Notes
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Cérémonie / célébration :
L’usage courant nomme plutôt ‘cérémonie’ un geste dans lequel il n’y a pas de référence à un ‘au delà’ ou à une divinité à laquelle est confié le défunt, un geste qui peut prendre appui sur une tradition philosophique de sagesse ; le mot ‘célébration’ garde souvent une connotation religieuse.
Introduction
1Le texte ci-dessous, proposé par le Comité National d’Ethique du Funéraire (CNEF), s’adresse à tous ceux qui participent à l’élaboration de cérémonies civiles de funérailles : agents des entreprises de services funéraires, gérants de salles ‘omni-cultes’, responsables de collectivités territoriales, groupes de bénévoles ...
2Dans sa brièveté, ce texte a trois buts :
31. Evoquer les évolutions sociales et culturelles actuelles qui favorisent le développement de ces célébrations.
42. Proposer une réflexion éthique, c’est à dire une réflexion soucieuse de développer les valeurs constitutives de la vie individuelle et de sa confrontation avec la vie sociale et les solidarités qui construisent l’humanité.
53. Indiquer quelques repères simples pour une pratique plus respectueuse de ces valeurs.
6Le CNEF souhaite avoir des échos des lecteurs de ce texte.
Quelques observations
71. Dans un groupe humain, lorsque la mort vient saisir l’un de ses membres, se crée une situation de crise, une perturbation. Cette situation de crise, sans doute aussi vieille que l’humanité elle-même, est révélatrice d’une interrogation sur le sens de la mort et de la vie. Pour y faire face, le groupe a différentes ressources, notamment celles qui s’expriment à travers des rites.
8Des sociologues en rappellent la définition ordinaire : Un rite funéraire est une pratique réglée, collective, transmise qui permet d’ouvrir un espace symbolique, c’est à dire révélateur d’un sens donné à la vie du groupe, là même où il y a épreuve de perte et de séparation.
9Selon les traditions culturelles (religieuses ou non), les rites ont des formes très variées mais ils visent toujours à mettre en valeur d’abord l’appartenance du défunt au groupe social et la séparation opérée par la mort qui bouleverse ces relations d’appartenance, puis la nécessité d’insérer le défunt à la fois dans le travail mémorial du groupe et dans la définition d’un nouveau statut auquel il accède. Ainsi est-il inscrit dans l’histoire du groupe.
10Au-delà de l’appartenance au groupe (et souvent à plusieurs groupes comme la famille, les corps professionnels, les relations de loisirs, les adhésions à des associations culturelles, politiques, philosophiques ou religieuses), les actions rituelles soulignent la reconnaissance du défunt comme membre de l’humanité. Ainsi les rites funéraires renvoient toujours à cette histoire consignée dans la littérature grecque dès le ve siècle avant Jésus-Christ : la démarche d’Antigone auprès du corps de son frère Polynice banni de la ville de Thèbes par le roi Créon. Des philosophes ont reconnu là un geste fondateur de l’éthique parce qu’il affirme que Polynice demeure un être humain malgré son exclusion sociale et politique.
112. Réglés et transmis, les rites connaissent cependant une évolution et, parfois une désaffection.
12Une évolution dont des historiens retracent les étapes : Assez lente à travers les siècles, elle tend aujourd’hui, en Occident, à s’accélérer pour des raisons diverses, parmi lesquelles on peut évoquer : d’abord la diminution de l’emprise des religions, des traditions philosophiques et idéologiques et des ‘corps de métiers’ (confréries, syndicats) sur les individus ; puis l’éclatement des groupes sociaux et la dispersion géographique et relationnelle des familles ; enfin une acceptation plus libre de la diversité des modes de penser et de croire et des attitudes face à la mort.
13S’observe aussi une certaine désaffection à l’égard des rites parce que leurs significations ne sont plus autant perceptibles ou qu’elles ne correspondent plus aux choix philosophiques, humains ou religieux, qui définissent les existences humaines.
14Evolution et désaffection favorisent aujourd’hui, dans le monde occidental, une sorte de « bricolage » rituel (on puise ça et là dans les traditions) et l’introduction de nouvelles pratiques dont on ne peut dire encore si elles seront les rites de demain.
153. Surgissent aussi de nouvelles conditions du mourir qui mettent à mal le rêve de la fable de La Fontaine sur ‘Le laboureur sentant sa mort prochaine ...’. S’il y a, d’une part, davantage de morts brutales et de morts précoces, apparaissent, d’autre part, des morts qui tardent à venir, précédées d’un long temps où la communication entre le mourant et ses proches (sans oublier que les soignants font souvent partie de ces proches) devient de plus en plus difficile (Alzheimer, démences, comas prolongés, ...). Alors apparaissent parfois deux attitudes opposées, celle qui vise un désinvestissement (‘Pour moi, ma mère est déjà morte’) ou celle qui manifeste un surinvestissement (‘Pour moi, il est toujours là et j’irai le voir chaque jour’). Ces attitudes ne seront pas sans influence sur les manières de procéder au moment du décès.
16Dans ce contexte, des questions retiennent l’attention :
17Quand les références religieuses et idéologiques viennent à manquer, quand les groupes d’appartenance tendent à se défaire et à ne plus être porteurs de sens, quand les liens de famille ou de proximité n’ont pas résisté aux difficultés de la mort lente ou d’une douloureuse agonie, ... Quel pourra être le contenu d’une cérémonie ou d’une célébration de funérailles ? Quelles seront sa signification et sa fonction ? Entre la reprise des traditions anciennes des funérailles et le rejet de toute manifestation un peu ritualisée des funérailles, peut-il y avoir place pour une cérémonie ou une célébration ? [1]
Conviction
18La conviction du comité national d’éthique du funéraire : Affirmer la nécessité d’une cérémonie ou d’une célébration pour accompagner les gestes techniques entraînés par le décès d’un être humain. Cet accompagnement cérémoniel peut être conçu comme une sorte de « recouvrement symbolique » de ces opérations qui est nécessaire pour ne pas laisser le corps là où la vie l’a quitté mais lui assurer une autre place. Ce recouvrement symbolique dit, simplement, que le corps physique a été le siège d’un être humain et qu’il ne peut donc être réduit à l’état d’une ordure ménagère ou d’un déchet hospitalier : à travers les gestes faits sur le corps et autour de lui se dit l’humanité de celui qui a été déclaré ‘défunt’ et de ceux qui l’entourent. Ainsi la cérémonie vise-t-elle à être un élément de réorganisation face à la perturbation introduite par la mort.
Quelques reperes deontologiques
19Le Comité d’Ethique tient à attirer l’attention sur quelques éléments qui peuvent contribuer à la qualité d’une cérémonie civile, en prenant appui sur des pratiques déjà en cours, autour des sociétés crématistes notamment, ou qui cherchent à se mettre en place dans les maisons ou les centres funéraires, les crématoriums ou des salles municipales, à partir de la demande des familles et, parfois, à partir de propositions venues des entreprises de services funéraires ou d’associations.
201. Le risque de ‘la stricte intimité’ : La célébration des funérailles est un souci majeur pour les familles et les proches. Mais, dans ce souci, est parfois passé sous silence le besoin ressenti par d’autres personnes de participer à ce geste de respect, de reconnaissance, de mémoire ou d’affection. Comment respecter ce besoin ?
212. Les dernières volontés du défunt : La loi française et la jurisprudence accordent une place privilégiée aux volontés que le défunt a exprimées avant sa mort ou a consignées par un écrit (découvert parfois seulement au moment du décès). Cette réglementation a pour but d’affirmer la supériorité de la volonté individuelle du défunt sur des impératifs qui seraient ceux d’institutions (religieuses ou non) ou du groupe familial. Cette législation reconnaît ainsi la valeur de la parole du sujet individuel.
22Cependant, l’attention portée sur les pratiques funéraires à travers les cultures anciennes ou actuelles révèle que la célébration est aussi l’affaire des vivants, celle des corps familiaux, sociaux et culturels auxquels le défunt a appartenu. Ils ont aussi leur mot à dire pour le déroulement des funérailles qui inclut généralement un hommage rendu aux défunts.
23Peut-on souhaiter, notamment à l’occasion de la rédaction des contrats obsèques, que la volonté exprimée par le futur défunt laisse une place à l’initiative des siens qui seront concernés par le décès ?
243. La préparation de la cérémonie : La culture occidentale est héritière de rituels pour les funérailles. La sensibilité moderne ne permet pas de reproduire tels quels ces rituels. Il ne serait pas souhaitable que les propositions qui se font jour reproduisent à leur tour des ‘modèles’ où tout est à prendre ou tout à laisser.
25Les propositions offertes pour préparer la cérémonie laissent place à des adaptations selon la personnalité du défunt et les circonstances dans lesquelles se déroulent les funérailles. Il y a place pour une ‘personnalisation’ des cérémonies.
26Cependant il est nécessaire de repérer que le déroulement d’un ‘service funèbre’ peut comporter des étapes : l’accueil des participants ; des évocations du défunt ; des propositions de réflexions sur la vie et la mort ; des gestes expressifs de l’émotion, des sentiments et des ’croyances’ des participants. Il y a place pour la parole (lectures, poésies...), il y a place pour la musique, pour le silence, il y a place pour des objets et des gestes évocateurs du défunt, des liens qu’il a tissés et ses choix.
274. Des acteurs : Dans les traditions religieuses comme dans celles d’associations philosophiques, il y a généralement un animateur central qui exerce une ‘présidence’ de la cérémonie. Cet acteur n’est généralement pas un membre de la famille ni un agent d’une entreprise de services funéraires. Qu’en est-il pour les cérémonies civiles ?
28La facilité serait de confier ce rôle de ‘président’ à un agent d’une entreprise de services funéraires. En l’absence d’un ‘officiant’, un tel agent peut intervenir. Mais cette facilité ne doit pas devenir une norme ; elle ne peut demeurer qu’une suppléance.
29Pourquoi ? Parce que cette facilité tend à professionnaliser cette cérémonie au risque de devenir un geste simplement commercial négocié seulement entre une famille et une entreprise. En faisant ainsi, il y a une occultation de la dimension sociale et publique d’une telle cérémonie. La place d’un agent de l’entreprise n’est-elle pas, plutôt, comparable à celle d’un régisseur ou d’un metteur en scène ? Ce n’est pas lui qui se met en scène. Il gère, mais il n’est pas ce point central qui maintient l’unité d’une cérémonie quel que soit le nombre des intervenants.
30Afin que soit évité le départ d’un corps vers le crématorium ou vers la sépulture sans une parole, sans un geste, sans une mise en assemblée de ceux qui doivent entrer dans le deuil, il serait souhaitable :
311 - soit que les services de crémation et d’inhumation trouvent des « animateurs de cérémonie »,
322 - soit que les municipalités, à l’image des anciennes confréries, cherchent à susciter un groupe associatif pour répondre aux nécessités et à la signification de cette animation.
335. Des lieux : La construction évoquée plus haut des centres funéraires s’est généralement accompagnée de la création d’un espace de cérémonie. Cet espace est bien aménagé, même si, parfois, sa dimension restreinte ne permet pas d’accueillir un public nombreux. Mais, quelquefois, le lieu retenu est le plein-air des allées du cimetière où il est difficile de constituer une assemblée, d’entendre les mots qui se disent ou les musiques proposées. Alors certaines communes acceptent de mettre à disposition une salle ‘polyvalente’ qui peut être adaptée à ce genre de rassemblement.
34Le Comité National d’Ethique du Funéraire souhaite que cette dernière perspective retienne l’attention des autorités municipales.
351. Pour aider la réflexion, on peut se reporter à la pratique des mariages à la mairie et des baptêmes républicains. Ces événements ne sont pas seulement un acte intra-familial présidé par un des membres des familles réunies ; ils ne sont pas, non plus, négociés entre le couple parental et l’organisateur de la réception. Doit intervenir un personnage qui a un rôle social et citoyen : le maire ou son adjoint.
362. Dans certaines associations d’accompagnement pour les cérémonies de funérailles, on peut observer que le meneur de la cérémonie (le président) n’est ni un membre de la famille ni un agent d’une entreprise. Certes, il intervient parce qu’il a une compétence pour conduire une cérémonie. Mais sa présence active exprime surtout que le défunt n’est pas seulement un « objet » au cœur d’une transaction. Il est un « sujet humain » lié à divers corps sociaux et reconnu dans son statut.
Notes
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Cérémonie / célébration :
L’usage courant nomme plutôt ‘cérémonie’ un geste dans lequel il n’y a pas de référence à un ‘au delà’ ou à une divinité à laquelle est confié le défunt, un geste qui peut prendre appui sur une tradition philosophique de sagesse ; le mot ‘célébration’ garde souvent une connotation religieuse.