Notes
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[1]
Cf. cde art. 5 sur les capacités évolutives de l’enfant.
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[2]
cde, og 4 et 15, Working methods du Comité onu pour les rapports périodiques concernant la santé (citées dans le Manuel d’application de la cde, 2002). Nous nous référons aux recommandations visant la santé en général, qui nous semblent valoir aussi pour la santé psychique, dans une certaine mesure.
Les droits de l’enfant
1 Au fil des siècles, notre manière de considérer l’enfant a évolué. L’enfant est reconnu comme sujet de droits dès la fin du xix e siècle avec les premiers codes civils en Europe, mais surtout au cours du xx e siècle, en particulier avec l’entrée en vigueur en 1989 de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant (cde). Les droits décrits dans cette convention couvrent les domaines de la prestation, de la protection et de la participation (les « 3 P ») : l’enfant n’est plus seulement vu comme le récipiendaire passif de protection et de prestations, il acquiert le droit de participer à toutes les questions qui le concernent. Par ailleurs, le Comité des droits de l’enfant à l’onu a érigé quatre des articles de la cde en principes généraux (Observation générale 20, 14) : la non-discrimination, l’intérêt supérieur de l’enfant, le droit à la vie et au développement, et le droit d’être entendu. Ce cadre légal exige que les États parties à la Convention ainsi que tous les professionnels œuvrant au contact d’enfants soient attentifs aux besoins dans tous les domaines de la vie des enfants, le domaine de la santé psychique ne faisant évidemment pas exception.
2 En matière de santé, la cde mentionne le droit de l’enfant de « jouir du meilleur état de santé possible et de bénéficier de services médicaux […] » (art. 24). Elle évoque principalement les aspects somatiques, n’abordant que très peu les aspects psychiques. Toutefois, le Comité onu recommande aux États parties de prévenir les maladies psychiques mais également de promouvoir la santé mentale des enfants et des adolescents (Observation générale (og) 4, 39 i).
3 Les champs de la santé psychique et des droits de l’enfant gagneraient à s’enrichir mutuellement. En effet, leurs préoccupations se rejoignent : il s’agit d’offrir un suivi adapté au patient, qui lui permette de se développer le plus harmonieusement possible. De précédentes études (par exemple Kapp et coll., 2017 ; Coyne et coll., 2015) ont mis en évidence que l’accès aux services de soins, la possibilité de prendre part aux décisions, de s’exprimer et d’être écouté, ainsi que l’ajustement aux besoins du patient sont des facteurs importants qui modifient la perception de la prise en charge par les patients. Or ces éléments rejoignent des notions de droits humains telles que les droits à la santé, à la participation, et l’intérêt supérieur de l’enfant comme considération primordiale. Nous proposons ici, dans une démarche interdisciplinaire, d’apporter un éclairage des droits de l’enfant au contexte des soins psychiques. Cette perspective fournit des pistes aptes à favoriser une meilleure prise en charge clinique : efficace, mais aussi respectueuse de l’enfant et soucieuse de son bien-être durant le traitement.
Droit à la santé, droits dans la santé
4 L’enfant, sujet de droits, doit pouvoir accéder aux services de soins, mais il convient aussi de s’assurer que les professionnels, dans leurs pratiques, respectent tous les autres droits. Or il existe peu de directives sur les bonnes pratiques à adopter pendant une consultation, sinon des recommandations générales : « Les États doivent offrir un environnement sûr aux enfants pour qu’ils puissent exercer leurs droits dans des conditions favorables et respectueuses de leurs besoins propres ; des procédures child-friendly, appropriées aux enfants » (Zermatten, 2009, p. 30), ces procédures intégrant la reconnaissance des droits des jeunes (Baltag, Mathieson, 2010).
L’adolescence, une période charnière
5 Si le terme « enfant », dans la cde, désigne toute personne âgée de moins de 18 ans (art. 1), il y a de grandes différences entre les enfants et les adolescents, des besoins différents aussi [11]. Selon le Comité onu, l’adolescence est une période où tant la vulnérabilité que les capacités sont accrues (og 20, 2.). En effet, si environ 20 % des adolescents souffrent de troubles psychiques (oms, 2005), l’adolescence est aussi marquée par une grande plasticité cérébrale (Johnston, 2009). Du point de vue des droits humains dans la santé, la particularité de l’adolescent réside notamment dans le fait qu’on lui accorde généralement la capacité de discernement, contrairement au jeune enfant (og 20, 39.).
Arrêt du suivi
6 L’arrêt prématuré du suivi thérapeutique (drop out dans la littérature anglo-saxonne) est un phénomène important chez les 15-24 ans (Edlund et coll., 2002). Or il peut impliquer un pronostic plus sombre que lorsqu’un terme est conclu entre thérapeute et patient (Abella, Manzano, 2000). Pour les thérapeutes et les patients, il révèle en général un échec de la prise en charge, et pour les droits de l’enfant, il peut signifier un échec de la réalisation du droit à la santé.
Contexte et buts de l’étude
7 Nous avons analysé les données d’une enquête de satisfaction réalisée entre juillet et août 2013 (Kapp et coll., 2017) auprès d’adolescents ayant arrêté leurs consultations ambulatoires dans un service de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent contre l’avis de leur thérapeute. En particulier, nous avons analysé les réponses aux questions ouvertes portant sur les motifs d’arrêt de suivi rapportés par les adolescents, et examiné si ces motifs faisaient écho à certains droits insuffisamment pris en compte. Dans un second temps, nous avons évalué l’impact de données sociodémographiques telles que l’âge et le genre sur la description du non-respect de certains droits.
Méthodes
Participants et procédures
8 Cette étude (pour les détails, voir Kapp et coll., 2017) concernait tous les jeunes ayant arrêté un suivi psychiatrique en 2012 contre l’avis du thérapeute, ainsi que leurs parents. Le service propose des prises en charge ambulatoires selon différents courants théoriques (majoritairement psychodynamique, mais aussi systémique et thérapie cognitivo-comportementale). Les thérapeutes sont essentiellement des psychologues/psychothérapeutes ou psychiatres/psychothérapeutes d’enfants et d’adolescents, formés ou en formation, et certaines consultations proposent un suivi par des assistants sociaux (voir Kapp et coll., 2017). Nous ne connaissons pas les troubles des participants, mais les données statistiques sur les motifs de consultation auto-rapportés indiquent en majeure partie des problèmes dans la famille, à l’école, et de comportements (ibid.). Pour notre recherche, nous avons pris en compte les réponses des 69 patients âgés de 12 ans révolus. Ces répondants sont âgés en moyenne de 16,7 années (écart-type = 2.2), la majorité étant des filles (65,2 %). La plupart sont issus de familles suisses (64 % des mères et 57 % des pères sont suisses), de niveau socio-économique moyen.
Mesures
9 Dans cette recherche nous nous sommes concentrés sur les questions ouvertes de l’enquête : Pour quelle(s) raison(s) le suivi a-t-il été arrêté ? Qu’est-ce qui pourrait être amélioré dans les prises en charge ? As-tu d’autres commentaires, questions ou suggestions à faire ?
10 Pour analyser ces données sous l’angle des droits de l’enfant, nous avons élaboré une grille répertoriant les droits importants dans la santé psychique, que nous avons choisis sur la base des textes internationaux de référence relatifs aux droits humains et aux droits de l’enfant pour la santé [22]. Quatorze droits ont été retenus. Pour compléter cette grille, nous avons intégré une catégorie ouverte « Autres » qui autorise des éléments complémentaires à ceux formulés dans les textes internationaux de droits et permet de reconnaître certaines spécificités de la santé psychique. Cette catégorie nous renseigne sur l’avis des adolescents au sujet des besoins qu’ils jugent prioritaires dans le cadre d’une consultation. Nous avons ainsi relevé trois besoins « autres », exprimés de manière récurrente. Ces besoins ont été ajoutés à la grille dans un deuxième temps pour être finalement considérés avec la même attention que les critères initiaux liés aux droits (tableau 1).
Tableau 1 : les droits de l’enfant importants dans la santé psychique
Tableau 1 : les droits de l’enfant importants dans la santé psychique
Procédure
11 Chaque réponse de chaque participant a été évaluée pour chacun de ces droits et besoins. Au moyen d’un codage, nous avons déterminé si le contenu des réponses faisait écho à l’un ou plusieurs des droits/besoins définis dans la grille (1 = la réponse dénote un manque de respect de ce droit ; 0 = la réponse n’implique pas un manque de respect de ce droit).
12 Ce codage a permis de calculer la fréquence d’apparition d’un droit de l’enfant mal respecté dans les réponses des adolescents, en tenant compte du genre et de l’âge.
Résultats
Fréquence des droits mal respectés
13 Les droits le plus fréquemment mentionnés comme étant mal respectés sont : le droit aux services de soins, le droit au développement, le droit d’exprimer son opinion, le droit d’être entendu, l’intérêt supérieur comme considération primordiale et le besoin d’avoir une relation de qualité avec le thérapeute (figure 1).
Figure 1 : les droits les moins bien respectés
Figure 1 : les droits les moins bien respectés
Caractéristiques sociodémographiques
14 Ces résultats sont nuancés par des particularités sociodémographiques.
15 Ainsi, les filles se montrent notablement plus sensibles que les garçons au droit au développement et à la santé, au besoin d’avoir une relation de qualité avec le thérapeute, au droit d’être entendu, au besoin d’être guidé, au droit à la dignité et au respect. Les garçons manifestent davantage leur mécontentement au sujet de l’intérêt supérieur non respecté (figure 2).
Figure 2 : les droits les moins bien respectés selon le genre
Figure 2 : les droits les moins bien respectés selon le genre
16 En outre, les adolescents plus âgés (plus de 16,5 ans (médiane), n = 32) sont globalement plus mécontents que les adolescents les plus jeunes (moins de 16,5 ans, n = 37). Ils le manifestent principalement pour le droit au développement et à la santé, l’intérêt supérieur, le droit d’être entendu, le besoin d’avoir une relation de qualité avec le thérapeute, le besoin d’être guidé, la prise en compte des capacités évolutives et le droit au respect et à la dignité (figure 3).
Figure 3 : les droits les moins bien respectés selon l’âge
Figure 3 : les droits les moins bien respectés selon l’âge
Discussion
17 En dehors des raisons qui ont entraîné un arrêt de suivi, nous souhaitions avoir une vue d’ensemble sur le respect des droits dans ces prises en charge interrompues. L’étude visait à connaître la fréquence d’apparition des droits mal respectés du point de vue des adolescents ayant arrêté leur suivi, ainsi qu’à identifier un éventuel impact des données sociodémographiques telles que le genre et l’âge. Les résultats mettent en évidence des droits et des groupes plus sensibles.
Les droits les plus sensibles
18 Six droits sont souvent mentionnés comme mal respectés et donc semblent liés à l’arrêt du suivi (plus de 10 % des adolescents) : le droit aux services de soins, le droit au développement et à la santé, le droit d’exprimer son opinion, le droit d’être entendu, l’intérêt supérieur comme considération primordiale et le besoin d’avoir une relation de qualité avec le thérapeute.
19 Le droit aux services de soins (organisation, disponibilité et souplesse de la structure de soins) est assez mal noté par les répondants. Ce résultat va dans le sens de la littérature, qui décrit l’organisation des services comme l’une des trois composantes influençant la satisfaction des adolescents (Biering, 2010). Or la satisfaction est liée à une plus grande compliance et influence l’utilisation future des services de santé (Fitzpatrick, 1993). Il convient donc d’accorder de l’attention aux suggestions des adolescents pour offrir de meilleures prestations.
20 Les mécontentements liés au droit au développement et à la santé concernent surtout l’efficacité du traitement, également l’une des composantes importantes de la satisfaction quant aux soins psychiques délivrés aux adolescents (Biering, 2010). Bien sûr, il est difficile de garantir le succès thérapeutique, particulièrement dans les soins psychiques qui requièrent souvent du temps. Cependant, cela doit nous questionner sur les moyens de mise en œuvre du droit à la santé pour les adolescents. Le Comité onu souligne qu’enfants et adultes n’ont pas la même perception de la durée (og 14, 93.). Un court laps de temps semblera long à un adolescent qui ne voit pas de changement dans sa situation de souffrance. Lui proposer dès le début une perspective de changement peut l’aider à investir la relation thérapeutique et à mener un travail plus approfondi sur un long terme.
21 Le droit d’exprimer son opinion gagnerait certainement, pour être mieux respecté, à être davantage instauré. Todres et Diaz (2017) indiquent qu’il est important d’autonomiser les jeunes, de les aider à exercer leurs droits et à développer et exprimer leurs opinions. À un niveau plus large, il faut noter que l’enquête de satisfaction est un premier pas vers le respect du droit de s’exprimer, en accord avec une recommandation du Comité onu, à savoir « que des évaluations de la qualité des soins dispensés par les établissements de soins soient effectuées régulièrement » (og 15, vi e 2 d, e). Une telle démarche permet aux adolescents de participer à l’amélioration des prises en charge, et doit impérativement se poursuivre.
22 Concernant le droit d’être entendu, le sentiment de ne pas être suffisamment ou correctement entendu est également rapporté comme un motif d’arrêt. Cela peut s’expliquer par le caractère particulier de l’écoute dans le cadre thérapeutique qui vise à soigner, aider à comprendre, plus que recueillir un avis. Les participants se sentent bien écoutés par le thérapeute, mais parfois leur avis n’est pas pris en compte dans les choix de traitement, ou ils estiment ne pas être correctement compris. Dans l’esprit du droit d’être entendu selon l’article 12 de la cde, il convient de tenir compte des souhaits de l’enfant – sans toutefois les satisfaire aveuglément car la responsabilité finale revient à l’adulte (Todres, Diaz, 2017). Quelles que soient la capacité de discernement et les difficultés psychiques de l’enfant (peut-être anosognosique), il est primordial de prendre en compte son opinion pour établir de bonnes pratiques de soins (Zermatten, 2009). Les soignants et les politiques de la santé ont la responsabilité d’impliquer les enfants. Une telle attitude nous semble apte à favoriser l’écoute et le succès thérapeutiques, notamment en montrant au patient qu’il est partie prenante de sa guérison (Marcelli, 2002).
23 Si l’adolescent ne s’estime pas entendu, il existe un risque d’arrêt de suivi comme ultime moyen d’expression du jeune. En effet, arrêter un suivi malgré les conseils d’un thérapeute n’offre-t-il pas précisément à l’adolescent la possibilité de se faire entendre ? Dans un contexte où les thérapeutes (et les parents, qui ont leur mot à dire dans la poursuite de la prise en charge) détiennent tout le savoir et beaucoup de pouvoir, l’arrêt du suivi peut être une manière pour l’adolescent de reprendre du pouvoir, et de ne plus être patient au sens étymologique du terme, c’est-à‑dire passif, « supportant » un traitement, mais agissant. Cela peut être pour lui une manière de passer à l’acte lorsque la parole ne fait pas sens, lorsqu’il ne parvient pas à se faire entendre.
24 L’intérêt supérieur comme considération primordiale est difficile à circonscrire. Le Comité onu (og 14) se réfère à un concept dynamique nécessitant une évaluation adaptée au contexte spécifique selon les circonstances et les besoins des intéressés. Il vise à assurer tant la réalisation complète et effective de tous les droits que le développement global de l’enfant (og 14, 4). Il n’est donc pas soumis à la seule appréciation de l’adulte : il doit se définir aussi par un respect général des droits et par la prise en compte du point de vue de l’enfant concerné (respect du droit d’être entendu). Dans les soins psychiques, il semble que l’individualisation de la prise en charge soit le meilleur garant de l’intérêt supérieur de l’enfant. Ce qui est apprécié par l’adolescent, c’est le fait qu’on s’ajuste à ses besoins (rythme et type de traitement, demandes concernant le thérapeute souhaité, degré de motivation). Nous avons constaté dans les réponses des participants que le manque d’attention à ces notions, sans être alarmant, était récurrent.
25 Si l’intérêt supérieur est une notion complexe, il devrait tout de même intéresser les professionnels, car il offre des pistes pour une pratique respectueuse de l’adolescent. Par exemple, l’approche des capabilités proposée par Amartya Sen (Bonvin, Farvaque, 2008) est définie comme la possibilité réelle pour un individu de convertir des ressources en opportunités de choix, c’est-à‑dire de faire ce qu’il valorise et de concrétiser ses droits. Cette approche souligne que le choix augmente potentiellement le bien-être individuel (ibid.) et considère le développement comme un « processus d’expansion des libertés réelles dont jouissent les individus » (ibid., p. 65). Transposée à la santé psychique, cette approche nous oriente vers une psychiatrie participative qui inclut l’enfant dans ses décisions, afin qu’il puisse trouver son intérêt. Ce n’est qu’en considérant l’enfant comme sujet de droits que celui-ci pourra réellement user de ses droits et aider les soignants à définir avec le plus de précision son intérêt supérieur.
26 Enfin, le besoin d’une relation de qualité avec le thérapeute est également souvent perçu comme mal respecté, ce qui va dans le sens de précédents résultats observés à travers l’étude plus large (Kapp et coll., 2017). Abella et Manzano (2000) suggéraient aussi que, chez les enfants et les adolescents, la relation avec le thérapeute est un facteur d’arrêt de suivi. De même, Biering (2010) a montré que cette relation est l’une des trois composantes influençant la satisfaction des adolescents. Todres et Diaz (2017) suggèrent que le personnel de santé soit formé sur la manière d’interagir avec les adolescents, afin que ces derniers se sentent bien accueillis, encouragés à s’ouvrir sur leur santé et enclins à revenir.
27 Ces différentes remarques font entrer en résonance les concepts de la psychologie, de la psychiatrie d’enfants et d’adolescents et des droits de l’enfant, même si les termes utilisés sont parfois différents. Lorsque les droits de l’enfant soulignent l’importance de la participation de l’enfant sujet de droits – l’un des « 3 P » (prestation, protection, participation) –, la psychologie et la psychiatrie d’enfants et d’adolescents mettent en avant l’écoute comme outil thérapeutique et la capacité à agir des personnes prises en charge. Là où la psychologie et la psychiatrie d’enfants et d’adolescents se fondent sur la parole et s’intéressent aux besoins particuliers de chaque patient, les droits de l’enfant s’appuient sur des principes tels que le droit d’exprimer son opinion et l’intérêt supérieur (deux des quatre principes généraux de la cde). Ainsi, si les angles disciplinaires sont différents et riches de leurs connaissances respectives, les visées sont connexes : favoriser le bien-être du jeune patient, en lui permettant d’être acteur dans les décisions qui le concernent.
Les groupes les plus sensibles
28 Il semble que les filles et les adolescents plus âgés soient plus sensibles au respect de certains droits. Du moins, ils expriment de manière plus marquée leur mécontentement. Concernant les six droits évoqués, les filles arrêtent plus souvent le suivi lorsque le droit au développement, le droit d’être entendu ou le besoin d’une relation de qualité avec le thérapeute ne leur semblent pas bien respectés. Quant aux adolescents plus âgés, ils se montrent moins satisfaits que les plus jeunes pour quatre des six droits sensibles : droit au développement et à la santé, intérêt supérieur, droit d’être entendu, besoin d’avoir une relation de qualité avec le thérapeute. Alors que les résultats dévoilant les droits les plus sensibles valent sans doute aussi pour les enfants en général, nous avons ici un indice d’une particularité adolescente : le fait d’être plus âgé correspondrait à une plus grande exigence vis-à‑vis de certains droits mais peut-être également une plus grande capacité de discernement.
29 Il est difficile de savoir si ces groupes sont plus sensibles à ces droits, s’ils ont tout simplement plus de facilité à l’exprimer ou si les soignants se comportent différemment envers les patients selon le genre ou l’âge. Il convient toutefois de prêter une attention soutenue à ces deux groupes : filles et adolescents plus âgés.
Un outil pour la clinique
30 Si les professionnels sont bien au fait des particularités psychosociales et développementales ainsi que des besoins de l’adolescence, ils sont peut-être moins renseignés sur le champ des droits de l’enfant. Or l’attention aux droits de l’enfant en général, et à certains droits en particulier, pourrait constituer pour eux un outil précieux. La cde offre en effet un cadre qui peut guider les professionnels de la santé (Todres, Diaz, 2017). Même si les soignants ne sont pas toujours responsables d’un sentiment de manque de respect chez les patients, dans certaines situations ils pourraient être bien placés pour y remédier, ou du moins favoriser un meilleur exercice de ces droits. En ce sens, l’application des droits doit aller plus loin que le simple respect. Comme le soulignent Kilkelly et Savage (2013), les professionnels sont les instruments de la protection des droits de l’enfant, et c’est aussi à eux de les promouvoir et de les instaurer. Il est important que les structures et les professionnels créent les conditions nécessaires à la jouissance réelle des droits humains, afin de permettre aux adolescents de devenir véritablement des sujets de droits : c’est ainsi que les prises en charge pourront devenir child-friendly. Ainsi que le relèvent Todres et Diaz (2017), l’instauration des droits de l’enfant renforce le bien-être de l’enfant.
31 Notons que la réciproque est aussi vraie : les connaissances en psychiatrie d’enfants et d’adolescents font ressortir des besoins cruciaux chez les adolescents, riches d’enseignement pour le champ des droits de l’enfant, dans lequel les aspects psychiques de la santé demeurent moins approfondis que les aspects somatiques. Cet enrichissement mutuel, propre à l’approche interdisciplinaire, est prometteur pour mener des réflexions plus larges et bénéficier aux patients.
Limites
32 Les résultats de notre étude doivent être considérés avec précaution : ils concernent un contexte précis, avec un nombre restreint de participants, et ne sont pas forcément généralisables. Le grand nombre de droits explorés a fourni une abondance d’informations qui présente une réalité complexe, et nos réflexions prétendent dessiner des tendances plus qu’affirmer des certitudes. Par ailleurs, les résultats concernant les caractéristiques sociodémographiques permettent seulement de faire quelques observations, fondées sur les pourcentages les plus élevés et les écarts les plus importants, car le nombre de répondants est peu élevé lorsqu’on les sépare en groupes. Enfin, cette étude ne prend pas en compte tous les facteurs d’influence qui rendent les prises en charge différentes les unes des autres : durée, modalités de départ, types de troubles, spécificité de chaque situation individuelle et familiale. Elle permet cependant de repérer les droits et besoins importants aux yeux des adolescents, et offre des pistes de réflexion. Elle vise surtout à montrer l’importance de connaître les droits de l’enfant dans la pratique.
Conclusions
33 Certains mécontentements liés à l’arrêt de suivi ambulatoire s’apparentent à des droits qui auraient pu être mieux respectés. Par ailleurs, les filles et les adolescents plus âgés manifestent plus souvent des mécontentements témoignant d’un manque de respect des droits. Cette vue d’ensemble invite le monde de la santé psychique à être attentif aux droits de l’enfant en général, et à certains droits en particulier. Outre l’efficacité des traitements (droit au développement et à la santé) et l’accès à des prestations de qualité (droit aux services de soins), la possibilité de participer aux décisions (droit d’exprimer son opinion et droit d’être entendu) revêt une grande importance pour le jeune patient. De même, une individualisation de la prise en charge, qui met le patient au centre et s’ajuste à ses besoins particuliers (respect de l’intérêt supérieur), est largement appréciée et revendiquée. Enfin, la relation de confiance avec le thérapeute est peut-être encore plus indispensable que dans les soins somatiques. Ce sont autant de paramètres importants pour rendre les soins child-friendly.
34 D’une manière générale, les résultats de cette étude nous portent à croire qu’une démarche participative, dans l’organisation des services comme dans les prises en charge, pourrait améliorer les soins en psychiatrie d’enfants et d’adolescents. Le travail avec les adolescents nécessite en effet une écoute, une adaptation et une réflexion éthique de chaque instant, visant le respect des droits. Le partage des savoirs entre les deux champs disciplinaires pourrait renforcer les compétences des uns et des autres pour mieux atteindre leur but commun : le bien-être de l’enfant. Le champ des droits de l’enfant gagnerait certainement à s’intéresser aux particularités du domaine de la santé psychique, qui cristallise plusieurs aspects essentiels des besoins en général des enfants et adolescents. De même, la connaissance des droits de l’enfant peut constituer un outil pour les professionnels des soins psychiques, utile dans des décisions délicates. Nous osons croire que l’attention aux droits de l’enfant pourrait les aider dans ce métier, pas facile, de soigner. Nous sommes convaincus qu’elle pourrait aider les enfants et les adolescents dans leur métier à eux, pas forcément plus facile : celui de grandir.
Bibliographie
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- Biering, P. 2010. « Child and adolescent experience of and satisfaction with psychiatric care : A critical review of the research literature », Journal of Psychiatric and Mental Health Nursing, 17 (1), p. 65-72.
- Bonvin, J.M. ; Farvaque, N. 2008. Amartya Sen : une politique de la liberté, Paris, Michalon.
- Coyne, I. ; McNamara, N. ; Healy, M. et coll. 2015. « Adolescents’ and parents’ views of child and adolescent mental health services (camhs in Ireland », Journal of psychiatric and mental health nursing, 22 (8), p. 561-569.
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- Kapp, C. ; Perlini, T. Jeanneret, T. et coll. 2017. « Identifying the determinants of perceived quality in outpatient child and adolescent mental health services from the perspectives of parents and patients », European Child & Adolescent Psychiatry, p. 1-9.
- Kilkelly, U. ; Savage, E. 2013. Child-friendly healthcare: A report commissioned by the ombudsman for children.
- Marcelli, D. 2002. « La spécificité de la psychiatrie de l’adolescent », Bulletin de l’Académie nationale de médecine, 186 (4), p. 759-778.
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- Unicef. 2002. Manuel d’application de la Convention relative aux droits de l’enfant, Publications des Nations Unies, Bureau régional pour l’Europe, Atar Roto Presse, Genève, 42. (Ouvrage original publié en 2002 sous le titre : Implementation Handbook for the Convention on the Rights of the Child – 1re édition juillet 1999 – édition entièrement révisée 2002).
- Zermatten, J. 2009. « Le droit de l’enfant d’exprimer son opinion et d’être entendu (art. 12 cde) », Le droit des enfants de participer. Norme juridique et réalité pratique : contribution à un nouveau contrat social, Sion, iukb/ide, p. 13-44.
Notes
-
[1]
Cf. cde art. 5 sur les capacités évolutives de l’enfant.
-
[2]
cde, og 4 et 15, Working methods du Comité onu pour les rapports périodiques concernant la santé (citées dans le Manuel d’application de la cde, 2002). Nous nous référons aux recommandations visant la santé en général, qui nous semblent valoir aussi pour la santé psychique, dans une certaine mesure.