Couverture de ESLM_138

Article de revue

Fin de vie et loi Leonetti

Pages 125 à 132

Introduction

1La fin de vie pose la question de la mort et du mourir.

2La fin de vie vient concrétiser notre finitude en ce qu’elle impose à notre conscience l’existence d’une temporalité certaine ; celle de l’échéance de notre propre mort à venir.

3Pour la comprendre, il nous est nécessaire de la réinscrire dans une histoire de vie, jalonnée d’expériences plus ou moins heureuses, ou plus ou moins douloureuses, qui nous ont singulièrement construit ou singulièrement déconstruit; et qui font ce que nous sommes à l’instant présent.

4De même que chaque vie est unique, chaque agonie, chaque douleur et chaque lutte sera ultime et singulière.

5Considérer la fin de vie c’est entre autre reconnaître la ou les souffrances et apporter la possibilité d’une réponse contenante, sécurisante ou soulageante par la mise en place de moyens matériels et humains spécialisés.

6Le chemin de la fin de vie est ardu et tortueux. C’est un chemin de solitude car l’être humain en fin de vie expérimente l’impartageable et l’incommunicable. Il est émaillé de l’ambiguïté du vouloir rester et du vouloir partir, des désirs et des désillusions, des peurs et des espoirs.

7L’approche de la mort emmène dans son sillage une profonde souffrance spirituelle; une angoisse de la mort, de la fin, de l’isolement, de la disparition, de la dégradation, du néant; une peur d’être un poids pour sa famille, de perdre le contrôle, de la folie; et des sentiments: sentiment de culpabilité, d’indignité, d’inachevé, de ne plus être tout à fait soi, d’être déjà de l’autre côté.

8La proximité de la mort remet en question les valeurs profondes et entre en résonance avec la question du sens: sens de la vie passée, sens du temps qui reste à vivre, sens de la souffrance et de la maladie. Le sentiment de non-sens est particulièrement violent à la fois pour les patients mais aussi pour les familles et parfois même pour les soignants pleinement investis dans leur mission d’accompagnement.

9La personne malade prend conscience que le temps qui lui reste à vivre est devenu limité et elle doit vivre chaque jour avec cet horizon défini en en connaissant plus ou moins le terme. Elle prend alors conscience que son temps de vie est en grande partie derrière elle. On recueille souvent des mots tels que «c’est passé si vite, ma vie est passée si vite». Or, c’est ce regard porté sur la vie passée qui va colorer l’atmosphère et les émotions des jours présents: sentiment d’accomplissement? Ou regret d’une vie pénible? Les jours futurs pourront-ils permettre d’apporter un apaisement?

10Face au mourant, face au renvoi à notre propre mortalité, face au désarroi éprouvé, face à la peur éprouvante du souffrir, quel sens donnons-nous à notre accompagnement en tant que citoyens, en tant que proches, en tant qu’accompagnants, en tant que soignants?
Quel cadre éthique et juridique nous permet aujourd’hui de considérer ces souffrances dans le respect de la dignité de l’Autre, dans un altruisme sincère et nous préserve d’un autruicide en légitimant la place de la mort et du mourir dans la cité?

Le rayonnement des soins palliatifs en France

11Depuis plusieurs années, face à la mort et à la fin de vie, nos repères, nos figures, nos représentations se sont profondément transformés, modifiant alors collectivement et individuellement nos attitudes, nos mentalités et nos comportements.

12La mort ne survient plus tout à fait en son temps, c’est-à-dire au terme de la vie. Elle survient lorsque les recours thérapeutiques sont épuisés, que la persistance d’un traitement s’avère médicalement injustifiée ou alors que la personne accablée par une maladie ou souffrance physique et/ou psychique devenue insoutenable choisit de renoncer au surcroît de vie qui lui reste (Hirsch, E., 2009)

13Aujourd’hui, nous mourrons désormais ailleurs et autrement, accompagné de soignants, de quelques proches ou seul, à l’hôpital, ou en institution. Nous sommes près de 60% actuellement à mourir en dehors de l’espace privé où l’on avait vécu et ce pourcentage tend à s’accroître si l’on réside en zone urbaine et péri-urbaine.

14«Il y a encore tant de choses à faire quand il n’y a plus rien à faire» disait Cicely Saunders. Quand on ne peut plus guérir et qu’aucune thérapeutique ne peut enrayer la pathologie, il reste beaucoup à faire pour soulager les douleurs du corps et de l’âme, donner du confort et le goût de vivre encore dans ce temps qui reste, limité et démesuré à la fois.

15C’est avec humilité, juste présence, juste distance et réalisme, en refusant la démesure et en dénonçant l’urgence d’un compagnonnage, que Cicely Saunders initia le mouvement moderne des hospices rebaptisé dans les pays francophones à partir des années 70 de soins palliatifs.

16Depuis plusieurs années en France, les équipes soignantes réfléchissent, portent un regard critique sur leurs pratiques au quotidien et encouragent le développement d’une éthique de soin et d’accompagnement afin d’humaniser l’hôpital et de renforcer la qualité du lien thérapeutique.

17C’est dans une approche globale et dans toutes ses dimensions, tant physiques, spirituelles que psychologiques et sociales, que le patient aujourd’hui est pris en charge et accompagné tout au long de l’évolution symptomatique de sa pathologie.

18La France a connu son propre cheminement dans la construction juridique et médico-sociale du mouvement des soins palliatifs. Nous en proposons quelques dates clés.

19En 1978, le docteur M. H. Salamagne ouvre la première consultation de soins palliatifs à l’hôpital de la Croix Saint Simon (Paris) puis s’ouvrent en 1981 les premières consultations de la douleur.

20En 1983, la première association de bénévoles d’accompagnement JALMALV («Jusqu’à la Mort, Accompagner la Vie») est mise en place par le Professeur Schaerer à Grenoble.

21Différents groupes de réflexions pluridisciplinaires sur la fonction médicale se mettent en place et aboutissent notamment à la création d’un comité d’éthique dès 1984.

22Une commission interministérielle se réunit en 1985 autour de Geneviève Laroque. Ce travail aboutira à la circulaire dite «Laroque» du 26 août 1986 qui officialise la notion de soins palliatifs et d’accompagnement

23En 1987, le Docteur Abiven ouvre la première unité de soins palliatifs à l’hôpital de la cité universitaire de Paris et en 1989, les associations relatives aux soins palliatifs se regroupent autour de la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (SFAP).

24Depuis 1991, la réforme hospitalière introduit les soins palliatifs dans les missions des établissements de santé jusqu’à ce que la loi du 9 juin 1999 donne l’accès pour tous aux soins palliatifs. Celle-ci inaugure un ensemble d’autres lois, de circulaires et de recommandations visant à encadrer la fin de vie à la fois pour les malades, leurs proches, et les professionnels de santé.

25Elle apporte deux contributions essentielles:

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  • la possibilité pour les bénévoles appartenant à des associations d’intervenir auprès des patients et des proches
  • et la création d’un congé d’accompagnement non rémunéré pour un proche d’une personne en fin de vie après l’accord de l’employeur et pour une durée maximale de trois mois sans risque de perte d’emploi, et ce reconductible une fois.
Le 5 mars 2002 une loi est promulguée relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé garantissant l’égal accès sans discrimination de toute personne aux soins nécessités par son état de santé ayant reçu une information claire lui permettant de participer à la prise de décision.

27Le droit d’accès aux informations comme le respect de la volonté de la personne après qu’elle ait reçu toutes les explications concernant les conséquences de son choix sont des obligations pour le médecin.
Avec cette loi, le principe d’autonomie de la personne est clairement avancé par la notion de consentement libre et éclairé.
Les principes de solidarité et de respect de la dignité du malade jusqu’à son décès sont inscrits dans la loi.

Fin de vie et Loi Leonetti

28Peu de temps après, en 2003, une demande venait bouleverser la cité : celle de Vincent Humbert. Chacun d’entre nous s’en souvient très probablement ; Vincent Humbert était un jeune homme tétraplégique et avait interpellé le Président de la République en lui demandant le droit de mourir. Sa mère avait accédé à sa demande en lui administrant des barbituriques. Après l’avoir réanimé, son médecin avait arrêté le respirateur et effectué une injection mortelle.

29L’émotion médiatique suscitée par cet événement a été intense, à tel point que le débat sur l’euthanasie a été relancé et une mission d’information composée de 31 députés issus de toutes les sensibilités politiques a été créée pour réfléchir collectivement sur la fin de vie.

30Près de 10 mois de travail plus tard et à l’issue de près d’une centaine d’audition, un rapport parlementaire collectif a été rédigé et a débouché sur une proposition de loi signée par tous les députés membres de la mission (Leonetti, J., 2008).

31Une année plus tard, une loi relative aux droits des malades et à la fin de vie est votée à l’unanimité à l’Assemblée Nationale: la loi Leonetti n° 2005-370 du 22 avril 2005.

32Nous nous proposons alors d’en extraire les axes principaux.

33Selon l’article 1, la loi condamne l’acharnement thérapeutique qualifié d’ «obstination déraisonnable» et permet l’arrêt des traitements jugés inutiles ou disproportionnés. Le peu de temps qui reste à vivre doit pouvoir être pleinement investi par le mourant et sa famille de la manière la moins douloureuse possible.

34La loi vise à mieux prendre en compte la volonté du malade (article 2). Le confort de la vie prime sans ambiguïté sur la durée de vie: le mourant ne doit pas souffrir. C’est pourquoi une souffrance doit pouvoir être soulagée même si les doses de médications nécessaires pour calmer la douleur peuvent aussi avoir pour effet secondaire de hâter la mort.

35Dans l’article 3, il est clairement inscrit que le patient peut tout à fait refuser tout traitement et notamment l’alimentation artificielle.

36Toutes les décisions prises sont inscrites dans le dossier médical afin de préserver une cohérence de soin et une transparence de la décision (article 4). La réflexion doit être collégiale et le délai suffisant pour laisser au patient le temps de réflexion et de compréhension nécessaires à la prise de décision.

37L’article 5 évoque l’incapacité du malade à exprimer sa volonté et se reporte à la question des directives anticipées rédigées préalablement par le patient, à la sollicitation de la personne de confiance ou à la famille.

38La loi renforce le droit pour un malade conscient en fin de vie de refuser un traitement (article 6). Le médecin se doit de respecter son choix tout en soulageant ses souffrances et en préservant sa dignité. L’arrêt des traitements ne signifie en aucun cas l’arrêt des soins qui doivent être poursuivis et notamment les traitements sédatifs qui peuvent soulager les souffrances.

39Le médecin ne doit donc en aucun cas donner la mort délibérément mais il a le devoir d’accompagner le mourant.

40La loi encadre également la possibilité d’interrompre les traitements dont l’unique but est le maintien artificiel de la vie chez les malades inconscients dans des situations dites désespérées (article 9).

41«Contrairement aux dispositions législatives habituelles qui définissent la règle et la norme, le permis et l’interdit, la loi du 22 avril 2005 définit une procédure, un cheminement à adopter pour se tromper le moins possible dans des situations toujours humainement et médicalement difficiles.

42C’est une loi de compromis, d’exigences et de doutes qui laisse à chacun sa part de responsabilité et de liberté, mais dans un domaine si sensible et complexe, les doutes collectifs sont plus porteurs de sagesse que les certitudes individuelles» (Leonetti, J., 2008).
Depuis 2006, un comité national de suivi du développement des soins palliatifs et de l’accompagnement de la fin de vie a été constitué à la demande du ministre de la santé anticipant alors un nouveau programme de développement des soins palliatifs qui a été rendu public le 13 juin 2008 et décrivant les grands axes de poursuite des programmes précédents:

  • axe 1: l’offre hospitalière d’accueil en soins palliatifs doit être poursuivie et plus largement développée, des dispositifs extra-hospitaliers doivent voir le jour
  • axe 2: une politique de formation et de recherche est encouragée afin de promouvoir les avancées et les nouveaux travaux autour de la fin de vie et de l’accompagnement
  • axe 3: l’accompagnement fait aux proches des patients doit être renforcé.
Les enjeux d’une politique de développement des soins palliatifs sont majeurs tant au plan de la santé publique et de l’organisation du système de santé, qu’au plan de l’éthique, de la solidarité communautaire, et de l’économie de la santé.

Discussion

43La rencontre avec un patient en fin de vie, avec son histoire et celle de sa famille ne sont jamais tout à fait anonymes pour soi. Les supports d’identifications et de projections sont nombreux, amenant à des débats passionnés et passionnants.

44Il apparaît néanmoins au détour de toutes ces réflexions d’une riche intensité que le plus important est bien non pas d’ajouter des jours à la vie mais de la vie aux jours dans le respect et dans la préservation des droits fondamentaux, de l’humanité et de la dignité de chacun.

45L’accompagnement en fin de vie est un devoir pour chacun de non indifférence selon la formule du philosophe Emmanuel Levinas et de non abandon selon Emmanuel Hirsch. Il incombe à chacun de se mobiliser, d’être un acteur de partage, de s’engager pleinement dans la relation à l’autre.

46Nous comprenons nécessairement que la fin de vie s’inscrit alors dans le deuil de la vie. Elle en est le dernier chapitre, nous amenant ainsi à penser que la fin de vie peut s’apprendre et s’apprivoiser. Montaigne soulignait «qui apprendrait les hommes à mourir leur apprendrait à vivre».

47De cette manière, à la question posée lors de notre dernière rencontre au Palais de Luxembourg, «peut-on apprendre à mourir?», nous répondrons que oui vraisemblablement.

48Mais pour cela «il nous faut apprendre à vivre, c’est-à-dire apprendre à penser que le temps qui reste est limité; il nous faut apprendre à vieillir, à renoncer, à composer avec les limites qui nous sont imposées, à nous détacher pour préparer le détachement final. Et ce n’est qu’en composant avec notre propre irréversibilité que nous pourrons enfin apprendre à mourir».
Que cette citation de Michel Hanus, en son souvenir, puisse nous inviter à y réfléchir.

Bibliographie

Bibliographie

  • Châtel T. (2008) «Le sens de l’accompagnement en fin de vie». In Le grand livre de la mort à l’usage des vivants. Éditions Albin Michel.
  • Hanus M. (2010) «Apprendre à mourir». Communication réalisée au Palais de Luxembourg.
  • Hirsch E. (2009) «Apprendre à mourir». Grasset.
  • Jacquemin D., De Brouker D. (2009) «Manuel de Soins Palliatifs».
  • Leonetti J. (2008) «La loi du 22 avril 2005: respecter la fin de vie, respecter la mort». In Le grand livre de la mort à l’usage des vivants. Éditions Albin Michel.

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