Notes
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[1]
Article 371-1 du Code civil (L. 2002-305 du 4 mars 2002) : « L’autorité parentale est un ensemble de droits et de devoirs ayant pour finalité l’intérêt de l’enfant. Elle appartient aux père et mère jusqu’à la majorité ou l’émancipation de l’enfant pour le protéger dans sa sécurité, sa santé et sa moralité, pour assurer son éducation et permettre son développement, dans le respect dû à sa personne. Les parents associent l’enfant aux décisions qui le concernent, selon son âge et son degré de maturité. »
-
[2]
Gazette du Palais, septembre 2010, n° 253 à 254, « Pauvres jaf », éditorial par Jérôme Casey et Élodie Mulon.
-
[3]
Rapport n° 3117 déposé le 7 juin 2001 par monsieur Dolez : « Application concrète du principe de coparentalité, la résidence alternée fait son entrée dans le Code civil : elle pourra désormais figurer dans les accords parentaux homologués ou être imposée par le juge (articles 372-3 et 372-5 du Code civil créés par l’article 4), en fonction de l’intérêt de l’enfant. La Commission a souhaité qu’en cas de désaccord des parents sur la résidence de l’enfant, la priorité soit donnée à la formule de la garde alternée, qui constitue une application pratique du principe d’exercice conjoint de l’autorité parentale. L’alternance pourra prendre différentes formes, de la parité la plus stricte à des formules plus souples, privilégiant davantage l’un des parents. Votre rapporteur estime également souhaitable d’envisager une alternance dans le temps, permettant à chaque parent de suivre quotidiennement son enfant pendant quelques mois, voire quelques années ».
-
[4]
Voir notamment Cass. 1reiv., 8 nov. 2005, n° 02-18.360, rjpf-2006-2/48, obs. F.Eudier.
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[5]
Le terme de « garde » n’existe plus depuis la loi du 22 juillet 1987. Le seul vestige
qui en restait à l’article 1384 alinéa 4 du Code civil, qui vise la responsabilité des parents du fait du dommage causé par l’enfant, a disparu avec la loi du 4 mars 2002. Ce changement de vocabulaire, qui ne paraît pas toujours encore complètement intégré, est pourtant fondamental. La notion de garde induit un sentiment de propriété ou de possession, qui est extrêmement préjudiciable aux relations devant présider entre les parents. La notion de résidence n’induit pas ce sentiment. Elle est seulement liée au domicile de l’enfant, et n’est pas une référence au lien qui existe entre lui et le parent qui bénéficie de cette résidence. Le terme de garde doit donc être totalement rayé du vocabulaire lié à l’autorité parentale. -
[6]
Le principe que pose clairement la Cour de cassation dans son arrêt du 25 avril 2007 paraît évident, et avait déjà été appliqué par certains juges du fond (Voir notamment ca Toulouse, 25 octobre 2005, jurisdata n° 2005-287383 / ca Toulouse, 28 mars 2006, jurisdata n° 2006-304857 / ca Aix-en-Provence, 13 avril 2006, jd n° 2006-316445). Pourtant, cette décision a le mérite de poser sans équivoque possible une solution contestée par certains, ou qui ne paraît pas évidente pour d’autres (voir notamment en ce sens ca Rouen, 22 février 2007, Jurisdata n° 2007-330567).
-
[7]
Art. 373-2-11 : « Lorsqu’il se prononce sur les modalités d’exercice de l’autorité parentale, le juge prend notamment en considération :
– la pratique que les parents avaient précédemment suivie ou les accords qu’ils avaient pu antérieurement conclure ;
– les sentiments exprimés par l’enfant mineur dans les conditions prévues à l’article 388-1 ;
– l’aptitude de chacun des parents à assumer ses devoirs et respecter les droits de l’autre ;
– le résultat des expertises éventuellement effectuées, tenant compte notamment de l’âge de l’enfant ;
– les renseignements qui ont été recueillis dans les éventuelles enquêtes et contre-enquêtes sociales prévues à l’article 373-2-12 ;
– (L. 2010-769 du 9 juillet 2010, art. 8) Les pressions ou violences, à caractère physique ou psychologique, exercées par l’un des parents sur la personne de l’autre. » -
[8]
Article 388-1 du Code civil : « Dans toute procédure le concernant, le mineur capable de discernement peut, sans préjudice des dispositions prévoyant son intervention ou son consentement, être entendu par le juge ou lorsque son intérêt le commande, par la personne désignée par le juge à cet effet. Cette audition est de droit lorsque le mineur en fait la demande. Lorsque le mineur refuse d’être entendu, le juge apprécie le bien-fondé de ce refus. Il peut être entendu seul, avec un avocat ou une personne de son choix. Si ce choix n’apparaît pas conforme à l’intérêt du mineur, le juge peut procéder à la désignation d’une autre personne. L’audition du mineur ne lui confère pas la qualité de partie à la procédure. »
-
[9]
Décret n° 2010-1395 du 12 novembre 2010 relatif à la médiation et à l’activité judiciaire en matière familiale/Gazette du palais, mai 2011, n° 147 à 148, Danièle Ganancia, « Enjeux et perspectives de la médiation au Tribunal de Grande Instance de Paris ».
1Un constat s’impose : l’enfant souffre de la mésentente parentale. L’objectif qui doit être poursuivi en cas de séparation n’est donc pas de faire de cet événement, qui peut être douloureux, un événement neutre pour lui, mais de tenter d’organiser sa vie afin qu’il s’en sorte le mieux possible. Les praticiens du droit de la famille ne doivent pas non plus jouer les apprentis sorciers en s’improvisant psychologues ou psychiatres : ils sont liés par des règles de droit, dont ils sollicitent ou contrôlent l’application, selon qu’ils sont avocats ou juges.
2Cependant, l’articulation de ces règles doit se faire autour d’un seul axe : l’intérêt de l’enfant [1]. Ce qui doit conduire les parents à devoir oublier leurs rancœurs, voire certaines de leurs convictions, pour trouver des solutions qui respectent autant que possible cet intérêt. Ils peuvent difficilement, en période de crise, le faire seuls, sans avoir pour autant nécessairement le réflexe de consulter un pédopsychiatre ou un psychologue. Or, faire que l’enfant ne devienne ni un enjeu, ni un instrument, ni victime ni bourreau, relève d’un exercice compliqué dans les séparations conflictuelles.
3Leur seul interlocuteur obligé lorsque des parents se séparent est finalement le juge aux affaires familiales, sauf à ce qu’ils ne soient pas mariés ou qu’ils décident de rester dans un cadre informel. Le rôle du juge est très difficile, car sa responsabilité est plus grande que ne l’est celle de l’avocat, second acteur de la judiciarisation des conflits familiaux. Ce dernier doit veiller, bien entendu, à ce que l’intérêt de l’enfant soit respecté. Et son éthique, dans cette matière essentiellement humaine, doit le conduire à n’être pas seulement le bras armé de son client, mais à le conseiller, certes au mieux de ses intérêts, mais également en tenant compte de celui des enfants. Il doit lui faire comprendre la nécessité de se projeter dans l’avenir avec eux. Mais il n’est pas celui qui prend la décision. C’est le rôle exclusif du juge.
4Or, les demandes formées par les parents, qui préfèrent s’en remettre à l’institution en cas de crise, sont à la fois diverses et répétitives : qui va exercer l’autorité parentale ? Chez qui va vivre l’enfant, et si l’un des parents demande la résidence à titre principal, quels seront les droits de l’autre ? Quel sera le montant de la contribution à l’entretien et l’éducation de l’enfant ? Dans quelle école doit-il être inscrit ? Doit-il pratiquer la religion de l’un des parents ?, etc. Ces questions relèvent de la sphère privée. Car, finalement, qui peut décider au mieux des intérêts de l’enfant lorsqu’il s’agit d’école, de religion, du choix des activités de loisirs, sinon les parents ? Ces derniers auraient-ils, en cas de désaccord, s’ils n’étaient pas séparés, la moindre velléité de s’en remettre à un tiers pour décider à leur place de ce qui relève strictement des choix éducatifs qu’ils veulent mettre en place, et qui tiennent souvent à la propre histoire de chacun ?
5C’est pourtant ce genre de décisions que le juge va devoir prendre, en s’immisçant continuellement dans la vie privée des parents, vie privée dont on dit par ailleurs qu’elle doit être respectée (article 9 alinéa 1 du Code civil). Voilà un cas bien singulier où ce sont les justiciables qui demandent à ce qu’il y soit porté atteinte, avec des conséquences qui peuvent leur être préjudiciables, juste parce qu’ils ne sont pas en capacité de s’entendre sur ce qui est le mieux pour leur enfant. Le parent se désengage ainsi, au bénéfice d’une décision judiciaire qui ne sera jamais vraiment satisfaisante. Il accepte d’être délesté de ses prérogatives parentales, plutôt que de s’entendre avec l’autre. Il préfère s’en remettre à un système qui lui est extérieur, à un tiers. Dans les séparations conflictuelles, la confiance est souvent tellement rompue que l’autre parent devient soudain la pire chose qui puisse arriver à l’enfant. Et chacun des parents partage souvent la même analyse de l’autre, ce qui rend impossible, à première vue, un quelconque rapprochement.
6Ainsi, ces séparations conduisent le juge à prendre des décisions pour gérer la vie d’enfants pour lesquels il doit apprécier, alors que lui-même a sa propre histoire et ses propres conceptions éducatives, ce qui sera le mieux pour cet enfant, ou pour cette fratrie. Il endosse ainsi une immense responsabilité, dont certains ne prennent pas toujours la mesure, si l’on en juge par le caractère lapidaire de certaines décisions. Mais leur rôle reste incontestablement difficile.
7La difficulté tient, en partie, au temps qui peut être consacré à chaque affaire. En effet, les juges se voient confier depuis quelques années une masse de travail de plus en plus importante, sans avoir malheureusement été parallèlement bénéficiaires de moyens leur permettant d’absorber réellement cet accroissement très important [2]. Le temps qu’ils peuvent consacrer à chaque dossier en souffre souvent, et leur décision ne peut être totalement sur mesure…
8La difficulté tient également à l’appréciation que doit faire le juge de ce qui correspond réellement à l’intérêt de tel ou tel enfant. Il doit faire la part des choses lorsqu’il apprécie les demandes respectives des parties, comprendre ce qui les motive et veiller à ce que sa décision n’alimente pas plus le conflit qu’il ne le résout. Laisser trop de place à un parent nocif peut conduire l’enfant écartelé à rejeter l’autre. Car lorsque l’enfant, issu de ses deux parents, n’a plus le droit d’être le fruit commun de leur histoire, et qu’il ne peut être que l’un ou l’autre, il préfère en éliminer un plutôt que d’être coupé en deux.
9Le processus judiciaire ne doit pas être relativisé, considéré comme une parenthèse dans la vie des parents. Il constitue une étape qui peut être irréparable, si le juge n’a pas pris la pleine mesure de la situation. Sa décision va régir la vie d’une famille, et avoir un impact sur la construction d’un enfant.
10Il est donc essentiel que le juge puisse bénéficier de moyens lui permettant d’apprécier les demandes au regard de ce qu’elles signifient réellement, et de rendre la décision la plus responsable possible, en considération des faits de l’espèce et non de son sentiment ou de ses convictions personnelles. La matière familiale est compliquée car il n’existe pas de solution idéale. Chaque situation appelle du sur mesure, un traitement particulier, mais qui doit être fait au regard des solutions offertes par la loi.
Faire la part des choses avant de rendre la décision
11Les demandes formées par les parents sont motivées par des raisons très variées, et la réaction de l’un aux demandes de l’autre obéit à des raisons qui le sont tout autant. Et qui n’ont pas toujours pour moteur de préserver l’enfant.
12Ainsi en est-il des demandes de résidence alternée, dont la pratique acceptée est assez récente dans notre système judiciaire. En effet, c’est seulement depuis la loi du 4 mars 2002 que les dispositions de l’article 373-2-9 du Code civil permettent au juge d’ordonner cette alternance. Cette possibilité répond au souci de coparentalité que consacre la loi par ailleurs [3]. Pour autant, les raisons pour lesquelles elle est demandée et celles pour lesquelles elle est refusée, voire totalement rejetée, nécessitent d’être examinées et comprises pour que la décision soit la plus conforme possible à l’intérêt de l’enfant, qui ne doit pas se confondre avec celui des parents [4], distinction qui n’est pas toujours facile à faire.
13Pourquoi les parents demandent-ils la résidence alternée ? La souhaitent-ils réellement ou tentent-ils en réalité de faire passer un message ? Le parent non-résident demande parfois l’alternance car il a le sentiment que c’est le seul moyen de donner un sens à l’exercice commun de l’autorité parentale. En effet, celui qui a la résidence principale agit comme s’il avait en réalité la « garde [5] » de l’enfant, et a le sentiment qu’il n’a aucune obligation, et même aucun besoin, de consulter le parent non résident. Ce dernier se trouve donc systématiquement en face du fait accompli, et doit saisir le juge qui, le plus souvent, cautionne ce que le parent résident a décidé, car il ne lui paraît pas conforme à l’intérêt de l’enfant de revenir en arrière. Cela est souvent le cas. La décision prise par le parent résident peut d’ailleurs être raisonnable et conforme à l’intérêt de l’enfant, mais l’autre parent se sent laissé pour compte, et ne peut s’empêcher de penser (ce qui est aussi vrai) que l’autorité parentale est dans les faits surtout exercée par celui qui vit avec l’enfant au quotidien, voire par le nouveau conjoint de celui-ci, ce qui est encore plus difficile à accepter. Il ne voit donc qu’une solution : que l’enfant vive avec lui autant qu’il vit avec l’autre, afin qu’il puisse lui aussi participer réellement aux choix éducatifs de l’enfant. Ce parent souhaite souvent, en réalité, surtout que sa place auprès de l’enfant soit reconnue, plus qu’un partage nécessairement égalitaire du temps qu’il va passer avec lui. Certains parents, au contraire, souhaitent une véritable communauté de vie avec l’enfant, et ne comprennent pas pourquoi ils ne seraient pas en droit de passer avec lui autant de temps que l’autre parent, alors qu’ils ont les mêmes capacités éducatives et une disponibilité suffisante pour s’en occuper au quotidien. La demande est également parfois motivée par la seule volonté de punir l’autre parent, à l’origine de la séparation. Dans cette hypothèse, l’enfant est tout simplement instrumentalisé. La résidence alternée risque alors de placer l’enfant au cœur d’un conflit qui ne le concerne pas, et dans lequel il va être déchiré puisque au moins l’un des parents va tenter de détruire l’image de l’autre.
14Et inversement, pourquoi la refusent-ils ? Certains parents refusent l’alternance parce qu’ils pensent que ce système constitue nécessairement un partage égalitaire du temps de l’enfant entre les domiciles respectifs de ses parents, ce qui leur paraît difficile à mettre en œuvre. Cela n’est pas le cas : la résidence alternée ne signifie pas que le temps de l’enfant doit être partagé de manière totalement égalitaire entre les parents. Le texte ne le prévoyait pas, et cela a été rappelé récemment par la Cour de cassation [6]. Ils pensent également parfois que cela va les conduire à ne plus percevoir de contribution à l’entretien et à l’éducation des enfants, alors que leur situation financière souffre d’une grande disparité avec l’autre parent. Il n’en est rien : une contribution reste due, même minorée, s’il existe une disparité de ressources entre les parents. Certains parents, et essentiellement les mères, dont il faut quand même constater qu’elles ont le plus souvent encore la résidence de l’enfant, ne veulent pas partager l’enfant car elles s’en estiment propriétaires. Cela les conduit à refuser tout système qui ne leur permettrait pas de bénéficier de la résidence principale. Les arguments affluent pour soutenir sa thèse : « Le père ne s’est jamais occupé de l’enfant », « il n’est pas capable de l’élever au quotidien », « il est très pris par son travail », « l’enfant est moins attaché à lui » (avec l’argument cerise : « Je l’ai quand même porté 9 mois, il a nécessairement plus besoin de moi »), etc. Le père se montre d’aussi mauvaise foi lorsque la résidence de l’enfant a été fixée chez lui et qu’il ne souhaite pas la partager : « La mère est instable », ou « seulement préoccupée par sa carrière », voire « par ses amants », etc. On est dans l’irrationnel où la conduite de l’autre est passée au crible. Il est également soutenu que ce système de résidence alternée ne peut fonctionner qu’en cas d’accord des parents, et il est vrai qu’il est difficile pour l’enfant de se construire au milieu d’un conflit permanent. Mais la stratégie de celui qui pense pouvoir bénéficier de la résidence principale est alors toute trouvée : il multiplie donc les occasions de conflit, ou plus habilement, ne fait aucun effort pour qu’un accord se dessine. Le regard des autres est également une raison qui a son importance dans la prise de position des parents : il n’est pas facile pour une mère de formuler que son enfant sera mieux avec son père, et encore moins qu’elle préfère ne pas avoir à le gérer au quotidien. Il est également pénalisant professionnellement pour un père d’expliquer à son employeur qu’il va organiser sa vie en fonction de l’emploi du temps de son enfant. Le regard de la société, souvent culpabilisant pour les mères qui travaillent ou ne font pas de leurs enfants la priorité absolue, conduit les parties à prendre des positions qui ne seraient pas les leurs si elles ne craignaient pas la réprobation de leur entourage.
15Or, à chaque demande, il existe une réponse adaptée, qui nécessite que soit compris le sens profond de la requête du parent, parfois perdu et ignorant la réalité des règles qui vont régir sa vie. Le rôle du juge est difficile, car il ne peut consacrer suffisamment de temps à chaque dossier pour analyser ce qui se cache réellement derrière telle ou telle demande, telle ou telle résistance, sauf à ce que la motivation réelle des parties soit évidente, ce qui arrive. C’est pourquoi il dispose de plusieurs moyens pour rendre une décision aussi éclairée que possible, pour que puisse être faite la part des choses pour donner, autant que possible, sa juste place à l’enfant dans la décision. Un tel travail est important car si la véritable nature de la demande est comprise et si une réponse adaptée y est apportée, le recours au juge peut être libérateur.
Les moyens mis à la disposition du juge pour rendre sa décision
16Le juge doit incontestablement se faire aider, et doit aussi pouvoir se reposer sur des auxiliaires dont les rôles ne doivent pas être mélangés. L’idéal serait que les professionnels de la famille, qu’il s’agisse des juges, des avocats spécialisés, des psychiatres et psychologues ou des médiateurs, apprennent à travailler ensemble pour aider les parents à construire eux-mêmes des solutions, à se réapproprier leurs prérogatives parentales. Ce travail commun entre professionnels de la famille ne résoudra pas tous les conflits familiaux, mais pourrait permettre que certaines situations de crise soient évitées. Le traitement judiciaire des conflits parentaux, qui risque d’exacerber certaines situations de crise au lieu de les apaiser, ne peut pas toujours être évité, mais il doit être organisé de telle manière que les parents ne soient pas déresponsabilisés, et qu’ils reprennent la main le plus vite possible. Le recours au juge, lorsqu’il est contentieux, signifie, en dépit des efforts que chacun peut mener, un arbitrage à faire entre deux solutions parfois extrêmes, que l’avocat va relayer avec l’objectif de faire triompher la thèse de son client. Il est « formaté » pour défendre, et il ne lui est donc pas toujours facile de prendre du recul par rapport aux demandes qu’il présente. Il engage pourtant sa responsabilité en matière familiale car les conseils qu’il va donner à son client ne seront pas sans conséquences durables.
Le rôle de l’avocat
17Le rôle de l’avocat est essentiel, et peut être considéré comme assez particulier en matière familiale. Il doit servir de « filtre » aux demandes qui peuvent lui être présentées, et refuser que l’enfant soit simplement un instrument dans le conflit qui oppose les parents. Il ne doit pas accepter d’être l’écho d’une demande de résidence principale ou alternée dont l’objectif exclusif serait de nuire à l’autre parent, ou de l’amener à céder sur un autre point, notamment financier. Cela serait contraire à son éthique. C’est l’intérêt de l’enfant qui doit guider son conseil. Il importe que les avocats intègrent cette nécessité en la matière car cela n’est malheureusement pas toujours le cas. Le conseil en droit de la famille doit être en mesure d’apprécier la nature réelle de la demande et les motivations du parent, et de faire preuve de recul. Cela ne résout pas nécessairement le conflit entre les parents sur les mesures concernant l’enfant puisqu’il peut exister de véritables divergences entre eux sur ce que constitue son intérêt. Chaque avocat peut souscrire à l’idée que son client s’en fait, au regard des informations qu’il a pu recueillir. Chaque avocat plaide également son dossier au regard de la perception qu’il en a et de ses propres conceptions éducatives, tant la matière reste subjective. L’avocat doit pourtant veiller à ne pas s’impliquer personnellement dans son dossier, et doit avoir un rôle pédagogique à l’égard de son client. Il doit donc essayer de comprendre ce que veut réellement – et pourquoi – son client, et le lui expliquer. Ainsi, la demande qui va être présentée doit pouvoir être aussi cohérente que possible au regard de l’intérêt de l’enfant. Cependant, cette demande ne peut être utilement présentée sans pièces à l’appui, qui doivent permettre au juge d’apprécier le bien-fondé de celle-ci. Ce dossier est constitué le plus souvent par des attestations recueillies auprès de l’entourage, et des différents acteurs de la vie de l’enfant. La nécessité de recueillir de tels témoignages est souvent mal perçue par les parents, qui trouvent soit inconcevable d’avoir à justifier de leurs qualités parentales, soit très gênant d’aller solliciter les tiers, souvent assez réticents à l’idée de se mêler d’un conflit qui n’est pas le leur. Cette quête de témoignage ne doit pas avoir pour effet – même si cela est quelquefois inéluctable – d’aggraver le conflit. Elle a seulement pour objectif de faire valoir les qualités du parent concerné, et les raisons pour lesquelles sa demande est fondée. Il ne s’agit pas de détruire l’image de l’autre.
18Pour autant, cette quête de « preuves » qui peut s’avérer nuisible malgré tout, reste indispensable. Le juge, qui a l’obligation légale de motiver sa décision (article 455 du Code de procédure civile), ne peut que se fonder sur les pièces qui lui sont présentées, ou sur l’expertise qui sera rendue. Formuler des demandes sans justifier de leur bien-fondé ne présente donc aucune utilité. Le travail fait par l’avocat, la manière dont il va présenter ses demandes et en justifier, constituent donc une étape décisive dans le processus décisionnaire. Mais cette première étape a déjà un impact sur la famille puisque des tiers ont été impliqués, et chacun a dû choisir son camp.
19Le juge peut ne pas se limiter aux dossiers qui lui sont ainsi présentés. Il peut, aux termes de l’article 373-2-11 du Code civil [7], ordonner une expertise médico-psychologique et une enquête sociale, et entendre l’enfant, pour prendre en considération les éléments qui en ressortiront.
L’expertise médico-psychologique
20L’expertise médico-psychologique est souvent indispensable pour déterminer quelles seront les modalités les plus conformes à l’intérêt de l’enfant. Elle peut aider à comprendre la posture de l’un ou l’autre parent. Malheureusement, le travail fait par certains experts est parfois trop superficiel pour être utilement exploitable. Les parents ne se sentent pas toujours suffisamment écoutés, ou l’un a l’impression qu’il l’a été moins que l’autre. Ils confondent souvent travail d’accompagnement, dont du coup ils se dispensent alors à tort, et expertise. Un travail doit cependant être fait à cet égard afin que les conditions de l’expertise médico-psychologique soient plus homogènes, ainsi que les rapports rendus qui sont très variables. Certains se contentent de quelques observations lapidaires avant leurs conclusions, tandis que d’autres se livrent à une analyse argumentée, qui rend souvent plus compréhensible et acceptable pour les parents le résultat auquel il parvient aux termes de celle-ci. L’expert, lorsqu’il est désigné, peut utilement alerter le juge sur la nécessité qu’ont les parents, ou les enfants, de suivre une psychothérapie. Il se contente souvent de l’évoquer, et ne subordonne que très rarement les mesures qu’il préconise à l’obligation d’un tel suivi. Or, bien souvent, les modalités préconisées par l’expert sont celles que le juge va entériner, sans pour autant les assortir des réserves qu’a pu faire l’expert. Il serait bien, parfois, que l’expert se montre plus ferme sur ces réserves car les conséquences peuvent être graves, chacun développant, une fois la décision rendue, sa pathologie sans contrôle et sans aide. Il est alors à peu près certain que cette expertise sera suivie d’autres, car le conflit entre les parents ne cessera pas, les raisons n’en ayant pas été réglées. L’enfant va donc évoluer dans un climat hostile, ce qui ne peut manquer d’avoir des répercussions sur lui. Il est donc dommage que le recours à l’expertise se limite à la prise en considération des conclusions du rapport qui sera rendu, alors qu’il pourrait être l’occasion d’un signal d’alarme et de la mise en place de mesures utiles à la résolution du conflit, au moins à terme, et surtout à la protection de l’enfant.
L’enquête sociale
21L’enquête sociale est malheureusement souvent confondue avec l’expertise médico-psychologique, à commencer par les enquêteurs sociaux qui s’improvisent parfois experts psychiatres. Or, elle doit être strictement limitée au constat des conditions matérielles dans lesquelles l’enfant a évolué et évoluera chez chacun des parents, en évitant au maximum les considérations d’ordre psychologique. Il est important que chacun conserve son rôle.
L’audition de l’enfant
22L’audition de l’enfant peut également être utile au juge. La loi du 5 mars 2007 a d’ailleurs consacré un véritable droit à l’audition du mineur qui en fait la demande [8], sous réserve qu’il soit capable de discernement. Cette audition peut également être ordonnée par le juge ou par la personne qu’il désigne à cet effet. Cette possibilité d’entendre l’enfant s’inscrit en cohérence avec les dispositions de l’article 371-1 alinéa 3 du Code civil, issu de la loi du 4 mars 2002, qui prévoit que les parents doivent associer l’enfant aux décisions qui le concernent, selon son âge et son degré de maturité. On voit bien, cependant, le danger de telles dispositions qui laissent la porte ouverte à l’instrumentalisation de l’enfant. Lui permettre de s’exprimer dans le conflit parental, de donner son avis (qui doit, au regard du texte, être pris en considération), le place souvent au cœur d’un conflit dont il faudrait au contraire le protéger. Il en était l’enjeu, il en devient l’une des solutions. L’enfant de parents séparés a un pouvoir effrayant : il peut distribuer les cartes entre ses parents, jouer de l’un contre l’autre, utiliser au mieux de ses intérêts immédiats la situation. De victime, il peut rapidement devenir bourreau. Pour redevenir un jour victime, car il ne peut sortir indemne de la toute-puissance dont il est soudain investi. Il est donc impératif que son audition soit strictement encadrée et que le juge soit formé à cette écoute particulière, ou qu’il la délègue. L’enfant ne doit pas former un couple avec l’un des parents, en excluant l’autre. Le couple parental doit continuer à être seul investi des prérogatives de l’autorité et les règles doivent s’imposer à l’enfant, même si son avis doit être pris en considération, surtout à compter d’un certain âge. Il est certain que plus les parents délèguent cette autorité au juge et plus l’enfant se sent la possibilité de profiter de leur défaillance, qui n’est pas pour lui inspirer confiance… Ainsi, cet outil pour le juge que constitue l’audition de l’enfant doit être manié avec précaution.
Le juge, tuteur ou régulateur ?
23À l’aide des moyens succinctement exposés, le juge va devoir rendre une décision organisant la vie de l’enfant. Il a encore la possibilité d’en laisser la responsabilité aux parents, et de seulement les soutenir dans cette démarche. À défaut d’accord de leur part, il va devoir se substituer à eux et rendre sa décision, en appliquant la loi.
24Ainsi, le juge a pour mission de s’efforcer à concilier les parties (article 21 du Code de procédure civile). À cette fin, il peut leur proposer une mesure de médiation, et s’ils sont d’accord, désigner un médiateur (article 373-2-10 du Code civil). C’est incontestablement la démarche la plus responsable de la part des parents. Dans certaines juridictions, elle est d’ailleurs désormais proposée aux parties avant l’audience [9], ce qui permet une tentative de rapprochement avant que le conflit ne soit exacerbé par la construction des dossiers de part et d’autre.
25Si cette démarche de médiation est refusée par les parents, ou si elle n’aboutit à aucun accord, le juge tranchera. Il va se référer, pour le faire au mieux, aux arguments et pièces qui lui ont été présentés par les parties, aux résultats des expertises, au sentiment qu’a pu exprimer l’enfant.
26Il va également tenir compte d’autres critères que lui offrent la loi, garantie d’une décision plus objective car ces critères sont connus des praticiens, et donc des parents. Ils viennent d’ailleurs le plus souvent à l’appui de leur argumentation. Ainsi, il tiendra compte des accords trouvés antérieurement par les parents ou de la pratique qu’ils auront pu mettre en place, de l’aptitude de l’un à respecter l’autre et vice versa, et depuis la loi du 9 juillet 2010, de la pression ou de la violence physique ou psychologique exercée par l’un sur l’autre.
27Le critère lié au respect de l’autre parent, qui justifie d’ailleurs que soient sanctionnées les violences exercées par l’un sur l’autre, quelle que soit leur nature, est fondamental et il reste pourtant assez rarement visé dans les décisions. Or, c’est grâce à une relation respectueuse entre ses parents que l’enfant peut se construire plus harmonieusement, en dépit de leur séparation. Comment peut-on espérer d’un enfant, et c’est encore plus vrai d’un adolescent, qu’il se montre respectueux envers ses parents et plus généralement envers la société, quand son quotidien est scandé par les insultes ou les critiques de l’un de ses parents à propos de l’autre, et même par une violation des règles de droit ? Quelles valeurs peuvent avoir pour lui les règles sociales si ses propres parents ne les respectent pas ? Et cette absence de respect risque d’être d’autant plus incompréhensible à ses yeux que la règle n’a été imposée à ses parents que du seul fait de leur défaillance, alors que lui se voit imposer des règles sans en avoir réclamé l’application ?
Conclusion
28L’enfant qui se construit au milieu d’un conflit ne sera pas nécessairement pire ou meilleur qu’un autre, mais sans doute différent de ce qu’il aurait pu être si ses parents s’étaient entendus, séparés ou non. Il met en place des mécanismes de défense qui peuvent en faire un adolescent insupportable, et qui va finir par être rejeté d’un domicile à l’autre, la séparation devenant alors l’occasion de se délester du poids qu’il est devenu au lieu de s’interroger sur les raisons qui l’ont conduit à devenir ainsi. Or, les parents ne peuvent minimiser leur responsabilité, et considérer que leur rupture puis ensuite la justice sont responsables de l’état de leurs enfants. C’est de leur défaillance parentale, même compréhensible, même excusable, que naît la nécessité de la décision. Or, les parents séparés doivent réussir à faire que l’autorité parentale qu’ils détenaient ensemble au moment de leur vie commune devienne une véritable autorité coparentale lorsqu’ils se séparent. C’est cette prise de conscience que les parents, qui sont souvent dans une situation de détresse, car en pleine séparation, ont du mal à intégrer. Et c’est à quoi les professionnels de l’enfance et plus largement de la famille, quel que soit leur domaine d’activité, doivent travailler. S’adapter aux changements d’une société en perpétuelle évolution est une nécessité ancienne et récurrente qui ne doit pas pour autant permettre aux parents d’échapper à leurs obligations en attendant de la justice qu’elle soit le pater familias d’hier. C’est aux parents qu’il appartient de construire l’avenir de leurs enfants. Et la justice doit seulement les y aider, sans devenir la figure de substitution. Elle n’en a ni les moyens, ni l’envie.
Mots-clés éditeurs : juge, résidence, séparation, parents, avocat, résidence alternée, enfant, expertise médico-psychologique, enquête sociale, audition, autorité parentale
Mise en ligne 22/02/2012
https://doi.org/10.3917/ep.052.0049Notes
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[1]
Article 371-1 du Code civil (L. 2002-305 du 4 mars 2002) : « L’autorité parentale est un ensemble de droits et de devoirs ayant pour finalité l’intérêt de l’enfant. Elle appartient aux père et mère jusqu’à la majorité ou l’émancipation de l’enfant pour le protéger dans sa sécurité, sa santé et sa moralité, pour assurer son éducation et permettre son développement, dans le respect dû à sa personne. Les parents associent l’enfant aux décisions qui le concernent, selon son âge et son degré de maturité. »
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[2]
Gazette du Palais, septembre 2010, n° 253 à 254, « Pauvres jaf », éditorial par Jérôme Casey et Élodie Mulon.
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[3]
Rapport n° 3117 déposé le 7 juin 2001 par monsieur Dolez : « Application concrète du principe de coparentalité, la résidence alternée fait son entrée dans le Code civil : elle pourra désormais figurer dans les accords parentaux homologués ou être imposée par le juge (articles 372-3 et 372-5 du Code civil créés par l’article 4), en fonction de l’intérêt de l’enfant. La Commission a souhaité qu’en cas de désaccord des parents sur la résidence de l’enfant, la priorité soit donnée à la formule de la garde alternée, qui constitue une application pratique du principe d’exercice conjoint de l’autorité parentale. L’alternance pourra prendre différentes formes, de la parité la plus stricte à des formules plus souples, privilégiant davantage l’un des parents. Votre rapporteur estime également souhaitable d’envisager une alternance dans le temps, permettant à chaque parent de suivre quotidiennement son enfant pendant quelques mois, voire quelques années ».
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[4]
Voir notamment Cass. 1reiv., 8 nov. 2005, n° 02-18.360, rjpf-2006-2/48, obs. F.Eudier.
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[5]
Le terme de « garde » n’existe plus depuis la loi du 22 juillet 1987. Le seul vestige
qui en restait à l’article 1384 alinéa 4 du Code civil, qui vise la responsabilité des parents du fait du dommage causé par l’enfant, a disparu avec la loi du 4 mars 2002. Ce changement de vocabulaire, qui ne paraît pas toujours encore complètement intégré, est pourtant fondamental. La notion de garde induit un sentiment de propriété ou de possession, qui est extrêmement préjudiciable aux relations devant présider entre les parents. La notion de résidence n’induit pas ce sentiment. Elle est seulement liée au domicile de l’enfant, et n’est pas une référence au lien qui existe entre lui et le parent qui bénéficie de cette résidence. Le terme de garde doit donc être totalement rayé du vocabulaire lié à l’autorité parentale. -
[6]
Le principe que pose clairement la Cour de cassation dans son arrêt du 25 avril 2007 paraît évident, et avait déjà été appliqué par certains juges du fond (Voir notamment ca Toulouse, 25 octobre 2005, jurisdata n° 2005-287383 / ca Toulouse, 28 mars 2006, jurisdata n° 2006-304857 / ca Aix-en-Provence, 13 avril 2006, jd n° 2006-316445). Pourtant, cette décision a le mérite de poser sans équivoque possible une solution contestée par certains, ou qui ne paraît pas évidente pour d’autres (voir notamment en ce sens ca Rouen, 22 février 2007, Jurisdata n° 2007-330567).
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[7]
Art. 373-2-11 : « Lorsqu’il se prononce sur les modalités d’exercice de l’autorité parentale, le juge prend notamment en considération :
– la pratique que les parents avaient précédemment suivie ou les accords qu’ils avaient pu antérieurement conclure ;
– les sentiments exprimés par l’enfant mineur dans les conditions prévues à l’article 388-1 ;
– l’aptitude de chacun des parents à assumer ses devoirs et respecter les droits de l’autre ;
– le résultat des expertises éventuellement effectuées, tenant compte notamment de l’âge de l’enfant ;
– les renseignements qui ont été recueillis dans les éventuelles enquêtes et contre-enquêtes sociales prévues à l’article 373-2-12 ;
– (L. 2010-769 du 9 juillet 2010, art. 8) Les pressions ou violences, à caractère physique ou psychologique, exercées par l’un des parents sur la personne de l’autre. » -
[8]
Article 388-1 du Code civil : « Dans toute procédure le concernant, le mineur capable de discernement peut, sans préjudice des dispositions prévoyant son intervention ou son consentement, être entendu par le juge ou lorsque son intérêt le commande, par la personne désignée par le juge à cet effet. Cette audition est de droit lorsque le mineur en fait la demande. Lorsque le mineur refuse d’être entendu, le juge apprécie le bien-fondé de ce refus. Il peut être entendu seul, avec un avocat ou une personne de son choix. Si ce choix n’apparaît pas conforme à l’intérêt du mineur, le juge peut procéder à la désignation d’une autre personne. L’audition du mineur ne lui confère pas la qualité de partie à la procédure. »
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[9]
Décret n° 2010-1395 du 12 novembre 2010 relatif à la médiation et à l’activité judiciaire en matière familiale/Gazette du palais, mai 2011, n° 147 à 148, Danièle Ganancia, « Enjeux et perspectives de la médiation au Tribunal de Grande Instance de Paris ».