Notes
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[1]
Ce texte est une version légèrement remaniée d’un article paru en avril 2009 dans le numéro 48 de la revue Phar. Nous remercions l’auteur et le syndicat national des praticiens hospitaliers anesthésistes réanimateurs (www. snphar. com) qui nous en ont permis la reproduction.
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[2]
G. Calabresi, P. Bobitt, Tragic Choices, New York, W.W. Norton & Cie, 1978, p. 18.
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[3]
Richard Senett, La culture du nouveau capitalisme, Paris, Hachette, coll. « Pluriel », 2006.
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[4]
Précisons que Philippe Ritter, préfet et auteur du rapport préconisant la création des ars, est chargé de mission dans le cadre de la rgpp.
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[5]
« La réforme de l’État : continuités et ruptures. Entretien avec Philippe Bezès », Esprit, 12, décembre 2008, p. 90. Du même auteur, on pourra lire Réinventer l’État. Les réformes de l’administration française (1962-2008), Paris, puf, coll. « Le lien social », 2009.
1Le projet de loi intitulé « Hôpital, patient, santé, territoire » a donné lieu à des débats passablement embrouil-lés. D’un côté, certains dénoncent l’« étatisation des hôpitaux », arguant que le texte renforce considérablement les attributions des exécutifs que sont les directeurs d’hôpital et les directeurs des futures agences régionales de santé (ars) tandis qu’il affaiblit, symétriquement, la position des intérêts politiques (élus locaux), professionnels (médecins) et sociaux (syndicats de salariés) qui défendent la pérennité sinon le développement des établissements hospitaliers. Incontestablement, le système de santé finit de se « verticaliser » afin d’accélérer la restructuration du secteur hospitalier et de ramener les comptes sociaux à l’équilibre. La démocratie sociale, déjà moribonde, a rendu l’âme tandis que l’ancrage communal, pluriséculaire, de l’hôpital semble voué à être exposé au musée de l’histoire hospitalière. Son « patron », le chef de l’établissement, doit cesser d’être le porte-parole des intérêts de sa structure, l’allié des élus locaux et des praticiens, pour devenir le bras armé de son supérieur direct, le directeur général de l’ars dont il doit faire passer, en interne, les injonctions rationalisatrices. Gouver-nement, Direction de l’hospitalisation et de l’organisation des soins du ministère de la Santé, directeur d’ars et, enfin, chef d’établissement : la ligne hiérarchique est claire et affichée. Finies l’ambition de la décentralisation ou encore celle de la planification « démocratique » et négociée au niveau régional de la loi de 1991. Désormais, on fait dans le « top-down », pas dans le « bottom up », comme disent les spécialistes de l’action publique. Aussi, le terme d’« étatisation » apparaît trop imprécis, voire flatteur. Il faut lui préférer celui de « technocratisation », qui désigne le transfert des prérogatives partagées par des intérêts différents (politiques, médicaux, syndicaux) à une petite élite de hauts fonctionnaires, nommés intuitu personae et révocables ad nutum par les plus hautes autorités politiques. Quant aux éventuels contre-pouvoirs, qu’il s’agisse des conseils exécutifs des ars ou des conférences régionales de santé, la manière cursive dont ils sont traités dans le projet de loi laisse augurer de leur destin de caution « démocratique » à des décisions foncièrement technocratiques.
2Cependant, de l’autre côté, certains critiquent vertement l’idéologie du « tout marché » qui contraindrait les services publics, et en particulier l’hôpital, à revêtir les habits censément modernes de l’entreprise, au mépris de la spécificité de leurs missions et de leur fonctionnement. De fait, dans tous les pays développés, les gouvernements somment leurs établissements hospitaliers de prendre le train de la « corporatization », c’est-à-dire d’adopter les principes de la gouvernance d’entreprise : les « entreprises » hospitalières doivent devenir autonomes et être dirigées par des « patrons » dotés de réels moyens d’action, ce qui suppose d’en finir avec les « rigidités » de la bureaucratie traditionnelle, en particulier en matière de « gestion des ressources humaines ». L’heure est à la « débureaucratisation » de l’hôpital, à son entrée en gestion, à l’introduction massive des technologies gestionnaires du secteur privé. Plusieurs éléments des réformes en cours accréditent la thèse de l’« hôpital entreprise ».
La T2A en droite ligne du modèle (?) américain : le défi de l’industrialisation des soins dans les années 1960 et la mise en place des Diagnosis Related Groups
3D’outil de gestion utilisé de manière prudente et négociée par la tutelle pour corriger les inégalités de dotation entre établissements, le Programme de médicalisation des systèmes d’information (pmsi) s’est mué, au début des années 2000, en tarification à l’activité (T2A) et a ainsi renoué avec ses origines américaines. Rappelons, en effet, que la T2A est d’une modernité âgée d’environ trente ans puisqu’elle est la déclinaison française des Diagnosis Related Groups (drg) américains inventés au milieu des années 1970 par une équipe de chercheurs en gestion de l’université de Yale emmenée par Robert Fetter. Instruments de mesure et de comparaison des coûts et de la productivité des structures hospitalières, les drg vont être récupérés, à la fin des années 1970, par l’administration fédérale qui voit en eux un outil intéressant pour maîtriser la forte croissance des dépenses hospitalières du programme public Medicare (l’assurance maladie des personnes âgées et handicapées, créée en 1965). Les drg doivent permettre d’organiser la mise en concurrence « fictive » des hôpitaux : le coût moyen joue alors un rôle équivalent à celui d’un prix de marché qu’il s’agit de « mimer ». Les drg, rendus possibles par la construction de larges bases de données informatisées, modifient radicalement la nature des incitations auxquelles font face les professionnels et structures de santé. Les patients ne sont plus, comme dans le cadre du paiement au prix de journée, des sources de revenus pour eux-mêmes ou leurs employeurs (les hôpitaux) mais des « centres de coûts » qu’il faut minimiser et/ou transférer à d’autres (sélection des patients en fonction de leur rentabilité telle qu’elle est mesurée par les drg). Reprise à leur compte par les assureurs privés, la réforme – apparemment technique – du mode de tarification initiée par Medicare va profondément bouleverser l’organisation sanitaire américaine. Le processus de concentration du secteur hospitalier a été dopé par les drg au profit des acteurs privés à but lucratif. Car la compétition est inégale : alors que les chaînes de cliniques privées peuvent sélectionner leur « clientèle » et se spécialiser sur les drg les plus rentables et bénéficient d’une totale liberté dans la gestion de la main d’œuvre, les hôpitaux publics et privés à but non lucratif sont, eux, astreints à des obligations d’intérêt général, notamment de soigner les plus pauvres et les malades rejetés du secteur privé et, pour les chu, d’assurer des fonctions d’enseignement et de recherche, lesquelles ne sont pas prises en compte dans le calcul des coûts par drg.
Les « missions de service public » redéfinissent l’offre de soin : la notion d’hôpital public est bannie
4Avec la T2A, sur le « modèle » américain et avec les mêmes effets, les pouvoirs publics français s’emploient donc à mettre en concurrence les établissements publics et privés. La réforme hpst ajoute plusieurs pierres supplémentaires à l’édifice de la « corporatization ». Elle bannit purement et simplement la notion d’hôpital public pour lui préférer celle, indifférenciée, d’« établissement de santé ». De façon connexe, elle désagrège l’activité hospitalière en treize missions de service public, que le directeur de l’ars pourra confier, toujours indifféremment, à des structures publiques ou privées, ainsi « contractualisées », en fonction de l’offre locale de soins et des « performances » économiques relatives des unes et des autres. Et, comme il s’agit de ne pas pénaliser les hôpitaux dans la course à la rentabilité, il convient de leur donner une véritable « autonomie » de gestion et un vrai patron-chef d’entreprise qui aura les mains libres pour procéder aux réorganisations internes, recruter et rémunérer en fonction de la « stratégie » d’entreprise arrêtée, de façon plus ou moins négociée, en conseil exécutif. Et ce patron, bien entendu, pourra être recruté aussi bien dans le creuset de l’École nationale de la santé publique que dans celui de l’entreprise.
5Alors, au final, des contempteurs de l’étatisation de l’hôpital ou des pourfendeurs de l’hôpital entreprise, qui a raison ? Les deux, mon capitaine ! Car l’opposition traditionnelle entre l’État et le marché fait obstacle à la bonne intelligence de l’originalité de la « nouvelle gestion publique », vague partie de l’Amérique reaganienne et de l’Angleterre thatchérienne au début des années 1980 et qui a touché les côtes françaises au milieu des années 1990.
Une réforme au service d’intérêts politiques
6Qu’est-ce la « nouvelle gestion publique » ? Un oxymore. C’est le marché, plus exactement la concurrence/compétition, au service de l’État, plus précisément du gouvernement. Quel est l’objectif ? La mise en concurrence, dûment instrumentée (par la T2A par exemple), doit permettre à l’élite gouvernementale de remettre la main sur des bureaucraties publiques dont le gigantisme et les intérêts multiples ont poussé à se développer hors de tout contrôle. Autrement dit, les réformes sont politiques, bien que cette visée politique soit occultée par le recours à la novlangue gestionnaire de la « gouvernance » dépolitisée et prétendument technique. Aussi, il ne faut pas s’étonner d’assister à la politisation des postes administratifs clés du secteur hospitalier : directeurs d’hôpital et d’ars sont désormais choisis pour leur loyauté aux objectifs gouvernementaux et leur engagement à mettre en œuvre, quelles que soient les oppositions et les résistances, le programme de restructuration du parc hospitalier.
7Surtout, le recours aux technologies concurrentielles comme la T2A doit permettre de désarmer les résistances des acteurs hospitaliers de terrain. C’est une banalité de dire que l’orthodoxie économique et budgétaire pose a priori comme nécessaire et souhaitable la maîtrise des dépenses publiques de santé au nom de la maîtrise plus large des déficits publics. On concédera aisément que cet objectif n’est ni le plus rentable sur le plan électoral, ni le plus sûr garant du maintien de la paix sociale : toute initiative politique trop brusque et explicite sur le terrain de la maîtrise des dépenses de santé se paie cash dans les urnes ou dans la rue. Les gouvernants ont appris à leurs dépens, depuis le début des années 1980, les limites de la rhétorique politique volontariste, que l’on songe un instant aux effets politiques du « plan Séguin » de 1987 ou du « plan Juppé » de 1995 ou, dans un registre plus local, aux manifestations qui accompagnent les projets de fermeture ou de reconversion de services d’urgence ou de maternité. Tout l’enjeu est donc pour eux d’éviter les « blâmes politiques » et la politisation de mesures qui auront, d’une façon ou d’une autre, pour conséquences de restreindre l’accès aux soins et/ou de dégrader les revenus et les conditions de travail des professionnels de santé. La visée présentée comme exclusivement instrumentale (atteindre l’« efficience » et favoriser la « transparence ») ainsi que la technicité du dispositif – dont les conventions et les modalités de calcul, forcément arbitraires, sont encapsulées dans une « boîte noire » qui ne laisse que peu de prises aux critiques des acteurs de terrain – neutralisent, au moins partiellement, les conflits que génère immanquablement l’allocation de ressources budgétaires en faible progression. Le tour de force d’une innovation comme la T2A est d’avoir réussi à imposer sa logique (mesurer la « productivité » hospitalière en couplant informations cliniques et économiques) et son objectif (la comparaison chiffrée des établissements) aux acteurs hospitaliers et à cantonner les critiques de ces derniers sur les modalités d’usage et le paramétrage de l’outil.
De l’esprit de négociation au pilotage automatique
8Les avantages pour le ministère de la Santé sont nombreux. L’un des principaux est de permettre le « gouvernement à distance », aurait dit Michel Foucault, des établissements. La détermination du budget d’un hôpital semble apolitique puisque réalisée par un instrument censé mesurer « objectivement » l’activité d’un établissement et les ressources dont il a besoin. En quelque sorte, ce qui relevait de la négociation politique entre directions hospitalières et pouvoirs publics est désormais délégué à un « pilote automatique » dont les paramètres (le tarif affecté à chaque groupe homogène de séjour) sont manipulés par le ministère des Finances en fonction des objectifs macroéconomiques. Il suffit alors de resserrer progressivement les paramètres de calcul pour étrangler budgétairement les établissements et les forcer à introduire les innovations organisationnelles (partenariats public-privé, pôles, etc.) du modèle du corporate hospital. C’est la fameuse « politique des caisses vides ».
La magie noire de la T2A : ou comment rendre invisibles les « choix tragiques »
9Mais il y a plus (subtil). On le sait, l’un des principaux défis à venir des pouvoirs publics et de l’assurance maladie sera de tracer le périmètre des soins financés solidairement, les besoins étant illimités et les ressources publiques, elles, finies. C’est ce que des chercheurs américains ont baptisé les « choix tragiques », lesquels surviennent lorsque la rareté, qu’elle soit le fait de la nature ou de choix politiques/sociaux, provoque le rationnement de certains biens et services, causant souffrances et décès. Ces choix tragiques, on s’en doute, sont porteurs de désordres politiques et sociaux dès lors qu’ils entrent dans le débat public : « Il en résulterait un problème moral ingérable, un cauchemar de justice dans lequel l’attribution d’un droit aurait pour corollaire inévitable un dommage infligé à autrui, dans lequel un destin serait confronté à un autre destin, dans une séquence de violence nécessaire mais intolérable [2]. » L’enjeu est alors d’euphémiser/neutraliser cette violence potentielle en convertissant une décision politique explicite en un mécanisme d’allocation de ressources aux atours techniques et même automatiques, tout en décentralisant au maximum les dimensions les plus concrètes. Un enjeu politique explosif devient alors une nécessité technique dont les conséquences les plus tangibles (qui doit vivre et qui doit mourir ?) sont privatisées, fragmentées, morcelées… donc invisibles.
10C’est précisément ce que réalise la tarification à l’activité : elle oblige les professionnels de santé, censés être les avocats de la santé de leurs patients, à opérer eux-mêmes les arbitrages économiques (qui soigner, avec quels moyens, à quel coût, à quel niveau de qualité) que se refuse à faire le centre politique. Elle enrôle les médecins dans la gestion de l’établissement, eux qui se sont longtemps identifiés à la profession (et non à l’hôpital qui les emploie) et qui ne prêtaient pas toujours une grande attention à la portée économique de leurs actes et prescriptions. En effet, « être professionnel » pour le gestionnaire ne signifie pas du tout la même chose que pour le médecin. Tandis que ce dernier valorise l’autorité collégiale, l’autonomie dans le travail, la confiance des patients, l’autorégulation par les pairs, l’éthique professionnelle, le gestionnaire, au contraire, aime la standardisation des procédures, la hiérarchie, la formalisation des contrôles et des objectifs, etc. L’entrée en gestion implique donc la remise en cause des valeurs professionnelles traditionnelles par l’intégration des professionnels au management de l’établissement, la formalisation de l’évaluation, la standardisation des pratiques, la définition d’indicateurs de qualité, le recours au benchmarking, l’individualisation des rémunérations…
Une marche inéluctable vers la baisse de qualité des soins et les déficits sociaux
11On comprend que ces mêmes professionnels, pour des raisons déontologiques et/ou morales, tentent par tous les moyens de contourner l’injonction à l’économicité en manipulant autant que possible les catégories de codage, en essayant par exemple de surclasser tel patient pour en retirer un gain qui pourra être réinvesti pour soigner tel autre. Cependant, les tarifs de chaque catégorie de séjour étant de plus en plus calculés au plus juste au nom de la maîtrise des coûts, ce type de stratégie devient impraticable. Vient alors le temps de l’ajustement à la baisse de la qualité ou de la sélection pure et simple des malades en fonction de leur rentabilité supposée pour l’établissement. C’est la raison pour laquelle la tarification à l’activité doit être accompagnée de (fort coûteux) dispositifs d’évaluation de la qualité des soins qui remplissent le rôle de garde-fous. Car, pour les pouvoirs publics, la contrainte économique renforcée doit inciter les acteurs hospitaliers non pas à baisser la qualité des soins mais à reconsidérer les pratiques et à réorganiser le processus de production des soins – la « désorganisation hospitalière », corollaire de la spécialisation de la médecine et de la balkanisation des établissements, génère quantité de « gaspillages » – de façon à améliorer « l’efficience » globale de l’établissement. Autre-ment dit, la tarification à l’activité doit inciter à l’homogénéisation et à la standardisation des pratiques soignantes et gestionnaires et, plus précisément encore, à leur alignement sur celles dont l’efficience est (statistiquement) avérée (soigner avec le maximum de « qualité » au « meilleur coût »).
12Il faudrait un autre papier pour détailler les nombreux échecs et effets pervers des réformes inspirées par la « nouvelle gestion publique » dans le secteur hospitalier et ailleurs : incontinence gestionnaire, inflation de la technostructure, centralisation et politisation croissantes des décisions, réduction de la qualité des soins, délitement des équipes, démoralisation des personnels, surcoûts à moyen terme des partenariats public-privé, etc. Le moins que l’on puisse dire est que très peu de promesses ont été finalement tenues. Signalons, comme l’a très bien montré le sociologue américain Richard Senett [3], que la remise en cause de la bureaucratie au nom de la « flexibilité » et de la réduction des coûts entraîne trois déficits sociaux majeurs. Elle affaiblit la loyauté des salariés, supposés interchangeables, à l’égard de l’institution et de sa direction, en allongeant la distance sociale entre la base et le sommet ; elle mine la confiance informelle au sein des équipes car l’interconnaissance suppose de la stabilité et du temps, ce que ne permettent pas des organisations de plus en plus court- termistes et axées sur la polyvalence des salariés ; enfin, elle dévalorise l’expérience détenue par les salariés au profit de savoirs gestionnaires décontextualisés imposés par des directions persuadées, à tort, que les batteries d’indicateurs de gestion leur suffisent à super-viser en temps réel le travail des salariés.
Un processus de décision vertical, producteur d’injonctions paradoxales
13La réforme hpst est emblématique de l’esprit de la désormais fameuse Revue générale des politiques publiques (rgpp), lancée en 2007 [4] : associant les plus hauts niveaux politiques (présidence de la République et Premier ministre), des très hauts fonctionnaires (souvent issus des grands corps d’inspection) et des cabinets de consultants, son ambition est de faire évaluer par des petites équipes d’audit, travaillant en vase clos et dans l’urgence de façon à prendre de court les agents et les professionnels des administrations concernées, les missions et les moyens de l’État. « Le processus de décision, écrit l’un des meilleurs connaisseurs de la politique de réforme de l’État à propos de la rgpp, est donc extrêmement vertical et technocratique avec les risques que cela entraîne : des visions idéales et hyper-rationnelles de la réorganisation mais largement coupées des réalités administratives, des cultures des administrations fusionnées et des enjeux réels de politiques publiques [5]. » La finalité en est la réduction du nombre de fonctionnaires et des déficits publics, en privatisant ce qui peut l’être et en gérant la pénurie ainsi créée au sein du secteur public au moyen de technologies gestionnaires constitutives de ce que l’on appelle le New Public Management, hybride de théories économiques, de préceptes managériaux (les vertus de l’émulation concurrentielle) et de recettes issues du secteur industriel (comme le benchmarking). Plus fondamentalement encore, la réforme de l’hôpital n’est jamais qu’une illustration parmi d’autres des transformations plus fondamentales du politique. Des élites, délaissant de plus en plus les valeurs du public au profit (dans tous les sens du terme) du privé, avides d’indicateurs de gestion prétendument objectifs, sûres de la supériorité de leurs recettes et jargon passe-partout, coupées de la réalité de l’expérience vécue des citoyens ordinaires, profondément méfiantes à l’égard de toute forme de contre-pouvoirs (professionnels, syndicaux), sont confrontées à la défiance et à l’incompréhension croissantes de celles et ceux qui, dans leur activité quotidienne, doivent mettre en œuvre des injonctions de plus en plus nombreuses et paradoxales.
Notes
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[1]
Ce texte est une version légèrement remaniée d’un article paru en avril 2009 dans le numéro 48 de la revue Phar. Nous remercions l’auteur et le syndicat national des praticiens hospitaliers anesthésistes réanimateurs (www. snphar. com) qui nous en ont permis la reproduction.
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[2]
G. Calabresi, P. Bobitt, Tragic Choices, New York, W.W. Norton & Cie, 1978, p. 18.
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[3]
Richard Senett, La culture du nouveau capitalisme, Paris, Hachette, coll. « Pluriel », 2006.
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[4]
Précisons que Philippe Ritter, préfet et auteur du rapport préconisant la création des ars, est chargé de mission dans le cadre de la rgpp.
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[5]
« La réforme de l’État : continuités et ruptures. Entretien avec Philippe Bezès », Esprit, 12, décembre 2008, p. 90. Du même auteur, on pourra lire Réinventer l’État. Les réformes de l’administration française (1962-2008), Paris, puf, coll. « Le lien social », 2009.