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Article de revue

Euthanasie : il y a urgence à légiférer

Pages 17 à 22

1

«Qui va lire mon testament de vie s’il n’a pas de valeur légale?
Qui va m’écouter quand je ne pourrai plus exprimer ma volonté?»

2Le problème de l’euthanasie se pose en fait dans trois circonstances fort différentes:

3• La première est celle de parents devant prendre une décision dès la naissance d’un enfant mal formé ou très handicapé par des lésions cérébrales apparues avant ou lors de sa naissance.

4Les espoirs de vivre longtemps sont faibles, la mort par complications de toutes sortes est certaine d’ici quelques jours ou semaines ou alors ce sera la survie d’un être décérébré, assimilable au coma dépassé avec EEG plat ce que la loi considère actuellement comme la mort légale.

5Nous sommes dans un cas de figure peu fréquent; la décision d’arrêter la vie d’un enfant très jeune est prise en accord entre le médecin spécialiste néonatologue et les parents avec un délai de réflexion et d’appréciation du pronostic suffisamment long pour que la discussion se fasse dans une certaine tranquillité. L’absence de loi se fait cruellement sentir autant pour les parents que pour les médecins puisque la plupart du temps leur accord conjoint est à l’origine de la décision de ne pas poursuivre une vie invivable pour un sujet condamné à court terme ou décérébré. Ils tombent sous le coup de la loi, ce qui rend leur décision encore plus douloureuse. Il y a urgence à légiférer…

6• Le deuxième cas est celui du médecin réanimateur qui doit décider devant un malade qu’il n’a jamais connu conscient, dont l’état est extrêmement grave et le pronostic particulièrement sombre; le médecin n’a généralement que la parole de l’entourage et ne dispose pas de document écrit. Il est ainsi obligé par la loi de prolonger une vie, alors que cela risque d’induire des souffrances inutiles pour le patient et pour son entourage avec lequel il n’a plus d’échanges possibles. Dans ce cas, la possession et la lecture d’un testament de vie seraient d’un grand secours pour conforter une décision d’euthanasie (que l’on va nommer active) et l’équipe de réanimation pourrait interrompre la vie en suivant les recommandations du patient dont la parole serait présente dans la discussion entre les soignants et la famille. L’absence de reconnaissance de la déclaration de volonté oblige les réanimateurs à dissimuler leurs décisions, ce qui les rend suspects aux yeux de l’extérieur. N’ayant pas d’obligation de respecter la parole des malades, ils sont renvoyés à leur pouvoir de vie et de mort, et la défiance vis-à-vis d’eux s’accroît; puisqu’il n’y a pas de contrôle sur leurs interventions, ils sont, bien entendu, très soupçonnés d’abuser, de décider n’importe comment. Ce qui a lieu parfois dans certains services, où des euthanasies sont pratiquées, devant une crainte fantasmatique et l’installation de la peur d’être «liquidé avant l’heure» entretient le refus de la légalisation. C’est bien là que réside la perversité des opposants à une loi: pour garder le pouvoir de décider de la prolongation de la vie à tout prix, ils font croire que la reconnaissance de la volonté des malades ouvrirait la porte à tous les excès auxquels certains médecins seraient déjà enclins. Ils opposent leurs qualités «d’accompagnants» efficaces de la souffrance à la supposée intolérance des «manipulateurs» de seringues face à cette souffrance, … en oubliant ce que le malade exprime.

7La déclaration de volonté permettrait à tous les responsables de service de réanimation qui prennent en conscience leur décision d’être beaucoup plus à l’aise comme le sont les médecins qui prélèvent des organes quand ils ont la chance d’avoir un donneur qui s’est manifesté avant sa mort clinique. Il y a urgence à légiférer…

8• Le troisième cas est plus complexe et plus fréquent puisqu’il s’agit de malades, arrivant en fin de vie au terme d’une maladie évolutive péjorative, ayant manifesté leur désir de ne pas dépasser un stade indigne à leurs yeux. Quand ils continuent à demander la mort, quand l’échange est toujours possible, pourquoi leur refuser? Quand ils cessent de le demander, quel médecin aurait envie de les relancer? Et quand ils sont faibles, inconscients, arrivés là où ils ne se reconnaissent plus comme humains, pourquoi ne pas satisfaire leur demande? … Pour autant qu’elle ait été exprimée, rédigée et confirmée explicitement. La présence d’un mandataire les représentant serait une garantie supplémentaire du respect de leur volonté.

9Nombreux sont ceux qui ont accompagné un proche dans la maladie, la douleur, la déchéance, l’indignité puis la mort. Parmi eux beaucoup n’envisagent pas d’imposer aux leurs les mêmes souffrances; sans savoir ce que sera leur fin de vie, ils veulent épargner à leur entourage les dernières souffrances inutiles et souvent ne pas subir un jour la vue de la mort dans le regard de ceux qu’ils aiment. Tous ne veulent pas partir «droits dans leurs bottes», beaucoup savent qu’ils auront beaucoup à faire quand leur mort sera prévisible, ils sont prêts à l’assumer, à la préparer, à la vivre et parmi eux certaines tiennent à préserver leurs proches en décidant par avance de situer leur limite. Ils inscrivent leur départ dans leur vie, dans ce qu’ils en ont fait, parfois comme unique et dernier acte leur appartenant. Les accompagner dans cette démarche, c’est faire face à la mort, c’est l’intégrer dans la vie, c’est la leur restituer.

10Trop de malades sont seuls à affronter leur fin de vie; pour les soignants être présent c’est le minimum, écouter et entendre c’est bien mieux, répondre et dire la vérité c’est encore mieux, engager sa parole et le tenir, quelle que soit la demande du patient, c’est notre travail, certains diront notre vocation. Quand il s’agit d’euthanasie active, c’est notre engagement. Au nom de la solidarité il y a urgence à légiférer…

11Parler de sa mort en la maîtrisant, c’est se projeter activement dans l’avenir, c’est souvent une manière d’affronter sa maladie avec force. Pour le médecin commencer par être dans la vérité avec son patient, c’est aussi écouter ce qu’il envisage, ce qu’il comprend, ce qu’il craint, ce qu’il veut; cette relation de respect peut un jour être, rarement, une aide à mourir.

12Ci-joint une des dernières déclarations de volonté, qui m’a été remise et que je respecterai en cas de circonstances le justifiant.

13Rémi:

14

« Cette lettre s’adresse à tout représentant du corps médical pouvant être amené à me soigner en cas de maladie grave, d’accident ou d’hospitalisation me mettant hors d’état d’exprimer ma volonté.
Elle doit être considérée comme l’expression de cette volonté que je formule ici en toute lucidité, de crainte de ne pouvoir le faire le moment venu, en raison d’une détérioration de mes facultés psychiques et/ou intellectuelles, inhérente à la vieillesse, ou consécutive à une maladie, à un accident.
Dans le cas où cette déclaration serait telle que je n’aurais aucune chance de recouvrer à bref délai l’ensemble de ces facultés, je demande de façon expresse:
que l’on s’abstienne de tout acharnement thérapeutique pour prolonger abusivement ma vie,
que l’on use de tous les remèdes pour calmer mes douleurs, même dans le cas où les seuls remèdes restant efficaces risqueraient d’abréger ma vie,
qu’en dernier recours, on me procure une “mort douce” afin de mettre fin à une vie qui aurait perdu tout sens pour moi-même et pour les miens, m’évitant ainsi une agonie inutile, et une déchéance insupportable.
Dans l’état actuel de la législation française, j’ai conscience de poser là, aux représentants du corps médical un problème qui n’a pas encore reçu de solution juridique, contrairement à ce qui existe dans d’autres pays. Mais je ne veux pas d’une vie « au rabais », d’une vie dans laquelle toute conscience, toute intelligence, toute activité autonome, toute possibilité de communication auraient disparu. Et je fais confiance aux médecins et à leurs assistants pour qu’ils respectent avant tout ma propre volonté, pour qu’ils m’aident à préserver ma dignité.
Je les en remercie d’avance ».

Trajectoires vers la mort

15Émile : 93 ans, vieux célibataire, il n’a jamais loupé un jour de lire le Provençal qu’un anonyme vient lui déposer tous les matins près de son lit dans le service de soins palliatifs où il est en train de s’éteindre. Polyvasculaire, artéritique ayant fait plusieurs infarctus, il y a maintenant vingt ans qu’il vit à la maison de retraite où il s’est fait, en fait, sa première famille. Auparavant il était cantonnier, vivait dans une toute petite maison. Progressivement il mange de moins en moins, il maigrit sans vraiment s’affaiblir, il continue de faire les courses. Il a toujours dit qu’il voulait mourir dans sa chambre, à la maison de retraite, à côté de son vieux copain qui s’appelle Émile, comme lui. Il est rentré dans le service pour une énième surinfection pulmonaire et quand est arrivée l’heure de sa fin, confiant, il a demandé à revenir dans sa chambre. Bien qu’inadapté à la prise en charge de malades lourds, la maison de retraite a accepté sa fin de vie dans son lit et il s’est éteint, la Provence posée au pied de son lit – c’est le seul jour où il ne l’aura pas lu –. Son copain Émile n’a pas ouvert le journal ce jour-là non plus.

16Michèle : 50 ans atteinte d’une maladie de Charcot qui paralyse progressivement et très insidieusement. Michèle est une femme dynamique employée dans une administration, elle a deux garçons et s’est remariée il y a cinq ans, avec un homme qui a accepté le pronostic et de l’aider face à son handicap. Son employeur a mis à sa disposition des matériels et véhicules adaptés pour qu’elle puisse se déplacer et elle assure ainsi son travail sans l’usage de ses membres, avec seulement trois doigts pour diriger le fauteuil roulant. Elle a discuté longuement et précisément de ce qu’elle ne voulait pas accepter notamment la trachéotomie. C’est donc toute une équipe de collègues de travail, de soignants et sa famille qui vont l’accompagner jusqu’au bout, au moment où il faudra l’endormir pour qu’elle ne se voie pas asphyxier. Elle aussi décédera chez elle, comme elle l’avait prévu et malgré la tristesse devant notre impuissance et les dégâts de la SLA on peut dire qu’il s’agit quelque part d’une mort bien assumée, bien préparée.

17Roger : Cet homme est dépressif depuis longtemps, il n’a jamais eu de travail stable, son épouse alcoolique a été hospitalisée à plusieurs reprises et c’est lui qui a partiellement élevé ses deux enfants. L’un des deux s’est suicidé à vingt ans en se tirant dans la tête une balle du vieux fusil, héritage d’un grand-père. Roger ne s’en est jamais remis et à l’annonce de son cancer de la gorge, il semble presque soulagé qu’on s’occupe enfin de lui. Malheureusement il n’a pas les moyens d’une prise en charge à domicile, il n’a pas suffisamment de revenus ni de confort pour rester chez lui. Il va aller d’hôpitaux en maison de convalescence, de moyen séjour en centre de soins palliatifs, où l’on ne le garde pas puisqu’il ne meurt pas assez vite. Finalement son insuffisance de moyens financiers, son insuffisance d’insertion sociale, l’auront poursuivi jusqu’à la fin. La société n’a pas été capable pour lui de mettre en place une fin de vie à domicile comme il le souhaitait, car il avait un domicile, peu confortable mais dans un quartier où on le connaissait, où on l’appréciait.

18Georges : Agé de 60 ans George est porteur d’une très ancienne cirrhose d’origine mixte éthylique et virale qui maintenant évolue assez rapidement. Il a de l’eau dans le ventre ce qui justifie de multiples ponctions souvent émaillées de complications hémorragiques; récemment apparition d’une sténose urétrale sur une ancienne intervention de la prostate provoquant infection, rétention, et aggravation des décompensations de l’insuffisance hépatique. Très inquiet l’urologue a dressé un tableau très sombre de son avenir à son épouse, aux enfants et à lui-même. Il se retrouve donc très déprimé, la famille vivant tout cela dans une grande impuissance à la fois économique et intellectuelle. Pour ces gens simples il leur semble impossible d’envisager sa fin à domicile. Malgré tout ils acceptent une hospitalisation à domicile, mais paniquent à chaque alerte provoquant de multiples hospitalisations et allers-retours entre la clinique et la maison. Maîtrisant certainement mal son inquiétude et le niveau intellectuel du patient l’urologue a posé un collier urétral permettant de limiter l’incontinence urinaire créée par la dernière intervention. L’incapacité à l’utiliser a abouti à une sonde urinaire directement installée au-dessus du pubis. Une sonde, plus l’ascite, rien de très encourageant et surtout une famille incapable de le gérer. Entre les mains des spécialistes qui n’ont pas renvoyé le patient à son généraliste, ne l’ayant pas senti capable d’organiser son retour à domicile, il s’est trouvé confronté aux difficultés de trouver des aides à domicile. Il est décédé à l’hôpital, loin des siens et vivant tout comme un échec, y compris sa dernière tentative de demander à un médecin hospitalier de l’aider à en finir.

Une histoire originale mais pas exceptionnelle un cas de conscience exemplaire

19Pierre a 44 ans quand il arrive à l’Hôpital local: sa tumeur cérébrale est connue depuis 6 mois. Très évolutive, elle est d’emblée inopérable et le traitement par radiothérapie n’est guère efficace. Pierre a toujours affirmé à son entourage son désir de ne pas vivre comateux, «avec des tuyaux partout». Le service de neurologie puis de cancérologie ont respecté sa parole; il arrive donc avec des injections sous-cutanées de morphine toutes les 4 heures… et rien d’autre. Il sombre rapidement dans une demi-conscience, incapable d’absorber le moindre liquide; avec accord de son épouse, je pose une perfusion sous-cutanée pour qu’il ne meure pas de soif, bien que cela ne soit pas en accord avec sa première demande: «pas de tuyaux!»… La progression tumorale provoque bientôt des crises d’épilepsie de plus en plus rapprochées: le Valium déposé sur la langue est de moins en moins efficace. Le spectacle de ces longues crises est insupportable pour son épouse et sa fille de 17 ans qui sont auprès de lui plusieurs heures par jour. Elles rappellent souvent son souhait de ne pas mourir dépendant des techniques médicales; il n’avait évidemment pas prévu un coma aussi impressionnant et agité, elles demandent pour lui un geste d’euthanasie… Que personne n’est prêt à faire.

20Dans un tel cas, un testament de vie écrit et légalement reconnu aurait permis à celles qu’il aimait de le voir partir tranquille, comme il l’avait souhaité, et non d’assister aux crises comitiales longues et douloureuses qui l’ont finalement emporté.

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