Couverture de EP_060

Article de revue

L'inspecteur à l'Aide sociale à l'enfance

Pages 86 à 90

Notes

  • [1]
    Citons les rapports Nogrix (2005), De Broissia (2005), Naves-Cathala (2003), qui ont largement contribué à l’émergence du projet de loi.

1Certaines affaires dramatiques, telles celles d’Outreau, d’Angers, de Strasbourg, ont mis en lumière des défauts de coordination, des défaillances d’organisation des différents acteurs de la protection de l’enfance, autant que la faiblesse des évaluations. Dans l’après-coup de ces affaires, la loi du 5 mars 2007 s’appuie sur les nombreux rapports [1] qui ont présenté, depuis 2000, des propositions d’amélioration du dispositif de protection de l’enfance, pour sortir de certaines expérimentations et sécuriser les pratiques existantes. Ainsi, le Val-de-Marne, faisant figure de pionnier, avait organisé dès 1999 un dispositif de centralisation de traitement des urgences et des signalements, pouvant examiner jusqu’à deux mille situations par an.

2En écho à l’appel des 100, collectif composé d’élus, d’acteurs du secteur associatif, de personnalités telles que défenseur des enfants, et des professionnels liés à la protection de l’enfance, qui a adressé une lettre ouverte aux plus hautes autorités de l’État, s’est engagé un débat national. L’organisation d’une table ronde réunissant les principaux acteurs de la protection de l’enfance a abouti à la proposition de cette loi d’orientation, aux fins d’une vision d’ensemble devant permettre la refonte d’un système dont chacun s’accorde à regretter le cloisonnement, et pour définir les conditions de sa mise en œuvre.

3La loi du 5 mars 2007 place l’enfant au cœur du dispositif. Est-ce à dire pour autant qu’avant cette loi, la place de l’enfant était marginale ? Bien sûr que non. L’accent porte davantage sur la logistique, qui se veut maintenant mieux définie, mieux contrôlée, et sur la précision des rôles de chaque intervenant, qu’il soit judiciaire ou administratif. Elle vient légitimer les pratiques existantes, et introduit de nouvelles mesures pour soutenir trois objectifs majeurs :

  • le renforcement de la prévention ;
  • l’amélioration du dispositif d’alerte et de signalement ;
  • la diversification des modes d’intervention auprès des enfants et des familles.

4Ainsi, la protection sociale et administrative devient la règle, et la protection judicaire l’exception.

5Ce bref rappel historique sur l’origine et les enjeux de cette réforme nous amène à interroger le parallèle entre la fonction d’Inspecteur à l’ase et celle du magistrat pour enfants. En effet, si le président du conseil général est nommé premier acteur du dispositif de protection, la place de l’inspecteur à l’Aide sociale à l’enfance n’en est-elle pas renforcée ?

Que fait l’inspecteur ?

6Fondé à agir sur délégation du président du conseil général, il est responsable de la coordination du travail de prévention et de protection de l’enfance sur le territoire qui lui est affecté. Chef d’orchestre, il règle la transmission entre les intervenants sociaux et judiciaires, soucieux que la partition de musique se joue sans fausse note, dans l’intérêt de l’enfant et le respect du droit et des devoirs des parents. Responsable de la mise en œuvre de la loi, il est l’autorité administrative par délégation. Instance décisionnelle en amont de toute procédure judiciaire, il s’assure que le droit des familles soit bien respecté, que le projet pour l’enfant (ppe) soit élaboré et coconstruit avec les parents, dans l’objectif de restaurer l’exercice de l’autorité parentale. Il peut être amené à suppléer à cette fonction, en cas de vacance de l’autorité parentale, de désintérêt manifeste, en orientant alors le statut juridique de certains mineurs vers la possibilité d’une adoption. Enfin, en qualité de service gardien, il assure la protection des mineurs confiés par décision judicaire, et peut, dans certains cas, faire appel de décisions rendues par le magistrat au profit d’un enfant, notamment lorsque la décision du magistrat risque d’être contraire à l’intérêt de l’enfant (un retour trop précoce en famille, par exemple).

7Toutes ces fonctions ne font-elles pas de l’inspecteur, concernant la prévention, le pendant du magistrat pour enfants ?

Magistrat pour enfants, inspecteur ase : des fonctions parallèles dans des cadres différents

8De par sa spécificité au civil comme au pénal, le juge des enfants, est considéré par les professionnels et les usagers comme une instance de protection en capacité d’imposer des mesures à l’autorité parentale et aux intervenants. Toutefois, si le juge des enfants, doté d’une fonction régalienne, est pleinement reconnu dans sa fonction d’autorité, l’inspecteur à l’ase, quant à lui, se doit d’investir et d’habiter une fonction aux aspects multiples. Or, la loi, si elle positionne le président du conseil général comme chef de file de la protection de l’enfance, ne vient pas clarifier la place et la fonction de l’inspecteur ase, acteur incontournable de sa mise en œuvre. La fonction de l’inspecteur à l’Aide sociale à l’enfance est inégalement repérée et reconnue selon les départements, conséquence de la décentralisation qui a laissé aux conseils généraux la liberté d’organiser la structuration de leurs services. Le chemin à parcourir est encore long pour que la réalité législative croise la réalité du terrain, et que la fonction de l’inspecteur soit pleinement identifiée et reconnue par les usagers. Pour ce faire, il sera nécessaire de contourner les obstacles liés aux difficultés financières des départements ne permettant pas toujours une application stricto sensu du cadre légal, et par conséquent une meilleure articulation des dispositifs administratifs et judicaires. En effet, si l’un des objectifs est une moindre judiciarisation des situations, encore faut-il se donner les moyens de mettre en œuvre une véritable politique de prévention, à tous les niveaux (prévention périnatale, soutien à la parentalité en direction des enfants et des adolescents, etc.). Tel est l’enjeu majeur de cette loi.

9Le juge des enfants est indépendant dans ses décisions et plus éloigné des contraintes financières ; l’inspecteur, quant à lui, rend compte de son activité à l’autorité départementale et se doit d’inscrire ces actions dans le cadre d’un budget affecté. Toutefois, ces deux acteurs poursuivent les mêmes finalités ; ils doivent accorder leurs violons afin de fluidifier les actions et les interventions en faveur des enfants et de leur famille. Le principe de subsidiarité est un aspect essentiel de l’articulation administrativo-judiciaire. Ainsi, le juge des enfants ne se place pas dans une position de contrôle de l’action administrative, la mesure judiciaire ne venant pas corriger l’échec de la mesure administrative préalable. La non-collaboration des familles ou le danger imminent justifient l’intervention du juge des enfants. Afin d’illustrer ce principe, prenons la situation de l’enfant A. La pmi transmet une information préoccupante à propos d’un enfant de 2 ans présentant des signes de carences de soins. Après une évaluation des services sociaux de secteur, l’inspecteur propose un aide éducative à domicile (aed) nécessitant l’accord de la famille, sollicité lors d’un entretien spécifique de l’inspecteur de l’ase. Or, très rapidement, la famille se montre peu coopérative et les symptômes que présente l’enfant n’ont pas disparu. Après une réunion de synthèse au sein du service social, l’inspecteur prend la décision de signaler la situation à l’autorité judiciaire.

10En outre, l’inspecteur à l’Aide sociale à l’enfance doit initier avec les partenaires la conduite de projets qui permettent la création d’outils, afin de faciliter les prises en charge des mineurs confiés au conseil général.

L’exemple d’un outil original : le réseau de l’Essonne

11À titre d’exemple, un réseau a été créé sur le département de l’Essonne de 2004 à 2012, démarche de travail liée à la circulaire du 3 mai 2002 relative à la prise en charge concertée des troubles psychiques des enfants et des adolescents en grande difficulté.

12Le réseau trouve son origine dans un certain nombre de constatations :

  • un processus de précarisation et d’isolement des familles engendrant des pertes de repères ;
  • l’émergence de troubles du comportement chez des enfants de plus en plus jeunes ;
  • l’intensification de difficultés scolaires majeures, voire des déscolarisations intermittentes ;
  • l’accroissement du nombre de mineurs atteints de pathologie, nécessitant une prise en charge par les dispositifs de l’éducation spécialisée mais confiés à l’Aide sociale à l’enfance par défaut ;
  • le nombre croissant d’adolescents se situant à la frange de plusieurs champs de compétences et nécessitant une prise en charge globale, donc une approche transversale de l’ensemble des partenaires des institutions sociales, sanitaires, judiciaires, médico-sociales.

13En outre, des réponses inadaptées, au niveau des institutions (réponses réactives aux passages à l’acte des adolescents, voire gestion des crises dans l’urgence, logiques et pratiques cloisonnées des intervenants, mais encore sentiment d’usure et d’impuissance des professionnels), rendaient nécessaire d’inventer au cas par cas, et de proposer une formule innovante afin d’adapter les modalités d’accompagnement et de soutien à ces enfants et adolescents et à leur famille.

14En réponse à ces constats, des professionnels ont uni leurs compétences pluridisciplinaires, afin de proposer des alternatives sur mesure à ces jeunes dits « incasables » ou « borderline ». S’appuyant sur une philosophie commune tant au niveau de la réflexion que de l’action, une recherche de coordination et de complémentarité, de transversalité et de décloisonnement, le but premier du réseau fut la continuité de la prise en charge en termes d’objectifs. Constitué de membres du secteur socio-éducatif (conseil général, établissements associatifs, lieux de vie, établissements scolaires), du secteur pédopsychiatrique et du secteur judiciaire (magistrat pour enfant du secteur concerné), le réseau ne se substituait pas aux dispositifs existants mais représentait un outil supplémentaire, un espace de libre-échange, un lieu ressource pour les professionnels. En effet, en offrant, tous les deux mois, des réunions de présentation des situations animées par un membre du réseau, le dispositif autorisait également un espace d’analyse partagée, dans le but d’ouvrir de nouvelles perspectives de travail. Un coordinateur était ensuite désigné, afin de garantir la mise en œuvre et le suivi des orientations proposées.

15La fiabilité du dispositif réseau, reconnu par les autorités judiciaires, administratives et de santé, a notamment permis de créer une unité d’hospitalisation d’adolescents en crise rattachée à l’hôpital d’Orsay, autant que d’autres façons d’appréhender la prise en charge des situations par les travailleurs sociaux, et, ainsi, de rompre avec le travail en urgence et le sentiment de solitude professionnelle. Dans le même esprit, à l’initiative conjointe du conseil général, du secteur de pédopsychiatrie, du tribunal pour enfants, des acteurs de la pjj et de l’Éducation nationale, a été créée sur le département du Val-de-Marne une commission trimestrielle d’examen des « cas difficiles », adolescents en rupture de placements successifs ou mineurs relevant d’orientation médicosociale non aboutie, par exemple. Cette instance a contribué à ce que les professionnels, en partageant leurs compétences, puissent analyser conjointement ces situations parfois dramatiques, et qu’ils ne se sentent plus isolés dans les aléas des accompagnements. Cette dynamique de travail se poursuit actuellement à la maison des adolescents, nouveau dispositif qui a pu s’inspirer des expériences acquises.

16En conclusion, dans le contexte actuel de la loi visant à une moindre judiciarisation, il devient indispensable que la fonction de l’inspecteur de l’enfance, représentant l’autorité administrative, soit valorisée. Acteur essentiel du dispositif de protection administrative de l’enfance, l’inspecteur à l’Aide sociale à l’enfance devrait pouvoir exercer ses fonctions à distance des lieux d’évaluation et de suivi, pour garantir une meilleure neutralité et une meilleure lisibilité de ses décisions, et ainsi incarner l’autorité que lui confère, au regard de la loi du 5 mars 2007, le président du conseil général.


Mots-clés éditeurs : inspecteur de l’Aide sociale à l’enfance, évaluation, protection judiciaire, protection administrative, dispositif, articulation, magistrat pour enfant

Mise en ligne 17/03/2014

https://doi.org/10.3917/ep.060.0086

Notes

  • [1]
    Citons les rapports Nogrix (2005), De Broissia (2005), Naves-Cathala (2003), qui ont largement contribué à l’émergence du projet de loi.
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