Notes
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[1]
Président du Conseil de l’Ordre des Médecins, Louis Portes fut nommé en 1943 et reconduit après la Libération.
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[2]
La roqya est une thérapie traditionnelle dans le monde musulman qui permet de soigner les actes de sorcellerie, de mauvais œil et également de se protéger contre ces derniers. Elle consiste principalement en l’incantation de versets du Coran. Elle peut être pratiquée seul ou avec l’aide d’un guérisseur.
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[3]
« Mais certainement sa jactance, son aplomb, ses fanfaronnades cachaient un grand désarroi. Un enfant, c’est un insurgé : il se voulut raisonnable comme un homme. Il n’eut pas à conquérir la liberté, mais à s’en défendre : il s’imposa les normes et les interdits qu’un père vivant lui eût dictés » S. de Beauvoir, Mémoires d’une jeune fille rangée, Paris, Gallimard, 1958.
1 « Noli me tangere ! » Cette locution latine (« Ne me touche pas » ou « Ne me retiens pas ») attribuée au Jésus d’après la résurrection face à Marie-Madeleine est aussi le cri de l’enfant qui refuse le soin. Pourquoi et comment refuser ce qui est bon pour soi ? En réalité, plutôt que de refus de soin, il semble plus judicieux de parler de refus d’un soin. Ce n’est pas le prendre soin que l’enfant ou l’adolescent refuse, mais bien une technique (diagnostique, thérapeutique…) spécifique. Loin d’être refus du soin, il s’agira d’une interpellation, d’un message adressé au soignant : le refus d’un soin est communication (Wils, 1996). Il s’agit d’une invitation au dialogue, à la négociation entre deux libertés. Il rappelle brutalement au soignant l’altérité et la subjectivité de « son » patient.
2 Cette question est au confluent de plusieurs approches : la réflexion bioéthique qui interroge la place du sujet autonome dans le soin, la médecine et la psychologie du développement qui tiennent compte de l’âge maturatif et du niveau de discernement de l’enfant, et la loi qui définit les droits et devoirs de chacun. Comme souvent lorsque l’enfant est en jeu, certaines incohérences peuvent affleurer entre ces différents niveaux de réflexion. On tentera aussi de les évoquer selon l’âge de l’enfant.
Le nourrisson et le jeune enfant
3 Traditionnellement, la médecine, plus encore la pédiatrie, s’est fondée sur un modèle paternaliste. Le médecin qui détient le savoir prend une décision en respectant le principe de non-malfaisance et de bienfaisance, l’enfant et ses parents exécutent : ceux-ci sont perçus comme incapables de décider pour leur enfant (Rude-Antoine, 2012), et l’enfant n’a pas voix au chapitre. Une telle relation médicale, que Louis Portes [1] définissait comme la rencontre d’une conscience et d’une confiance, ne laisse pas la place au refus.
4 Il s’agit d’une situation courante en pédiatrie. Les nourrissons et jeunes enfants ne peuvent comprendre la nécessité d’un soin douloureux ou d’une immobilisation. Si l’on se réfère à la psychologie du développement décrite par Jean Piaget, le nourrisson correspond au stade sensorimoteur, l’enfant de 2 à 7 ans au stade préopératoire. À cet âge, marqué par l’avènement du langage, il est capable d’opérer des rapprochements pour identifier des objets, mais il lui est difficile de manipuler des concepts abstraits. Ainsi il ne parvient pas à rapprocher mentalement l’objet aiguille de la catégorie soins (Lombart, 2016). En l’absence de consentement de la part de l’enfant, c’est tout naturellement vers les parents, souvent la mère, que le pédiatre se tourne pour imposer le soin à l’enfant. L’agitation est une réaction fréquente face à la menace, s’apparentant à une tentative de fuite. Si les explications, les techniques d’analgésie et de distraction sont insuffisantes, il arrive qu’une contention le temps d’un soin soit décidée par une équipe soignante. Ce cas de figure est la situation de refus de soin la plus fréquente en pédiatrie. Les médecins et soignants se placent dans une position que Bénédicte Lombart (2016) nomme la cécité empathique transitoire : ils choisissent consciemment d’occulter la souffrance et le refus de l’enfant afin d’être en état de dispenser le soin. La contention qui l’accompagne ici doit faire l’objet d’une réflexion d’équipe, de réévaluations régulières et n’être utilisée qu’en dernier recours. Elle ne doit pas dispenser les soignants, quel que soit le niveau de compréhension de l’enfant, de prendre le temps de lui expliquer le soin, de créer autour de lui une ambiance apaisante, d’utiliser la distraction, d’impliquer ses parents pour le rassurer.
5 Habitués au refus du petit enfant, les soignants pédiatriques se sentent ainsi légitimes à ne pas tenir compte du refus de l’enfant, considéré comme inapte à exprimer une opposition valable ou à donner son consentement. En effet, le consentement procède de la rencontre de la capacité de discernement d’un patient et d’une information loyale, claire et appropriée. Il n’est de consentement, et donc de refus valide, qu’en présence de ces deux éléments. Puisque le jeune enfant n’a pas de capacité de discernement, on ne peut lui demander de consentir au soin et tous les moyens pour bien le dispenser seront utilisés malgré son opposition, sa colère ou sa crainte, avec l’aide des parents. Ce raisonnement imprègne l’attitude pédiatrique, y compris lorsque l’enfant grandit.
Le grand enfant et le préadolescent
6 L’enfant objet du soin (médical ou parental) se veut progressivement acteur de son soin. Au stade des opérations concrètes de Piaget, l’enfant devient capable de conceptualiser, de créer des raisonnements logiques encore directement liés au concret. Le petit devenu grand se découvre capable d’une certaine autonomie, prêt à s’opposer aux adultes, aux parents (Wils, 1996). Cela peut s’exprimer par le refus : l’acteur refuse de jouer le rôle prévu. Soigner cet enfant devient difficile, sous le double risque du danger vital et de la régression.
7 Le jugement de l’enfant est victime d’une double disqualification (Lombart, 2016) : d’abord, du fait de son statut d’enfant, de son immaturité cognitive et ensuite par sa position de patient, manquant des connaissances médicales. En pratique, la capacité de raisonnement de l’enfant est surtout remise en question lorsqu’il refuse de se soigner. Ainsi l’enfant dénué de raison devient-il l’enfant déraisonnable ; le raisonnable n’est pas ici la capacité de faire usage de sa raison, mais plutôt la disposition à accepter et faire siennes les raisons proposées par d’autres (soignants, parents) et finalement à se soumettre à l’adulte (Lombart, 2016).
8 Le pédiatre, habitué à ne pas tenir compte de l’opposition du petit enfant, pourrait interpréter le refus de Matteo, qu’il soigne depuis plusieurs années, comme une trahison de sa confiance ou une remise en question de son autorité ou de ses compétences. Ainsi, il n’a pas su écouter les sentiments de l’enfant. Qu’exprime Matteo en refusant l’insuline qu’il sait indispensable à sa vie : est-ce une demande d’aide (« Faites l’injection à ma place »), une attaque contre ses parents, contre la maladie, contre lui-même ? L’attitude de cet enfant doit se comprendre au sein de son système familial, entre agressivité émancipatrice et régression. Le sentiment de culpabilité parental, toujours présent dans la maladie chronique, peut-être renforcé ici par la maladie de la mère, a-t-il conduit à des réactions éducatives inadaptées ? Quelle part donner au « travail du mal » décrit par Maud Marioni (2008), c’est-à-dire à la souffrance de l’enfant face à celle (réelle ou supposée) que son état procure à ses parents ?
9 Avec cet enfant et ses parents, le pédiatre rappellera d’abord la réalité, le diabète et la nécessité de l’insuline. Cette information est toujours nécessaire quel que soit le niveau maturatif de l’enfant. Informer, c’est étymologiquement « mettre en forme » un matériau. Ce n’est pas transvaser des connaissances, mais in-former des matériaux cognitifs et affectifs qui composent l’univers mental de l’enfant, au sein d’une relation dynamique et interactive (Le Coz, 2010). Ensuite, l’écoute de l’enfant – ce qu’il ressent, ce qu’il peut exprimer – nécessitera une attention, une démarche proactive de la part du pédiatre. Elle n’est pas forcément naturelle pour lui, habitué à traiter avec les parents qui interprètent ses comportements avec leur connaissance de leur enfant, leur culture, leur personnalité (Leblanc, 2007). Enfin il lui faudra prendre en compte les opinions de l’enfant. Une opposition n’est pas la fin de la discussion, mais l’initiation d’un dialogue, dont l’objectif premier sera de permettre à l’enfant et à ses parents de mieux comprendre les enjeux sous-jacents à l’opposition. En effet, le refus de soin en pédiatrie se situe autant chez l’enfant qu’au sein de sa relation avec les médecins, sa famille, la maladie (Wils, 1996). Dans les situations de blocage, l’intervention d’un « psy » (psychologue, pédopsychiatre de liaison…) est parfois indiquée, pour ses compétences spécifiques et sa position tierce, non impliquée dans la décision du soin. Il facilitera l’expression du malade et tentera de donner un sens au refus. Ainsi, Matteo, enfant diabétique trop vite autonomisé, a finalement consenti (et en réalité demandé) à ce que l’injection du matin soit réalisée par son père, restauré de cette façon dans un rôle parental que la maladie assignait exclusivement à la mère.
10 Le diabète de l’enfant, maladie qui se soigne extrêmement bien sans jamais se guérir, est paradigmique des enjeux de la maladie chronique : le danger vital est indéniable, le contrôle parental peut l’éviter, mais l’acquisition d’un certain degré d’autonomie de l’enfant rend les contraintes thérapeutiques plus aisément applicables. Parfois, les parents et soignants qui transfèrent la charge du soin quotidien sur l’enfant perdent de vue son jeune âge. Dans ce mouvement, ils sont aussi victimes de notre société libérale qui promeut dès l’enfance les valeurs d’autonomie et de libre arbitre (Bonnet, 2010).
La société et la loi
11 La notion de consentement, et donc de refus, est en effet consubstantielle au libéralisme qui imprègne le monde occidental. Dans un modèle sociétal individualiste, les représentations sociales encouragent l’autonomisation et la libre expression des grands enfants et adolescents. L’idéal collectif est alors une référence à soi-même plutôt que la promotion des modèles identificatoires (Votadoro, 2007). Un équilibre reste à définir avec la sollicitude que requiert parfois leur situation de vulnérabilité (Bonnet, 2010), ce d’autant que la loi ne fixe pas d’« âge de raison ».
12 La notion de droits de l’enfant s’est développée au cours des dernières décennies ; elle s’appuie sur différents textes (voir encadré) et s’inscrit dans un cadre juridique qui place l’enfant sous l’autorité de ses parents ou des adultes qui en tiennent lieu. C’est donc aux titulaires de l’autorité parentale de consentir aux soins donnés aux mineurs (Rude-Antoine, 2012). Pourtant, si le code de déontologie médicale précise bien qu’« un médecin appelé à donner des soins à un mineur ou à un majeur protégé doit s’efforcer de prévenir ses parents ou son représentant légal et d’obtenir leur consentement », il est aussitôt ajouté que « si l’avis de l’intéressé peut être recueilli, le médecin doit en tenir compte dans toute la mesure du possible ».
4. Les enfants et leurs parents ont le droit de recevoir une information sur la maladie et les soins, adaptée à leur âge et leur compréhension, afin de participer aux décisions les concernant.
Convention de l’onu relative aux droits de l’enfant dite de New York ratifiée le 20 novembre 1989
Art. 12 : Les États parties garantissent à l’enfant qui est capable de discernement le droit d’exprimer librement son opinion sur toute question l’intéressant, les opinions de l’enfant étant dûment prises en considération eu égard à son âge et à son degré de maturité.
Convention sur les droits de l’Homme et la biomédecine adoptée par les états membres du Conseil de l’Europe à Oviedo le 4 avril 1997
Art. 6 : Lorsque, selon la loi, un mineur n’a pas la capacité de consentir à une intervention, celle-ci ne peut être effectuée sans l’autorisation de son représentant, d’une autorité ou d’une personne ou instance désignée par la loi. L’avis du mineur est pris en considération comme un facteur de plus en plus déterminant, en fonction de son âge et de son degré de maturité.
Loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé
Art. L1111-2 : Toute personne a le droit d’être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu’ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus […] Les droits des mineurs ou des majeurs sous tutelle mentionnés au présent article sont exercés, selon les cas, par les titulaires de l’autorité parentale ou par le tuteur. Ceux-ci reçoivent l’information prévue par le présent article, sous réserve des dispositions de l’article L. 1111-5. Les intéressés ont le droit de recevoir eux-mêmes une information et de participer à la prise de décision les concernant, d’une manière adaptée soit à leur degré de maturité s’agissant des mineurs, soit à leurs facultés de discernement s’agissant des majeurs sous tutelle.
Art. L1111-4 : […] Le consentement du mineur ou du majeur sous tutelle doit être systématiquement recherché s’il est apte à exprimer sa volonté et à participer à la décision.
Loi du 4 mars 2002 relative à l’autorité parentale
Art. 371-1 du Code civil : […] Les parents associent l’enfant aux décisions qui le concernent, selon son âge et son degré de maturité.
Adolescents
13 La puberté puis l’adolescence, par leurs modifications rapides, convoquent la question de la normalité et renforcent les mécanismes de subjectivation et d’autonomisation. La maladie peut être le lieu d’expression de la quête d’expérimentation et d’émancipation au risque du refus de soin ou de l’inobservance thérapeutique (Rouget, 2015). Cependant, l’adhésion au traitement et le consentement ne se recouvrent pas : un adolescent peut très bien consentir à une médication, mais se montrer incapable d’y être fidèle. Il ne s’agit pas forcément d’un refus, mais parfois (et même souvent) d’autres enjeux : déni de la maladie, symptomatologie dépressive, comportement d’expérimentation, équivalent suicidaire, recherche de l’illusion d’être « comme les autres », « normal ». Alors que l’inobservance thérapeutique est un problème fréquemment évoqué à l’adolescence, l’authentique refus de soin apparaît plutôt rare. Cependant, ces situations, parfois dramatiques, source de tensions, de sentiments d’échec et d’impuissance, que ce soit chez les parents ou du côté des soignants, marquent profondément les équipes médicales. Le danger serait de répondre à l’expression du refus par un passage à l’acte.
14 Faire adolescence, c’est aussi prendre le pouvoir. Pouvoir sur son corps, qui auparavant appartenait au parent (c’est le parent qui habille, qui nourrit, qui lave…) ; il n’est pas anodin que cette prise de pouvoir ait lieu justement dans les suites de la puberté, ressentie comme une perte de contrôle face à des changements souvent vécus comme subis, contemporaine de la réémergence de l’impulsivité (Votadoro, 2007).
15 Face à cet adolescent, la prise en charge médicale devra franchir trois étapes successives (Mayaud, 2011) : l’évaluation du soin proposé, l’analyse du refus, la formulation d’une nouvelle proposition. La première réaction du pédiatre risque d’être égocentrique, d’assimiler le refus à une remise en cause de la science médicale, ou pire, de sa compétence personnelle. Si c’est la science médicale qui est attaquée, il considérera l’adolescent comme incompétent pour déterminer la pertinence du soin ; lorsque sa compétence est questionnée, il sera d’autant plus intransigeant qu’il est moins assuré. Il tentera d’annuler le discours du patient en le jugeant tenu sous le coup de l’émotion. Pourtant, il est toujours nécessaire de s’interroger sur le bien-fondé du soin proposé ; parfois le refus de la part de l’adolescent paraîtra sinon justifié, au moins justifiable, le jeune exprimant ainsi aux équipes de soin une vérité qu’elles-mêmes refusaient de considérer ; c’est notamment le cas d’un jeune refusant un traitement mutilant ou aux lourds effets secondaires lors de rechutes de cancer : les adolescents sont parfois en avance sur les équipes de soin et les parents dans l’acceptation d’un pronostic défavorable. C’est au prix de ce travail d’évaluation de la pertinence du soin qu’on pourra valablement débattre avec l’adolescent, et alors tenter d’abord de décrypter les motivations du refus, puis d’intégrer ces motivations pour sinon convaincre, au moins négocier une adaptation tolérable pour tous du plan de soin. Analyser les motivations, qu’elles soient formulées ou non, du refus de soin, c’est d’abord en comprendre les enjeux. Ils peuvent être de plusieurs natures (Mayaud, 2011) : certains sont directement liés au soin, parce que le bénéfice est non ou mal perçu ou que les risques sont mal ou exagérément perçus. On interrogera l’adolescent sur ses représentations de ce soin et de la maladie, au travers de son histoire familiale, des rencontres faites à l’hôpital (telle cette jeune fille atteinte de mucoviscidose qui refuse une greffe pulmonaire arguant que les deux dernières adolescentes transplantées, qu’elle connaissait bien, sont mortes quelques mois après la chirurgie). La peur des conséquences sociales ou socioaffectives du soin sera aussi explorée : crainte d’une période de déscolarisation, de la stigmatisation par les pairs, d’abandonner sa famille ou de se sentir abandonné du fait d’une hospitalisation… Les différences culturelles seront prises en compte : pourquoi initier un traitement en France alors que la maladie serait liée à une pratique magique, à un envoûtement, et qu’il suffit de retourner au pays pour faire la roqya [2] ? Enfin, le refus de soin est parfois le signe d’une impasse, d’un enjeu totalement autre ; ainsi, une adolescente diabétique qui éteignait sa pompe à insuline, de façon volontaire et assumée, ce qui la conduisait à être hospitalisée en urgence. Ce n’est qu’au bout de plusieurs mois qu’elle a révélé être victime de maltraitance sexuelle de la part d’un beau-père récemment arrivé.
16 Dans les situations les plus dramatiques, où le refus d’un soin jugé indispensable est réitéré par un grand adolescent non accessible à la négociation, il sera nécessaire d’évaluer finement sa capacité de discernement. Elle est considérée présente lorsque l’adolescent a atteint une maturité cognitive et émotionnelle suffisante pour comprendre le but, les effets et les conséquences indésirables du soin, les traitements alternatifs et les conséquences – positives et négatives – d’une abstention. Deux éléments constituent le discernement : une part intellectuelle, la faculté de comprendre et d’apprécier correctement la signification, l’opportunité et les conséquences d’une situation ou d’une action, et une part volontaire, la faculté d’agir librement en se fondant sur l’appréciation intellectuelle qui a été faite (Mirabaud, 2013). Cette aptitude doit être évaluée en se fondant sur le processus de décision et non sur la décision elle-même.
17 Une fois mieux comprises les motivations du refus de soin, le médecin devra les intégrer afin de reformuler une proposition de soin, en l’accompagnant d’explications supplémentaires ou en la modifiant (Mayaud, 2011). On aidera aussi l’adolescent à comprendre que le refus lui a permis de trouver un sentiment de maîtrise de sa vie, mais qu’il s’agit surtout d’une incapacité à reconnaître les autres et leur projet comme ressource et contrainte utiles à la création et la réalisation de ses propres projets. Cette reconnaissance est en fait la réelle définition de l’autonomie (Wils, 1996). Parfois, l’adolescent, sans donner son consentement, laissera alors paraître un assentiment ; ainsi, alors qu’une transfusion jugée indispensable était refusée, une adolescente demandera au médecin de « faire ce qu’il a à faire » et semblera se désintéresser alors de ce qui suit. Il faudra évidemment respecter ce niveau minimal de « non-refus ». Enfin, si la situation le permet, on laissera aussi du temps ; l’adolescence est l’âge des changements rapides dont Winnicott (1965) explique que le seul vrai remède repose sur « le passage du temps et les processus de maturation graduels qui aboutissent finalement à l’apparition de la personne adulte, processus qu’on ne peut ni accélérer ni ralentir, mais qu’on risquerait d’interrompre et de détruire ou encore de flétrir du dedans, aboutissant à la maladie mentale ».
18 Le refus de soin peut être finalement envisagé comme une forme primaire de consentement ; il s’agit de consentir au refus. De la même façon, un consentement n’est possible que par l’existence du droit de dire non ; le consentement vient après, il s’agit de dire oui après avoir pu dire non, de dire non au non (Ameisen, 2010). L’enfant ou l’adolescent qui refuse le soin invite le soignant au dialogue et non au retrait. Le pédiatre, qui intervient auprès d’un être en permanente construction, adaptera son discours et ses attitudes selon la situation traitée, l’âge, le niveau de discernement, la configuration familiale. Toujours, il s’efforcera d’intégrer les parents en tenant compte du niveau d’autonomie du patient. Confronté au refus, loin de s’en formaliser, il reconnaîtra l’altérité et la subjectivité de l’enfant et se donnera pour tâche d’expliquer, de comprendre les enjeux de ce refus, d’accompagner l’enfant dans une introspection et finalement de proposer un soin tolérable, respectant l’autonomie accordée à l’enfant et protégeant ses intérêts primordiaux. Et il tentera de préserver sa vision positive de l’enfant, en se souvenant de ce qu’écrivit Simone de Beauvoir dans ses Mémoires d’une jeune fille rangée : « Un enfant, c’est un insurgé [3]. »
Bibliographie
Bibliographie
- Ameisen, J.-C. 2010. « Penser le manque », dans E. Hirsch (sous la direction de), Traité de bioéthique, tome III, Toulouse, érès, coll. « Poche-Espace éthique ».
- Bonnet, M. 2010. « La difficulté du dire dans le colloque singulier en onco-pédiatrie », Journal des anthropologues, n° 122-3, p. 375-402.
- Le Coz, P. 2010. « Information médicale et relation de soin », dans E. Hirsch (sous la direction de), Traité de bioéthique, tome III, Toulouse, érès, coll. « Poche-Espace éthique », p. 243-254.
- Leblanc, A. 2007. « Le pédiatre à l’écoute de l’enfant », enfances&psy, n° 36, 2007/3, p. 128-35.
- Lombart, B. 2016. Les soins en pédiatrie. Faire face au refus de l’enfant, Paris, Seli Arslan.
- Marioni, M. 2008. « Le travail du mal chez l’enfant atteint d’une maladie somatique », Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence, n° 56 (1), p. 44-47.
- Mayaud, C. 2011. « Le médecin devant le malade qui refuse le traitement proposé », Laennec, n° 5, 2011/4, p. 31-37.
- Mirabaud, M. ; Barbe, R. ; Narring, F. 2013. « Les adolescents sont-ils capables de discernement ? Une question délicate pour le médecin », Revue Médicale Suisse, n° 9, p. 415-419.
- Rouget, S. 2015. « Lorsque la maladie chronique rencontre l’adolescence », enfances&psy, n° 64, p. 45-56.
- Rude-Antoine, E. 2012. « Le droit du patient mineur », Journal du droit des jeunes, n° 313, 2012/3, p. 19-24.
- Votadoro, P. 2007. « Clinique du pouvoir à l’adolescence », enfances&psy, n° 36, 2007/3 ; p. 154-164.
- Wils, J. 1996. « Introduction », dans Groupe Miramion / Espace éthique ap-hp idf, Le refus de soin en milieu hospitalier, disponible en ligne sur http://www.espace-ethique.org/sites/default/files/Cellule%20de%20re%CC%81flexion%20de%20l%27Espace%20e%CC%81thique_1996_Le%20refus%20de%20soins%20en%20milieu%20hospitalier.pdf
- Winnicott, D.W. 1965. The family and individual development, Londres-New York, Brunner-Routledge, 2001.
Mots-clés éditeurs : Enfant, refus de soin, discernement, adolescent, droits de l’enfant
Mise en ligne 18/05/2017
https://doi.org/10.3917/ep.073.0146Notes
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Président du Conseil de l’Ordre des Médecins, Louis Portes fut nommé en 1943 et reconduit après la Libération.
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La roqya est une thérapie traditionnelle dans le monde musulman qui permet de soigner les actes de sorcellerie, de mauvais œil et également de se protéger contre ces derniers. Elle consiste principalement en l’incantation de versets du Coran. Elle peut être pratiquée seul ou avec l’aide d’un guérisseur.
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« Mais certainement sa jactance, son aplomb, ses fanfaronnades cachaient un grand désarroi. Un enfant, c’est un insurgé : il se voulut raisonnable comme un homme. Il n’eut pas à conquérir la liberté, mais à s’en défendre : il s’imposa les normes et les interdits qu’un père vivant lui eût dictés » S. de Beauvoir, Mémoires d’une jeune fille rangée, Paris, Gallimard, 1958.