René Girard, l’impensable violence, Pascal Coulon, Paris, Germina, 2012
1 Que l’on soit un fidèle et déterminé lecteur de René Girard ou ignorant de la pensée de cet auteur dont la renommée est certaine, la lecture du livre de Pascal Coulon, René Girard, l’impensable violence, est à bien des égards, recommandable.
2D’abord parce que ce livre est clair et limpide ; le ton et le style sont à la fois pédagogiques et plaisants, sans prendre trop de hauteur qui donne le vertige ni être trop terre à terre pour nous ennuyer. Nous apprenons ou nous nous remémorons l’essentiel de la pensée de René Girard sans difficulté, ni agacement. D’ailleurs, il ne s’agit ni d’une apologie, ni d’une acerbe critique. Pascal Coulon nous propose une introduction à une pensée dont il démontre à la fois l’utilité et les excès. Nous avons le sentiment de lire le roman d’une aventure intellectuelle avec toute sa grandeur et ses zones d’ombre. La vie de René Girard peut apparaître comme celle d’un héros chrétien et romanesque, épris de gloire et de vérité, mais certainement coupable d’orgueil, tout en combattant le négatif qu’il appelle « violence ». Violence à la fois déterminante, salutaire et « apocalyptique ».
3Nous devenons, au fil de la lecture, spectateur de cette véritable aventure spirituelle dont on ne sait comment elle va se terminer… On hésite parfois entre la peur et l’enthousiasme, comme dans un roman à suspens. Quand sont relatées l’émergence d’une pensée et les méandres de sa genèse, c’est toujours captivant… Mais là, et l’auteur et le personnage se font littéraires. Ça n’est bien sûr pas par hasard, mais plutôt bienvenu avec René Girard, auteur de Mensonge romantique et vérité romanesque et de La violence et le sacré, deux ouvrages qui ont marqué beaucoup d’intellectuels et d’artistes soixante-huitards et post-soixante-huitards.
4René Girard a construit une théorie philosophico-anthropologique avec la passion d’un ingénieur pour le concours Lépine. Sans peur et sans reproche, le chevalier Girard a surmonté toutes les épreuves malgré ses handicaps de départ (qui n’étaient, somme toute, pas trop lourds), et a su marquer l’unité de sa pensée. Une intuition sur le désir, devenue certitude, sur sa nature triangulaire, puis sur le mécanisme émissaire et sur la violence fondatrice, trouve son apogée avec le rôle de la méconnaissance. Tout le christianisme se trouve alors non seulement légitime, mais paradigmatique et salutaire pour le dialogue et le respect. On a l’impression qu’il manque à René Girard le double prénom François, tant son « côté Chateaubriand » se fait jour au fil du temps. Un Chateaubriand mâtiné bien sûr de Lévi-Strauss dont il partage le rejet de la psychanalyse sans pour autant adhérer à la l’hypothèse de la « structure ».
5Pascal Coulon nous propose « le fond d’intelligibilité » que l’on peut dégager de la théorie girardienne, bien utile à l’exploration infinie des zones d’ombre de la « destructivité humaine ». N’est-ce-pas finalement le rôle des intellectuels et des chercheurs que d’élucider, dans la mesure du possible, le mystère de la haine, de la dévastation et des ravages, tout en sachant que la mission, si elle n’est pas vaine, est sans fin ? René Girard a largement contribué à cette tâche : la violence est précisément la condition de possibilité de la pensée. Et cela en se fondant, comme le montre très bien Pascal Coulon, « sur » Platon, Nietzsche, Bateson, Lacan, et en s’étayant « contre » Freud et Lévi-Strauss. La grande force et la grande sagesse de René Girard auront été de se référer aux écrivains et aux poètes. Laissons-leur le dernier mot sans être exhaustif, qu’il s’agisse de Proust, de Stendhal, de Balzac, de Flaubert, de Cervantès, de Dostoïevski ou de Shakespeare. Autant d’éléments qui contribuent à l’intérêt de ce livre, ne serait-ce que pour se rappeler toute la richesse de la naissance d’une pensée, quelle qu’elle soit.
6Bernard Rigaud, directeur d’adaje, centre de soins en addictologie, chercheur en psychanalyse et en anthropologie, ehess
