1Le 6 novembre 2013, Serge Tisseron a reçu un award de la fosi (Family Online Safety Institute) for outstanding achievement, autrement dit pour ses « très remarquables travaux » autour des jeunes et d’Internet, et notamment pour la campagne 3-6-9-12 qu’il a lancée début octobre. La cérémonie a eu lieu au Reanald Reagan Building and InternationalTrade Center, à Washington. Il a reçu cet award des mains de Stephen Balkam, executive chief and officer of the Family Online Safety Institute. Jusqu’à maintenant, cette récompense n’avait été donnée qu’à des Anglo-Saxons. Il évoque, pour nous, la campagne 3-6-9-12.
2Les écrans font aujourd’hui partie de nos nourritures spirituelles au même titre que les livres. Mais de la même façon que l’estomac d’un bébé ne peut pas tout digérer, un cerveau d’enfant ne le peut pas non plus. Et tout comme il existe des règles pour l’introduction des laitages, des légumes et des viandes dans l’alimentation d’un enfant, il est possible de concevoir une diététique des écrans afin d’apprendre à bien les utiliser. Mais pour cela, il nous faut renoncer à deux tentations : idéaliser ces technologies, et les diaboliser. Attendre des miracles des écrans serait en effet tout aussi stérile que vouloir s’en passer. Ce ne sont que des outils. Ne leur demandons pas plus qu’ils ne peuvent donner, mais apprenons à leur demander tout ce qu’ils peuvent nous apporter ! Et pour cela, introduisons-les au bon moment et à leur juste place.
3C’est le but de la règle « 3-6-9-12 ». J’en ai eu l’idée en 2007, après avoir lancé une pétition pour faire interdire les chaînes de télévision à destination des enfants de moins de 3 ans. Beaucoup de parents me disaient en effet : « Et après 3 ans, comment devons nous gérer les écrans ? » « 3-6-9-12 » a donc prolongé ce premier repère par trois autres : 6 ans, l’entrée en cp ; 9 ans, l’accès à la maîtrise de la lecture et de l’écriture ; et 11-12 ans le passage en collège. Cette règle a été relayée en 2011 par l’Association française de pédiatrie ambulatoire (afpa) avant de recevoir le soutien de l’Académie des sciences en janvier 2013.
4Elle rappelle que les écrans ne sont pas seulement une source de dangers, mais que l’interconnectivité permise par les technologies numériques stimule les pratiques créatrices et favorise les partages qui contribuent largement à une éducation des écrans par les pairs. C’est pourquoi la solution aux problèmes ne se trouve pas seulement dans une bonne information des parents. D’autant plus que les écrans sont souvent utilisés, chacun le sait bien, pour lutter contre la solitude et oublier les difficultés de la vie, exactement comme l’alcool et les médicaments psychotropes. Il est essentiel de lancer, parallèlement à l’information, des actions collectives qui permettent à chacun de s’appuyer sur ses pairs pour développer une relation différente aux écrans. Ce sont ces deux axes qui inspirent la campagne « 3-6-9-12, apprivoiser les écrans et grandir », appuyée à la fois sur un ouvrage (3-6-9-12, Apprivoiser les écrans et grandir, aux éditions érès, 2013) et sur une campagne d’affiches destinées à être placées dans les écoles, les crèches, les pmi, chez les pédiatres, etc. Pour que chaque association puisse s’en emparer et les modifier à sa convenance, un fichier est également disponible à la demande.
5L’objectif de cette campagne est la construction de liens différents, à travers des actions ponctuelles et ciblées associant les parents, les pédagogues et les jeunes eux-mêmes. Un nombre croissant de municipalités l’a compris et organise déjà des « semaines pour apprivoiser les écrans » et des festivals de création adolescente. La campagne « Apprivoiser les écrans et grandir » a déjà été relayée par des municipalités comme Grenoble et Pantin, des entreprises comme Orange et la maif, des associations comme la Fédération nationale des écoles des parents et des éducateurs (fnepe) et l’Association générale des enseignantes des écoles et classes maternelles publiques (ageem), des clubs (Rotary), des académies, etc. S’il nous est très difficile, à chacun, de changer nos rapports aux écrans, nous le pouvons tous ensemble. Tel est le but de cette campagne. Relayons-là, afin que nos relations aux écrans deviennent partout un objet de débat public.