Notes
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[1]
Avant même d’arriver à la maison puisqu’une tablette est parfois « offerte » par la maternité aux mamans qui viennent d’accoucher avec des programmes supposés éducatifs mais sans aucune information sur les risques que nous dénonçons ici !
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[2]
Ce n’est pas l’album en lui-même qui exerce cette fonction, mais la présence de l’adulte à côté de l’enfant qui commente les images, raconte l’histoire tout en laissant à l’enfant le temps de sa rêverie. D’ailleurs, quand les albums sont simplement donnés au tout-petit, il n’en fait pas grand usage, les déchire souvent, les éparpille dans la chambre et marche dessus…
1 La nocivité relative des écrans pour les enfants n’est pas une nouveauté. Elle a été signalée dès 2011 par l’Association française de pédiatrie ambulatoire (afpa), par l’Académie américaine de pédiatrie à plusieurs reprises (en 2016 dernièrement) et par bien d’autres (Harlé, Desmurget, 2012). Plusieurs recherches, telle celle de Linda Pagani débutée dès 1998, encore poursuivie à ce jour, souvent citée, ont montré les effets inquiétants d’une exposition importante à la télévision pour l’enfant comme pour l’adolescent (capacités d’attention, scolarité, relations sociales, etc.) (Pagani et coll., 2010 ; Simonati et coll., 2018). En France, Serge Tisseron a signalé régulièrement le danger des écrans (campagne 3-6-9-12). L’Académie des sciences a publié en 2013 un « avis » (Bach et coll., 2013) signalant l’intérêt mais aussi le danger des écrans ; cet avis est cependant peu documenté sur les « tout-petits » reprenant pour l’essentiel les propos de l’auteur précédent. Concernant plus spécifiquement les jeunes enfants le rythme des publications semble s’accélérer et, fait notable, concerner de nombreux pays, la Chine (Xiaoyan et coll., 2017), la Roumanie (Zamfir, 2018), l’Allemagne (Poulain et coll., 2018), la Thaïlande (Chonchaiya, 2011), les États-Unis (Kabali et coll., 2018), etc. Cette énumération n’est évidemment pas exhaustive et son seul intérêt est de montrer que cette préoccupation commence à envahir tous les pays du monde…
2 Ainsi, depuis un petit nombre d’années, tous les professionnels pas seulement médecins, pédiatres ou pédopsychiatres, mais aussi psychologues, orthophonistes, infirmiers, puéricultrices, enseignants de maternelle, personnels de crèche ou de halte-garderie, tous constatent l’apparition de comportements inquiétants avec une fréquence croissante chez les « tout-petits » entre 6/8 mois et 3/4 ans.
Description clinique du syndrome « Exposition précoce et excessive aux écrans » (epee)
3 Ce « tableau clinique » associe principalement trois ordres de troubles concernant les domaines de l’attention/concentration, du langage, de la relation aux autres. De façon plus détaillée, on peut décrire un ensemble de symptômes comprenant, selon l’âge (Bossière, 2017) :
4 – 1/ un retard de communication et de langage qui devient patent vers 18/30 mois mais qui est souvent précédé d’une réduction du nombre de mots prononcés, de l’apparition d’un pseudo-langage (répétition en écho de mots anglais, de chiffes…) ou d’une prosodie particulière, mécanique ;
5 – 2/ un centrage d’intérêt de plus en plus exclusif à la maison sur les écrans ;
6 – 3/ en dehors des écrans, une absence de recherche d’interaction avec le parent, contrairement à ce qui est habituel à cet âge, ce désintérêt pouvant aller jusqu’à un refus de la relation avec détournement du visage ;
7 – 4/ une absence d’intérêt pour les jeux correspondant à l’âge, en particulier les jeux de construction ou de « faire semblant » ;
8 – 5/ des activités spontanées pauvres et répétitives : alignement de petites voitures, objets passés devant les yeux ;
9 – 6/ pour les plus âgés, une difficulté de contact avec les autres enfants ;
10 – 7/ des comportements d’allure agressive : objets, jouets jetés à travers la pièce, feuilles déchirées ;
11 – 8/ une agitation et une instabilité d’attention constante ;
12 – 9/ une maladresse dans l’exploration fine, dans les jeux d’encastrement, les puzzles, devenant évidente vers 18/20 mois.
13 Chaque enfant ne « collectionne » pas tous ces symptômes mais peu s’en faut… La vidéo postée sur YouTube par l’un d’entre nous (A.-L. Ducanda) (le 1er mars 2017) illustre bien ces manifestations symptomatiques retrouvées par de nombreux autres cliniciens.
Vignette clinique 1
14 Yaël, 11 mois et demi : début de l’exposition à 6 mois, arrêt à 11 mois et demi.
15 Yaël est âgé de 6 mois lorsque sa maman décide de reprendre des cours et de travailler à la maison. Jusque-là tout s’est bien passé, grossesse, accouchement et premiers mois, sans problème : Yaël était un bébé vif, réactif, souriant en réponse, gazouillant, attrapant les objets qu’on lui tendait, répondant à son prénom, regardant bien dans les yeux… La maman installe un programme pour tout-petit et « offre » à Yaël son dessin animé préféré (Pocoyo, chaîne Netflix). Ils sortent peu (c’est l’hiver !) et Yanis passe beaucoup de temps devant l’écran, six heures par jour. Il sourit parfois devant les scènes vidéo mais cesse d’utiliser ses jouets, réagit peu à la présence de sa mère, ne cherche pas à attirer son regard. À 11 mois, lors d’une journée avec ses grands-parents, ceux-ci expriment leur inquiétude : Yaël ne joue pas, est fortement attiré par la télévision, ne réagit pas… Informés alors des risques de l’exposition aux écrans, les parents décident d’arrêter complètement celle-ci quand Yaël est âgé de 11 mois et demi. L’exposition intensive a duré cinq mois et demi, soit, à l’âge de Yaël, la moitié de sa vie ! Très rapidement, le comportement de Yaël se modifie : il regarde mieux dans les yeux, redécouvre ses jouets, fait bravo en imitant l’adulte mais traverse une période de refus de contact avec sa mère pendant quelques jours puis reprend plaisir à l’interaction : il joue avec elle en face à face, aime les chatouilles, croise bien le regard, est intéressé par la nature et les bruits de la nature quand ils sortent ensemble… Le développement semble avoir repris son cours…
16 Si ces observations concernent toutes les couches de la population sans exception, pas seulement les familles très « branchées », elles sont aussi fréquentes dans les populations fragilisées et vulnérables, en situation de grande précarité. Très souvent, un écran est donné aux enfants très jeunes avec l’espoir que cela stimulera son développement, facilitera ses apprentissages ou son intégration dans la langue et la culture françaises… Nous ne nous étendrons pas sur ce point, mais il est hélas fondamental car les populations vulnérables sont en général les plus exposées à ce type de risque. Notons que dans les populations dites « favorisées » bien au fait des connaissances actuelles, le danger de l’exposition aux écrans est mieux repéré… Ce sont donc souvent les enfants des populations les plus à risque qui « payent le prix » de cette surexposition, même si ces populations fragilisées n’en ont pas l’exclusivité !
17 Cet impact sur les « tout-petits » est assez récent car l’envahissement de la vie quotidienne par les divers écrans a commencé vers 2007-2008 et son retentissement sur les tout-petits remonte aux années 2012-2013. En effet, il convient de reconnaître que l’exposition aux écrans chez les tout-petits (moins de 3/4 ans : il ne sera question ici que de cette tranche d’âge) est un phénomène nouveau et que cette exposition s’est rapidement et massivement amplifiée du fait de la multiplication des écrans (ordinateur, télévision), mais surtout de celle des écrans nomades que, par définition, on emporte en permanence partout (smartphone, tablette, petite console de jeux). Ils sont proposés aux enfants dès le plus jeune âge puis régulièrement prêtés par les parents ou les frères et sœurs aînés. À tout moment dans la vie quotidienne, pour jouer avec certes, mais aussi dans les magasins, les salles d’attente, la voiture, les transports et même lors du repas ou de l’endormissement, l’écran est devant les yeux du tout-petit au point que, pour certains, il devient un « compagnon de vie » quasi permanent… Le temps passé à regarder un écran peut vite devenir considérable et représenter une part non négligeable du temps d’éveil de ces très jeunes enfants ! Devant ces écrans, tous les enfants sans exception sont hypnotisés, ne bougeant plus, ne réclamant plus, ne protestant plus. On peut dire que, devant son écran, le petit enfant semble littéralement « retiré du monde ». Il l’est de deux façons : active, il se retire lui-même du monde ; passive, il est « retiré du monde » par le pouvoir captateur de l’écran. Regardons un petit enfant (9/12 mois) avec une tablette devant lui : son corps est immobile, ses yeux grands ouverts et le bas de son visage le plus souvent inexpressif, voire figé ! Devant son écran, il devient soudain « sage comme une image » mais précisément les enfants ne sont pas des images !
L’écran, une privation de l’exploration du monde et des interactions synchronisées
18 Entre 6/8 mois et 3/4 ans, c’est particulièrement grave car cette tranche d’âge correspond à la période d’émergence de la capacité d’attention et au développement des interactions synchronisées avec le partenaire relationnel principal, entravant globalement le processus d’attachement. Elle inclut également la phase dite de « référence sociale » pendant laquelle l’enfant a un impérieux besoin de comprendre le monde en s’appuyant sur un proche (son parent le plus souvent) qui lui en donne la clé de compréhension au travers d’une interaction où l’un et l’autre « s’accordent » mutuellement. Un petit enfant ne peut pas comprendre le monde tout seul…
19 Une évidence doit être rappelée : tous ces écrans exercent une puissante attractivité qui entraîne une captation/fascination du regard chez le tout-petit qui semble hypnotisé. D’où vient ce pouvoir hypnotique des écrans ? Cette captation s’explique aisément par le fait que, dès la naissance, l’œil est attiré par le mouvement : tout ce qui bouge est un attracteur puissant de la vision. Or les vidéos programmées pour les enfants « offrent » un mouvement permanent. Il n’y a quasiment jamais d’image fixe : ça gesticule en permanence ! Chez les plus petits (entre 6 et 18 mois), cette captation/fascination s’effectue au détriment de l’exploration manuelle, sensorielle, sensuelle, buccale si importante à cet âge pour mieux appréhender les objets du monde. C’est de cela dont ils sont en grande partie privés. Ensuite, la même surexposition ampute le besoin vital d’interaction avec les proches. Elle rompt l’échange parent-enfant dont la caractéristique principale est une remarquable synchronie relationnelle, comme on peut l’observer dans les phases d’attention partagée en face à face (entre 2/3 mois et 4/5 mois) puis d’attention conjointe sur un objet tiers (entre 5/6 mois et 8/10 mois) bien décrite par les scientifiques (Marcelli, 2015). Cette fenêtre développementale, la période dite de référence sociale, est essentielle à l’enfant pour qu’il comprenne « le sens du monde » dans un climat d’interaction partagée. L’écran vient perturber ce besoin. Le drame est que cette « désynchronisation interactive » existe dans les deux sens !
20 D’abord chez l’enfant devant son écran où les mouvements plus ou moins rapides de l’image ne sont évidemment pas synchronisés avec les expressions mimiques, les ressentis émotionnels et affectifs de l’enfant au sein d’un « bavardage » dont la tonalité apparaît souvent soûlante. Ce bavardage n’a rien à voir avec les paroles de l’adulte qui, elles, sont en accordage avec l’état émotionnel du petit. Il se produit une véritable désynchronisation prosodique qui rompt « la ligne mélodique » synchronique mère/enfant sur laquelle le langage de ce dernier peut s’appuyer d’abord, prendre sens ensuite… On ne s’étonnera pas que devant l’écran le petit enfant soit silencieux ou que son « langage » se limite parfois à des répétitions d’allure écholalique de ce qu’il a entendu. Certes les ruptures d’accordage entre mère et jeune enfant surviennent de temps à autre dans la « vraie vie » comme nous l’a montré D. Stern, mais quand elles se produisent, elles suscitent souvent chez l’adulte un mouvement (qui n’est pas conscient) de reprise interactive afin que la « ligne mélodique » de l’interaction puisse se poursuivre, ligne mélodique mimique, tonique, prosodique et langagière qui donne cet aspect si vivant et si joyeux à la relation entre un petit enfant et un adulte. C’est cette ligne mélodique qui n’existe pas devant un écran et dont il est privé dans cette phase développementale interactive.
21 Mais cette privation se produit aussi dans l’autre sens, du parent vers l’enfant. En effet, de plus en plus, les jeunes parents, trentenaires, qui, désormais, ont été élevés avec ces écrans, sont eux aussi accaparés par leurs écrans, smartphone, tablette, ordinateur, etc. Ces écrans provoquent sur l’adulte la même captation d’attention et entravent sa disponibilité interactive (voir le paragraphe suivant). Ils ne répondent pas aux sollicitations du petit enfant, dans l’espace social (transports en commun) comme à la maison [1]. Nous avons, à plusieurs reprises, pu observer cette séquence : un petit enfant, 12/18 mois (en particulier dans cette phase développementale du pointage déclaratif [voir ci-après]) cherche à attirer l’attention de l’adulte parce qu’il y a quelque chose d’intéressant à proximité, l’adulte occupé par son écran ne répond pas, l’enfant insiste à deux/trois reprises puis finit par renoncer… et devenir indifférent. Les écrans entravent régulièrement et sur des temps de plus en plus importants la disponibilité interactive de l’adulte. La boucle est bouclée lorsque l’adulte peut regarder tranquillement son écran tandis que le petit enfant est lui aussi « tranquille » devant son propre écran, ne sollicite plus l’adulte, ne lui demande plus rien ! Deux isolements parallèles ! L’exposition aux écrans réalise ainsi une véritable privation interactive à l’âge où les enfants ont un besoin vital de ces interactions. Cette désynchronisation interactive a crû de façon exponentielle depuis quelques années avec la multiplication des écrans. Ses effets doivent être différenciés de la carence affective ou de soin qui ne donne pas exactement les mêmes symptômes et n’entrave pas le développement de la même façon…
Hypothèses neuro-psycho-développementales
22 La particularité de ce syndrome epee est d’entraver simultanément deux lignées neuropsychologiques qui se déploient pleinement entre 6/8 mois et 3/4 ans. Il s’agit de l’attention d’une part, des interactions synchronisées (accordage relationnel) d’autre part. Les hypothèses que nous proposons ici rejoignent celles qu’Aric Sigman (2017) a lui aussi mises en avant.
Hypothèses neuropsychologiques concernant les troubles attentionnels
23 Précisons ici la nature de ces « troubles attentionnels » si souvent observés chez ces jeunes enfants censés présenter un trouble déficitaire de cette attention. Un paradoxe devrait être souligné plus souvent qu’on ne le fait : tous, sans exception, sont d’un calme absolu qui frise parfois l’immobilisme, d’une vigilance extrême lorsqu’ils sont devant leur écran. Ils semblent être « à l’affût », comme s’ils guettaient une proie (à moins qu’il s’agisse tout simplement de la séquence suivante). Ils sont capables de rester immobiles, « attentifs » aux mouvements des images (et au bavardage qui les accompagne) pendant des durées qui dépassent largement ce qu’un enfant du même âge, en condition normale (dans la « vraie vie »), est capable d’assurer. En revanche, dès qu’ils sont privés de l’écran, ces enfants papillonnent en permanence, vont et viennent, semblent s’intéresser à un objet ou une situation puis laissent tomber, s’en détournent et entreprennent autre chose. Bref, ils font preuve d’une distractibilité majeure, d’une incapacité à fixer leur regard sur un objet immobile et à investir cet objet ou la situation dans la fonction qui est la sienne. Comment comprendre cette évidente contradiction entre une capacité d’attention perceptive surinvestie et une capacité d’intérêt/investissement pour les objets du monde défaillante ? La lecture (sur Internet) d’un article d’un économiste spécialiste des médias et de « l’économie de l’attention » est instructive : « la capture de l’attention, condition primordiale pour la capture du public, est une offensive permanente des médias et des offreurs de contenus » (Boullier, 2012). Tout est donc fait pour capter cette attention (grâce à des effets de saillance) puis la garder captive, capturée. Le niveau de raffinement des stratégies utilisées pour que le spectateur garde ses yeux rivés sur l’écran est impressionnant : notion de voisinage, d’immunité, de conteneur, d’immersion, de degrés d’irréversibilité, de fidélisation pour maintenir l’attachement à l’écran, de mise en alerte, d’emprise et de surprise… Ces notions subtilement développées qui gravitent toutes autour de cette fameuse « capture d’attention » ne font que mettre encore plus en relief la pauvreté conceptuelle de la fonction d’attention telle qu’elle est développée en clinique humaine, celle de l’enfant en particulier, pauvreté conceptuelle se résumant le plus souvent à l’énoncé d’un déficit qu’une anomalie dans les neurotransmetteurs viendrait justifier et cautionner… Les vidéos que regardent les jeunes enfants, encore plus peut-être celles qui leur sont destinées, répondent à cette logique de captation d’attention au moyen de stimuli mobiles perceptivo-sensoriels (images qui bougent, se renouvellent, surprennent, langage chatoyant, chantant, incessant…). Il est remarquable que ces petits enfants devant leurs écrans semblent toujours en alerte, intrigués, perplexes (c’est un peu comme si tout leur fonctionnement psychique était accaparé par la tentative d’y comprendre quelque chose !). Dans cet état émotionnel, le petit enfant n’a aucune liberté ni aucune initiative.
24 Pour mieux illustrer ces propos, comparons un enfant (2/3 ans) qui regarde un livre avec un adulte et ce même enfant regardant la même histoire sur une tablette. Avec l’album, l’adulte commente les images, lit le texte, montre du doigt un détail. Il soutient l’attention de l’enfant. Assez régulièrement l’enfant semble regarder ailleurs. Après 15 ou 20 secondes, le parent récupère l’attention de l’enfant souvent en lui montrant un nouveau détail dans l’image puis poursuit l’histoire. Que s’est-il passé ? Pendant 15/20 secondes, l’enfant s’est détourné de l’image mais pour mieux penser/rêver : en quelque sorte, l’enfant investit une activité de penser autonome (certains appellent cela des « boucles réflexives »). Cette capacité de se détourner du percept pour investir la pensée est, de notre point de vue, un facteur essentiel du développement de l’attention, une activité cognitive indépendante des stimulations perceptives. Inversement, l’histoire sur l’écran, toujours faite d’une incessante agitation avec des visages à la mimique par définition sans synchronisation interactive tout comme le flux verbal, capte la fonction visuelle, intrigue le tout-petit et entrave sa capacité à se détourner du percept pour penser/rêver, ce qui aboutit au paradoxe toujours constaté : des petits enfants étrangement immobiles, silencieux devant des écrans et constamment agités dès qu’ils en sont privés. Peut-être cherchent-ils à retrouver dans le monde réel la sur-stimulation à laquelle ils sont habitués et qui commence à les impacter… Lecteur, si vous doutez de nos propos et puisqu’une séquence vidéo en dit aujourd’hui plus que bien des discours, nous vous conseillons d’aller sur le lien https://www.youtube.com/watch? v = lw3obGYm89c, vous y découvrirez un petit enfant de 8 mois environ qui regarde avec avidité un écran. Quand l’adulte le lui retire, ce tout-petit se met à pleurer, gesticuler, se lance en arrière puis se roule sur le sol. Il se calme instantanément quand on lui rend l’écran (un smartphone) puis se remet à pleurer et gesticuler quand on lui enlève de nouveau, enfin se calme quand on le lui rend, souriant d’ailleurs à l’adulte comme un petit enfant sourit de contentement quand on lui rend son doudou après qu’il l’eut égaré. Sauf que le « doudou » est un objet inerte laissant l’enfant libre d’imaginer, d’inventer ce qui lui plaît tandis que l’écran emprisonne ce même enfant dans un récit préfabriqué entravant ainsi la liberté imaginaire du tout-petit.
25 L’écran provoque un déséquilibre majeur entre une attention perceptivo-sensorielle constamment captée, capturée même, d’un côté, et, de l’autre, une attention évocative (ou « deep attention »), une mise en pensée qui est profondément entravée, osons le dire, amputée par la captation précédente. L’enfant perd la liberté d’aller de l’une à l’autre, de naviguer entre ces deux types d’attention, de se désengager puis ré-engager alternativement comme cela se fait « naturellement » avec les objets ordinaires de la vie et surtout accompagné par la relation avec l’adulte. La fonction de détournement perceptif est empêchée du fait de l’attractivité séductrice des stimuli visuels. Résultat, la mise en pensée, en récit, en est amputée d’autant. Ainsi, dans la ligne développementale de l’attention, l’exposition précoce et excessive aux écrans sous toutes ses formes provoque chez les tout-petits un profond déséquilibre dans les conditions requises à l’émergence de la fonction d’attention rendant cet enfant dépendant d’un flot incessant de stimulations sensorielles car l’investissement de l’attention « psychique » reste défaillant. L’attention se nourrit et se développe grâce à ces trois conditions : un centrage étayé par l’adulte sur un objet, une hiérarchisation perceptive en désinvestissant les stimuli parasites, une capacité de penser/rêver respectée. Nous ne naissons pas avec dans notre cerveau une « quantité d’attention » génétiquement déterminée ! L’attention est une fonction neuro-développementale socialement et interactivement construite dans une épigénèse interactive recrutant peu à peu des réseaux synaptiques selon la séquence suivante :
26 – 1/ apprendre à se focaliser sur un stimulus attractif légèrement mobile comme cela se passe lors du processus « d’attention partagée » en face à face (entre 3 et 4 mois) ;
27 – 2/ apprendre à se détourner de stimuli non pertinents et à les désinvestir afin de stabiliser l’attention sur ce qui fait sens, au cours du processus de « l’attention conjointe » adulte/enfant sur un objet tiers tel que le hochet ou la girafe (entre 5/6 mois et 8/10 mois) ;
28 – 3/ étayer et soutenir la pensée ou rêverie du tout-petit lorsqu’il se désengage temporairement du stimulus pour investir « l’attention psychique » comme dans l’exemple de la lecture commune d’un livre [2].
29 Ce sont ces trois séquences dans lesquelles les écrans viennent s’interposer, brisant ce déploiement assez délicat… En effet l’émergence de la fonction « attention » exige bien d’autres facteurs que ceux susceptibles de provoquer une lésion de cette fonction !
Vignette clinique 2
30 Adam, 3 ans : début de l’exposition dès la naissance, arrêt à 2 ans et 10 mois.
31 Pratiquement dès sa naissance Adam a été « exposé » à des écrans, la télévision d’abord, allumée en permanence, qu’il regarde avec sa sœur aînée (3 ans) (dessins animés : La reine des neiges, Dora) puis le smartphone ou une tablette dès qu’il peut s’en saisir vers l’âge de 8 mois. Il regarde sur YouTube des comptines, chez ses parents comme chez la grand-mère, y compris pendant les repas qui sont, de ce fait, « plus faciles ». À 15 mois, il sait dire « daddy » en anglais et les parents sont satisfaits par ses compétences avec l’écran, pensant que cela est bon pour son développement. Vers 30 mois, les professionnels de la crèche commencent à alerter les parents sur le comportement d’Adam : il ne répond pas à son prénom, est indifférent aux autres, refuse les bras, ne fait pas de câlin. Il marche sur la pointe des pieds, ne joue pas avec ceux de son âge, joue très peu (un peu à la dînette), présente des colères sans raison apparente, se cogne la tête avec sa tablette. Ces crises sont calmées par le smartphone. Il ne sait dire que « non » et, quand il veut quelque chose, il se met devant et geint sans demander plus… Un bilan fait à cette époque (dans un centre de diagnostic d’autisme) parle d’un « trouble du spectre autistique ». Informés des conséquences de l’abus d’écrans, les parents, sur les conseils de l’un d’entre nous, décident d’arrêter totalement tous les écrans quand Adam est âgé de 2 ans et 10 mois, y compris la télévision désormais fermée avec une couverture pour la dissimuler ! Adam proteste vigoureusement, s’agite. Les parents lui offrent des jeux, un tableau, des coloriages, des livres. Ils sortent tous les jours pour se promener, surtout avec le papa. Les crises de protestation durent deux semaines après l’arrêt des écrans puis finissent par s’estomper.
32 Deux mois après cet arrêt, « c’est le jour et la nuit ! » selon les parents : il réagit à son prénom presque tout le temps, accepte qu’on l’approche, qu’on le touche, il est heureux d’être en famille et va chercher le ballon pour jouer avec ses cousins. Une vingtaine de mots apparaissent, il dit : « Viens papa », appelle « maman », répète et essaie de parler, chante et on reconnaît les mots de la chanson ! Les grands-parents le trouvent beaucoup plus ouvert aux autres, l’oncle n’en revient pas qu’il vienne lui faire des bisous et autant de câlins. Il n’est plus accroché au téléphone : maman peut désormais téléphoner à côté d’Adam sans qu’il fasse une crise.
33 Il joue à la dînette avec sa sœur, préparant à manger pour papa et maman, demande à sortir tous les jours. Il comprend les consignes simples comme « Va jeter ça à la poubelle ». Il pointe du doigt pour montrer à ses parents
34 Cependant, quand il est frustré, Adam continue de se cogner la tête, sur le carrelage, sur le sol en béton au point de saigner ! Il refuse les soins, se retape la tête sur l’hématome, ce qui parfois contraint les parents à céder. Il présente une agitation motrice refusant les limites, ne tient pas en place, court partout et peut se perdre de telle sorte qu’il est difficile de faire les courses avec lui.
35 Trois mois après l’arrêt total des écrans, les parents rallument la télévision, une heure par jour : les symptômes initiaux ont tendance à réapparaître mais de façon moins intense. Exhortés à poursuivre l’abstinence des écrans, les parents se voient également proposer par le camsp local des séances d’orthophonie et une éducatrice à domicile pour leur fils. Quand il a 3 ans et 8 mois, un film tourné à domicile permet de constater les progrès : Adam joue avec son papa, répond à son prénom et aux diverses questions, fait des phrases. Il est dans l’interaction avec l’autre, joue à faire semblant de façon tout à fait adaptée. Aucun trouble de la relation n’est perceptible sur l’enregistrement. Mais il se tape encore quelques fois la tête quand il n’obtient pas ce qu’il désire…
Hypothèses neuropsychologiques concernant les troubles relationnels
36 Mais la particularité de ce syndrome epee est d’altérer en même temps une seconde ligne développementale, celle de l’interaction synchronisée soi-autrui qui se met en place dès les tout premiers mois et se déploie pleinement entre 10/12 mois et 2/3 ans. Cette synchronisation est à la fois mimique, prosodique, tonique et gestuelle, réalisant ce que D. Stern (1989) a décrit sous le terme « d’accordage affectif ». Là aussi les écrans provoquent une désynchronisation interactive répétée, durable, intense quand le tout-petit est exposé régulièrement et durablement aux écrans. Nous utiliserons désormais ce terme pour décrire ce processus pathogène dont il est essentiel de noter qu’il se produit souvent dans deux registres, entre l’adulte et l’enfant, d’un côté, entre l’enfant et l’écran, de l’autre. Nous l’avons déjà souligné, les parents eux-mêmes sont soumis à l’attractivité des écrans : leur maniabilité et leur taille réduite font qu’ils sont maintenant en quasi-permanence dans la main de l’adulte dont le regard comme l’oreille sont captés par les images, les paroles, les messages, les jeux, etc. Les adultes passent un temps considérable, y compris en présence du tout-petit, à répondre à un appel, pianoter un sms, regarder un blog ou un compte personnel, chercher l’information qui fait le « buzz », jouer, sourire et présenter des mimiques sans que ce tout-petit puisse y comprendre quoi que ce soit ! Par rapport au monde du tout-petit, cet adulte apparaît comme totalement désynchronisé ! Ce temps est pris sur la disponibilité interactive de l’adulte qui très régulièrement affairé à son écran ne répond plus aux sollicitations de l’enfant, lequel, dans cette période de référence sociale, a un impérieux besoin de solliciter l’adulte pour « comprendre le monde ». Quand ses tentatives échouent trop souvent, ce tout-petit peut renoncer et se replier sur lui-même, cherchant par quelques autostimulations à obtenir ce dont il a besoin…
37 En outre, la puissance attractive de l’écran sur l’attention de l’adulte produit en ricochet un autre effet sur le tout-petit. Tous les jeunes parents s’étonnent de façon constante de l’intérêt que ce dernier semble porter à ce smartphone ! Il n’y a pas à en être surpris quand on sait que, précisément, le petit enfant est toujours très attiré par l’objet qui attire l’attention de l’adulte : l’enfant veut prendre cet objet et « comprendre » pourquoi l’adulte s’y intéresse autant… À cet âge, tous les objets (ou situations) qui suscitent l’intérêt de l’adulte, éveillent indirectement, l’attention de l’enfant. Donc, avant même que l’écran soit sous les yeux de l’enfant, avant même que les images s’animent, l’objet « smartphone » exerce déjà une puissante attractivité sur l’intérêt du tout-petit ! Il tend la main, réclame, exige, proteste si on ne le lui donne pas ! Et quand il l’obtient, les parents s’émerveillent de cet enfant si précoce attiré par les objets des « grands » !
38 Quand les yeux de l’enfant sont accrochés par la mouvance des images, il a devant lui des scénarios qui se déroulent de façon mécanique sans aucune synchronie avec son état affectif ! D’ailleurs sa mimique en est l’illustration : yeux grands ouverts et regard quasi figé, mais bas du visage immobile, bouche fermée, sans expression, muet. À peu de chose près, ce tout-petit présente une mimique identique à celle qu’on a pu observer avec Jacqueline Nadel lors d’une recherche que l’un de nous a réalisée il y a quelques années, portant sur les effets de la désynchronisation interactive par écrans vidéo interposés (Marcelli et coll., 1997). Il s’agissait d’étudier les effets sur des enfants âgés de 8 à 10 semaines d’une exposition à une désynchronisation « expérimentale » qui durait 30 à 45 secondes maximum : le bébé observait sa mère qui interagissait avec lui par écran vidéo interposé (la maman étant dans une autre pièce mais voyant elle aussi son bébé sur un écran et communiquant avec lui par la parole, les gestes ou au moyen d’un hochet) en direct d’abord pendant 3 minutes. Puis, dans un second temps, la mère ayant été enregistrée 30 à 45 secondes lors de la séquence initiale, cet enregistrement était passé en différé au tout-petit, donc une séquence du visage de la mère « désynchronisée » se mouvant comme dans un film… L’effet de cette désynchronisation interactive était évident : les enfants présentaient pendant la séquence en différé une mimique paradoxale avec un regard fixe, un bas de visage fermé sans sourire, une mimique qu’on pourrait qualifier de « perplexe », finissant d’ailleurs parfois par se détourner de cette « mère » qui n’était plus en accordage…
39 Les séquences présentées aux tout-petits sur les écrans ont un double effet : le « spectacle » en mouvement perpétuel capte leur regard (voir ci-dessus), mais cette captation s’effectue sans aucune synchronie interactive avec ce que ces tout-petits peuvent ressentir, comprendre, vivre, éprouver, etc. Spectateurs passifs et soumis, ils subissent le scénario et entendent une parole « mécanique » qui, le plus souvent, les rend silencieux. Parce qu’il n’y a aucune synchronisation prosodique possible, le tout-petit reste muet… Qu’il s’agisse donc de la mimique ou de la prosodie, de ces images qui bougent, de ce visage qui gesticule, de ces paroles qui s’enchaînent, tout cela de façon non synchronisée, ce flot de stimulations laisse le tout-petit devant une énigme certes attractive mais difficile à comprendre. Précisément ces désynchronisations interactives répétées et durables ne permettent pas au tout-petit de « comprendre » la relation, au sens exact du terme, « com-prendre », prendre ensemble, comme cela se produit dans l’interaction synchronisée dont c’est précisément le but (certes de façon non consciente chez l’adulte). On peut légitimement craindre qu’en se prolongeant pendant une ou deux années, voire plus, cette désynchronisation interactive puisse produire des effets néfastes sur la capacité de ce tout-petit à être en relation avec un autre humain, n’ayant pas « appris » lors de cette période sensible dite de « référence sociale » à s’appuyer sur un accordage structurant. Assurément, cet accordage structurant fait le lit de l’empathie et du développement ultérieur de la « théorie de l’esprit », cette capacité qui prend forme vers 4 ou 5 ans à attribuer aux autres une pensée propre, toutes fonctions qui risquent d’être entravées par l’exposition précoce et excessive aux écrans…
Vignette clinique 3
40 Enzo, 3 ans et demi : début de l’exposition dès la naissance, arrêt à 3 ans.
41 La mère annonce d’emblée, lors de la première séance d’observation au cmp, qu’elle a placé son fils en permanence devant les écrans, ce dont elle se sent très coupable.
42 Il est orienté au cmp par le médecin scolaire pour retard de langage et absence d’accrochage par le regard. Il est suivi depuis peu en orthophonie et en psychomotricité. Il aime aller à l’école et être avec les autres, mais il ne suit pas les consignes. La mère est très inquiète, tout le monde autour d’elle pense qu’il est autiste.
43 En groupe d’observation au cmp, on note qu’il est présent dans la relation. Il écoute les autres, adultes et enfants. Mais il est agité, montre beaucoup de rivalité avec ses pairs, crie, occupe l’espace sonore. Le retard de langage est important, mais il sait dire les noms des lettres, des formes, des couleurs, certains animaux, fruits et légumes en français et en anglais, toujours avec cette prosodie mécanique. Il ne fait pas de phrase, ne répond pas toujours à l’appel de son nom.
44 La mère a arrêté radicalement l’exposition aux écrans (à 3 ans). Elle constate une évolution très positive en quelques mois : l’attention d’Enzo est meilleure, il est plus calme, fait depuis peu des câlins à sa mère. En quelques séances de groupe au cmp, nous constatons aussi une évolution très rapide et positive : son regard se fait très présent, Enzo est plus attentif, reproduit avec plaisir les exercices de ses séances de psychomotricité, imite les autres, son regard peut être très appuyé. Par contre, il montre manifestement davantage ses compétences en petit groupe qu’à l’école. L’hypothèse d’un syndrome epee est probable !
Une nouvelle pathologie neuro-développementale : le syndrome epee
45 Un faisceau d’arguments cliniques plaide donc en faveur de la description d’un trouble neuro-développemental nouveau que nous nommerons le trouble « Exposition précoce et excessive aux écrans (epee) », trouble lié à un perturbateur environnemental nouveau (l’écran sous toutes ses formes) qui interfère avec les besoins développementaux du tout-petit (moins de 3/4 ans). Ce syndrome epee, décrit ci-dessus, associe, dans un ensemble plus ou moins complet dépendant de l’importance et de la durée de l’exposition, un retard de communication et de langage qui devient évident à partir de 2/3 ans, un intérêt pour les écrans devenant exclusif, une instabilité d’attention, une agitation et des troubles du comportement, des difficultés relationnelles avec les pairs, des maladresses gestuelles, des troubles de la régulation tonique et du développement psychomoteur, etc.
46 Il est susceptible de provoquer des erreurs ou des confusions de diagnostic, en particulier avec les troubles du spectre autistique (tsa) dont il doit être initialement distingué. Certains cliniciens ont parlé « de symptômes d’allure autistique », d’autres sont allés jusqu’à évoquer un « autisme virtuel » (Zamfir, 2018). Ces expressions ont suscité l’opposition vive d’un certain nombre de parents d’enfant autiste ! Les enfants autistes sont comme tous les enfants : ils se calment volontiers devant les écrans. Ils semblent même mieux apprendre par les écrans que par la relation humaine. Les parents d’enfant autiste ont donc largement tendance à offrir des écrans à leur enfant ! On comprend la vivacité de leur réaction, ces parents se sentant encore une fois « accusés » par écrans interposés ! Mais ce n’est pas parce que les enfants autistes se calment, voire semblent progresser grâce aux écrans que ces mêmes écrans seraient bénéfiques pour tous les enfants ! Les parents d’enfants autistes déclarent souvent que leurs enfants ont des « besoins spécifiques », donc ce qui est bon pour ces derniers n’est pas nécessairement bon pour les petits enfants non autistes… Ces expressions « symptômes d’allure autistique » et « autisme virtuel » ont déclenché une polémique inutile et surtout néfaste parce qu’elle détourne l’attention des médecins, des politiques, de la population en général du vrai problème, un problème de santé publique, celui de la réelle nocivité des écrans pour le tout-petit ! L’autisme tout comme le syndrome d’Asperger ont été décrits bien avant l’apparition de tous ces écrans ! Mais, dans la mesure où les hypothèses concernant l’épigenèse développementale de la capacité d’attention et de la synchronisation interactive s’avèrent fondées, il est légitime de se demander si les écrans, chez les enfants autistes, ont les mêmes effets néfastes que chez les enfants tout-venant. Cette question mérite d’être posée…
Vignette clinique 4
47 Yanis, 3 ans, début de la surexposition très précoce, arrêt à 3 ans.
48 À cet âge, Yanis présente des activités stéréotypées multiples : tourne en rond, parle au rideau, gratte les murs, éteint et allume la lumière, aligne des voitures… Le langage est limité à quinze mots, il présente un bruxisme. La motricité semble correcte. Il est en surpoids. Le diagnostic de Trouble du spectre autistique (tsa) est posé en service spécialisé. Cependant, il pointe du doigt, comprend les ordres simples, préfère le contact avec les hommes qu’avec les femmes, a un contact oculaire mais difficile à obtenir. Il passe des heures devant télévision, tablette, smartphone. Il n’est pas socialisé.
49 Ce diagnostic d’autisme affole la mère qui change complètement de climat éducatif : elle décide d’arrêter les écrans, de parler et jouer avec son fils.
50 Vu au cmp deux mois plus tard pour quelques séances d’observation, Yanis a beaucoup progressé. Il a toujours des colères et tape les enfants dont ses deux frères mais une relation de jeu avec ceux-ci est apparue. L’attention partagée est nouvelle, il sollicite sa mère pour l’aider à organiser un jeu avec ses personnages, le contact oculaire est bien meilleur ; il est présent, attentif et écoute ce que disent les adultes. Il échange avec sa mère, très émue, quelques sons et quelques mots. Le diagnostic de tsa, initialement confirmé par le service de pédopsychiatrie universitaire, où il est pris en charge deux fois par semaine par une infirmière, peut-il être discuté ? Ses progrès relationnels à l’arrêt de la surexposition aux écrans, largement constatés lors de sa venue au centre médico-psychologique, sont de nature à évoquer un syndrome epee…
Vignette clinique 5
51 Matéo, 4 ans, début de l’exposition dès la naissance, arrêt à 3 ans et 10 mois.
52 Matéo est reçu au centre médico-psychologique après une hospitalisation pour bilan d’un retard d’acquisitions en service de pédiatrie universitaire. Lors de ce bilan, le développement moteur est normal mais Matéo est en surpoids. Les premiers mots sont apparus à l’âge de 3 ans, il utilise dix mots lors du bilan. Sont notés une intolérance à la frustration, de nombreuses colères, de l’agressivité, de l’agitation et des troubles de la concentration. Le pointage est présent. On n’a pas de précision sur la qualité de son regard.
53 Les parents se sont inquiétés à 18 mois en raison d’une absence de langage et de fréquentes colères ; c’est un enfant à qui on n’a jamais dit non quand il réclame télévision, tablette, téléphone, qu’il consomme avec exagération. Une séance d’orthophonie hebdomadaire depuis l’âge de 2 ans et demi ne donne pas grands résultats ; la scolarisation est difficile en raison de son agressivité et de son instabilité.
54 L’évaluation réalisée au centre du langage du service universitaire conclut à un tsa.
55 Pourtant, est notée la présence de jeux symboliques avec vocalisations mais sans langage. Il ne répond pas à l’appel de son nom. Cependant, il est attentif à l’autre, ne fuit pas le regard, peut avoir un jeu d’échange, imiter, accepter les courses-poursuites. L’agitation grandit en cas de frustration, l’instabilité est importante et il peut jeter tous les objets. Un début de suivi par une infirmière est organisé en centre de langage universitaire.
56 En observation de groupe au cmp à 4 ans, il montre les mêmes symptômes avec un langage quasi inexistant, des problèmes de comportement hétéro-agressif avec ses pairs et sa mère. Dernier enfant et seul garçon, il a peu de cadre éducatif dans la famille. Il a pourtant des capacités notables : il empile les cubes avec une grande attention et méticulosité, il pointe du doigt. Il peut jeter violemment les objets, y compris sur le visage d’autrui. Il développe une ébauche de jeu partagé avec les autres, il a une capacité de réparation et d’empathie, regarde les enfants, a des activités intentionnelles dans la relation. De séance en séance, ses progrès sont très rapides.
57 La mère avait considérablement limité les écrans (3 ans et 10 mois) : l’évolution de son fils a été manifeste de semaine en semaine. Des mots spontanés apparaissent. Constatant la présence d’une pendule au-dessus de la porte de la pièce de groupe, il pointe le doigt et dit : « une montre » mais avec cette tonalité très particulière faite d’une prosodie mécanique exacerbée que l’on reconnaît maintenant comme un critère diagnostique de la surexposition précoce, d’autant plus facilement qu’elle remplit aujourd’hui la clinique des pédopsychiatres de jeunes enfants.
58 Parmi les éléments du diagnostic on retiendra :
59 – 1/ l’évaluation minutieuse du temps que le tout-petit passe devant les divers écrans (à la maison mais aussi dans la voiture, les magasins, les moments d’attente, lors des repas, de la mise au lit, etc.) chez lui ou dans ses autres lieux de vie. L’âge au début de l’exposition doit être précisé, ainsi que le temps global passé chaque jour devant les différents écrans sans oublier ceux qui sont utilisés et prêtés par les frères ou sœurs. C’est aujourd’hui une nécessité clinique incontournable et préalable à toute autre hypothèse diagnostique ;
60 – 2/ les enfants atteints de ce syndrome epee majoritairement ne détournent pas les yeux, regardent assez facilement l’adulte en restant sensibles à la relation, du moins pour les plus jeunes (entre 6/8 mois et 16/18 mois) car, avec l’âge et la durée d’exposition, le refus de contact peut devenir plus manifeste ;
61 – 3/ le repérage minutieux des régressions observées (qualité interactive, intérêt pour autrui, sourire, gazouillis, attention partagée et premiers mots, etc.) ;
62 – 4/ enfin la suppression totale des écrans, après une période difficile de protestation active de l’enfant pouvant durer de un à quinze jours chez les plus âgés (protestations intenses, pleurs, hurlements, comportements d’allure auto-agressive : se tape la tête contre le sol, le mur ou avec la tablette éteinte), s’accompagne d’une amélioration comportementale : meilleur contact, visage plus expressif et souriant, recherche de câlins, plaisir aux jeux relationnels et redécouverte des divers jouets conforme à l’âge (cube, personnage, jeux de faire semblant), reprise de la communication langagière, etc. Cette amélioration est d’autant plus rapide et complète que la suppression de l’exposition excessive intervient tôt entre 10/12 mois et 18/20 mois. Au-delà, plus la suppression des écrans survient tardivement, plus l’amélioration peut être lente et incomplète. Dans quelques cas, le diagnostic différentiel d’avec l’autisme peut être délicat…
Vignette clinique 6
63 Noé, 3 ans et demi : début de l’exposition dès la naissance, arrêt à 3 ans et 8 mois.
64 Noé, avec ses deux parents, consulte à l’âge de 3 ans et 8 mois l’un de nous sur les conseils de l’institutrice de maternelle. Lors de cette première consultation, Noé bouge sans arrêt, ne fixe jamais son attention plus de quelques secondes, regarde partout mais pas le consultant et présente un « bavardage » en écholalie permanente : il répète toutes les questions qu’on lui pose. Il n’a pas de langage spontané. Cependant il comprend les consignes simples comme « donne le jouet à papa » et s’exécute sans difficulté. Son développement staturo-pondéral est conforme à son âge, il est en bonne santé physique mais a eu déjà plusieurs otites.
65 Deux mois auparavant, l’institutrice a alerté les parents sur le comportement de Noé. Voici ce qu’elle dit de lui en classe : « Il est ailleurs, il a le regard dans le vide. Il est surtout très agressif : tous les jours, il mord au visage, au genou à travers le pantalon, griffe, tape, souvent la même petite fille qui vient vers lui. Il pousse les autres dans les rangs, arrache les lunettes, les jette… Il semble ne comprendre aucune des consignes scolaires, parle tout seul, en écholalie, ou en faisant des petits bruits. Il ne se concentre pas plus de trois secondes sur une même activité. »
66 À la maison, la mère dit lui lire un livre le soir, il « joue » (?) avec ses frères et ils sortent en famille le week-end. Devant ces troubles du comportement, le médecin pose de façon très détaillée la question des écrans à la maison :
67 – une télévision grand format est allumée dans le salon, toute la journée et aussi aux repas ;
68 – chaque frère a une télévision dans sa chambre. Celui de 11 ans se sert de l’écran pour jouer aux jeux vidéo. La télévision est également allumée en permanence dans la chambre du plus grand (14 ans). À noter que leurs résultats scolaires sont médiocres, voire franchement mauvais pour le plus jeune ;
69 – si Noé ne regarde pas toujours directement la télévision, en revanche, quand il joue aux Lego dans le salon, celle-ci est allumée en arrière-plan. Il regarde plusieurs dessins animés chaque jour. Dès le matin, pendant le petit-déjeuner le papa regarde les infos avec Noé ;
70 – Noé adore la tablette de son père, il l’utilise beaucoup : il télécharge tout seul des dessins animés sur YouTube, ce dont le papa est très fier. Ce dernier a voulu acheter une tablette pour enfant, mais Noé n’en veut pas, il veut celle de son père ;
71 – Noé prend beaucoup moins le smartphone du papa depuis qu’il va lui-même sur la tablette.
72 En conclusion de ce premier entretien, le médecin note un retard massif de langage, d’importantes écholalies, des difficultés de relation avec les autres, une agressivité importante à l’école, un peu moins à la maison (il mord parfois son frère de 11 ans quand ce dernier lui refuse quelque chose), une impossibilité de rentrer dans les apprentissages scolaires… Enfin Noé est exposé de façon massive aux écrans (télévisions, tablette, smartphone).
73 À la fin de cette consultation, voici ce que préconise le médecin :
74 – stopper la tablette complètement ;
75 – ne pas redonner le téléphone quand la tablette est supprimée ;
76 – restreindre le temps de télévision allumée à une heure par jour, mais pas le matin avant l’école, ni à table ;
77 – continuer la lecture des livres, les jeux, les sorties,…
78 – attention pour Noé aux jeux vidéo comme pour les grands frères eux-mêmes.
79 La maman semble convaincue et décidée, le papa plus sceptique au départ finit par adhérer : « Ça va être dur, mais je vais le faire pour Noé. » Une nouvelle consultation est programmée trois mois plus tard.
80 La semaine suivante, l’institutrice appelle spontanément le médecin (ils sont en contact régulier). Les parents, satisfaits de l’entretien, ont complètement arrêté les écrans : Noé n’a regardé qu’un seul dessin animé en une semaine ! À l’école, Noé est moins agressif, semble plus apaisé et beaucoup moins dans sa bulle. Il n’a mordu la petite fille qu’une seule fois en une semaine, ce qui est un progrès notable !
81 Une réunion de l’équipe éducative programmée en raison des difficultés rencontrées précédemment a lieu trois semaines plus tard : Noé est âgé de 3 ans 9 mois. Depuis trois semaines, les parents ont quasiment arrêté tous les écrans. Le changement est spectaculaire : Noé comprend toutes les consignes, même les plus complexes, il a un vocabulaire riche, fait des phrases, son regard se pose normalement, il est même un des meilleurs de son groupe de petite section. Il est bien présent, n’est plus « ailleurs ». Il présente encore un peu d’écholalie, mais beaucoup moins. Il fait beaucoup de câlins. Il n’a plus jamais eu de comportement agressif, plus de griffure, ni de morsure, même quand il est avec la petite fille en récréation ou en périscolaire. On ne le remarque plus dans la classe, il est apaisé. En revanche, il n’aime pas qu’on s‘approche de trop près, qu’on le « colle » : il le verbalise très bien et les autres respectent sa demande. En fait, la petite fille, voulant jouer avec lui, s’en approchait trop près et Noé ne savait pas gérer ce rapprochement, ni verbaliser son besoin d’une certaine distance.
82 Lors de la consultation suivante, trois mois plus tard, vu avec sa maman, Noé a un excellent contact visuel, il est calme, a un bon langage (ertl4 dans les normes), un comportement adapté juste teinté d’une légère timidité ! À la maison, Noé est devenu très câlin. Il ne mord plus son frère de 11 ans. Il joue beaucoup et toute la famille se parle davantage. « Ça fait du bien à tout le monde ! », aurait dit le père. Les parents sont très contents. La maman propose spontanément d’intervenir dans les réunions de parents pour parler des écrans et de son expérience.
Vignette clinique 7
83 Dylan, 3 ans 1/2, début de l’exposition dès la naissance, arrêt à 3 ans.
84 Dylan vient au cmp sur les conseils de la pmi ; cet enfant, diagnostiqué tsa à 2 ans et demi par un Centre de diagnostic, est gardé à domicile, sans crèche et sans école, par une maman dépassée par ce diagnostic. Elle est jeune, a eu cet enfant de façon un peu prématurée, a été mise à la porte par ses parents quand ils ont appris sa grossesse ; elle habitait alors chez sa belle-mère, et s’est trouvée très désemparée ; « je ne connaissais rien à l’éducation des enfants ». Déprimée, isolée, elle se console avec la télévision qui est allumée en permanence, Dylan est, bien sûr, avec elle, il reste très passif des heures devant la télé, puis devant le smartphone et la tablette. Le diagnostic de tsa a entraîné chez la maman une sidération. Elle a cru que rien ne serait plus possible avec son fils. Seuls les conseils de la pmi, celui d’arrêter les écrans et l’intervention d’une éducatrice spécialisée dans sa famille lui ont permis de réaménager l’éducation de Dylan.
85 En consultation pédopsychiatrique au cmp, Dylan se montre très attentif aux autres ; un peu inquiet, il donne beaucoup d’objets à sa mère ou reste collé à son père, très vigilant, avec un regard intense. Il commence à dire quelques mots : « boire de l’eau », « donne », « dodo ». Il s’approche d’une grande maison en bois, y manipule les meubles et les personnages de façon adaptée, imite les scénarios proposés, imite le jeu avec les voitures et le développe, fait « vroum » de façon adaptée en regardant l’adulte pour y chercher l’approbation. Au cours des entretiens, la mère raconte son désarroi passé et le retour de l’espoir ; elle se montre plus active dans les interactions, et s’émerveille de la nouvelle possibilité de scolarisation de son enfant. Cette observation témoigne des risques liés à une précipitation diagnostique trop affirmative et de ses effets délétères sur l’entourage de l’enfant…
86 Ces hypothèses neuro-développementales que nous avons proposées, fortement étayées par les constatations cliniques, seraient certes à confirmer par des recherches adéquates. En effet, ce problème, celui de l’exposition précoce et excessive aux écrans chez les tout jeunes enfants entre 5/6 mois et 3/4 ans étant relativement nouveau, différent de la consommation d’écrans chez les grands enfants ou les adolescents, et de la seule exposition à la télévision, comme c’est le cas dans les travaux de Linda Pagani, il est urgent d’engager des recherches qui font aujourd’hui cruellement défaut. Concernant un problème nouveau, il est pour le moins paradoxal de reprocher aux cliniciens de ne pas s’appuyer sur le résultat de recherches inexistantes à ce jour. Au contraire, les scientifiques et divers chercheurs devraient répondre aux sollicitations des cliniciens. Deux types de recherches devraient être entrepris en urgence : des études épidémiologiques sur un échantillon représentatif de la population concernée afin de mieux préciser les temps d’exposition aux écrans chez les très jeunes enfants ; des recherches actions ne portant pas nécessairement sur un grand nombre, comparant l’évolution développementale des petits enfants exposés aux écrans suivis pendant quelques mois (à 3, 6 et 9 mois) à l’évolution d’enfants du même âge, appariés pour les autres variables (social et économique en particulier) dont les parents ont accepté d’arrêter les écrans. Ce type de recherche en milieu naturel serait susceptible d’apporter rapidement des données précises et des éclaircissements de nature à rendre plus objectif le débat actuel. Bien évidemment, toute autre recherche sur ce domaine, en particulier sur le développement de l’attention serait bonne à prendre…
Recommandations, conseils et prévention
87 Incontestablement, l’exposition précoce et excessive aux écrans chez les très jeunes enfants peut entraîner des désordres développementaux d’une extrême gravité. Une politique de prévention de ces troubles neuro-développementaux s’avère donc urgente. Si quelques parents bien informés commencent à en avoir une claire perception, en revanche sur l’ensemble de la population une information et des campagnes énergiques de sensibilisation sont hautement souhaitables. C’est une responsabilité majeure des pouvoirs publics. C’est aussi un enjeu économique très important si on considère le coût médical et social que ces troubles entraînent de surcroît chez des petits enfants dont l’espérance de vie nécessitera des prises en charge au très long cours ! Dès aujourd’hui, quels conseils peut-on donner aux parents d’enfants tout-petits ? Certes la privation totale des écrans jusqu’à 3 ou 4 ans (en fait, jusqu’à l’installation chez ce petit enfant d’un langage de bonne qualité) paraît être la solution radicale avec un message dénué d’ambiguïté. Mais force est de constater que la privation totale des écrans (en l’absence de syndrome « epee » déjà installé !) même chez les tout--petits semble illusoire quand on connaît la puissance des lobbies et des enjeux industriels et financiers qui s’y rattachent ! On le sait, les recommandations négatives
88 ne fonctionnent pas toujours, surtout si on ne les accompagne pas de propositions alternatives. D’autre part la liberté individuelle doit être préservée. Enfin les écrans nous ont envahis et les enfants nés au début de ce millénaire vivront avec : mieux vaut apprendre aux parents comme aux enfants leur utilisation plutôt que les diaboliser. Sans compter que, pour les enfants plus âgés ou les adolescents, ces technologies nouvelles sont des instruments de connaissance, de découverte, de recherche, d’aide aux études mais aussi de distraction, d’échanges avec les autres, etc. Une pédagogie de l’utilisation des écrans en famille et avec les très jeunes enfants devrait être un axe prioritaire de recherche et de santé publique. Le point essentiel, avec les jeunes enfants de moins de 3/4 ans, est que ces divers écrans (smartphone, console de jeux, tablette, ordinateur, télévision et autres objets à venir tels que les lunettes 3D dont on peut être sûr qu’il risque d’y avoir des modèles pour enfant !) ne soient jamais donnés à l’enfant quand il est seul ; ils devraient n’être utilisés qu’en présence de l’adulte pendant un temps limité (entre cinq et quinze minutes selon l’âge) ; au terme de ce temps, l’écran devrait être systématiquement coupé afin que l’adulte « reprenne la main » en commentant les images, racontant l’histoire, la mimant, en un mot réintroduise l’interaction vivante et ludique avec l’enfant ; ce temps de « pose écran » devrait durer beaucoup plus longtemps que le temps d’exposition ; tous les programmes vidéo conçus pour des tout-petits ne devraient pas dépasser la durée suscitée, l’écran s’arrêtant alors sur une image fixe ou un fond noir afin que l’enfant puisse s’en détourner. En bref l’écran et les diverses vidéos pourraient être utilisés comme un objet tiers qui permette à la relation parent/enfant de s’enrichir de diverses thématiques et connaissances partagées du monde, tout en apprenant intuitivement au tout-petit à introduire des temps de pose et de réflexion, ce que la nature captative des écrans et son jeune âge ne lui permettent pas de développer spontanément.
89 Ces conseils ne seraient pas complets s’ils ne s’adressaient pas aussi aux adultes eux-mêmes : lorsqu’ils sont avec ces petits enfants (moins de 3/4 ans) les adultes, les parents au premier chef, devraient se frustrer eux-mêmes de l’usage excessif des écrans et s’interdire de les utiliser durablement afin de rester disponibles à la relation avec le tout-petit et de répondre à ses sollicitations interactives. Il en va de la responsabilité parentale, cette information étant destinée à restituer à ces parents toutes leurs compétences relationnelles : ils sont de loin, bien mieux que n’importe quel écran, les meilleurs interlocuteurs, les meilleurs compagnons de jeu et les meilleurs interprètes du monde pour leurs enfants.
Bibliographie
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Notes
-
[1]
Avant même d’arriver à la maison puisqu’une tablette est parfois « offerte » par la maternité aux mamans qui viennent d’accoucher avec des programmes supposés éducatifs mais sans aucune information sur les risques que nous dénonçons ici !
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Ce n’est pas l’album en lui-même qui exerce cette fonction, mais la présence de l’adulte à côté de l’enfant qui commente les images, raconte l’histoire tout en laissant à l’enfant le temps de sa rêverie. D’ailleurs, quand les albums sont simplement donnés au tout-petit, il n’en fait pas grand usage, les déchire souvent, les éparpille dans la chambre et marche dessus…