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Article de revue

Les auteurs de crimes monstrueux sont-ils des monstres?

Pages 111 à 118

Notes

  • [1]
    Arrêt du 16 décembre 1999, Requête n° 24888/94, Affaire V c. Royaume-Uni.
  • [2]
    L’article 310 du Code de procédure pénale dispose que « le président est investi d’un pouvoir discrétionnaire en vertu duquel il peut en son honneur et en sa conscience prendre toutes les mesures qu’il croit utiles pour découvrir la vérité ».
  • [3]
    Pour mieux signifier la part du juge, la première personne du singulier est employée pour rendre compte des initiatives du président pendant les débats.
  • [4]
    Cour de cassation, chambre criminelle, 5 mars 1986, Bulletin n° 92.

1Devant la cour d’assises, là où se met en scène le crime, la violence des hommes poussée à son paroxysme, la tentation existe de confisquer l’humanité des accusés pour les présenter comme des monstres, et uniquement comme des monstres. Totalement oraux, totalement contradictoires, les débats y laissent, cependant, une chance à la complexité d’éclairer ces actes hors la loi.

2Les deux auteurs, président et ancien président de cour d’assises, ont choisi, pour en témoigner, de présenter et de commenter un procès. Le procès ainsi rapporté est celui d’un jeune mineur qu’on aurait pu sommairement qualifier de monstre tant le crime commis et non contesté était atroce.

L’horreur de l’acte

3La police, en patrouille, est arrêtée par une femme hurlant devant chez elle. Elle est avec ses deux fils, adolescents: l’un va et vient en pleurant; l’autre, la main ensanglantée et le tee-shirt déchiré, annonce calmement aux policiers qu’il a tué son frère aîné; il dissimule un couteau derrière son dos. La mère évoque une bagarre entre les frères.

4L’horreur de la scène outrepasse l’imaginaire: 70 coups de couteau!

5Laurent Sokha n’a pas encore 18 ans et il est accusé d’avoir assassiné son frère âgé de 25 ans.

6Au départ, l’acte est celui d’un monstre et en plus d’un frère monstrueux. Revoilà Abel et Caïn. Dès le début de la lecture du dossier sur les faits, de la relation, décrite comme brutale, des premières constatations et, plus encore, des photos prises par l’identité judiciaire, nous sommes dans la monstruosité. Et comme devant la Gorgone, nous sommes étrangement fascinés. Le monstre associe, mêle, l’humain et le bestial, représente « l’horreur terrifiante de ce qui est absolument autre, l’indicible, l’impensable, le pur chaos » (Vernant, 2008, p. 12), et cette association suscite effroi et haine.

7En 1993, en Grande-Bretagne, deux enfants de dix ans enlevèrent un enfant, âgé de 2 ans seulement, le battirent à mort et le décapitèrent à la hache. Pour les soustraire à toutes représailles, les autorités durent, à leur sortie de prison, dix ans après les faits, recourir à la très exceptionnelle procédure de changement d’identité. Sept ans plus tard, l’un d’entre eux fut, à nouveau, poursuivi en justice. La « furie », comme l’a nommé le Guardian, se déchaîna alors. Plus de cent cinquante groupes se sont constitués sur Facebook ou ailleurs pour réclamer sa pendaison ou son incarcération à perpétuité (Malingre, 2010).

Un traitement judiciaire de droit commun

8Comme le montrent ces réactions, le traitement judiciaire du délinquant désigné comme « monstre » peut faire débat. Relève-t-il du droit commun? Dès lors qu’aucun trouble psychique ou neuropsychique n’a aboli son discernement ou le contrôle de ses actes, au sens de l’article 122-1 du Code pénal, il doit répondre en justice de son acte, fût-il « monstrueux ». L’horreur suscitée par l’acte justifie-t-elle de déroger aux règles, notamment procédurales, pour « apaiser » l’émoi collectif?

9En Grande-Bretagne, le procès des deux enfants meurtriers eut lieu, conformément au droit commun, devant la « Crown Court », selon la procédure applicable aux majeurs, et les deux seuls aménagements qui lui furent apportés tinrent d’une part à l’interdiction de diffuser nom et photographie des accusés, et d’autre part à l’aménagement du box dont le banc fut surélevé.

10La Cour européenne des droits de l’homme [1] a estimé contraire à l’article 6.1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme ce procès, en raison de l’insuffisance des dispositions prises pour réduire l’intimidation et l’inhibition des accusés générées par l’ambiance tendue des audiences et les regards scrutateurs de l’assistance facilités par la surélévation de leur banc. Pour la Cour, ainsi intimidés, les accusés ont été empêchés de participer de manière effective à leur défense. Pour la Cour européenne des droits de l’homme, même l’auteur d’actes monstrueux doit bénéficier d’un procès équitable.

11En France, les actes « monstrueux » relèvent généralement de la cour d’assises, composée de trois magistrats professionnels et de neuf « citoyens jurés », tirés au sort sur les listes électorales. La procédure y est orale, entièrement. Parmi les juges, seul le président a pris connaissance du dossier, l’ensemble des éléments à charge ou à décharge doit être exposé à l’audience où sont obligatoirement entendus témoins, experts, personnes se déclarant victimes des faits jugés, accusés. Le verdict ne peut se forger que sur les débats à l’audience.

12L’image du monstre peut-elle subsister après ce traitement de droit commun ou, au contraire, l’obligation de tout mettre en lumière efface-t-elle nécessairement cette image pour y substituer celle d’un homme ou d’un enfant? Nous tenterons de répondre à cette question, en exposant le « traitement judiciaire » du cas Sokha, en suivant le cheminement, devant la cour d’assises, de ce dossier.

L’éclairage de l’ombre

13Tout commence par l’instruction du dossier, d’abord menée solitairement par le président, puis de manière contradictoire. Suit l’élaboration de la décision, d’abord par les commentaires des parties puis lors du délibéré de la cour et du jury. Tiers impartial, le président doit arbitrer les tensions qui peuvent surgir à l’audience mais aussi garantir l’égalité des armes entre l’accusation et la défense, la loyauté des débats, l’équité du procès, et à cette fin, il dirige les débats. Quelque temps avant l’audience, il prend connaissance du dossier écrit constitué par le juge d’instruction et peut ainsi recenser les interrogations qu’il suscite sur les faits et la personnalité de l’accusé pour les mettre en débat à l’audience. À l’issue de cette étude, il établira le plan d’audience, en décidant des points qui devront être abordés en premier lieu, pour la manifestation de la vérité. Il pourra aussi exercer son pouvoir « discrétionnaire » qui lui permet d’ordonner la communication de toute pièce, des expertises, ou convoquer à l’audience des témoins non cités par l’accusation ou la défense [2].

14Pour le cas Sokha, après avoir rapidement parcouru le dossier, je [3] me suis d’abord attachée à l’étude de la personnalité de l’accusé.

15Laurent est le troisième d’une fratrie de quatre. Une sœur aînée, Madeleine; la victime, Simon (7 ans de plus que lui), et un frère plus jeune d’un an, Michel. Les parents divorcés sont nés tous deux au Cambodge; le père est arrivé en France en 1973, la mère en 1975 avec un « convoi » de réfugiés. Simon est décrit comme violent, imposant sa loi à la famille. L’enquêteur de personnalité le décrit sous un jour très défavorable: drogué, cassant tout, reléguant sa mère dans le sous-sol où elle vivrait avec son nouveau mari. Cependant, son casier ne comporte qu’une condamnation pour vol. En revanche, l’accusé y est dépeint comme calme, discret et réservé, ayant une bonne scolarité secondaire, décrivant son enfance comme heureuse, en dépit de la mésentente de ses parents et de la violence de son frère aîné. La minorité de l’accusé entraîne une investigation plus complète et plus fine sur sa personnalité et sur sa famille: le rapport d’investigation et d’orientation éducative décrit la même situation de violence de la part du frère aîné qui a pu prendre une place laissée vide par les parents.

16Il ressort de ce rapport le soulagement de la famille entière après le décès de Simon (sauf le père qui dit ne pas s’être aperçu de la violence de son fils). Ce soulagement, alors qu’il s’agit de la mort d’un fils et d’un frère, provoque chez moi une gêne, et m’amène là aussi à envisager une possible complicité de la mère et du frère.

17Trois expertises ont été effectuées par le même expert:

  • l’une immédiatement après les faits. L’expert pose le postulat que les crimes intrafamiliaux sont souvent commis par des psychotiques, l’exception étant celle du tyran familial. C’est à cette hypothèse qu’il s’attache, rien dans l’examen n’amenant au diagnostic de psychose. Cependant, l’expert constate un état de sidération qui dénote l’emprise sous laquelle l’accusé est encore au moment de l’expertise;
  • se référant au dossier et aux dires de l’accusé, l’expert note qu’il ne s’agit pas d’un acte froidement anticipé et préparé, mais d’un « geste commis dans un moment de débordement par l’angoisse, même si le sujet reconnaît avoir antérieurement envisagé cette solution ». Plus loin, il écrit que « l’intensité de cette violence semble à la mesure de l’image fantasmatique de la toute-puissance du frère ». Mais il n’existe pas de causes médicales d’abolition ou d’altération des facultés mentales;
  • l’expert enfin préconise une nouvelle expertise, six mois plus tard, compte tenu de cet état de sidération.
La mère de l’accusé participe à cette seconde expertise: elle dit que ce sont ses deux fils, mais qu’elle n’a pas été aidée quant à la violence de son fils aîné (services sociaux sourds), qu’elle s’est renseignée à l’enterrement auprès de ses copains qui ont confirmé qu’il se droguait…

18Sur la causalité de l’acte, l’expert relève que Laurent avait peur que son frère tue sa mère, et note: « C’est comme si le fratricide avait pour objet d’empêcher un matricide. » Laurent est toujours dans une position d’impossibilité de se représenter son acte. L’expert fait également référence à la réalité cambodgienne du génocide de Pol Pot et de la fuite de la mère signalée par celle-ci. Sa propre mère serait morte de dénutrition peu de temps après et son père aurait été prisonnier des Khmers rouges. Il signale que Mme Sokha a peu parlé à ses enfants du génocide cambodgien, que la communication entre les membres de la famille est très pauvre, sans doute en raison de leur culture. Ce point qui m’apparaît extrêmement intéressant, demande à être explicité.

19Mon expérience du recours à des intermédiations culturelles lorsque j’exerçais les fonctions de juge pour enfants et une sensibilité personnelle à l’histoire cambodgienne m’amènent à envisager un supplément d’information sous l’angle de l’ethnopsychiatrie; pour en savoir plus sur l’histoire de la famille au Cambodge et aussi pour introduire de la parole dans la famille avant l’audience, sachant que les expertises ethnopsychologiques incluent les membres de la famille.

20À la toute fin de l’information, soit près d’un an plus tard, l’expert revoit l’accusé, à la demande de son avocat. Cette fois un psychologue lui est adjoint. Son évolution est favorable, bien qu’il demeure inhibé et appréhendant son procès; la dernière phrase de l’expertise reprend la « situation familiale singulière autour du frère aîné terrorisant les plus jeunes et se présentant comme le gardien de la morale de sa mère ». C’est donc avec ces éléments que j’entreprends la lecture approfondie de l’enquête sur les faits et la lecture des témoignages et des expertises.

21L’accusé, dans ses différents interrogatoires, exposait que Simon, bien que parti de la maison après une violente agression sur son beau-frère, et interdit de s’y présenter, revenait en cachette et maintenait ses frères sous la terreur. C’est alors que, de peur qu’il ne découvre que sa mère dormait au sous-sol avec son amant et ne la tue, il avait poignardé son frère à la sortie de la salle de bains. Sa peur extrême expliquait pour lui le nombre de coups, portés en deux temps.

22Loin de me convaincre a priori de la thèse de l’extrême violence et de l’extrême peur, je conserve un esprit critique déjà éveillé par mon survol du dossier et j’essaye de préparer le débat dans l’impartialité. J’ai donc particulièrement étudié les témoignages, non seulement des membres de la famille, mais aussi des amis de la victime.

23La mère et les enfants dénonçaient cette violence, le père était beaucoup plus nuancé et les amis de la victime le présentaient comme ayant le souci de ses petits frères. Un fait objectif: une bagarre avait eu lieu, au cours de laquelle il avait blessé son beau-frère avec la procédure qui s’en était suivie. Les auditions de la mère, la sœur, le beau-frère et le frère qui présentaient l’accusé comme leur sauveur, alors que la victime était aussi leur frère, nécessitaient un besoin de vérification à l’audience au cours des auditions de ces témoins.

24À l’audience, le Président interroge puis invite les parties au procès, l’avocat général et les avocats de la défense et des parties civiles, à poser des questions. Investi du pouvoir de direction des débats, il a le devoir de rejeter tout ce qui tendrait à compromettre leur dignité et l’équité du procès en s’opposant, par exemple, aux déclarations ou commentaires accompagnant les questions qui seraient de nature à influencer le témoin ou à dénaturer sa déposition [4]. Les questions posées comme l’architecture de l’audience conçue par le Président doivent contribuer à la découverte de la vérité.

25Tout d’abord, il fallait vérifier l’hypothèse d’un ou plusieurs coauteurs. L’audition des policiers et celle du médecin légiste ont permis de l’écarter. En tout cas, la violence du meurtre et les circonstances de sa commission n’entraînaient pas a priori la preuve qu’il n’avait pas pu être commis par une seule personne.Au cours de l’audience, plusieurs éléments, nouveaux pour certains par rapport au dossier, ont été déterminants, quant à la compréhension des mobiles de l’acte:

  • l’audition des membres de la famille chez lesquels on pouvait encore percevoir la terreur que faisait régner la victime, et dont l’émotion était plus perceptible qu’à la lecture des procès-verbaux;
  • la déposition du professeur de judo de l’accusé et de son jeune frère qui avait pu constater que leur frère aîné, qui les accompagnait quasiment toujours, ne leur manifestait aucune affection, et surtout, il avait observé des marques sur le corps de Laurent et s’en était ouvert à la mère qui avait banalisé. Simon, quant à lui, avait été exclu du cours pour comportement inadapté, car trop brutal;
  • l’analyse du carnet intime de la sœur aînée, qui révélait une absence des parents pour lesquels le travail prédominait, la violence intrafamiliale, essentiellement verbale et psychologique, et l’absence de réelle communication entre ses membres. Elle avait d’ailleurs quitté la maison le jour de ses 18 ans.
L’analyse ethnopsychologique qui nous a été présentée par l’expert nous a montré la complexité de la famille. Les enfants y étaient décrits comme très respectueux et réservés, ne connaissant pas leur histoire familiale. Grâce aux trois rendez-vous d’expertise, la mère a pu parler de son exil, des horreurs vécues pendant sa fuite dans la forêt menaçante. Le fonctionnement de la famille en France était celui d’une diaspora et notamment quant à l’importance de la valeur travail, au désir d’intégration: les enfants ne devaient manquer de rien sur le plan matériel. Cela expliquait pourquoi le fils aîné s’était vu déléguer une grande partie de l’éducation de ses jeunes frères sur lesquels il avait pris un pouvoir sans contrôle ni limites. Sur la violence de Simon, l’expert soulignait les accents de sincérité dans le discours des membres de la famille. L’absence de révélation de la violence subie par l’accusé et son frère, cette parole impossible étaient reliées aux éléments culturels et à l’exil, et faisaient écho aux silences de la mère sur la violence subie par elle-même et sa famille lors du génocide cambodgien.

Rendre possible une circulation de la parole

26La parole de l’accusé au cours de l’expertise est citée: « Je me suis dit alors qu’il fallait que je lui parle, mais devant lui, j’ai paniqué. Quand il est allé prendre une douche, je suis allé chercher un couteau dans la cuisine. » Autre point fort de l’audience: le témoignage, très long et, disons-le, très émouvant, de la psychothérapeute actuelle de l’accusé qui fait état de l’investissement de ce dernier dans la cure et confirme l’hypothèse du retour du refoulé: le génocide cambodgien.

27C’est dans cette circulation de la parole que s’inscrit l’interrogatoire de l’accusé. Dans une défense stéréotypée, il demandait la parole pour répéter les mêmes mots autour de la peur que lui inspirait son frère. C’est donc volontairement que je n’ai procédé à son interrogatoire qu’en fin de débat, une fois que la parole des autres acteurs de ce procès a pu venir éclairer la sienne et la rendre véritablement audible. La parole, enfin libérée, avait tourné autour de l’accusé, et lui avait permis une parole juste et humaine, dans sa fragilité, en contraste avec la violence des actes. Le monstre avait cédé la place à l’humain, qui à présent pouvait s’entendre rappeler l’interdit fondamental qu’il avait transgressé et la sanction qui s’ensuivait. Mais il était à même d’y trouver un sens. Vint, ensuite, le temps du réquisitoire de l’avocat général et de la plaidoirie de la défense, le temps des commentaires pour que chacune des parties éclaire, de son regard, de son point de vue, les certitudes et les interrogations révélées lors de la phase d’instruction. Cet échange de point de vue permet de tester la solidité de tel ou tel élément, la pertinence de telle ou telle thèse.

28Au fil des témoignages, des auditions des experts ou des interrogatoires, une évidence s’était progressivement imposée: la famille, terrorisée par le comportement de la victime, semblait libérée par le crime. L’absence de constitution de partie civile, le fait qu’aucun proche du mort n’ait voulu demander réparation pour sa disparition brutale laissaient penser que d’un certain point de vue, l’accusé avait accompli une tâche salutaire! L’avocat général, chargé de la défense de la société, renonça à stigmatiser le « monstre » dont l’humanité avait été restituée par le temps passé à l’examen des faits et de la personnalité de l’accusé. La peine requise fut modérée et n’interdisait nullement le prononcé d’une peine de principe.

29L’avocate de la défense, avec finesse, tenta de restituer le parcours chaotique, la souffrance de Laurent, la prison de silence qui mure la famille, culpabilise les uns et les autres, coule dans les veines de tous une chape de plomb mortifère. Les certitudes esquissées au cours de l’instruction s’affirment, le choc des mots lancés par l’avocat général ou l’avocat de la défense achèvent de construire l’édifice du verdict, cisèlent les contours de l’intime conviction. Avec émotion, l’avocate confia le sort de Laurent aux jurés, en leur demandant de n’oublier ni le silence de la famille ni la souffrance de cet enfant qui, malgré son acte monstrueux, demeure un homme en devenir.

30Laurent eut la parole le dernier. Avec émotion, il exprima son profond désarroi, sa honte d’avoir tué « l’autre » qui, aussi monstrueux fût-il, reste et restera son frère.

31

« La Loi ne demande pas compte aux juges des moyens par lesquels ils se sont convaincus, elle ne leur prescrit pas de règles desquelles ils doivent faire particulièrement dépendre la plénitude et la suffisance d’une preuve; elle leur prescrit de s’interroger eux-mêmes, dans le silence et le recueillement, et de chercher, dans la sincérité de leur conscience, quelle impression ont faite, sur leur raison, les preuves rapportées contre l’accusé et les moyens de sa défense… »

La justice reconstructrice

32Les jurés partirent en délibéré après que le président leur eut rappelé la loi.

33Avec retenue mais aussi gravité, les jurés, tour à tour, exprimèrent leur point de vue, leur ressenti, leurs tâtonnements. De l’écheveau de leurs paroles mêlées surgit bientôt une certitude majoritaire: Laurent était coupable mais ne devait pas être sanctionné par une peine susceptible de renforcer son exclusion. La libération de la parole a fait reculer et disparaître le « monstre » qui se nourrit nécessairement de l’ombre et de la peur. Comme un projecteur, elle a brisé la fantasmagorie de l’ombre, réduit à sa juste dimension, à sa dimension humaine, le monstre amplifié par l’ombre de la nuit.

34Cinq années d’emprisonnement dont trois avec sursis furent prononcées. La Cour ne décerna pas mandat de dépôt, laissant la possibilité d’un aménagement de peine, d’un placement en centre de semi-liberté, d’un placement sous bracelet électronique. Une extrême émotion emplit le prétoire à l’énoncé du verdict, ressenti par tous comme un verdict d’apaisement des souffrances, de retour à la vie, de « reconnaissance » de l’acte mais aussi de la fragilité de son auteur.

35Le débat contradictoire a ainsi permis de conserver à la sentence de justice sa véritable finalité qui n’est pas de faire « violence » mais de constituer un acte de « reconnaissance », selon Paul Ricœur (Ricœur, 1992).

Bibliographie

Bibliographie

  • Malingre, V. 2010. « Le diable a brûlé sa seconde chance », Le Monde, 29 mars 2010.
  • Ricœur, P. 1992. « L’acte de juger », Esprit, juillet 1992.
  • Vernant, J.-P. 1985. La mort dans les yeux. Figures de l’autre en Grèce ancienne, Paris, Hachette littérature, coll. « Pluriel », 2008.

Mots-clés éditeurs : justice reconstructice, actes monstrueux, procès, débat contradictoire, débat public, circulation de la parole, reconnaissance mutuelle

Mise en ligne 03/01/2012

https://doi.org/10.3917/ep.051.0111

Notes

  • [1]
    Arrêt du 16 décembre 1999, Requête n° 24888/94, Affaire V c. Royaume-Uni.
  • [2]
    L’article 310 du Code de procédure pénale dispose que « le président est investi d’un pouvoir discrétionnaire en vertu duquel il peut en son honneur et en sa conscience prendre toutes les mesures qu’il croit utiles pour découvrir la vérité ».
  • [3]
    Pour mieux signifier la part du juge, la première personne du singulier est employée pour rendre compte des initiatives du président pendant les débats.
  • [4]
    Cour de cassation, chambre criminelle, 5 mars 1986, Bulletin n° 92.
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