Couverture de EP_085

Article de revue

Introduction

Pages 10 à 13

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1Près de vingt ans ont passé depuis la parution de notre numéro consacré au jeu (enfances&psy, n° 15, 2001/3). Dix-neuf années pendant lesquelles l’univers de jouet s’est trouvé bouleversé par l’arrivée du numérique et du virtuel.

2Ainsi, on a coutume d’entendre que « les enfants ne jouent plus ». Or, nous soutenons avec D.W. Winnicott (1971), qu’« il ne saurait y avoir de destruction complète de l’individu à vivre une vie créative ». Peut-être pourrait-on se risquer à dire que cette phrase concerne aussi une époque, une société donnée : ne voit-on pas, dans des situations extrêmes telles qu’une guerre ou un exil, subsister des formes créatives inouïes, preuves de la résistance de l’humain et de son aptitude à restaurer sa dignité ? La question que nous souhaitons plutôt nous poser avec vous au cours de ce numéro spécial, est : « Comment les enfants jouent-ils aujourd’hui ? » Se demander « comment » a toute son importance, puisque s’esquissent d’infinies variations, à la fois du côté de l’enfant, de celui de son entourage et du côté des professionnels qui le rencontrent. Que veut dire jouer en 2020 ? Qu’avons-nous appris sur le jeu durant ces vingt dernières années ? S’il existe de nouveaux supports de jeux, qu’apportent-ils ? Et en quoi peuvent-ils exhausser notre capacité de jouer avec l’enfant, avec l’adolescent ?

3Ce dossier interroge l’actualité du jeu, propose d’en considérer toute la vitalité, en ayant à cœur de mettre en avant le plaisir que jouer procure. Et pour commencer, intéressons-nous aux origines du jeu, tant aux plans développemental et psychologique qu’au plan historique.

4Bernard Golse interroge : les bébés savent-ils jouer ? La réponse est positive, les bébés jouent de différentes façons : auto-subjective, interactive et intrasubjective. Ce qui, dans une perspective intersubjective, pose la question de l’ontogenèse du sens de l’humour du côté de l’enfant, et renvoie aux problématiques de la malléabilité, de la narrativité et de l’altérité du côté de l’adulte.

5Sur un plan anthropologique et historique, Hélène Meyer Roudet, conservatrice du Musée du jouet de la ville de Poissy, et Michel Manson, historien du jeu, envisagent les multiples facettes du jeu au cours des siècles, des poupées antiques en terre cuite aux jouets interactifs électroniques d’aujourd’hui, en passant par les produits des différentes révolutions culturelles et industrielles qui se sont succédé aux xixe et xxe siècles. Ils mettent en évidence que les jeux et les jouets reflètent la société dans laquelle ils s’inscrivent, et par là même, l’aspect politique qu’ils revêtent. Ainsi, les jouets d’aujourd’hui offrent le reflet de notre société de consommation mondialisée.

6Pas de jeu sans cadre de jeu, sans terrain de jeu. Une seconde partie nous emmène explorer ces espaces. Terrains de jeux d’hier et d’aujourd’hui avec Jean-Louis Le Run qui, confrontant ses souvenirs de jeux d’enfant aux travaux contemporains des urbanistes et sociologues, livre une réflexion sur le jeu en plein air : son évolution depuis les années 1950 jusqu’à son confinement actuel dans des sites spécifiques, comme les squares et les aires de jeu.

7Cédric Guéraud nous fait entrer dans le monde de la ludothèque et, à partir d’une réflexion autour de la sélection des objets ludiques, des principes d’aménagement de l’espace et de la définition du rôle et de la place des professionnels, il tente de définir les conditions favorisant un jeu libre dans les projets éducatifs et pédagogiques.

8Mais tout a évolué avec le développement des jeux vidéo. L’article de Benoît Virole explore les potentialités des « terrains de jeux virtuels » qu’offrent les nouveaux supports numériques. À travers les actions d’un avatar évoluant dans un espace de vie virtuel, les enfants et les adolescents reçoivent un retour réflexif sur leurs propres capacités d’action et de pensée, mettant au travail un principe de réalité médiatisé par une représentation de soi.

9La troisième partie du numéro est consacrée au jeu en tant que médiation, au sein de psychothérapies individuelles mais aussi groupales. Nous traversons, avec les auteurs, les ressources et les écueils du jeu, dans une optique résolument clinique.

10Mélanie Georgelin aborde la difficulté de jouer, toujours à la période de latence, et elle l’envisage sous l’angle du narcissisme et de la haine, dans un environnement où l’enfant n’a pas pu former une capacité d’être seul (Winnicott). L’impossibilité d’être seul et de prendre plaisir à jouer grève le travail thérapeutique. Dès lors, le transfert s’engage en zone aride, et s’éprouve dans les empiètements et les ruptures du lien. Jeu et latence, jeu et solitude, jeu et narcissisme : comment faire levier à partir de ces dialectiques empêchées pour susciter le désir de travailler et de se rencontrer ?

11Julie Cohen-Salmon et Teresa Rebelo mettent en perspective les troubles des apprentissages, les agirs et la difficulté à jouer au moment de la période de latence. En psychothérapie, prendre plaisir à jouer est un horizon, horizon derrière lequel se cache le plaisir de pensée, dont la découverte est fondamentale pour l’enfant à cet âge, notamment car il forme le prélude des sublimations ultérieures. Le jeu ne se définit-il pas comme le plaisir de mettre en scène, par l’acte, les liens existant entre représentations sensorielles, représentations de choses et représentations de mots, c’est-à-dire comme « plaisir à penser » ?

12Blaise d’Harcourt et Clémentine Rappaport rendent compte d’un travail innovant au sein d’un centre hospitalier : la mise en place d’un « protocole féminicide » pour les enfants témoins de l’agression. À partir d’une observation clinique et d’une discussion portant sur le contenu des séances dans le post-trauma immédiat, les auteurs tentent de bâtir des hypothèses quant aux représentations psychiques de l’enfant dans cette période. Le jeu est alors envisagé comme médiation dans la prise en charge post-traumatique immédiate.

13Anthony Brault, musicothérapeute, nous fait participer à un groupe thérapeutique analytique utilisant le jeu musical comme médiation. Il fait l’hypothèse que la violence pulsionnelle peut être transformée en créativité, pour des adolescents en souffrance, du fait de l’effraction du pubertaire. Un travail sur les enveloppes sonores permet alors de sentir et d’élaborer ce qui a trait à la question des limites.

14Enfin, Carole Giacobi présente le jeu Dixit et en détaille les caractéristiques, afin de montrer en quoi il constitue une médiation pertinente auprès d’enfants et d’adolescents qui souffrent d’inhibition et de difficultés de verbalisation, et plus largement, de communication. Le jeu fonctionne alors comme un inducteur relationnel, et il permet l’accès à l’imaginaire et à la symbolisation chez chaque membre du groupe.

15La dernière partie du numéro porte sur les jeux vidéo, tant sur l’intérêt et les risques qu’ils peuvent présenter pour le développement des enfants que sur leur utilisation qui se développe comme médiation psychothérapeutique dans les espaces de soins.

16Laurent Bonnotte livre son regard de psychomotricien sur les jeux vidéo avec captation de mouvement (Mocap). Il souligne ce que ces jeux, qui tentent de reproduire les mouvements de la réalité, mais de façon très incomplète sur le plan sensori-moteur, peuvent apporter au niveau du développement de l’enfant, et les risques qu’ils comportent.

17Marion Haza témoigne d’un travail psychothérapeutique engagé avec un enfant d’âge latent à partir d’une médiation jeu vidéo : le jeu vidéo joue bien un rôle de support projectif et de médiation. En outre, l’immersion fictionnelle permet des régressions sensorielles et fait jouer les identifications pour aborder la problématique familiale de l’enfant et ses angoisses d’abandon. Les enjeux transféro-contre-transférentiels mobilisés dans les séances déterminent également la qualité du lien patient-clinicien qui se crée à travers le partage du jeu vidéo.

18Enfin, Guillaume Gillet nous propose de réfléchir sur l’utilisation thérapeutique du jeu vidéo des Sims au sein d’un groupe thérapeutique, en hôpital de jour. Il montre que celui-ci peut favoriser l’associativité entre adolescents et adultes, en s’appuyant sur des modalités de symbolisation plurielles, avant de mettre en évidence quelques propriétés spécifiques de ce jeu vidéo.

19Grâce à ce dossier consacré au jeu, nous espérons que s’ouvriront des pistes de réflexion, mobilisables dans la pratique de chaque professionnel. Nous gageons que le jeu sous toutes ses formes, y compris les plus récentes, est résolument d’actualité, à contre-courant d’un certain pessimisme ambiant. Le jeu permet toujours l’accès à l’imagination, le développement du langage, le travail introspectif quant à ses émotions et ses conflits. La relation entre l’enfant et ses pairs, entre l’enfant et l’adulte, entre l’enfant et son monde interne, étant l’élément-clé du mouvement de jouer, reste donc à valoriser au quotidien, en mobilisant chaque nouveau centre d’intérêt de l’enfant lui-même, en allant à sa rencontre sur son terrain de jeu.

20Nous terminons cette introduction sur une note poétique, avec l’écrivain Christian Bobin (2019) : « L’enfant qui joue est roi des cieux. » Roi d’un espace trouvé/créé qui l’accompagnera sa vie durant. Le jeu, qu’on se le dise, n’a pas dit son dernier mot !

Bibliographie

Bibliographie

  • Bobin, C. 2019. La Muraille de Chine, Castellare di Casinca, Éditions Lettres Vives.
  • Winnicott, D.W. 1971. Jeu et réalité. L’espace potentiel, Paris, nrf Gallimard.
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