1Les enfants s’intéressent à la mort comme ils s’intéressent à la sexualité. Ce sont des sujets mystérieux dont leurs parents ne parlent pas souvent et sont habituellement mal à l’aise de le faire devant eux et avec eux. « Ce ne sont pas des sujets pour les enfants » Disaient nos grands-mères! Mais ce n’est pas l’avis des enfants qui restent à l’affût. Grandir c’est découvrir et apprendre et les enfants en ont grande envie. C’est à partir de ce qu’ils voient, de ce qu’ils entendent et de ce qu’ils vivent qu’ils apprennent toute chose et c’est ainsi qu’ils font connaissance avec la mort.
2 Pour communiquer avec les enfants sur des sujets aussi graves, il est nécessaire de bien réaliser comment ils fonctionnent dans leur tête et dans leur cœur, dans leur intelligence et dans leur affectivité, ce que les parents comprennent par intuition au moins en partie. Les enfants, dans leur vie intérieure et plus ils sont petits, fonctionnent dans le registre de la toute puissance. Ils réagissent comme s’ils étaient le centre du monde. Il est vrai qu’ils l’ont été, en quelque sorte, pour leurs parents durant les premiers temps qui ont suivi leur naissance. Il leur faut du temps pour arriver à distinguer les informations qui viennent de la réalité du monde extérieur de celles qui montent de leur vie intérieure, de leurs besoins, de leurs désirs. Et pendant longtemps ils fonctionnent sur ces deux registres – nous le verrons pour ce qui est de leurs idées sur la mort – qui ne s’influencent pas. L’univers mental se situe également dans la pensée magique.
3Parler de la mort avec son enfant c’est essentiellement répondre à ses questions. Mais lorsqu’il n’en pose pas faut-il prendre l’initiative de lui en parler et si oui: quand et comment? L’enfant pose naturellement des questions lorsqu’il se trouve confronté à la mort et cela arrive plus souvent actuellement du fait des bandes dessinées, de la télévision et des jeux vidéo où la mort est très présente. Ces questions les parents ne les entendent que s’ils sont disposés à y répondre; sinon ils ne les entendent pas ou les écartent. Il est vrai qu’elles peuvent être directes, parfois crues et dérangeantes. Un petit garçon de quatre ans dit à sa grand-mère: « Dis, grand-mère, quand tu vas mourir? ». Si celle-ci sort de chez son médecin avec un diagnostic lourd c’est une question qu’elle risque de ne pas apprécier.
4Aux questions que l’enfant pose, il faut toujours s’efforcer de répondre simplement, clairement avec des mots qu’il peut comprendre. Il vaut mieux éviter de se lancer dans de grands discours et d’employer des périphrases. Quelques mots suffisent. Quand l’enfant les aura intégrés il reviendra ultérieurement avec d’autres questions. Surtout si l’enfant ne le prononce pas le mot « mort » doit être dit. Les expressions « il est parti, il s’est endormi de son dernier sommeil, il est perdu » doivent absolument être évitées; l’esprit réaliste de l’enfant les prend au premier degré.
5 Si l’enfant ne paraît jamais parler de la mort, commençons par nous demander si nous l’avons bien écouté. Et attendons la prochaine fois où une personne qu’il connaît même de loin meurt pour en parler avec lui.
6Plus un enfant est jeune, plus ses connaissances sont sous la dépendance de ses fantasmes qui sont l’expression de ses besoins. Nous les adultes, nous avons également des fantasmes et, à tout âge, l’imagination n’est pas le fidèle reflet de la réalité. C’est au contact de son environnement et au fil de son évolution que l’enfant devient plus réaliste.
7Tous les enfants pensent que la mort n’est pas naturelle. Souvent ils disent « on ne meurt pas on est tué ». Aussi, dans leur esprit, est-il possible d’y échapper. Il n’est pas normal que papa soit mort, qu’on n’ait pas pu le sauver. Ils se demandent QUI a provoqué la mort de leur proche. Ils voient également la mort comme réversible et attendent le retour du défunt. Enfin, pour eux, la mort est contagieuse. Lorsque l’un de leurs parents meurt, ils craignent que l’autre puisse mourir aussi et peut-être eux aussi peuvent être emportés par la mort.
8Ces conceptions irréalistes ne sont pas nécessairement si éloignées de la pensée des adultes qui voudraient bien que la mort ne soit pas irréversible et elles se retrouvent dans presque toutes les civilisations traditionnelles où peu de morts sont considérées comme naturelles.
9Les connaissances de la réalité de la mort, l’enfant les acquiert de manière progressive en fonction de son âge, de sa maturation psychologique, de ce qu’il entend et voit autour de lui et surtout des expériences qu’il en fait.
10 Les tout petits ne connaissent pas la mort mais l’absence. Un peu plus grands (vers deux ans), ils disent que « quand on est mort on ne peut plus bouger, courir, on ne peut manger ni parler, etc. ». C’est normalement vers quatre ans, lorsqu’ils commencent à comprendre le déroulement du temps dans la durée, qu’ils savent que la mort est irréversible. « Quand on est mort, on ne revient plus jamais » dit Antoine dans un groupe d’enfants en deuil. Lorsqu’ils atteignent leurs six ans environ la notion d’universalité se met en place. Pour tous les enfants, la mort est l’affaire des vieilles personnes et chacun pense qu’il sera le dernier à mourir. Et c’est vers neuf, dix ans qu’ils voient la mort comme liée à la vie, comme un élément indissociable de la vie.
11Savoir, connaître n’est pas la même chose que « comprendre ». Les enfants savent assez tôt que la mort est sans retour mais ils ne l’acceptent difficilement que peu à peu.
12Leurs conceptions subjectives, irréalistes qui vont s’estomper progressivement coexistent à côté de leurs connaissances réelles. Ces deux ordres de réalités cheminent côte à côte dans le psychisme de l’enfant sans réellement s’influencer. Un soir, deux ans après la mort de son père, Julien qui a 8 ans dit à sa mère: « il rentre tard ce soir papa » mais il ajoute bientôt devant la perplexité de sa mère: « je sais, quand on est mort, on ne revient pas! ».
13Les enfants s’adaptent au monde des adultes, ne voulant passer pour des bébés mais ils n’en gardent pas moins leur univers intérieur dont ils peuvent exprimer une partie mais avec leurs camarades, leurs pairs, les enfants de leur âge.
14 Tout dépend de ce que l’on entend par comprendre. Les enfants commencent à savoir que la mort est irréversible lorsqu’ils ont acquis une notion suffisante du temps comme une durée qui s’écoule sans jamais revenir en arrière. Ils ont alors intégré la séquence passé, présent, futur. Dans les situations habituelles ce savoir se situe autour de quatre ans. Mais savoir, comprendre n’est pas la même chose qu’accepter. Il leur faudra des années pour avancer dans ce sens. Même nous, les adultes, qui savons bien que la mort est définitive, nous ne l’acceptons pas si facilement. Lorsque nous apprenons la mort d’une personne connue, le premier mot est de dire « non ce n’est pas possible, ce n’est pas vrai! ». C’est le travail de deuil qui nous permet d’y arriver. Même lorsque les enfants ont bien intégré que la mort est définitive, irréversible, ils continuent à vivre avec la personne qui est morte dans leur intérieur intime et ils attendent son retour bien qu’ils sachent que ce n’est pas possible. Pour comprendre les enfants, en particulier pour tout ce qui touche à la mort, il est indispensable que les adultes réalisent bien que les enfants fonctionnent mentalement sur deux registres, celui de la réalité dans leurs contacts avec l’extérieur, le monde des adultes, des parents et celui de leurs désirs.
15Les enfants posent des questions lorsqu’ils entrent en contact avec la mort, habituellement à l’occasion de la mort d’un aïeul, d’un voisin, d’un animal familier, d’une personnalité ou d’un petit animal inconnu rencontré mort sur leur chemin: une souris, un petit oiseau, un insecte. Parler de la mort avec les enfants c’est répondre à leurs questions le plus simplement, le plus franchement et le plus clairement possible sans en dire plus qu’ils n’en demandent: alors ils pourront poser d’autres questions par la suite.
16 Mais ils sont aussi inquiets de perdre leurs grands-parents auxquels ils sont très attachés. Comme ils paraissent et sont âgés ils se demandent quand ils mourront et peuvent poser des questions auxquelles les grands-parents répondront franchement: « oui nous allons mourir mais pas tout de suite ». C’est une manière de les préparer. Mais tant qu’ils n’en parlent pas, ce ne sont pas les grands-parents qui prendront l’initiative.
17Une situation particulière est celle d’un enfant qui a été confronté à la mort d’un proche lorsqu’il était encore dans le ventre de sa mère ou lorsqu’il était un petit bébé. Il est indispensable de lui parler un jour de ce défunt. Toute la question est de savoir quand et comment? C’est aux parents d’en décider selon ce qu’ils pensent et ce qu’ils ressentent. S’ils hésitent, ils pourront demander conseil à une personne éclairée qui n’ait pas de positions dogmatiques et aide seulement ces parents à y voir plus clair.
Lorsque la mort approche
18Éduquer un enfant est le préparer à la vie. Il est également indispensable de l’aider à affronter tout événement important pour lui. La séparation de ses parents et la mort d’un tout proche, père, mère, frère et sœur, sont les deux événements les plus graves dans la vie d’un enfant.
19Cette préparation ne pourra se mettre en place que si les parents ont conscience de sa nécessité et de son importance et qu’ils ne sont pas submergés eux-mêmes par leur propre angoisse
20Celui ou celle qui va mourir requiert toute l’attention et absorbe toutes les énergies de l’entourage. Ce peut être au détriment des autres qui parfois se sentent laissés de côté et peuvent l’être réellement. Cette éventualité est particulièrement fréquente lors de la mort d’un frère ou d’une sœur, l’enfant malade prenant toute la place.
21 Préparer un enfant à la mort d’un proche est d’abord l’aider à mieux supporter et à mieux intégrer sa perte. Tout ce qui est fait avant est autant de fait pour après. C’est également la meilleure manière de le préparer à dire au revoir au mourant. C’est enfin protéger et même renforcer la cohésion de la famille.
22Tout comme il est important que les adultes, parents, famille, professionnels et autres accompagnants, réalisent bien les manières dont les enfants pensent la mort, il est aussi capital de prendre conscience, d’intégrer que les enfants savent beaucoup plus de choses sur ce qui se passe dans la famille que les parents ne le croient. Les enfants sentent intuitivement mais aussi ils voient et ils entendent. Ils voient les traits fatigués et chagrinés, ils voient la fébrilité et les signes d’inquiétude et bien d’autres signes. Ils entendent des propos qui ne leur sont pas destinés, qu’ils n’auraient pas dû entendre, pensent les parents, mais qu’ils entendent quand même. Le danger est que, s’ils ne sont pas correctement informés, ils se fassent des idées bien à eux qui ne soient pas le reflet de la réalité. Et ils se font, de toute manière, des idées très personnelles même lorsqu’ils sont bien informés et accompagnés.
23Quand la maladie d’un proche devient sérieuse avant même de se révéler maligne, l’enfant s’en rend bien compte. Il est nécessaire alors de lui parler, non pas de la mort, à ce stade, mais de la maladie, de son évolution et progressivement de ses inquiétudes que, de toute façon, l’enfant ressent. Lorsqu’il est en confiance il demande: « est-ce qu’il peut mourir »; à quoi il sera répondu: « j’espère bien que non mais je n’en suis pas sûre. Avec les médecins nous faisons tout ce qui est possible pour le sauver ».
24 Le problème est différent selon que l’enfant pose ou non des questions. À ces questions, lorsqu’il en pose, on s’efforce de répondre le plus simplement possible avec des mots qu’il peut comprendre. Mais s’il n’en pose pas il faudra prendre les devants et lui donner progressivement des informations. Il est beaucoup plus facile de lui parler de la gravité de la maladie lorsqu’on a commencé, dès le début, à l’informer de ce qui se passe. Les parents ne pourront dire la vérité que s’ils sont l’un et l’autre – celui qui est malade et celui qui ne l’est pas – relativement au clair avec la maladie.
25Lorsqu’on commence à lui en parler dès le début, la maladie n’est pas encore trop grave. Au fil de l’évolution l’enfant prendra conscience progressivement de la gravité en même temps que son parent. Lui en parler seulement en phase terminale, c’est le confronter brutalement à l’éventualité de la mort à laquelle il n’a pas été préparé jusque-là. La question est de savoir quand et comment lui en parler. En fait cette question ne se pose que si on ne lui en a pas parlé jusque-là. L’enfant correctement informé tout au long de la maladie posera de lui-même cette question de l’éventualité de la mort lorsqu’il verra sa mère rentrer de l’hôpital dans un état de grande inquiétude.
26Mais bien souvent l’enfant a une attitude de protection vis à vis de son parent qu’il sent en détresse et qu’il ne veut pas déstabiliser par ses questions. Alors il les gardera pour lui, ce qui ne veut pas dire qu’il ne se les pose pas et qu’il n’est pas inquiet. Il est en fait doublement inquiet et de celui qui va mourir et de l’autre parent qui a du mal à supporter cette situation. Alors il est souhaitable qu’il y ait un autre membre de la famille avec qui il puisse en parler. S’il n’en parle pas c’est aussi pour se protéger de son chagrin de voir un de ses parents mourir.
27 La situation est différente selon l’âge des enfants. Les plus grands, au-delà de huit ans, prennent rapidement conscience de la gravité de la maladie et de l’éventualité de la mort en détectant un bon nombre de signes qui ne leur étaient pas nécessairement destinés mais qu’ils reçoivent. Ne pas leur en parler c’est les conforter dans cette attitude de devoir aider le parent. Plus jeunes, les enfants ne réalisent pas bien ce qui se passe, ce qui les rend encore plus inquiets. Il est donc nécessaire de prendre l’initiative de leur parler et de vérifier qu’ils ont bien compris.
28La situation est bien différente pour un enfant qui n’a pas été associé à l’évolution de la maladie, qui en a été tenu à l’écart, qui n’a pas reçu d’informations sur l’état de celui qui va mourir. Pour ne pas annoncer cette mort brutalement, il est alors nécessaire de refaire le parcours de la maladie en raccourci: dire que ce papa était bien plus malade qu’on ne pensait, que les médecins ne sont pas arrivés à le soigner et que son état s’est aggravé progressivement. C’est alors que l’enfant pourra poser une question plus directe pour savoir si son père est mort. S’il ne le fait pas, le parent devra aller jusqu’au bout, jusqu’au mot « mort ». Mais c’est souvent difficile et il a alors besoin d’être aidé.
29Avant de penser à consoler l’enfant, il est nécessaire de le laisser exprimer son chagrin, de le laisser pleurer sans se retenir de pleurer avec lui. Le chagrin se partage. Si l’enfant n’exprime rien – du moins en apparence – il est indispensable de l’aider en lui disant qu’il est normal d’avoir du chagrin, qu’il est normal de pleurer. Il ne faut surtout pas penser que l’enfant qui n’exprime rien ne souffre pas; c’est tout le contraire. Sur le moment la douleur est trop forte pour pouvoir sortir.
30 Un enfant en deuil se console en le prenant dans ses bras, en le gardant quelque temps près de soi, en lui parlant doucement de celui qui est mort, de l’amour qu’on a pour lui, du chagrin de sa mort. Au bout de quelque temps, on reviendra à une activité habituelle: la toilette, le repas, les devoirs, la télévision voire les jeux vidéo. Souvent les enfants sortent assez vite de leur chagrin pour y revenir par la suite.
31Les moments du coucher sont très importants: un temps suffisant doit leur être consacré surtout durant les premiers temps: récit d’une histoire, lecture, musique, câlins. Les doudous, les ours, les poupées et parfois un objet appartenant au défunt (le foulard avec le parfum de la maman) sont très utiles pour la transition vers le sommeil.
32Lorsque le père est mort, il est habituel que les enfants veuillent dormir avec leur maman. Dans les circonstances de la vie habituelle il n’est pas souhaitable que les enfants dorment dans le lit de leurs parents. Mais, dans cette situation douloureuse, il est préférable de les laisser faire au moins pour quelque temps. C’est aussi une manière de les consoler. Ils seront rassurés d’être auprès de leur mère et ils dormiront mieux. Mais cette tolérance ne doit pas se prolonger trop longtemps. Les enfants auront regagné leur chambre au bout de quelques semaines.
Après la mort
33 L’adieu au mort, à tous les âges, se concrétise dans le fait d’aller le voir avant ou au moment de la fermeture du cercueil, de se rendre à ses funérailles et d’aller se recueillir sur sa tombe. Le plus grand nombre des enfants désirent aller dire au revoir à celui qui va mourir et dire aussi au revoir lorsqu’il est mort. Ils l’affirment lorsqu’on leur demande et disent également le regretter lorsqu’ils en ont été empêchés. Les réticences qui sont encore relativement fréquentes viennent des parents et de l’entourage. Dans ces moments difficiles pour tous les membres de la famille les enfants risquent d’être les grands oubliés. Il est facile de les écarter sous prétexte de les protéger. Mai on ne peut pas protéger les enfants de la vie et la mort en fait partie.
34Ces gestes d’adieu ont une grande importance pour les enfants. Ils leur permettent d’exprimer une dernière fois leur affection à celui que bientôt ils ne verront plus et ne pourront plus embrasser comme ils aimaient le faire auparavant. Ces gestes leur permettent également de prendre conscience de la réalité de la mort: ils ont bien vu de leurs yeux que la personne aimée était bien morte.
35Ces gestes sont simples et naturels: les enfants accompagnent leurs parents qui les entourent, qui restent près d’eux et leur parlent en anticipant tout ce qui peut paraître difficile. Il peut rarement arriver qu’un enfant refuse; il n’est pas question de le forcer, de l’obliger comme c’était malheureusement l’habitude dans les temps anciens. Et ce n’est pas parce qu’il n’a pas participé à l’adieu et aux funérailles que son deuil en sera compliqué! Il suffira de lui raconter et de continuer de parler en famille de la personne morte.
36Le deuil est directement lié à la relation entre le mort et la personne en deuil avec sa nature, ses caractères, sa durée, l’importance surtout de son engagement affectif. Aussi est-il strictement individuel, personnel et ce au sein de la même famille; aussi chacun le vit à sa manière qui n’est pas toujours en harmonie avec celle des proches. Cependant tous les deuils, quel que soit l’âge, quelles que soient les circonstances de la mort, présentent des caractères communs encore plus marqués dans une même famille.
37 Le déroulement du deuil s’inaugure par un état de choc qui touche la personne dans toutes ses dimensions et surtout affective (la douleur), corporelle (la santé) et sociale (les comportements, les relations avec les autres). Il est plus violent lorsque la mort est inattendue et brutale. Ces deuils violents (accidents, suicides) entraînent la survenue d’un état traumatique qui retarde l’apparition du deuil. Le choc du deuil existe même lorsque la mort a été attendue ce qui a permis de tenter de s’y préparer (pré-deuil).
38Les enfants en deuil calquent leurs réactions et leurs comportements sur ceux des adultes qui les entourent si bien que leur état de choc peut être masqué par une absence apparente de réaction (cf. question précédente). Il en est de même pour l’ensemble du deuil. Cependant le comportement des parents en deuil se modifie avec le temps; celui des enfants peut faire de même. Les réactions des enfants en deuil varient en fonction de leur âge. Les plus jeunes montrent des réactions de séparation analogues à celles du tout début de la vie alors que les plus âgés réagissent davantage comme des adultes.
39Le plus souvent les réactions et comportements des hommes et des femmes, des pères et des mères ne sont ni identiques ni superposables. Habituellement les mamans en deuil pleurent et semblent les plus souffrantes du fait qu’elles expriment davantage leur douleur. Les hommes se retiennent, contrôlent leurs émotions au motif d’en protéger femme et enfants. Ils s’efforcent d’assumer tous les problèmes concrets et s’investissent dans un surcroît de travail, ce qui les autorise à être moins présents dans leur foyer en souffrance. Une minorité d’hommes restent cependant très présents et soutenants affectivement pour leur petite famille.
40 Lorsqu’il a été possible de supporter le choc et de le vivre, le deuil évolue assez rapidement vers la période dépressive. La douleur est torturante, le fonctionnement ralenti car chaque geste est devenu difficile; l’appétit, le sommeil sont habituellement troublés et la personne en deuil est écrasée par une immense fatigue à la fois physique et morale. Cet état est intense et prolongé si bien qu’il ne peut échapper à la perception de l’entourage. Certes le deuil n’est pas une maladie mais ceux qui le vivent ne sont pas en forme. Cette période centrale du deuil prend du temps qu’il n’est pas possible de fixer à l’avance et qui paraît toujours trop long à l’entourage qui n’aime pas voir souffrir ceux qu’il aime. Il arrive souvent que la personne en deuil soit abreuvée de conseils partant de bonnes intentions mais qui sont parfois intempestifs tant il est difficile de se mettre à la place de ceux qui souffrent; d’ailleurs, personne n’est jamais à leur place. Ainsi certains deuils difficiles (mort d’un enfant, mort ante et périnatale, morts traumatiques et autres) peuvent durer des années sans qu’on doive les considérer pour autant comme compliqués ou pire pathologiques.
41Les pères luttent et se défendent de leur dépression; ils pensent devoir aider les autres mais souvent aussi ils en ont trop peur de s’en sentir dévalorisés. Mais chacun se défend à sa manière: l’hyperactivité, la diminution du sommeil, la surconsommation de tabac et de boissons alcoolisées ou d’autres addictions comme l’ordinateur, les jeux vidéos, les loteries, le suivi des opérations de bourse. Ce faisant, ils peuvent se mettre en risque, sans s’en rendre compte, dans les différents secteurs de leur activité. Des problèmes de santé de gravité variable apparaissent parfois au bout de quelques mois.
42 Dans l’ensemble les mères ne résistent pas à la dépression; elles ne peuvent pas. Certaines s’y enfoncent, d’autres font tout leur possible pour y résister parfois jusqu’à une attitude qui ressemble à celles des hommes. Quelles que soient les différences et d’éventuelles dissensions, il est plus facile d’être deux pour affronter l’épreuve sauf si les relations déjà précaires avant cette mort ne deviennent encore plus difficiles après. Beaucoup de couples se séparent après la mort d’un enfant. Par contre les couples déjà unis s’en trouvent, après des années de souffrance, encore renforcés.
43Les enfants ne vivent pas la dépression de la même manière que les adultes. Elle est moins ressentie affectivement (l’enfant a besoin de se protéger), elle passe dans leurs comportements (mises en risque) et dans leur santé physique qui peut s’altérer. Certains parents, mais surtout certains membres de la famille plus éloignée, certains amis, peuvent avoir de la difficulté à comprendre cette attitude d’apparente froideur des enfants. Certains parmi ceux-ci peuvent interpréter l’attitude de leur père comme un encouragement à faire comme s’il ne s’était rien passé de grave ou comme si l’épreuve était déjà surmontée. L’attitude de leur mère les laisse perplexes. Ils ont beau savoir pourquoi elle souffre et pleure, ils craignent toujours d’être la cause de son chagrin. Il leur est également difficile de vivre au quotidien avec une mère déprimée entretenant, malgré elle, une atmosphère sombre dans la maison et moins disponible à ses enfants qui lui, dans ces circonstances, représentent pour elle à la fois un soulagement, une raison de vivre mais aussi une charge bien plus lourde que d’ordinaire.
44Autant il est important de ne pas écarter de la maison les enfants au cours des derniers temps de vie et durant la période des funérailles, autant il faut encourager les familles en deuil à savoir confier leurs enfants, pendant quelques heures, à des amis. Les enfants se sentent soulagés de pouvoir sortir de cette atmosphère de deuil et les parents se sentent enfin libres de faire ce qu’ils ont envie, éventuellement de s’abandonner à leur chagrin pendant quelques heures en l’absence des enfants.
45 Un jour arrive enfin où la vie reprend le dessus. Alors la douceur nostalgique des souvenirs l’emporte sur les regrets de la perte. L’être aimé qui est mort a trouvé maintenant une place tout à fait particulière dans le cœur de ceux qui l’aiment. Ils sont maintenant en état de se permettre de retourner vers la vie. Jamais ils ne pourront oublier mais ils sentent que l’amour que le défunt leur portait les encourage à être heureux de nouveau. C’est alors qu’il est important que le parent aide son enfant à retrouver ses souvenirs concrets de son mort: lui confectionner un album de photos rien que pour lui, lui faire choisir un ou deux objets significatifs appartenant au défunt. Les enfants en deuil ont un plus grand besoin de traces de souvenirs que les adultes.
Doit-on parler du mort à l’enfant ?
46Il est évident qu’il ne faut pas rater l’occasion de parler du mort avec l’enfant lorsqu’il pose lui-même des questions. Lui répondre n’implique pas de se lancer dans de grands discours. Quelques mots simples, clairs et compréhensibles par l’enfant suffisent. Plus tard il pourra alors poser d’autres questions.
47Si l’enfant n’en parle pas, il est souhaitable que le parent prenne l’initiative d’évoquer des souvenirs communs où l’enfant et son mort étaient présents, de mettre en évidence une ou deux photos où ils sont ensemble, de lui proposer de l’accompagner au cimetière. Les dates anniversaires et les fêtes de famille fournissent de bonnes occasions.
48 Ne pas parler des morts n’aide pas l’enfant, en parler trop risque de lui être préjudiciable. Il est bien compréhensible que le parent ait besoin de parler de son défunt mais ce n’est le rôle de l’enfant de devenir son confident. Le petit garçon dont le père meurt a déjà tendance par lui-même et pour les meilleures raisons du monde, à prendre sa place. Sa mère ne doit pas l’encourager en en faisant son confident. Si elle a besoin de parler, d’exprimer son chagrin et d’autres émotions très douloureuses, elle trouvera une personne de confiance dans son entourage ou, si non, auprès d’une association spécialisée ou d’un professionnel compétent dans ce domaine.
49Parler de la mort est aussi naturel que de parler de la vie dont elle fait partie intégrante. Mais il est difficile de la connaître de l’intérieur et, comme elle fait peur, il est moins facile d’en parler que de la vie. Parle-t-on de la vie avec son enfant et comment?
50Parler de la mort avec son enfant c’est avant tout répondre simplement à ses questions et il en pose presque toujours mais les a-t-on entendues? Il en parle lorsqu’il rencontre la maladie, un accident, le suicide et la mort soit dans la vie réelle autour de lui, soit dans ses jeux vidéo, à la télévision et dans les films qu’il regarde. Il n’est pas toujours facile de lui répondre car ses questions sont parfois directes, crues, dérangeantes surtout si le parent est lui-même en souffrance. Il n’est pas toujours évident de répondre à des questions embarrassantes lorsqu’elles sont sérieuses et importantes. Le parent se reconnaît-il le droit de répondre à son enfant qu’il ne sait pas ou qu’il ne sait pas trop, le droit de reporter sa réponse au lendemain. Mais alors il ne faudra pas l’oublier; sinon l’enfant penserait qu’on ne veut pas lui répondre.
51 Et voilà ce jeune veuf hésitant devant certaines questions de son enfant. Ce n’est pas tant qu’elles le touchent là où il a mal mais il reste perplexe même après réflexion. Alors il va demander conseil et en premier lieu à son entourage qui, voulant l’aider, donnera sans doute des réponses. Il n’est pas assuré qu’elles soient cohérentes et peuvent être inadéquates. Il en viendra à chercher l’avis d’une personne présupposée savoir: son médecin de famille, le pédiatre de l’enfant, son institutrice, la psychologue ou l’assistante sociale de son entreprise. Mais le niveau de compétences est très variable et nullement garanti. Certains psychologues et pédopsychiatres ne sont pas très au fait de ces questions. Lorsqu’ils le sont – mais comment savoir? - Ce sont les meilleurs interlocuteurs. Les associations qui s’occupent des enfants (l’École des parents et éducateurs entre autres) et celles qui accompagnent les enfants en deuil (Vivre son deuil par exemple) sont à même d’aider les parents dans cette situation qui fait partie de leur gamme de compétences.
52Fédération Européenne Vivre son deuil:
53Site internet: http://www.vivresondeuil.asso.fr
54Vivre son Deuil Ile-de-France
557 Rue Taylor
5675010 Paris
57Tél.: 01 42 38 07 08