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Article de revue

Accueillir les parents en service de pédiatrie

Pages 40 à 50

Notes

  • [1]
    Circulaire n° 83-24 du 1er août 1983 relative à l’hospitalisation des enfants.
  • [2]
    Circulaire dh/eo 3 n° 98-688 du 23 novembre 1998 relative au régime de visite des enfants hospitalisés en pédiatrie.
  • [3]
    Décision du défenseur des droits n°mde-msp-2015-190.
  • [4]
    Au début du xixe siècle, 25 enfants sur 100 mouraient avant un an, 15 au début du xxe, 10 dans l’entre-deux-guerres, et, actuellement, moins de 4 nouveau-nés sur 1 000 meurent avant un an.
  • [5]
    Enquête nationale sur la place des parents à l’hôpital. Étude sur la présence et le rôle des parents d’enfants hospitalisés, comparatif entre la vision des soignants de 170 unités pédiatriques et de 1 479 parents, 2004.

1 Le pédiatre est le médecin de l’infans, qui signifie celui qui ne parle pas. C’est dire à quel point il a besoin des parents pour comprendre et approcher son patient. Pourtant, la médecine pédiatrique hospitalière a connu des attitudes contrastées envers les parents, entre méfiance et écoute, paternalisme et contractualisation. Les parents amènent leur enfant dans un service d’hospitalisation pédiatrique pour que soit prise en charge une souffrance physique ou psychique vis-à-vis de laquelle ils se sentent démunis, dépassés. L’accueil de ces parents qui semble aujourd’hui évident a longtemps été limité. Depuis l’unité d’urgences, lors des consultations, au moment d’une hospitalisation ou dans le suivi ultérieur, quelle place leur accorder ? Jusqu’où les faire participer à la prise en charge, que ce soit durant l’examen clinique, lors d’examens plus approfondis ou encore dans le bureau du psychologue hospitalier ?

Perspective historique

L’hôpital d’enfants sans parents

2 Si le terme pédiatrie est apparu pour la première fois au xviie siècle, il faut attendre le xixe pour qu’une véritable pédiatrie hospitalière se développe. Avant, les hôpitaux d’enfants étaient consacrés aux orphelins et enfants abandonnés, qui y étaient hébergés et nourris. Ces institutions recueillaient les enfants et ne dispensaient pas de soins au sens actuel du terme. Durant le xixe siècle, des hôpitaux dédiés au soin de l’enfant malade se développent à la suite de l’ouverture, en 1802, de l’Hôpital des enfants malades à Paris.

3 La place de l’enfant était alors bien différente, marquée notamment par l’importante mortalité infantile. Les pionniers de la pédiatrie ont souvent été des accoucheurs qui refusaient de la considérer comme une fatalité. Ils travaillaient d’autant mieux avec les mères que celles-ci acceptaient plus volontiers les conseils de la part de celui qui les avait « délivrées ».

4 Au début du xxe siècle, l’apport de Pasteur et de la compréhension des maladies infectieuses conduisit à une réorganisation et, en réalité, à une fermeture sur eux des hôpitaux. La crainte majeure était l’épidémie. Les services se séparèrent selon l’organe malade, en pavillons. En pédiatrie, les visites parentales furent drastiquement limitées. Par exemple, à Genève, elles étaient limitées à deux fois par semaine. En France, Marcel Lelong en donne une description terrible : « Les parents se tiennent en groupes inertes et inactifs au pied du lit de leurs malades. Ils sont embarrassés. Ils ne peuvent obtenir des nouvelles de leurs enfants ni des médecins qui sont absents, ni des infirmières les plus compétentes dont c’est souvent l’heure du repas » (Lelong, Lebovici, 1955).

L’humanisation de l’hospitalisation

5 Les bombardements de Londres durant le Blitz ont conduit les autorités à éloigner les enfants de leur famille pour les préserver. Divers psychologues observent et étudient les effets négatifs de l’isolement affectif sur leur développement (Anna Freud, Dorothy Burlingham, John Bowlby…). Après la guerre, les travaux de René Spitz sur l’hospitalisme ont mis en lumière l’importance de la dimension affective dès la naissance de l’enfant. John Bowlby étend ce concept avec l’élaboration de la théorie de l’attachement dont l’apport majeur est de reconnaître que le besoin d’attachement constitue chez l’être humain un besoin primaire à part entière. Ces apports théoriques sur l’attachement et l’impact d’une séparation précoce sur le développement psycho-affectif de l’enfant vont considérablement modifier le regard des professionnels de l’enfant sur les besoins de celui-ci.

6 L’oms organise en 1954 le premier colloque sur l’enfant à l’hôpital. Robert Debré dirigeait le comité d’organisation, Marcel Lelong et Serge Lebovici y ont participé. L’un des messages forts est que l’hospitalisation ne doit pas développer une impression de rejet chez l’enfant, que sa mère devrait lui tenir compagnie pendant tout le séjour, ou à tout le moins durant sa première partie, ceci dans une optique prophylactique. Le rapport platt en Angleterre reprend ces recommandations en 1959 ; l’année précédente, une loi autorise la présence permanente de la mère lors de l’hospitalisation d’un enfant de moins de deux ans.

7 Pourtant en France, jusqu’à la fin des années 1960, l’institution hospitalière ne modifie pas ses pratiques. L’absence des parents n’est pas remise en cause par les soignants, leur présence étant plutôt considérée comme source de difficulté. Marcel Lelong (1955) écrit qu’il est « incontestable que les visites des parents troublent la sérénité de salles d’enfants à cause de l’agitation qu’elles provoquent et du déchirement qui les suit bien souvent ». D. Rapoport (2006) se souvient que le mouvement d’accueil des parents à l’hôpital semble avoir été catalysé par les évènements de mai 68. La longue grève générale vide peu à peu les services de pédiatrie de leur personnel, déjà en nombre insuffisant. Les parents y entrent, au soulagement de tous, et n’en sont jamais vraiment sortis. Cette nouvelle manière de vivre ensemble mobilise évidemment des résistances, des craintes d’autant que les soignants en pressentent le caractère irréversible. Cette véritable irruption des parents a remis en question les pratiques anciennes, qui participaient de leur identité professionnelle. Accepter ce changement, c’était aussi d’une certaine façon reconnaître qu’on a mal fait, qu’on a fait du mal et abandonner des routines sécurisantes pour un saut dans l’inconnu. Il a fallu tout le talent de quelques surveillantes et quelques médecins, dans chaque équipe, pour changer de paradigme. Il a aussi fallu faire avec une certaine rivalité entre les soignants et les parents, notamment la mère ; cela fut particulièrement frappant pour ces enfants « mascottes » hospitalisés au long cours et très investis par les équipes. Les soignants ont expérimenté un autre mode relationnel avec les parents, fait de complicité, de transmission de savoirs, de respect de la place de chacun sans aliéner la place de l’autre. La présence des parents a profondément modifié la fonction du soignant en pédiatrie et a été vecteur de progrès. Plutôt qu’une rupture, l’hospitalisation devenait une séparation aménagée. Les premières chambres mère-enfant sont apparues en 1973. Les horaires de visites ont été assouplis, puis supprimés, les vitres ont été retirées entre les nourrissons et leurs parents, les enfants ont été mis dans les bras plutôt qu’au lit, la douleur de l’enfant allait devenir une question centrale…

8 Lorsqu’elle était ministre de la Santé, Simone Veil a nommé ce mouvement l’humanisation de l’hospitalisation des enfants. L’accueil des parents n’en constituait qu’un élément, mais un pan ô combien important.

L’intervention du politique, les Droits de l’Enfant

9 La première circulaire interministérielle sur le sujet date de 1983 [1]. Elle est largement inspirée de l’exemple anglais et prône l’hospitalisation conjointe « mère ou père-enfant » et la participation et l’information des parents.

10 En 1988, douze associations européennes impliquées dans les droits de l’enfant rédigent une Charte, dite de Leiden, qui insiste sur la présence des parents :

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Article 2 : Un enfant hospitalisé a le droit d’avoir ses parents ou leur substitut auprès de lui jour et nuit, quel que soit son âge ou son état.
Article 3 : On encouragera les parents à rester auprès de leur enfant et on leur offrira pour cela toutes les facilités matérielles, sans que cela entraîne un supplément financier ou une perte de salaire. On informera les parents sur les règles de vie et les modalités de fonctionnement propres au service afin qu’ils participent activement aux soins de leur enfant.

12 Ces associations se réunissent dans l’each (European association for children in hospital) en 1993 et cette charte devient alors la charte de l’each.

13 Parallèlement, l’assemblée générale des Nations Unies proclame la Convention Internationale des Droits de l’Enfant en 1989 qui précise que « les États parties veillent à ce que l’enfant ne soit pas séparé de ses parents contre leur gré ». La France la ratifie en 1990.

14 Il faut attendre 1998 pour qu’une nouvelle circulaire interministérielle précise le régime de visite des enfants hospitalisés [2]. Très courte, elle prévoit que « la mère, le père ou toute autre personne qui s’occupe habituellement de l’enfant doit pouvoir accéder au service de pédiatrie quelle que soit l’heure et rester auprès de son enfant aussi longtemps que ce dernier le souhaite, y compris la nuit ».

15 En 2002, enfin, à la suite d’un colloque organisé en commun, l’aphp (Assistance Publique – Hôpitaux de Paris) par une affiche et le défenseur des enfants dans son rapport annuel s’approprient la charte de l’each, la renommant Charte Européenne de l’Enfant Hospitalisé : ces deux institutions attribuent ainsi à un texte associatif un statut quasi-officiel, qu’il garde aujourd’hui.

16 Proclamée lors du conseil de Nice en 2000, puis officiellement adoptée dans sa version définitive par les présidents de la Commission européenne, du Parlement européen et du Conseil de l’Union Européenne en 2007, la Charte des Droits Fondamentaux de l’Union Européenne contient un article consacré aux droits de l’enfant :

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24 […] Tout enfant a le droit d’entretenir régulièrement des relations personnelles et des contacts directs avec ses deux parents, sauf si cela est contraire à son intérêt.

18 Elle a acquis une force juridique contraignante avec le traité de Lisbonne, qui prévoit que cette Charte « a la même valeur juridique que les traités ».

19 La Haute Autorité de Santé a intégré ces recommandations dans ses manuels de certification des établissements de santé. Dans la notice de la version 2010, est précisé :

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« La question de l’accueil des proches est particulièrement sensible : l’accueil dans l’établissement de l’enfant est indissociable de celui de ses parents (sauf si situation particulière en lien avec le projet thérapeutique). Toute action en lien avec l’enfant ou l’adulte retentit sur l’autre. […] L’accueil de l’entourage doit être organisé, pour son hébergement comme pour la possibilité d’accès permanent des parents auprès de l’enfant (hormis prescription particulière dans l’intérêt de l’enfant). »

21 Ce principe est-il pour autant toujours appliqué ? Le défenseur des droits a jugé utile en 2015 de recommander à la ministre de la Santé de « consacrer par la loi un droit à la présence parentale dans le cadre du code de la santé publique en vue d’organiser un véritable accueil des parents et/ou des représentants légaux au sein des hôpitaux [3] ». Cette recommandation n’a pas été suivie d’effet…

Au-delà de l’hôpital, la société

22 Ce changement de regard sur l’enfant ne concerne pas seulement les professionnels du soin, mais est au contraire le reflet de ce qui se joue dans la société, la place grandissante donnée à l’enfant dans la famille. Ainsi, le petit enfant a longtemps été peu investi. D’ailleurs, dans de nombreux hôpitaux du xixe siècle, les nourrissons de moins d’un an n’étaient pas admis. Cela tient à deux éléments : la méconnaissance de ce que le nourrisson perçoit et de l’impact de l’environnement sur son développement futur, d’une part, et l’importante mortalité infantile, d’autre part. La crainte de perdre précocement cet enfant semblait retenir les parents d’y attacher trop d’importance. Les morts d’enfant, autrefois la règle, se sont raréfiées grâce à l’hygiène et aux progrès de l’obstétrique [4], les fratries se sont réduites. Le statut de l’enfant au sein de la société en a été bouleversé. On est passé d’un enfant objet, géré par sa famille, peu considéré comme interlocuteur, à un sujet à part entière, qu’il faut prendre en considération en fonction de sa capacité de discernement croissante. Les principes pédagogiques ont aussi beaucoup évolué. On est loin des manuels d’éducation du xixe qui prônaient une éducation sévère, fondée sur l’humiliation de l’enfant et sa soumission absolue à l’adulte. On peut souligner l’apport des moyens audiovisuels pour la diffusion des nouvelles idées : la radio, en Angleterre avec D.W. Winnicott et en France avec F. Dolto, trente ans après ; le film avec celui de J. Lévy et D. Rapoport Enfants en pouponnières demandent assistance (1975)…

Place des parents à l’hôpital

Présents pour leur enfant

23 Nous ne reviendrons pas sur l’intérêt, aujourd’hui admis par tous, de la présence des parents auprès de leur enfant lorsqu’il vit une période douloureuse. Il ne faudrait pas ajouter le trauma d’une séparation subie aux divers traumatismes liés à la maladie et sa prise en charge. Leur participation est aussi nécessaire au soin. Ils rassurent l’enfant, ce qui permet de délivrer le soin dans de meilleures conditions. Ils facilitent le déchiffrage des manifestations chez le jeune patient par les équipes médicales. En effet, ce sont eux qui connaissent le mieux leur enfant. Très tôt dans son développement, les parents vont être capables de percevoir les modifications de ses comportements face à tel ou tel évènement intrinsèque ou extrinsèque. Ils sont les gardiens de sa sécurité affective.

24 Pourtant, comme le montre l’étude réalisée par l’association Sparadrap [5] au début des années 2000, ils ont encore parfois du mal à trouver leur place lors de l’hospitalisation de leur enfant. Considérés ici comme de véritables partenaires de soin, ils sont vus ailleurs comme de simples visiteurs. Ils souhaitent se situer dans une démarche participative, y compris hors les murs de l’hôpital. Une multitude de groupes à visée de guidance parentale existe ainsi sous l’égide de diverses initiatives associatives ou institutionnelles. D’autres parents, depuis les années 1980, ont créé leur propre association, soucieux d’être actifs dans l’accompagnement de leur enfant et dans son processus de soin.

Présents pour eux-mêmes

25 L’hospitalisation de leur enfant confronte les parents à un monde inconnu, avec ses codes et son propre langage. Ils perdent leurs repères habituels. La perception de la temporalité par les parents est différente de celle du soignant, qui est dans l’agir. Le temps passé au chevet d’un être cher est long lorsqu’on est dans l’attente d’une réponse. Cet étirement est source d’angoisse pour les parents, qui peuvent avoir le sentiment de ne pas être entendus, compris. Leur impuissance à soulager leur enfant réveille leur crainte de ne pas être de bons parents. Comment accompagner son enfant quand la maladie vient les ancrer dans l’instant, aux prises avec un réel dont ils se sentent responsables mais non maîtres ? Les liens avec un sentiment de culpabilité sont divers mais toujours présents : avoir transmis une maladie, ne pas avoir vu les symptômes de leur enfant plus tôt, devoir le laisser seul à l’hôpital ou, au contraire, être absents pour les frères et sœurs… L’hospitalisation vient mettre à mal l’enfant imaginaire, l’image idéalisée de l’enfant. Elle fait rupture. Les parents réagissent par des tentatives de réparation, de contrôle, parfois de fuite. C’est aussi l’image du parent idéalisé qui est mise à mal par le sentiment de culpabilité, le parent qui doit protéger quoiqu’il arrive. Le besoin d’être partie prenante à chaque étape, à chaque évènement vécu par leur enfant, coupables qu’ils seraient s’ils manquaient la moindre information, vient signer l’angoisse pour certains de se sentir dépossédés de leur enfant par le « corps » médical. Ils ont besoin de savoir, de transparence. Ces angoisses peuvent mettre les soignants en difficulté dans les services en compliquant la mise en place des soins ou leur observance.

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Tom
Un dépistage à la naissance a permis de diagnostiquer chez Tom une drépanocytose homozygote. La maladie est annoncée aux deux parents par le pédiatre lors d’un entretien alors que l’enfant n’a que quelques semaines. De nombreuses recommandations sont données sur les facteurs pouvant déclencher des complications. Les parents doivent déceler les prémices d’une crise vaso-occlusive ou d’une anémie aiguë. Les mois suivants se passent bien, jusqu’à l’hospitalisation de Tom, âgé de cinq mois, pour une crise. Sa mère reste seule, jour et nuit, au chevet de son bébé. Elle s’exprime peu auprès des équipes soignantes et semble sur la défensive. Une rencontre avec la psychologue est organisée à la demande des médecins. Elle se montre tendue mais accepte le dialogue. Un échange s’installe où elle exprime son soulagement d’avoir reconnu les premiers signes de douleur chez son enfant et sa culpabilité de lui avoir transmis la maladie : « J’appréhendais beaucoup car Tom ne parle pas encore, j’avais peur de passer à côté, de ne pas être à la hauteur. Je n’ai prévenu personne. Je devais reprendre mon travail hier mais je ne veux pas dire pourquoi il est hospitalisé. Je ne veux pas que cela se sache. » Jusqu’à cette hospitalisation, elle n’avait pas l’impression que son fils était malade. L’hospitalisation l’a confrontée à une réalité jusque-là mise à distance. « Il se développait comme son grand frère. J’imaginais même parfois que les médecins s’étaient trompés. » Le temps a permis à cette maman, grâce à l’étayage bienveillant des équipes paramédicales et médicales et à l’éducation thérapeutique, de se conforter dans son statut de mère suffisamment bonne, au sens de Winnicott. L’adhésion aux soins s’en est trouvée facilitée.

27 Il est difficile pour un parent de n’avoir pas pu calmer la manifestation douloureuse de son enfant et de devoir se rendre aux urgences. Comme le rappelle E. Raffet, « le ressenti douloureux de l’enfant atteint de la drépanocytose mêle à la fois ses représentations de ce qui se produit dans son corps au moment de la crise, ses représentations de la maladie et de son image corporelle, les représentations familiales de la maladie, ses souvenirs des crises passées, mais aussi toute sa dynamique émotionnelle, relationnelle et intrapsychique » (Josset-Raffet et coll, 2016). Il est donc important de profiter de ce temps pour proposer un espace d’accueil de la souffrance parentale, de créer une alliance thérapeutique avec l’entourage proche. Ainsi cette période d’hospitalisation a donné la possibilité à la mère de Tom, lors de ses rencontres avec la psychologue, d’entamer un travail d’élaboration psychique autour de son vécu traumatique de la maladie. Cet accompagnement s’est poursuivi après la sortie de son fils.

Présents pour soigner ?

28 Divers protocoles thérapeutiques permettent aujourd’hui aux parents d’investir une place plus active auprès de leur enfant malade. L’éducation thérapeutique qui doit être proposée pour toute maladie chronique a pour but de développer chez l’enfant et sa famille les compétences d’« auto-soin ». Le risque résiderait dans une définition égalitaire ou symétrique des rôles, soignant d’une part et parental de l’autre, dans le soin donné à l’enfant, ou encore un accrochage des parents aux soins donnés, comme pour reprendre le contrôle sur cet évènement traumatique intervenu dans leur vie.

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Émilie
Nous avons ainsi connu une jeune fille de 15 ans quelque temps après le diagnostic de sa maladie de Crohn. Une fissure anale, premier signe de la maladie, avait nécessité la prescription de soins à domicile : la mise en place de mèches afin de drainer la plaie. Des soins avaient été confiés à la mère de la jeune fille par le gastro-entérologue consulté par la famille. Peu de temps après, cette mère, en pleurs, avait appelé notre service, ne pouvant plus (s’)imposer ces soins douloureux.

30 Quelles conséquences la participation des parents aux soins peut-elle avoir sur la relation parents-enfant, et, dans de tels cas, sur la conquête de l’intimité et de la différenciation soi-l’autre ? Il arrive que la vie familiale se restreigne autour du trouble de l’enfant. Les soignants ont alors à faire tiers, à aider les parents à (re)trouver une juste distance afin de permettre à leur enfant d’intégrer cette nouvelle donnée dans sa vie et d’avancer dans le processus de séparation-individuation, davantage encore lors de l’adolescence.

31 En cas d’hospitalisation, le cadre lui-même apporte une contenance : l’espace-temps de l’hospitalisation, le service et son organisation, le fait que chacun des soignants y joue un rôle prédéfini… Mais l’enfant n’est pas toujours capable, quels que soient son âge, sa condition et son contexte de vie, de « laisser » la contenance parentale au profit de celle proposée par l’hôpital, ceci afin d’assurer la continuité du sentiment de sécurité nécessaire. Comment ce passage de l’un à l’autre se fait-il, le transfert d’un « moi-peau familial » à un « moi-peau institutionnel » ? L’alliance thérapeutique avec les parents est essentielle pour cela. La contenance institutionnelle viendra alors seconder la contenance familiale potentiellement mise à mal par l’état de crise traversé. Comme l’a décrit A.-M. Sorrentino (2008), la qualité de la réaction psychique à la maladie et les défenses qui vont être mises en place alors dépendront de l’organisation psychique de chacun, du couple parental et de la construction relationnelle familiale antérieure à l’annonce. Pour certaines familles, l’hospitalisation permettra la mise en place d’un soutien, parfois d’un travail psychothérapeutique individuel et/ou familial.

Absents parfois

32 Certains parents vont se montrer très absents durant l’hospitalisation de leur enfant. Alors qu’il y a quelques décennies, cette attitude aurait été la norme, elle paraît aujourd’hui choquante. Les équipes soignantes sont confrontées au risque de porter un jugement négatif sur cette mère qui est absente pour le réveil de son enfant ou ce père qui travaille décidément beaucoup. Dans une période de réduction des coûts en personnel, les parents épargnent aussi aux soignants certaines tâches de puériculture : leur absence est ressentie comme une surcharge de travail et donc particulièrement mal vécue. Pourtant, certains parents n’ont pas le choix que de s’éloigner de l’hôpital : pour des raisons matérielles (garde d’autres enfants, employeur peu conciliant, monoparentalité, précarité) mais aussi pour leur équilibre psychique, en lien avec des traumatismes mal cicatrisés, avec leur sentiment d’impuissance face à leur enfant souffrant ou leur agressivité vis-à-vis de lui, qui ne les comble pas comme ils l’auraient voulu. C’est parfois même afin de le protéger de ces sentiments ambigus que les parents s’éloignent sans que les équipes soignantes le comprennent bien. La culpabilisation dans de telles situations ne peut être que contre-productive.

33 De plus, pour commencer un processus d’élaboration, l’enfant a aussi besoin de vivre la séparation. Cela soutient le processus de séparation-individuation, en travail notamment à l’adolescence. Les horaires de visite qui persistent souvent dans les unités de médecine de l’adolescent, le fait que les parents ne dorment pas dans la chambre de l’adolescent, ces éléments de règlement soutiennent ce parti pris qui aide l’adolescent, accompagné également par ses pairs vivant la même situation, à aller dans le sens de la différenciation et à s’engager davantage dans sa prise en charge.

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Laura
Laura, 13 ans, est hospitalisée pour un trouble anorexique. Son état physique, cachectique, nécessite la pose d’une sonde nasogastrique, en vue d’une renutrition. Les parents de Laura sont très angoissés par cette idée, en miroir de l’angoisse manifestée par leur fille. Ils sont présents dans la chambre, auprès d’elle, au moment de la tentative de pose de sonde par les infirmières. Malgré une heure de négociation et de tentative de soulager l’angoisse, l’acte technique ne sera pas possible ce jour-là, l’angoisse des uns alimentant celle des autres et vice versa. Il le sera le lendemain, les parents restant présents à « suffisamment bonne » distance, de l’autre côté de la porte de la chambre de leur fille.

35 Même lorsqu’ils ne restent pas auprès de leur enfant en permanence, proposer un espace pour les parents est essentiel. La création d’un groupe permet ainsi une expression des angoisses que les parents portent, une expression des résistances ou des défenses face à la lourdeur de certains soins, à la temporalité propre à l’hôpital, ou encore à la séparation d’avec leur enfant. C’est un lieu de soutien par « l’autre » mais aussi « le même », à l’image du groupe de parole destiné aux parents d’adolescents souffrant de troubles du comportement alimentaire, créé sur le service de pédiatrie sur lequel nous exerçons. Lieu de partage d’expériences, de « re-connaissance », de réassurance, il permet d’écouler un sentiment de culpabilité qui, très souvent, peut parasiter la relation parents-soignants et parents-enfant. Une collaboration thérapeutique avec les parents peut ainsi se mettre en place plus aisément.

Vers une juste place des parents

36 Aujourd’hui, les soignants souhaitent et favorisent la présence des parents, même si cela ne va pas sans certaines tensions. Dans l’enquête de l’association Sparadrap déjà citée, seuls le quart des soignants interrogés considérait que leur présence ne pose aucun problème. Leurs deux principaux griefs concernaient les parents qui s’occupent d’autres enfants hospitalisés et ceux qui ne viennent pas voir leur enfant. Trop ou pas assez présents !

37 La question actuelle n’est plus celle de la présence parentale mais plutôt celle de leur bon accueil : quelle hospitalité offre l’hôpital ? Cela entraîne un réel surcroît de travail pour les soignants, notamment la consommation de temps pour l’accueil, si important, et celui consacré à la préparation de la sortie, l’augmentation du nombre d’entretiens avec ces parents toujours présents lors des visites… Les soins techniques sont rallongés, d’autant plus argumentés qu’ils sont faits sous leur regard inquisiteur. Certains professionnels se montrent nerveux, se sentent moins performants, d’autant plus que les parents sont anxieux, dans un phénomène de contagion réciproque.

38 Les demandes des parents peuvent finalement être regroupées en quatre axes : l’information, l’hôtellerie, l’aide socio-administrative et le soutien psychologique. Concernant l’information, ils se montrent volontiers en recherche constante d’explications, de nouvelles à propos de leur enfant. Cela peut être interprété comme un mécanisme de défense contre l’angoisse de l’inconnu, un essai de se réapproprier la réalité des évènements. Le danger est alors le manque de cohérences des nombreux intervenants hospitaliers : chaque professionnel doit prendre garde à rester dans sa fonction, les parents doivent identifier le médecin référent, comprendre le rôle de chacun. La deuxième revendication parentale concerne actuellement les conditions d’accueil : possibilité de disposer d’un lit, de se doucher, de se voir offrir des repas, cohabitation éventuelle avec une autre famille en chambre double… La présence d’un parent étant naturelle, l’accueil de l’autre parent, notamment la nuit, se pose maintenant. Comment répondre à ces diverses exigences tout en priorisant le soin ? Le troisième besoin des parents est l’aide administrative : lors d’une hospitalisation, ils ont besoin d’appui pour gérer la garde de la fratrie, les transports, le parking, les formalités administratives, la facturation du séjour… Tout cela ne doit pas faire oublier leur besoin de soutien psychologique, qu’il soit dispensé de manière diffuse par l’équipe ou plus spécifiquement par un « psy » : ce qui arrive à leur enfant retentit nécessairement sur eux. Il leur faut raconter, parler, sur le moment mais aussi après. Généralement, leur plus grande ressource se trouve justement dans ce qui les maintient en lien avec leur enfant ; ils sont souvent totalement absorbés par lui. Les soignants devront prendre en compte leur angoisse dans chacune de leurs interventions auprès d’eux.

39 Les parents sont devenus des acteurs incontournables du soin hospitalier, leur prise en charge conjointe à celle de leur enfant est naturelle dans les services de pédiatrie. Cela confronte les équipes soignantes à de nouvelles problématiques, liées à leur absence ou à leur comportement lorsqu’ils sont présents, mais un retour en arrière serait inenvisageable. Les services s’adaptent, les prises en charge évoluent vers le toujours moins d’hospitalisation, celles-ci se raccourcissent et se technicisent. On en vient aujourd’hui à considérer la présence des parents lors des gestes de réanimation, en salle de réveil, au bloc opératoire lors de l’endormissement. Cette possibilité qui leur est laissée ne doit néanmoins pas devenir une contrainte pour eux. Les institutions ne doivent pas les considérer comme des soignants de substitution mais bien comme des partenaires du soin, en leur reconnaissant une place et un rôle spécifiques et irremplaçables.

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Date de mise en ligne : 06/12/2018

https://doi.org/10.3917/ep.079.0040

Notes

  • [1]
    Circulaire n° 83-24 du 1er août 1983 relative à l’hospitalisation des enfants.
  • [2]
    Circulaire dh/eo 3 n° 98-688 du 23 novembre 1998 relative au régime de visite des enfants hospitalisés en pédiatrie.
  • [3]
    Décision du défenseur des droits n°mde-msp-2015-190.
  • [4]
    Au début du xixe siècle, 25 enfants sur 100 mouraient avant un an, 15 au début du xxe, 10 dans l’entre-deux-guerres, et, actuellement, moins de 4 nouveau-nés sur 1 000 meurent avant un an.
  • [5]
    Enquête nationale sur la place des parents à l’hôpital. Étude sur la présence et le rôle des parents d’enfants hospitalisés, comparatif entre la vision des soignants de 170 unités pédiatriques et de 1 479 parents, 2004.

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