée, dominée, et une mort dont on aurait même choisi l’instant. C’est-à-dire qu’elle serait anticipée. Et en plus, si possible, une mort inconsciente, parce que la mort consciente c’est beaucoup trop laid. Donc là on est dans la figure de la modernité où il faut effectivement décider et du moment et de la manière dont on viendrait mourir. La figure n’est plus celle du patient, c’est celle de l’acteur : « je suis acteur de ma mort ». Et là c’est vraiment la représentation moderne.

58Alors d’un côté on était soumis à une hétéronomie, la norme venait de l’extérieur, elle nous était imposée par un contexte culturel ou religieux. Et de l’autre côté, aujourd’hui on est dans la figure de l’autonomie : « c’est moi qui décide ». Mais ça veut dire que je fais ce que je veux de ma mort, je l’organise jusque dans ses moindres détails et je décide quand, comment.

59Alors gardons cette représentation de la mort dans la modernité pour voir comment elle s’articule avec les messages des contrats obsèques. Je vous remets pour mémoire les éléments là. Les contrats obsèques présentent la mort comme étant un événement brutal, violent, inopiné. C’est-à-dire : « Attention, vous pouvez vous faire surprendre par la mort. Donc pour ne pas vous faire surprendre, prévoyez : souscrivez un contrat. Et du coup vous serez un homme moderne parce que vous aurez anticipé, vous aurez choisi ». Donc la représentation de la mort c’est « la mort est violente » dans les contrats obsèques. La mort est incertaine, elle est incertaine parce que d’une part les relations familiales… D’abord on ne sait pas quand elle va arriver – cela me fait rebondir sur le temps d’avant – mais en plus les relations familiales étant ce qu’elles sont, vous n’êtes pas sûr – je l’ai dit, je ne me répète pas – que vos volontés seront respectées.

60Donc le message qu’on trouve c’est : « vous aurez la certitude que vos volontés seront exactement respectées ». Là vous êtes dans la maîtrise, grâce au contrat obsèques vous êtes un homme moderne qui manifeste, exerce son pouvoir sur les choses. La mort crée du souci parce qu’elle est complexe et aussi parce qu’elle est intime. Alors je lis : « l’heure n’est plus aujourd’hui à la pompe et au décorum, la mort c’est quelque chose de plus confiné, les funérailles aujourd’hui c’est quelque chose d’intime » ; mais qui dit intime dit que vous risquez d’être seul. La mort c’est en plus petit comité aujourd’hui, c’est davantage restreint. Et si vous êtes seul, vous allez avoir besoin d’assistance et de soutien. La mort est coûteuse, ça j’y reviendrais plus abondamment après, et puis la mort est unique, on insiste beaucoup aujourd’hui dans la communication là-dessus : chaque vie est unique, donc chaque cérémonie doit être unique. Personnalisation du rite. Il s’agit non plus simplement de célébrer les vivants qui survivent, il s’agit d’honorer, de célébrer le défunt. Au point que – comme le disait Damien en introduction – c’est le mort qui nous invite à une cérémonie à laquelle il ne participe pas, où il y participe sous forme d’images, de mémoires, omniprésentes puisqu’il est là sans être là. Il a tout réglé, il a prévu sa musique, il a tout fait ; donc il est là mais il n’est pas là.

61Donc le message c’est : « aujourd’hui la mort doit être préparée ». Mais elle doit être préparée matériellement. Parce que d’un point de vue spirituel, aujourd’hui on ne trouve pas de messages autour de ça, la mort ne devrait même pas être préparée spirituellement, ce n’est même plus à l’ordre du jour ou presque. D’où la nécessité de passer par des rituels de plus en plus sauvages. Parce que l’être humain a besoin de ritualiser, voire de préparer sa fin de vie. Mais d’une manière générale l’institution aujourd’hui ne permet pas, n’encourage pas cette préparation spirituelle ; en revanche tout est fait pour tout préparer matériellement. Ça c’est bouclé. Et on nous dit : « du coup si c’est préparé matériellement vous aurez l’esprit léger, vous pourrez vivre sereinement » ; mais en fait on n’est pas dans la préparation spirituelle. Donc il y a une vraie rupture avec la manière dont on préparait la mort dans les générations précédentes.

62Alors je fais un parallèle entre ce besoin de maîtriser sa mort à travers le fait d’avoir besoin d’organiser ses obsèques et puis le débat qui aura lieu demain au Sénat sur une proposition de loi pour légaliser l’euthanasie, qui est exactement… qui s’inscrit dans les mêmes représentations. Représentations de « je ne veux pas de risques, je ne veux pas que ça ne se passe pas bien, je ne veux pas faire confiance aux autres, je ne peux m’en remettre qu’à moi-même et comme ça touche ma mort et que je ne suis pas moi-même l’acteur de ma mort je suis obligé d’anticiper. Il faut que j’organise, que je prévoie tout d’avance. Je privatise ma mort. » Alors on est dans l’extrême, que l’historien Philippe Ariès dénonçait.

63Après la mort de soi, qui émerge, puis la mort de toi qui émerge dans le flux de l’histoire, on est dans une mort ensauvagée parce que la mort n’est même plus le lieu du dialogue avec les autres ; la mort est hors de la cité, elle est tenue, elle est sauvage, elle est en dehors des murs, on n’en parle plus et pourtant elle est au cœur des contrats.

64Alors c’est à ce demander – je vais mettre des pavés dans la marre – mais si cette représentation mercantile autour de la mort ce n’est pas de la barbarie par rapport… entendez-moi bien, par rapport à la civilisation. La cité et la civilisation et ce qui est en dehors : la barbarie. Donc il y a ce lien entre mort et argent, ce double tabou qui ne cesse de nous harceler d’une certaine manière aussi. Donc il y a un lien très fort entre le besoin d’organiser ses obsèques à l’avance, le souci d’avoir le droit d’avoir un droit à la mort, un droit à l’euthanasie, un droit au suicide assisté ; couvert par la société. À la fois on n’en veut pas, mais en même temps c’est la société qui doit penser tout ça pour vous.

65Maintenant les valeurs telles que je les ai trouvées ou imaginées dans les conventions.

66Alors ces conventions obsèques ont un fort a priori négatif. D’abord la mort et parler des obsèques c’est obscène, vous me permettrez de rapprocher les deux mots. Mais je le fais sans doute à raison parce qu’obscène c’est ce qui est impudique, c’est ce qui est montré, c’est ce qui est mis sur le devant de la scène. Donc ça c’est l’a priori négatif et puis alors l’argent là-dedans… Quand on met l’argent et la mort, vous avez toutes les raisons de ne pas en parler dans notre culture chrétienne catholique – plus que chrétienne encore.

67Les conventions de quoi elles nous parlent ? Elles nous parlent de l’autonomie. Alors j’ai dit : « bah on est plus ou moins individualiste, plus ou moins autonome, puisqu’à la fois on nous dit que l’on est autonome, et donc vous devez décider, mais en même temps on est là pour vous aider parce que vous n’allez pas vous en sortir tout seul. La liberté est un argument, être libre et le rester. Voilà, souscrire un contrat obsèques c’est être libre et le rester. Et puis vous décidez, mais c’est nous qui allons faire. Vous êtes autonome, mais on va faire pour vous quand même. Votre autonomie se limite à prendre une décision, et la décision telle qu’on espère que vous allez la prendre.

68Alors en plus, une fois que vous aurez décidé, vous aurez l’esprit tranquille. Moi j’aime beaucoup ces jeux de mots : « l’avenir sourit à ceux qui s’en soucient » ; à la fois il n’y a plus de soucis, mais si, il y a du souci ; enfin on ne sait plus. C’est du souci ou ce n’est pas du souci ? Moi je m’en soucie, mais je n’ai plus de soucis. Bon, moi je suis un peu perdu. Et puis alors surtout il n’y a aucune formalité médicale. C’est-à-dire : « vous pouvez mourir en bonne santé, il n’y a pas de problème ». Mais ça c’est un argument de plus : « vous n’aurez pas de formalités médicales » ; mais c’est normal, ce n’est même pas une assurance ! Si vous prenez une assurance ou une mutuelle, bien sûr on va vous demander un questionnaire, parce que l’assureur prend un risque, mais là il ne prend pas de risques : vous lui confiez de l’argent, il vous le rend au bout du compte ; donc il n’y a pas d’assurance. Vous ne toucherez pas plus que ce que vous avez déposé et fait travailler ; vous n’allez pas payer 300 et toucher 3000. Ce n’est pas la même chose dans les régimes par répartition par exemple. Donc c’est un faux argument. Encore heureux qu’il n’y a aucune formalité médicale, parce que de toutes les manières même si vous mourez le lendemain, vous ne toucherez pas plus que ce que vous avez déposé. Donc : faux argument.

69« Continuer à vivre normalement » ; « le meilleur moment pour comparer les prestations n’est pas encore celui où l’on est confronté à un deuil » ; donc ça il faut s’y prendre le plus tôt possible, sinon, si vous ne faites pas ça plus tôt vous allez être embêté, vous allez avoir des soucis jusqu’à la fin de vos jours ! Vous vous rendez compte ! Ce serait dommage quand même. Alors j’ai repris celui-là, parce que là j’insiste sur d’autres choses, j’ai beaucoup aimé : « pour préparer nos funérailles nous avons osé demander un devis gratuit et sans engagement » ; nous avons « osé » ! Ça, ça insiste, vous vous rendez compte, vous êtes à la fois des gens vertueux parce que vous vous confrontez à un tabou ; vous êtes des gens modernes parce que vous, vous ne vous laissez pas intimider par le silence, par l’omerta autour de la mort.

70Vous faites confiance à un spécialiste, il y a des partenaires, c’est bien une entreprise de pompes funèbres qui propose ça. Et voilà, encore ce même message qui vient dire : il y a une certaine audace à souscrire une convention obsèques. Alors en plus économiquement c’est avantageux : « respecter vos moyens, c’est le premier moyen de vous respecter » ; au-delà du jeu de mots, vos moyens ce n’est pas des moyens financiers, on pourrait penser que c’est l’ensemble de nos moyens. Et puis alors là, c’est 50 % moins cher. Là c’est la promo, on va bientôt voir des braderies, pourquoi pas ? Je ne sais pas. Et puis alors à la MAIF, vous en avez deux pour le prix d’un je crois : lors d’une adhésion conjointe au premier décès l’autre arrête de payer ; donc tous les arguments sont bons pour attirer le client. En plus, quand vous souscrivez une convention obsèques vous êtes quelqu’un de responsable : « la convention obsèques pour ceux qui prennent leur vie en main » ; c’est-à-dire que ceux qui n’en ont pas, ce sont des lâches, ce sont des gens irresponsables. « Vous n’avez pas de convention obsèques ? Précipitez-vous ! » ; Enfin je ne sais pas, mais voilà, le message qui est derrière : si vous en avez une, vous êtes un bon père de famille, prévoyant, à la fois pour vous et pour autrui, et puis vous êtes quelqu’un qui sait vivre. Et décider un jour de prévoir ses obsèques, c’est penser à ceux que l’on aime, si on ne le fait pas ça veut dire qu’on ne les aime pas.

71C’est ça qu’on entend derrière : si je n’ai pas de contrat obsèques, ça veut dire que je n’aime pas mes proches. Donc là, il y a une dimension culpabilisante. Et puis, « convention obsèques c’est être moderne ». Ça c’est l’argument fort aussi : « plutôt que de s’en remettre à ses proches, l’homme moderne ne compte que sur lui » ; parce que les proches sont un danger. À la fois en ne vous en remettant pas à vos proches vous les épargnez, mais en même temps vous vous en épargnez. Et donc l’homme moderne, c’est celui qui prévoit tout, tout seul. Au risque de la solitude malgré tout. Au risque de l’isolement. Au risque d’avoir comme partenaire non plus sa famille, mais une entreprise qui deviendra son partenaire de confiance.

72Vous voyez, moi je trouve que c’est un peu violent quand même derrière. Et puis en plus, ce n’est pas simplement être moderne, c’est aussi « naturel ». « L’organisation dans tous ses détails, c’est aujourd’hui des choses naturelles » ; alors la mort c’est quelque chose de grave ? Mais non, c’est si simple, c’est dans l’ordre des choses, c’est naturel. On ne sait plus quoi penser : « c’est un truc grave ou c’est un truc naturel ? C’est moderne ou c’est de la tradition ? ». On est un peu perdus. Et quand on est perdu, on s’en remet à quelqu’un qui a l’air un peu moins perdu que vous.

73« J’ai tout prévu, les miens n’auront à s’occuper de rien », la tradition c’était que les descendants prenaient soin des ascendants, la modernité c’est que les ascendants prennent soin de leurs descendants ; et là, il y a une inversion complète des valeurs. Ce sont les vieux qui sont chargés de prendre soin des jeunes. D’un point de vue pacte social, pacte républicain, ça nous interpelle quand même. On a complètement retourné le dispositif.

74Et alors là, on a aussi un message où… il y a plein de choses positives dans ce message : il était jeune et beau à 20 ans, et c’était bien qu’à 20 ans il soit insouciant, maintenant il est plus âgé, il n’est plus insouciant, mais il est toujours aussi heureux – vous voyez il y a une espèce de continuité dans la vie, ça correspond aux âges. Il y a un âge où vous n’avez pas à vous en occuper, et il y a un autre âge où au contraire c’est responsable de vous soucier de l’organisation de vos obsèques.

75Vous aurez votre contrat personnalisé, on est passé du noir et blanc à la couleur, donc la vie est plus belle quand même quand on a son contrat obsèques, et voilà : à 70 ans il sait très exactement ce qu’il veut. Donc en vieillissant, on acquiert une certaine assurance : assurance dans ses décisions et assurance parce qu’on a pris les bonnes décisions.

76Dans l’image des prestataires, l’ensemble des annonceurs veulent passer pour un acteur sociétal. C’est-à-dire un acteur qui est engagé dans la lutte contre le tabou de la mort. On trouve des citations : « les tabous qui entourent la mort ont longtemps empêché la clarté qui s’impose dans ce domaine » ; nous allons donc mettre en lumières la mort, et puis il faut abandonner ses préjugés.

77Donc l’acteur – qui est un acteur économique – que ce soit une entreprise de pompes funèbres ou une banque – se positionne comme étant un acteur engagé au niveau sociétal, notamment dans une œuvre de ré-humanisation de la mort. Grâce à ces acteurs, ce que la société n’arrive pas à faire par elle-même, et bien va peut-être pouvoir être fait, remettre un peu de lumière autour de la mort.

78Alors la lumière arrive sous la forme de bougies, symbole inoxydable : « sujet encore tabou, les obstacles subsistent » ; donc là on a des acteurs engagés pour faire évoluer les mentalités et les consciences. Et puis ce sont des acteurs responsables et citoyens : « les tabous qui ont longtemps empêché la clarté qui s’impose dans ce domaine » ; ça je l’ai dit, il faut abandonner ses préjugés pour aborder simplement la question des obsèques, et alors là on rentre dans le dur : « ne pas hésiter à comparer les prestations ». On est donc passé du « tabou de la mort », qui est l’œuvre philosophique au dur du dur : « comparez des prestations » ; respecter la douleur d’une famille, c’est aussi donner le choix des prix. Une entreprise de service funéraire doit être capable de fournir des devis clairs et détaillés et d’assurer une certaine transparence financière. Donc il y a eu ce glissement du tabou de la mort vers le dur du dur de la prestation.

79« Transparence financière » ; on l’a aussi évoqué tout à l’heure, c’est-à-dire qu’à la fois les contrats sont des contrats « d’assurance », dans lesquels il y a tout un tas de clauses incompréhensibles, mais en même temps ce sont des contrats qui prétendent être « transparents et clairs ». Là encore, question éthique : comment mettre un peu de transparence pour garantir, protéger de clauses qui pourraient être abusives ?

80Encore un autre message pour lutter contre le tabou de la mort, message paradoxal : « les obsèques, ce n’est jamais le moment d’en parler, alors parlons-en maintenant » ; vous voyez comment on vous prend en chaud/froid à chaque fois en même temps. Alors : « en termes d’assistance et de conseils, c’est à nous de vous conseiller, à vous de décider » ; on joue encore sur l’autonomie : « notre métier c’est de vous aider dans ces moments-là en mettant en place tout un tas de dispositifs » ; « les professionnels ont tous les labels qu’il faut » ; ils ont reçu des certifications comme quoi ils sont fiables, que leurs produits sont des produits de qualité, qu’ils ne nous feront pas courir un grand risque financier la plupart du temps – parce que là c’est dans le domaine financier. On va trouver la norme française, on va trouver du ISO 9001, voilà on est vraiment dans le monde marchand qui a besoin de sécuriser et de fiabiliser ses prestations.

81Et puis, là c’est un point que je trouve très intéressant, ce qui est au départ un prestataire d’un point de vue strictement professionnel devient petit à petit un partenaire de confiance. Alors comment est-ce qu’il devient un partenaire de confiance ? D’abord parce qu’il nous offre plein de garanties, pas simplement des garanties financières, des garanties que tout sera bien fait dans le bon ordre ; il y a une forme d’éthique derrière, donc on peut aller en confiance vers ces entreprises puisqu’elles se portent garantes d’un certain nombre de choses. Il y a une espèce de glissement de ce qui était traditionnellement le rôle du notaire vers ce qui devient aujourd’hui le rôle de l’entrepreneur de pompes funèbres.

82La famille n’est plus aussi digne de foi que ça. Donc quel va être votre partenaire de confiance ? Antérieurement c’était le notaire auquel on déposait un testament – secret – que la famille n’avait pas à connaître jusqu’au moment du décès ; mais on l’a dit : le notaire n’intervient qu’après les funérailles. Donc il manque ce partenaire de confiance antérieurement aux funérailles. Et qui vient occuper ce champs-là ? C’est l’entrepreneur de pompes funèbres, notamment à travers les contrats obsèques. Et qui du coup nous dit : « c’est moi qui vais être le garant de vos dernières volontés » ; pas concernant votre héritage patrimonial, mais concernant la chose peut-être la plus précieuse que vous avez : l’image, le respect de l’image que vous voulez laisser. Il y avait ce message sur l’image précédemment. Donc en réalité, il y a une espèce de transmission ou d’immiscion des pompes funèbres dans ce segment-là de la confiance, avant que le notaire ne prenne le relais.

83Pour autant, on peut se demander « quelle est la portée juridique de ces dernières volontés ? ». Il y a d’un point de vue juridique des tas de choses à envisager derrière, qui à mon avis ont été très bien bétonnés par les entreprises et les services juridiques des entreprises. Mais je flaire quand même quelques incertitudes, je ne sais pas en quoi les volontés exprimées dans ce type de conventions s’imposent réellement aux ayants-droit. Et si un ayant-droit décidait d’organiser une cérémonie funéraire différente de celle qui a été prévue au contrat ?


Date de mise en ligne : 15/04/2012

https://doi.org/10.3917/eslm.140.0155

Domaines

Sciences Humaines et Sociales

Sciences, techniques et médecine

Droit et Administration

bb.footer.alt.logo.cairn

Cairn.info, plateforme de référence pour les publications scientifiques francophones, vise à favoriser la découverte d’une recherche de qualité tout en cultivant l’indépendance et la diversité des acteurs de l’écosystème du savoir.

Retrouvez Cairn.info sur

Avec le soutien de

18.97.14.89

Accès institutions

Rechercher

Toutes les institutions