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Article de revue

Éditorial

Pages 6 à 11

Notes

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1Dans ses éditoriaux et ses numéros, enfances&psy a évoqué la question de l’autisme à plusieurs reprises (n˚ 60-2013, n˚ 53- 2011, n˚ 46-2010) pour souligner à quel point la polémique passionnelle sur les approches conceptuelles et thérapeutiques, les attaques caricaturales contre la psychanalyse et l’absence de reconnaissance de la psychiatrie de secteur est néfaste pour les enfants et adolescents concernés et leur famille. Loin d’œuvrer à apaiser les tensions et tempérer la violence des ayatollahs de l’autisme, la ministre du handicap et de la famille, dans le contexte préélectoral, accentue de façon démagogique ce mouvement en orientant les pratiques de façon univoque vers l’aba et en désavantageant, voire en interdisant toute formation ou recherche qui s’en différencie.

2Aussi nous a-t-il semblé, dans un souci d’information et de démocratie, indispensable de diffuser les deux lettres ouvertes au Président de la République ci-dessous, dont l’une émane d’une association de parents (le raahp) et l’autre de sociétés scientifiques de psychiatrie infanto-juvénile (sip, api, fdcmpp et sfpeada).

3*******

Pour le pluralisme et la liberté de choix Appel de 111 parents de personnes autistes  [1]

4À Monsieur François Hollande

5Président de la République Française

6Monsieur le Président,

7Vous allez intervenir prochainement sur la politique en faveur des personnes handicapées dans notre pays. Les 111 parents de personnes autistes signataires de cet appel voudraient, à cette occasion, attirer votre attention sur le vivre ensemble, mis à mal depuis des années dans le monde de l’autisme par des lobbies qui entretiennent une véritable guerre de religion à l’encontre des parents et des professionnels qui ne partagent pas leurs certitudes infondées.

8En l’état actuel des connaissances, aucune imagerie médicale ou aucune analyse biologique ne permet de poser le diagnostic d’autisme. Les causes des différentes formes d’autismes demeurent, à ce jour, largement inconnues malgré toutes les recherches menées dans le monde entier. Du côté des accompagnements de ces personnes, la has (la Haute autorité de santé) a reconnu qu’aucune étude scientifique n’avait permis de valider une approche particulière.

9Pourtant certains sont persuadés d’avoir trouvé la pierre philosophale, la méthode aba, présentée très sérieusement par ses laudateurs comme une découverte aussi incontestable que la gravitation universelle de Newton.

10Nous reconnaissons certes à tout parent le droit de choisir la méthode qui lui semble le mieux convenir à son enfant. Nous reconnaissons également que l’aba a développé quelques outils qui peuvent, dans certains cas, être repris utilement par toutes les approches. Mais, érigée en dogme excluant les apports de toutes les autres approches, elle a été appliquée à grands frais pendant des décennies en Amérique du Nord, sans que cela diminue le taux d’adultes autistes dépendants. En France, ses résultats décevants ont été mis en lumière dans une étude récente commandée par les pouvoirs publics : pour des coûts 2 à 4 fois supérieurs à ceux pratiqués dans des établissements traditionnels, les 28 centres expérimentaux aba financés par l’État depuis des années n’ont pas de meilleurs résultats. Aujourd’hui, les autorités de santé britanniques et belges prônent une attitude beaucoup plus prudente, indiquant qu’aucune méthode ne peut revendiquer de niveau de preuve scientifique suffisant et qu’aucune ne s’applique de façon universelle à l’ensemble du spectre autistique dans sa diversité.

11Vos services savent parfaitement tout cela. Nous les avons alertés à maintes reprises et nous ne comprenons pas pourquoi ils persistent dans l’erreur. Nous ne comprenons pas non plus pourquoi ils refusent obstinément à notre courant de pensée toute représentation dans les instances de concertation sur ces questions.

12La vérité unique et obligatoire, de même que la science d’État, ne font pourtant pas partie des valeurs laïques et républicaines de notre pays !

13Le Secrétariat d’État aux personnes handicapées entend à présent imposer, sous peine de graves sanctions financières, la seule et unique méthode aba à tous les établissements, à tous les appels à projets et à toutes les formations. Certes, en caressant dans le sens du poil ceux qui font le plus de bruit, on détourne l’attention du problème principal que constitue le manque dramatique de places adaptées pour tous nos enfants, en particulier pour ceux, très nombreux, qui ont les plus grandes difficultés et qui ne peuvent pas s’insérer en milieu ordinaire.

14Pourtant la majorité silencieuse des familles sait bien que, même s’il n’y a pas de méthode miracle, les enfants, adolescents et adultes autistes peuvent néanmoins s’apaiser et faire d’énormes progrès lorsqu’on met à leur disposition, au cas par cas, tout ce qui a été élaboré dans les différents champs de connaissance. Encore faut-il reconnaître que ce qui est bon et bien pour l’un à un moment donné ne l’est pas nécessairement pour l’autre et que tous ne peuvent pas emprunter le même chemin. C’est là le sens symbolique des chiffres « 1 », semblables mais différents, du nombre 111 de parents signataires de cet appel à la raison.

15Nous vous appelons donc, Monsieur le Président, à faire en sorte que cessent ces dérives liberticides et que les libertés fondamentales soient respectées dans le monde de l’autisme : liberté de choix des familles dans leur diversité, liberté de pensée et d’expression, respect du pluralisme, respect de la singularité de tout être humain, handicapé ou pas.

Charte du raahp

Quel que soit le présent, quel que soit le passé,
L’avenir d’un enfant n’est jamais tout tracé.
Les enfants, quels qu’ils soient, ne sont la propriété ni de leurs parents, ni d’un État, d’une religion ou d’une idéologie, ni des institutions qui les accueillent.
Le rôle de ceux qui les accompagnent est de les aider à se construire, à trouver leur place dans le monde et à s’épanouir en tenant compte de leurs aptitudes et inaptitudes, de leurs goûts et préférences, de leurs préoccupations et de leurs désirs.
Ce qui est constructif, bon et bien pour l’un ne l’est pas nécessairement pour l’autre.
La ligne droite est le plus court chemin en géométrie mais pas toujours dans la vie. Les voies qui mènent à l’épanouissement personnel sont rarement rectilignes.
Chaque jour la science améliore nos connaissances et nos conditions de vie. Néanmoins aucun être humain ne se résume à une équation scientifique, un code génétique, un dosage hormonal ou des connexions neuronales.
Il n’existe de Vérité Unique et Éternelle dans aucun domaine. On n’agit qu’à partir d’hypothèses plus ou moins plausibles à un moment donné. Le besoin de certitudes entraîne trop souvent le dogmatisme et l’intolérance.
La monoculture appauvrit les sols mais aussi les esprits.
Chacun trace son chemin en fonction de ce que la nature lui a octroyé et de l’environnement qu’il a trouvé.
Une motivation de part et d’autre est essentielle pour établir et développer une relation. La nature de ces motivations détermine la qualité de la relation.
Toute relation fondée exclusivement sur la contrainte ou le conditionnement est éthiquement condamnable et néfaste psychiquement car elle ne permet pas aux dominés d’exister en tant que sujets.
Quand la relation à soi-même, aux autres ou au monde est trop difficile, les bons conseils ou les rappels à l’ordre ne sont pas d’un grand secours. Pour être apaisée, la souffrance psychique doit d’abord être reconnue et comprise dans sa dimension humaine, puis écoutée et parlée. On peut alors espérer éviter qu’elle ne trouve à s’exprimer que dans le recours à la violence.
Les idéologies, les codes et les méthodes sont éphémères. Les valeurs humanistes demeurent un point d’ancrage dans un monde éclaté : respect de l’autre et de soi-même, liberté de pensée et d’expression sont les points cardinaux de la boussole qui nous permet d’accompagner à bon port ceux qui nous ont été confiés.

16******

17Monsieur le Président de la République,

18C’est en dernier recours et après vaine sollicitation de nos Ministères de tutelle que nos quatre sociétés scientifiques de pédopsychiatrie ont décidé de vous alerter sur les dérives constatées dans la question de l’autisme et de faire appel à votre autorité sur le mode de cette lettre ouverte. Nous rejoignons ainsi notre structure fédérative, la Fédération française de psychiatrie, qui s’est exprimée avec le Conseil national universitaire de pédopsychiatrie et le Collège national pour la qualité des soins en psychiatrie par un communiqué de presse le 12 mai dernier.

19Aujourd’hui nous sommes extrêmement inquiets. En effet nous ne pouvons que constater l’orientation partisane choisie par le Secrétariat d’État auprès de la ministre des Affaires sociales et de la Santé, chargée des Personnes handicapées et de la Lutte contre l’exclusion. Elle s’est encore manifestée lors de la réunion du Comité national autisme du 16 avril 2016 qui a été marquée par une partialité inique et une volonté de censurer tous ceux qui contestent une vision simpliste de l’autisme.

20De nombreuses familles partagent nos inquiétudes et se rassemblent pour l’exprimer, mais peinent à se faire reconnaître.

21Les valeurs fondamentales qui devraient inspirer les politiques publiques nous semblent bafouées. Nous sommes stupéfaits : du détournement scientifique dont témoignent ces décisions ; de la place exclusive donnée à des lobbies qui dictent les mesures ; de la violence polémique que ces mêmes lobbies déchaînent ; de la prise de pouvoir d’organismes en conflit d’intérêts notoire qui déploient leurs intérêts privés dans un domaine qui relevait jusqu’ici du service public, de l’université et de la recherche.

22Les services de la pédopsychiatrie publique ont pour mission de prodiguer prévention et soins aux enfants quels que soient les origines, le contexte social, la problématique. Ils se sont intéressés à la question de l’autisme dès sa description initiale il y a maintenant plus de 70 ans. Ils ont rempli une fonction de diagnostic et de soins à une époque où personne ne se penchait sur ces enfants. Les acteurs des services publics de soins ont intégré les nouveaux savoirs en tenant compte de la complexité des questions étiologiques et de traitement et de la dimension neurodéveloppementale de l’autisme. Ils ont favorisé les divers abords possibles, sans exclusive, sur un mode intégratif (notion explicitée dans les recommandations de 2012) dans lequel les composantes inclusives de soins, d’éducation et de pédagogie coexistent. Ils sont bien éloignés de la description caricaturale qu’on laisse complaisamment diffuser.

23Le développement des prises en charges médico-sociales, de l’intégration sociale et de l’inclusion scolaire a conduit à mieux préciser le rôle dévolu à la pédopsychiatrie.

24Celle-ci est légitime dans la fonction spécifique d’évaluation pluriprofessionnelle du parcours diagnostique immédiatement intégré aux interventions pour les jeunes enfants et dans la fonction de soins multidimensionnels pour les situations évolutives et/ou complexes.

25Les professionnels des services publics sont plusieurs dizaines de milliers en France, formés et qualifiés qui exercent avec le soutien discret des milliers de familles qui leur font confiance. Faudrait-il priver ces enfants et ces familles des dispositifs de soins ?

26Que se passe-t-il aujourd’hui ?

27Les travaux internationaux confirment que l’autisme est un syndrome qui recouvre une diversité clinique et étiologique, et qu’aucune méthode exclusive n’a fait la preuve de son efficacité. Pourtant, les travaux du troisième plan se poursuivent comme si une seule des méthodes possibles était efficace, la méthode comportementale. Il s’agit là d’un détournement des recommandations de bonnes pratiques de la Haute autorité de santé de 2012, dans leur esprit et leur lettre car à ce jour aucune méthode ne peut se prévaloir de preuve scientifique irréfutable.

28Des exemples de pratiques dans des pays étrangers sont avancés comme modèles alors même qu’ils sont à présent dans ces pays soumis à de vives critiques. Sur ces bases scientifiquement discutables, pourtant brandies comme des vérités absolues, les mesures prises visent à modifier la formation initiale et continue des professionnels et à restructurer l’offre d’accueil existante. Des budgets importants vont être attribués indûment à des organismes de formation, d’évaluation et à des contrôles multiples. Les pouvoirs publics jettent la suspicion sur les structures de soins publiques accessibles à tous pour installer un système d’interventions à la carte d’inspiration néo-libérale, dont on peut craindre une dérive commerciale s’il ne peut offrir de garantie dans un secteur suffisamment médicalisé.

29Des recherches scientifiques sont en cours en France, visant à évaluer la pertinence d’autres approches reposant en particulier sur la notion de soins intégratifs. Ces recherches sont discréditées d’emblée et font l’objet d’obstacles réguliers et plus récemment encore d’interdiction.

30Les professionnels, consternés, assistent à des campagnes d’opinion hautement démagogiques et partisanes, habilement orchestrées, retransmises par la plupart des médias sans esprit critique. Certains propos tenus et ainsi relayés ont même un caractère franchement diffamatoire.

31Est-il acceptable que les agences et groupes de travail sous l’autorité de l’État se chargent d’une censure qui s’apparente parfois à une véritable chasse aux sorcières ?

32C’est bien pour refuser une telle situation que nos associations et les professionnels qu’elles représentent s’adressent à vous, Monsieur le Président de la République, afin que vous puissiez mettre un terme à ces dérives idéologiques inégalitaires et à une fuite en avant au profit de quelques groupes de pression qui ne peut qu’être préjudiciable au plus grand nombre des personnes autistes et de leurs familles. Nous savons que vous êtes particulièrement attaché à l’égalité des citoyens de ce pays, au respect des différences. Vous ne sauriez tolérer qu’une discrimination s’installe, imposant un modèle unique et interdisant des approches plurielles et soignantes lorsqu’elles sont nécessaires.

33Nous espérons vivement que vous comprendrez notre démarche qui vise la progression de la prise en charge de l’autisme et accepterez de nous recevoir et de nous entendre.

34Nous vous prions, Monsieur le Président de la République, d’agréer l’expression de notre très haute considération,

35Gisèle Apter, Présidente de la sip (Société de l’Information Psychiatrique)

36Roger Teboul, Président de l’api (Association des psychiatres de secteur infanto-juvénile)

37Richard Horowitz, Pour la fdcmpp (Fédération des cmpp)

38Michel Wawrzyniak, Président de la sfpeada (Société française de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent et disciplines associées


Date de mise en ligne : 01/08/2016

https://doi.org/10.3917/ep.070.0006

Notes

Domaines

Sciences Humaines et Sociales

Sciences, techniques et médecine

Droit et Administration

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