1 « Est-ce grave de faire l’amour avant l’âge moyen ? », « Pourquoi les garçons regardent des films X ? »… À travers les nombreuses questions des adolescents, en 2018, il faut s’interroger. Comment les écoutons-nous ? Comment leur répondons-nous ?
2 Notre époque est issue de soixante ans de remise en cause de nombreuses valeurs, d’une période confuse de libération de la parole, d’une permissivité très variable selon les milieux sociaux et éducatifs, et d’un accès de moins en moins contrôlable à la pornographie. De ce fait, les jeunes ont du mal à discerner les éléments bénéfiques pour la construction de leur vie affective tandis que les adultes ont souvent perdu le contact avec eux, ou avec leur univers socioaffectif et culturel.
3 Durant cette période, les comportements dans les activités affectives et sexuelles se sont beaucoup modifiés (Bajos, 2008 ; Rufo, 2007).
4 L’association Sésame, association loi 1901 laïque et apolitique, a été fondée il y a cinquante ans par le docteur Pierre Stagnara et son épouse Denise, tous deux docteurs en science de l’éducation. Ils avaient constaté, dès 1966, le besoin important d’informations et d’échanges des jeunes sur les sujets délicats que sont l’amour et la sexualité (Stagnara, 1995, annexe p. 177 ; Stagnara, 1999).
5 Depuis, cette association s’est développée dans toute la France et compte aujourd’hui 125 membres bénévoles, dont 72 interviennent dans les lycées et collèges répartis dans 5 grandes régions. Ils y ont réalisé plus de 1 300 interventions durant l’année scolaire 2016-2017.
Elle a également été agréée par le ministère de la Santé, de la Jeunesse, des Sports et de la Vie associative en 2008 et est reconnue d’intérêt général depuis 2010.
L’association Sésame forme des intervenants en Éducation affective, relationnelle et sexuelle (ears) et, pour cela, est agréée par la direccte du Rhône (Direction régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi).
Les « intervenants »
6 Les intervenants Sésame mobilisent les capacités de discernement des adolescents pour les faire réfléchir, en favorisant le dialogue par une écoute bienveillante. Ils ne cherchent pas à les convaincre, ne les jugent pas et respectent leurs différences. Ils valorisent la réflexion des élèves dans le cadre d’une éducation positive. Ils sont bénévoles et ont reçu une formation initiale.
7 Leurs premières interventions, en tant qu’intervenants stagiaires, s’effectuent en binôme, puis les suivantes sont supervisées par un tuteur avant d’être validés comme intervenants titulaires. Les intervenants bénéficient ensuite d’une formation continue au niveau national avec des échanges autour des questions difficiles posées par les élèves, des conférences de professionnels spécialisés dans la psychologie, la santé, l’éducation, la sociologie, la « cybervie », ou tout autre domaine susceptible de renforcer leur adaptation à l’évolution des élèves. Au niveau régional, ils participent à des formations et des supervisions régulières. Chaque intervenant est audité tous les trois ans.
8 Ce sont des adultes venant d’horizons divers (psychologues, conseillères conjugales, infirmières, professeurs, ingénieurs, médecins, etc.), avec une égale proportion d’actifs et de retraités, deux tiers de femmes et un tiers d’hommes. Ce sont des personnes neutres, inconnues et hors du paysage habituel des jeunes. Ils sont animés du désir d’aider les jeunes à trouver leur chemin dans leur vie affective, relationnelle et sexuelle, d’avoir une action préventive auprès d’eux et une utilité sociale ; ces rencontres sont souvent très gratifiantes.
9 Un intervenant résume ainsi ses motivations : « Le fait d’intervenir en milieu scolaire en respectant les valeurs et la méthode Sésame permet de prendre la mesure des besoins des adolescents à être écoutés, valorisés, reconnus et à être rassurés sur leur capacité à aimer et être aimés… » Pour un autre : « Il est essentiel de profiter de la mini-société que constitue une classe avec la diversité de ses individus pour éduquer au respect de la différence. » Un autre confie son intérêt : « Aller à la rencontre des jeunes, les faire réfléchir sur ce qu’ils souhaitent pour leur vie amoureuse, renforcer la confiance en eux, ajouter ma pierre à l’édifice pour faire évoluer les relations hommes/femmes, renforcer la capacité des filles à dire non pour choisir ce qui est bon pour elles. »
La méthode Sésame
10 La méthode Sésame est centrée sur l’interactivité et la valorisation des élèves et repose sur le recueil des questions écrites des élèves sur l’amitié, l’amour et la sexualité (Stagnara, 1995, p. 177 ; Stagnara, 1999 ; Stagnara, 2005). Les intervenants y répondent avec eux. Ils les informent sur les divers aspects de la sexualité, ils les aident à les identifier et à en intégrer les différentes facettes. Ils les encouragent à s’exprimer dans un contexte d’écoute et de respect mutuels. Ils développent leur esprit critique, notamment par l’analyse des messages véhiculés par les médias et les réseaux sociaux.
11 Dans les quinze jours qui précèdent l’intervention, les questions des élèves sont collectées de manière anonyme et analysées pour y répondre au mieux (exemples développés dans Stagnara [2005]). L’intervention elle-même dure environ deux heures pendant lesquelles les élèves sont sollicités pour répondre par la réflexion et les échanges à leurs questions. Différents outils d’animation peuvent être utilisés comme le « brainstorming », les schémas anatomiques, les échanges par petits groupes de quatre à six sur des sujets précis avec mise en commun ultérieure, etc.
12 Sont systématiquement abordés, en insistant plus ou moins en fonction des questions et des âges, les thèmes importants que sont l’anatomie et la physiologie en particulier de la puberté, l’unité de la personne « cerveau, cœur, corps », la construction de la relation amoureuse, l’homosexualité, les agressions sexuelles et la loi, la contraception, les infections sexuellement transmissibles et, si nécessaire, la pornographie… Les intervenants sont attentifs aux signes indirects de mal-être et incitent les jeunes en souffrance à se confier à un adulte de confiance, à s’adresser à des services spécifiques et à mémoriser le numéro d’aide aux enfants maltraités, le 119.
13 Les intervenants peuvent être confrontés à des questions difficiles (exemples en cartouches 1, 2 et 3) et, dans ce cas, peuvent être aidés à deux moments :
14 – avant leur intervention : après qu’ils ont pris connaissance des questions, ils peuvent trouver des réponses dans les documents à leur disposition et les livres (Stagnara, 1995, annexe V, p. 187 ; Stagnara, 2003, p. 5-11) et/ou adresser une demande d’aide à d’autres intervenants ayant plus d’expérience qu’eux (plus d’ancienneté ou un métier tel que psychologue, conseillère conjugale et familiale, médecin, gynécologue, professeur de svt, etc.) qui leur permet de s’appuyer sur leur expertise pour formuler des éléments de réponse ;
15 – après leur intervention : s’ils ne sont pas sûrs d’avoir répondu de façon satisfaisante, ils peuvent en parler lors des supervisions (deux à trois par an selon les régions), avec présence d’un psychologue et discussion en petit groupe.
16 En gros, ces questions sont soit des questions compliquées, soit des questions qui « me » choquent, et il faut être capable de réfléchir à « qu’est-ce qui me choque ? » et ajuster son attitude pour permettre au jeune de réfléchir à sa question et trouver avec lui la réponse qui l’aidera à vivre sa vie relationnelle et sexuelle, dans le respect de lui-même et des autres… (« À ton avis, qu’est-ce qui est bon pour toi ? »).
Cartouche 1
« J’ai honte d’être homosexuel, comment faire ? »
La réponse à ce type de question est difficile parce qu’il faut à la fois déculpabiliser sans pour autant banaliser la souffrance exprimée dans cette question.
Lors d’une conférence sur ce thème à notre dernière formation annuelle, la conclusion était : « Il nous paraît essentiel que l’homosexualité ait une place (dont l’importance est à définir par chaque intervenant en fonction des questions, de l’âge…) dans chaque intervention. Que ce soit juste une ou deux phrases, en abordant la construction de la relation amoureuse par exemple, ou un vrai temps de réflexion et de dialogue en petits groupes. Rappeler qu’en France, deux personnes homosexuelles peuvent s’aimer et se marier, et que l’homophobie est punie par la loi… Attention aux coming out en classe : préciser au début de l’intervention qu’on n’est pas là pour parler de soi devant toute la classe mais que nous sommes disponibles à la fin de l’intervention = respect de l’intimité de chacun. »
Cartouche 2
« Est-ce c’est mauvais de pénétrer l’anus ? Comment convaincre une fille de le faire ? »
Ce type de questions peut nous « choquer », mais nous ne sommes pas là pour donner notre propre avis. Elles témoignent de l’influence croissante de la pornographie qui tend à « normaliser » certaines pratiques. Dans cette situation, l’intervenant n’a pas à prendre une posture morale mais à faire réfléchir les jeunes sur le respect des autres, les risques de chantage et de harcèlement pour amener leur petite amie à accepter certaines pratiques et l’importance du consentement et des termes de la loi. Il peut arriver, lors de la discussion, que sur ce type de questions soit abordée la question des « sex-friends » et, dans ce cas, il est possible d’amener les élèves à réfléchir en leur disant : « Je comprends ce que tu dis mais la relation peut être tellement plus riche lorsqu’elle n’est plus centrée sur “ton” plaisir uniquement… » L’intervenant fait réfléchir les jeunes sur la place de la sexualité dans la relation amoureuse et les invite à considérer ses composantes intellectuelles, sentimentales et corporelles
Les questions posées par les élèves
17 Les questions recueillies avant les interventions sont très variables, selon les niveaux scolaires et les milieux sociaux. Des exemples sont donnés en annexe dans les tableaux 1 et 2, où ont été sélectionnées des questions posées en 2016-2017 par des élèves de classes de 4ème et de seconde de différentes villes.
18 En classe de 4ème, les questions sur l’amitié et l’amour sont les plus fréquentes. En particulier, les élèves posent des questions concernant les relations sexuelles, la première fois, et s’interrogent sur l’anatomie, la puberté, la normalité, la grossesse, la contraception et la physiologie (tableau 1). Certaines questions dépendent plus du sexe des élèves ; ainsi les filles posent souvent des questions sur les règles, les grossesses et s’interrogent beaucoup sur la façon de reconnaître un « vrai » ami et comment savoir si elles sont vraiment amoureuses avec la problématique de différencier amitié, attirance et amour. Les garçons, quant à eux, posent assez souvent des questions sur la longueur du pénis et l’éjaculation, les infections sexuellement transmissibles et beaucoup de questions sur la pornographie, la masturbation, la fellation et la sodomie. Dans leurs réponses, les intervenants devront veiller à ne pas choquer les élèves les moins « informés » en respectant leur pudeur avec le souci du juste ton entre vérité et utilisation agressive de certains mots. Pour ce faire, et en raison des différences entre les filles et les garçons à cet âge, il est préférable de les séparer pour favoriser les échanges. En fin d’intervention, quand cela est possible, tous les élèves d’une même classe, filles et garçons, peuvent être réunis pour les faire réfléchir à ce qu’ils attendent les uns des autres.
19 En classe de seconde, il y a une nette évolution. Peu de questions sur la physiologie mais celles sur l’amitié et l’amour continuent à être souvent posées avec le souci de reconnaître les « vrais » amis, l’amour « véritable » et les relations de qualité. De même en est-il pour l’âge de la première fois, les « techniques » pour faire l’amour et les sentiments. Les questions sur la confiance en soi et l’orientation sexuelle sont de plus en plus fréquentes. Les filles ont toujours des questions sur la grossesse et la contraception alors que les garçons posent plus de questions sur les infections sexuellement transmissibles. Depuis peu, mais de plus en plus souvent, sont évoquées les relations sexuelles sans amour et les « sex-friends », ainsi que le « polyamour ». En seconde, les interventions sont souvent organisées par demi-classes mixtes, les filles et les garçons de 15-16 ans étant très intéressés à connaître les pensées et opinions des élèves de l’autre sexe (tableau 2).
L’évolution au cours du temps des questions des élèves
20 Les questions des élèves ont évolué au cours du temps. Denise Stagnara, qui avait conservé depuis 1966 plus de cent mille questions reçues du cm1 à la terminale, relatait trois sortes d’évolution (communication personnelle) :
21 – des questions qui ont diminué, en particulier celles qui concernent le bébé (comment fait-on un bébé, etc.), celles sur l’accouchement et celles sur le mariage qui ont chuté à partir de 1998 ;
22 – des questions qui ont beaucoup progressé, et elle citait surtout « celles concernant la fellation, le cunnilingus, et la sodomie… » Elle expliquait ces questions par la diffusion des films X mais aussi, après 1968, par la chute de l’autorité qu’elle soit parentale, professorale, religieuse ou de toute sorte et elle notait : « Il y a donc plus de liberté, plus de franchise, plus de simplicité dans ces rapports et en même temps, avec moins de règles, une plus grande nécessité d’une prise de conscience et d’une éducation » ;
23 – enfin des questions qui existaient, existent et existeront sans doute toujours, celles sur l’amour : « Comment fait-on pour dire à un garçon qu’on l’aime et qu’on veut que ça dure ? Comment voir qu’une femme nous aime ? À quoi voit-on qu’un garçon est sérieux et qu’il nous aime vraiment ? Le vrai amour, à quoi le reconnaît-on ? Comment être sûr qu’on a rencontré la femme de sa vie ? » « Ces questions représentent 20 % du total des questions posées, et gardent, pour l’ensemble des classes, la première place » !
Les retours des élèves
24 À la fin de nos interventions, les élèves remplissent un questionnaire pour dire ce qu’ils pensent et retiennent. Il y a une grande variabilité de réponses qui sont positives à 90 %. Beaucoup soulignent leur satisfaction d’avoir eu des réponses à leurs questions sans tabou et apprécient d’avoir entendu l’opinion des autres élèves et… d’avoir parlé non seulement de prévention mais aussi d’Amour.
25 Un échantillon de réponses est donné dans le tableau 3 et de nombreuses autres appréciations d’élèves sont rapportées par Denise Stagnara (1999, p. 151-155). Ces avis sont utiles pour mieux préparer les interventions, car ils nous permettent de rester en phase avec leurs attentes.
26 Une compilation de ces retours est remise à chaque élève. C’est pour eux un moyen de savoir ce que leurs camarades ont pensé et de pouvoir éventuellement en parler avec leurs amis et leurs parents.
Commentaires et éléments de réflexion
27 La méthode Sésame est centrée sur l’interactivité et la valorisation des élèves (Stagnara, 1995 ; Stagnara, 1999 ; Stagnara, 2006). Le recueil des questions à l’avance permet de connaître leurs préoccupations et de préparer les interventions. L’anonymat est essentiel pour que les jeunes s’expriment en toute liberté. Ils apprécient que l’intervenant leur soit inconnu et neutre et réponde à « leurs » questions sans faire de cours « magistral ».
28 Lors des interventions, la très grande majorité des élèves rencontrés va bien et cela confirme l’enquête Ipsos-Pfizer menée en 2014 auprès de 805 jeunes âgés de 15 à 18 ans, dans laquelle les adolescents disaient aller bien à 85 % (cité dans Jeammet, 2015). Cependant, ils sont préoccupés par l’analyse de leurs sentiments, la compréhension des changements qui s’opèrent en eux, et leur confrontation à la norme qui s’impose à travers les réseaux sociaux alors que leurs sentiments amicaux et amoureux et leurs désirs sexuels se développent (Jeammet, ibid.). Ils restent très intéressés par les questions concernant l’amour et l’amitié qui représentent environ 20 % de la totalité de leurs questions. Cet intérêt est illustré par les statistiques rapportées dans l’enquête Ipsos qui relatait que 78 % des jeunes interrogés étaient déjà tombés amoureux, 91 % pensaient que l’important ce n’est pas le sexe, mais d’aimer et d’être aimé en retour, et que 74 % pensaient qu’il fallait être amoureux pour son premier rapport sexuel (ibid.).
29 Pour les comprendre et les aider à mieux analyser leurs sentiments, leurs désirs et leurs pulsions, il est nécessaire de les rencontrer « là où ils sont sans les juger » (Matos, 2016). Les interventions réalisées par des bénévoles sont parfois critiquées par les professionnels de l’éducation ; or un adulte bénévole formé peut être un atout formidable dès lors qu’il est conscient de sa posture et qu’il agit pour informer de façon non militante et neutre les élèves et les aide à réfléchir et à débattre (Athéa, 2007, p. 84). Enfin Sésame, association loi 1901 laïque et apolitique, intervient presque toujours dans un cadre transversal dont il faut tenir compte puisque d’autres acteurs sont susceptibles d’intervenir dans le domaine de l’ears :
30 – enseignants de science et vie de la terre (svt), de littérature, etc. ;
31 – professionnels (infirmières, sages-femmes, psychologues, juristes, policiers, etc.), impliqués dans l’accompagnement des jeunes ;
32 – organismes et institutions publiques orientés vers la prévention des ist et des grossesses non désirées, mais pouvant aborder aussi les notions de respect, de responsabilité et de consentement : Centre régional d’intervention et de prévention du sida et pour la santé des jeunes (crips), Centres de planifications et d’éducation familiale (cpef), etc. ;
33 – associations régionales loi 1901 répondant à des besoins locaux d’intervention souvent plus centrées sur les relations affectives et intervenant généralement en établissements privés ;
34 – associations nationales loi 1901 ayant un réseau étendu comme Couple et Famille et le cler (Centre de liaison des équipes de recherche sur l’amour et la famille), confessionnelles, mais qui abordent également en profondeur les questions relatives à l’estime de soi essentiellement dans les établissements privés.
35 Plus que d’être concurrents, ces organismes et associations sont complémentaires et permettent d’aborder de manière progressive l’ears qui, en théorie, doit être dispensée à raison de trois séances par année entre la classe de 6ème et la terminale (circulaire 2003). C’est loin d’être la réalité puisque, selon une enquête publiée en 2016 (hce, 2016), moins de 25 % des établissements organisaient plusieurs interventions, et moins encore dans les classes de 4ème, 3ème et seconde…
36 Sésame intervient seulement à 20 % dans les établissements publics, souvent pour des raisons administratives, et à 80 % dans les établissements privés de gestion plus souple. Elle a un souci constant d’adaptation. Sésame essaye de prendre en compte l’évolution de notre société, et en particulier de l’irruption d’Internet et des réseaux sociaux. En effet, de nombreux outils se sont développés au cours de ces dix dernières années, et les moyens de communication utilisés massivement par les jeunes (smartphones, tablettes, sites, etc.) ont modifié la notion même d’intimité. Celle-ci est sortie du cadre familial. Les confidences des adolescents et leurs sentiments sont plus souvent partagés avec leurs pairs et leurs amis, y compris des amis « lointains » ! Ce qui fait parler aujourd’hui « d’extimité ». Le mode de rencontre des jeunes entre eux s’est modifié et la notion même de relation sexuelle dans une relation interpersonnelle et amoureuse est remise en cause avec les relations sexuelles entre amis («sex-friends ») et le développement des sites de rencontres. Ces réalités sont encore plus présentes dans les classes « d’adaptation » (segpa) et sont prises en compte lors des interventions. Il en est de même de la pornographie, visionnée de plus en plus souvent et de plus en plus jeune (ifop, 2017). Elle est en principe interdite d’accès aux mineurs, mais en pratique la loi n’est pas appliquée. Elle constitue une violence « imposée » aux mineurs qui regardent ces films et introduit une « normalisation » de certaines pratiques sexuelles, violentes et dégradantes. Elle perturbe la construction de la personnalité affective de nombreux jeunes et inquiète beaucoup de jeunes filles (Marzano, 2006). À travers l’augmentation des questions sur les pratiques issues de la pornographie, Sésame constate cet effet « normalisateur » des relations sexuelles qui, pour les adolescents, en particulier garçons, semble « justifier » certaines pratiques et déroute, voire inquiète, beaucoup d’autres adolescents. Face à ces changements, Sésame a évolué et a appris à « déconstruire » les images pornographiques pour faire réaliser aux élèves en quoi les films « pornos » diffèrent de la réalité (Athéa, 2007, p. 270). L’accessibilité à la pornographie dès le plus jeune âge amène à intervenir dès les classes primaires (cm1 et cm2), à la demande des établissements. Ces interventions demandent une mise à jour permanente des compétences sur ce sujet et, en primaire, une bonne coordination avec les enseignants.
37 De même, les demandes d’intervention dans des établissements spécialisés, comme les Instituts médico-psychologiques (imp), ou les Maisons d’enfants à caractère social (mecs) ont nécessité de mettre en place une formation et des outils adaptés pour intervenir en coordination avec les éducateurs.
Conclusion
38 L’éducation affective, relationnelle et sexuelle en milieu scolaire est théoriquement au programme des écoles, collèges et lycées, depuis la loi de 2001 et la circulaire de 2003. Cette obligation n’est que partiellement respectée faute de moyens, de formation adaptée et, parfois, de motivation (rapport hce, 2016). Les organismes et institutions nationales et départementales ne répondent qu’en partie à ce programme d’ears. Des associations de bénévoles extérieurs à l’Éducation nationale offrent des possibilités d’interventions anonymes qui favorisent les échanges avec les élèves en toute liberté. C’est le cas de Sésame qui a régulièrement été agréée depuis 2001 et a développé une méthode d’éducation réflective complémentaire à celle des parents, premiers éducateurs des jeunes, et des professionnels de l’éducation et dont il serait préjudiciable de se priver.
39 Nous sommes tous concernés et nous devons nous mobiliser autour de cette ears indispensable pour aider les jeunes à accéder à une vie affective et sexuelle harmonieuse et sûre. Accompagnons-les pour analyser avec eux les informations délivrées par les médias et les réseaux. Ils ont une capacité de réflexion étonnante. Informons-les, rassurons-les, aidons-les à réfléchir et à avoir confiance en eux, pour pouvoir dire encore longtemps, avec Ph. Jeammet (2015), que les « adolescents d’aujourd’hui vont bien… »
Tableau 1 : sélection de questions des classes de 4ème (12-14 ans) portant sur l’anatomie, la puberté, la grossesse, la contraception, la première fois, la pornographie, l’amitié, l’amour et les différences garçon-fille en 2017 (questions sélectionnées à partir des 280 questions posées par les élèves de 6 classes : 118 élèves, 51 garçons / 67 filles ; syntaxe des élèves conservée…)
Questions des filles de 12 à 14 ans | Questions des garçons de 12 à 14 ans |
– Pourquoi la puberté existe ? Pourquoi elle arrive plus tôt chez les filles que chez les garçons ? – Est-il normal d’avoir des envies ? – À quel âge environ a-t-on ses règles ? – Comment fait-on un bébé ? – Est-ce qu’une femme peut tomber enceinte dès son premier rapport ? – À quel âge peut-on acheter des pilules ? – Faut-il en parler à ses parents ? (si on a peur…) – Y a-t-il d’autres moyens de contraception que le préservatif et la pilule ? – C’est quoi les mst ? – Quels sont les effets du sida ? – Comment bien se protéger du sida ? – Est-ce grave de faire l’amour avant l’âge moyen ? – Quel est l’âge idéal pour la 1ere fois ? – Comment savoir si on est « prêt » pour la 1ère fois ? – Comment savoir si c’est la bonne personne ? – Est-ce qu’on saigne lors de la première fois ? – Les préliminaires se composent de quoi ? – C’est quoi se masturber ? – C’est quoi la sodomie ? – Est-ce que c’est dangereux d’aller sur les sites X (mais je n’y vais pas) ? – Le sperme a-t-il des effets bénéfiques ? – Comment choisir ses amies ? – Comment faire durer l’amitié ? – Est-ce que l’amitié fille et garçon existe ? – Est-ce que le grand amour existe ? – Qu’est-ce qu’on ressent quand on tombe amoureux ? | – Quelle est la taille normale du pénis ? – Pourquoi les « blacks » ont souvent un plus gros pénis que nous ? – Vers quel âge survient la 1ère éjaculation ? – Peut-on faire l’amour toute notre vie ? – Comment on fait les bébés ? – Est-ce que les filles peuvent tomber enceintes la 1ère fois ? – Quels sont les moyens de contraception ? Le plus fiable ? – Pourquoi les hommes doivent mettre un préservatif ? – Quel est l’âge légal pour acheter des préservatifs ? – C’est quoi le sida ? Comment l’attrape-t-on ? – Où passer un test si on a une maladie ? – C’est quoi les préliminaires ? – À quel âge en moyenne fait-on notre 1ère fois ? Comment sentir si c’est le bon moment ? – À quoi ça sert et c’est quoi une fellation ? – Est-ce que la masturbation peut apporter des mauvaises choses … ? – Pourquoi les garçons regardent des films X ? Pourquoi est-il déconseillé de regarder des films pornographiques ? – Peut-on pratiquer le sexe anal ou buccal lors de notre première fois ? – Comment on sait qu’on est amoureux ? – Pourquoi aimons-nous une personne plus qu’une autre ? |
– Est-ce que c’est normal d’être jaloux ? – Comment dire à quelqu’un qu’on l’aime quand on est trop timide ? – Comment aborder le sujet de l’amour avec ses parents ? – Pourquoi les garçons ne s’intéressent qu’au sexe lorsqu’ils sortent avec des filles ? | – Est-ce normal de ne pas arriver à aller vers la personne à laquelle nous sommes attirés ? |
Tableau 1 : sélection de questions des classes de 4ème (12-14 ans) portant sur l’anatomie, la puberté, la grossesse, la contraception, la première fois, la pornographie, l’amitié, l’amour et les différences garçon-fille en 2017 (questions sélectionnées à partir des 280 questions posées par les élèves de 6 classes : 118 élèves, 51 garçons / 67 filles ; syntaxe des élèves conservée…)
Tableau 2 : sélection de questions de classes de seconde en 2017 (questions sélectionnées à partir des 281 questions posées par les élèves de 12 classes ; 190 filles et 79 garçons ; âge 14 -16 ans ; syntaxe des élèves conservée…).
Questions des filles de 14 à 16 ans | Questions des garçons de 14 à 16 ans |
– Comment savoir si on est attiré par les femmes ou les hommes ? – Pourquoi une fille sera plus facilement insultée après un rapport sexuel qu’un garçon ? – Est-ce normal d’avoir peur la première fois ? – Quand sommes-nous prêts ? – À quel âge c’est le mieux ? – Dans quel lieu ? Comment sait-on que c’est la bonne personne ? – Peut-on faire notre 1re fois avec quelqu’un que l’on n’aime pas ? – Qu’est-ce que la majorité sexuelle ? – Quels sont les différents moyens de contraception ? – La pilule du lendemain est-elle dangereuse ? – Le stérilet est vraiment efficace ? – Quel est le risque de tomber enceinte quand l’homme met un préservatif ? – Peut-on se faire dépister anonymement ? Et où ? Les préservatifs sont-ils vraiment efficaces contre les ist… ? – Est-ce que l’amitié garçons / filles est possible ? – Existe-t-elle vraiment ? « sans ambiguïtés » ? – Pourquoi j’ai jamais de copain ? – Est-ce normal de ne pas encore avoir eu un petit copain ? – Quelle est la différence entre attirance et amour ? – Peut-on être amoureux à notre âge ? – Comment détermine-t-on une relation dite « sérieuse » ? – La sexualité est-elle indispensable dans une relation amoureuse ? – Un homme a-t-il toujours une pensée derrière la tête ? – Pourquoi les garçons ne veulent que du sexe ? | – Est-ce grave de douter de sa sexualité ? – À quel âge avoir sa première relation sexuelle ? – Comment faire si on a un blocage pour notre 1ère fois ? – Comment faire l’amour ? – Est-on obligé de faire les préliminaires avant ? – Comment donner le maximum de plaisir à sa partenaire ? – Comment on peut savoir si sa partenaire en a envie ? – Est-ce que lors d’une relation sexuelle la femme et l’homme doivent se protéger tous les deux ? – Est-il possible d’obtenir des préservatifs gratuitement ? Et où ? – Les préservatifs peuvent-ils casser ? – Peut-on attraper le sida avec une sodomie, un cunnilingus ou une fellation ? – Est-ce possible de confondre amour et amitié ? – L’amitié fille gars est-elle possible ? – Comment …récupérer la confiance d’une amie ? – Comment savoir si c’est un ami sincère ou pas ? – Comment garder une amitié longtemps ? – Comment trouver des amies qui nous correspondent ? – Comment faire pour demander à quelqu’un si on lui plaît ? – Faut-il forcément être amoureux pour faire l’amour ? – Je n’ai pas encore été amoureux, est-ce normal ? – Faut-il avoir essayé quelque chose avec les deux sexes pour connaître notre sexualité ? – Pourquoi les filles changent quand on se met en couple ? – Comment en parler à ses parents ? – Les envies de suicide à notre âge, est-ce normal ? |
Tableau 2 : sélection de questions de classes de seconde en 2017 (questions sélectionnées à partir des 281 questions posées par les élèves de 12 classes ; 190 filles et 79 garçons ; âge 14 -16 ans ; syntaxe des élèves conservée…).
Tableau 3 : sélection de commentaires d’élèves de 4ème et seconde sur les interventions en 2016
Ça permet de comprendre que je ne suis obligée de rien Ça permet d’avoir un autre point de vue et d’éviter de faire des faux pas Je croyais que le porno c’était bien pour apprendre. Il faut prendre plus de temps avant d’agir. Ce genre de rencontre est important pour aider au développement de la maturité de certains, pour parler de choses dont on n’a pas l’habitude. C’est compliqué de comprendre la frontière entre amour et amitié. C’est intéressant de connaître les attentes des garçons et des filles sur les relations amoureuses. Je vais essayer d’être moins être jalouse et possessive, faire + confiance C’était bien de parler avec une personne qu’on ne reverra pas |
Tableau 3 : sélection de commentaires d’élèves de 4ème et seconde sur les interventions en 2016
Bibliographie
Bibliographie
- Athéa, N. 2006. Parler de sexualité aux ados. Une éducation à la vie affective et sexuelle,
- Paris, Eyrolle, 2007.
- Bajos, N. ; Bozon, M 2008. Enquête sur la sexualité en France. Pratiques, genre et santé, Paris, La Découverte.
- Circulaire 2003 N° 2003-027 DU 17-2-2003 du ministère de l’éducation nationale : http://www.education.gouv.fr/botexte/bo030227/MENE0300322C.htm
- Ifop, 2017. Enquête sur la consommation de pornographie mars 2017, pour l’Observatoire de la Parentalité et de l’Éducation. https://www.20minutes.fr/high-tech/2033019-20170320-consommation-porno-progresse-chez-ados-ca-passe-desormais-smartphone
- Jeammet, P. ; Cyrulnik, B. et coll. 2015. Adolescents d’aujourd’hui. Ils vont bien, merci, Paris, Bayard.
- Matos, J. 2016. Quand les ados jouent au sexe, Paris, Mediaspaul Éditions.
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- Marzano, M. 2006. Malaise dans la sexualité. Le piège de la pornographie, Paris, J.-C. Lattès.
- Rufo, M. ; Choquet, M. 2007. Regards croisés sur l’adolescence, son évolution, sa diversité, Paris, Anne Carrière.
- Stagnara, D. et P. 1995. L’éducation affective et sexuelle en milieu scolaire, Association Sésame, 2003.
- Stagnara, D. 1999. Aimer à l’adolescence, ce que pensent et vivent les 13-18 ans, Paris, Dunod, 2003.
- Stagnara, D. 2005. L’amour c’est génial mais… 60 questions d’ados sur le sexe et l’amour… et comment y répondre, Paris, Dunod.
Mots-clés éditeurs : Éducation affective, éducation relationnelle, amitié, sexualité, amour, adolescent
Date de mise en ligne : 04/07/2018.
https://doi.org/10.3917/ep.077.0106