Notes
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[1]
Une présentation de ce travail a fait l’objet d’une intervention le 14 avril 2005 lors de la première journée départementale des centres maternels de Rennes, intitulée « De la mère isolée aux nouvelles façons d’être parents ». Je remercie pour leur lecture Gérard Neyrand, professeur de sociologie à l’université Paul Sabatier Toulouse 3 et directeur du Centre Interdisciplinaire Méditerranéen d’Études et Recherches en Sciences Sociales, Maïté Savina, et Jean-Claude Quentel du Laboratoire d’anthrop-logie et de sociologie de l’université de Rennes 2 Haute-Bretagne.
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[2]
Leur création à la fin du xixe siècle avait pour objectif d’aider les mères célibataires démunies, sans soutien familial, et de sauver les nourrissons menacés par la très forte mortalité infantile (V. de Luca et coll., 1999). Plus de cent ans après leur création, les centres maternels doivent s’adapter aux changements législatifs qui ont accompagné les transformations familiales. Leur vocation est d’héberger la femme enceinte ou mère d’enfants de moins de 3 ans, isolée et en difficulté sociale ou psychologique (P. Doinati et coll., 1999). La plupart des jeunes femmes concernées sont bénéficiaires de l’api (allocation parent isolé) et ont moins de 30 ans (cnaf, 2005). Certains centres n’accueillent que des mineures. Il existait 120 centres maternels en 1994 recevant 3574 femmes avec leur(s) enfant(s).
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[3]
insee Première n° 1153, juillet 2007.
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[4]
« Les familles monoparentales en France », rapport de recherche du cee, n° 36, 2007, p. 13.
-
[5]
C’est le cas de près de la moitié des pères des enfants pris en charge dans les centres maternels consultés.
-
[6]
insee Première, n° 1105, octobre 2006.
-
[7]
Propos relevés auprès des professionnels.
-
[8]
Selon l’odas, les carences éducatives liées à l’inactivité des parents et à un repli sur soi sont des facteurs qui concernent les deux tiers des enfants signalés comme étant en danger ou en risque de danger, avec une surreprésentation des familles monoparentales qui cumulent ces facteurs. Ces chiffres sont cependant à utiliser avec précaution parce qu’il est possible aussi que l’on fasse entrer les familles dissociées plus facilement que les autres dans les dispositifs de prise en charge, ce que les limites de notre étude ne nous ont pas permis pas d’observer.
-
[9]
« Les familles monoparentales en France », op. cit.
-
[10]
« L’essentiel », Direction des statistiques, des études et de la recherche de la cnaf », n° 33, 2005, p. 3.
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[11]
Certains centres maternels proposent ainsi deux types d’habitat :
- un hébergement collectif pour les mères, l’hébergement des pères (compa- gnons ou non de la mère) et des pères seuls n’est pas prévu par les dispositifs financiers ;
- un hébergement en appartement individuel pour répondre aux différents besoins exprimés par la mère, qui permet de prendre en compte l’accompagnement d’un jeune couple avec son enfant.
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[12]
Les situations observées correspondent aux analyses relevées par P. Doinati et coll. (1999) pour la région parisienne.
La question du père : une émergence récente
1Dans les années 1950, les maisons maternelles créées en 1939 prenaient en charge la mère et l’enfant. La question du père se posait par son absence, il fallait organiser l’accueil de la mère seule et de son enfant dont personne n’assurait la subsistance, ce qui n’allait pas sans stigmatisation des « filles-mères ». La mission des maisons maternelles était de les protéger du danger que représentaient les hommes, en premier lieu le géniteur. La mère était réellement isolée, la prise en charge était substitutive à la prise en charge maritale en règle à cette époque.
2Jusqu’au milieu des années 1980, cet isolement est encore de fait, même si le contexte et le regard porté sur les mères ont changé : de « filles-mères» elles sont devenues « mères célibataires ». Ce n’est qu’à partir du milieu des années 1980 que la question des pères est réellement posée dans les centres maternels. Les mères arrivent seules mais quelque temps après l’admission, le compagnon, père de l’enfant, se présente comme tel. Cependant il est mal identifié par rapport à l’enfant en l’absence de reconnaissance effective, il n’est qu’un géniteur potentiel ou avéré.
3Fin des années 1980, début des années 1990, les pères ont un statut de père acquis par une reconnaissance paternelle effective.
4À partir de l’année 2002, des demandes d’hébergement arrivent de couples parentaux et/ou conjugaux et cela est nouveau.
5La place du père près de l’enfant est devenue une question centrale, voire une évidence : l’enfant a un père et une mère qui assurent son éducation et en sont responsables, c’est la base de l’autorité parentale. Si cette idée est aujourd’hui largement partagée et inscrite dans la loi, qu’en est-il dans l’action sociale ? Nous avons pris l’exemple des centres maternels [2] qui accueillent les jeunes mères en difficulté. La place octroyée au père dans ces situations de fragilité est symptomatique d’une difficulté à le prendre en compte plus largement au niveau des dispositifs sociaux. Pendant longtemps en effet la mère a été ciblée comme seule destinataire de la protection sociale.
6L’importance démographique de la monoparentalité est en progression, avoisinant les 20 % en 2005 [3], ce chiffre a encore augmenté depuis. Les mères célibataires représentent globalement plus de 40 % des mères de familles monoparentales. Le père existe toutefois puisque 95 % des enfants nés hors mariage ont été reconnus par leur père. Un autre élément à prendre en compte est la précarité de ces familles puisque plus de la moitié des ménages pauvres sont des personnes seules ou des familles monoparentales alors qu’elles ne constituent qu’un tiers de la population totale [4]. Pour cette raison, elles entrent de près ou de loin dans les dispositifs sociaux. La problématique étudiée est donc d’actualité, au-delà des seuls centres maternels.
Être père ?
7On peut rencontrer plusieurs types de situations :
- le père est désigné par la mère qui peut engager une action en paternité lorsqu’il ne reconnaît pas l’enfant de sa propre initiative. Ce n’est pas, comme par le passé, un accident. Il n’en est pas de même pour le père, contraint juridiquement par la volonté de la mère lorsque le juge donne satisfaction à cette dernière ;
- le père se désigne lui-même comme tel et reconnaît l’enfant par sa propre volonté de devenir père [5]. Et non seulement le père souhaite dans un nombre non négligeable de situations transmettre sa filiation, mais encore il souhaite assurer sa paternité, il suit l’évolution de la grossesse, participe au choix du prénom de l’enfant ; même s’il ne participe pas à l’entretien de la mère et de l’enfant, pour le reste il tient à avoir sa place auprès de l’enfant. Souvent jeunes et peu installés dans la vie, assez désemparés, ces pères ne présentent apparemment pas de danger pour l’enfant puisque aucune mesure de protection judiciaire n’est à signaler pour ce fait. Leur première démarche est de s’inscrire à l’ANPE, marquant par là un désir d’insertion professionnelle peut-être pas très affirmé auparavant. La naissance à venir rappelle aussi au jeune homme qu’être père, c’est nourrir l’enfant : le père se sent culturellement investi à titre principal de cette fonction dans la division des tâches.
8Les responsables des centres maternels interrogés notent une importance croissante dans le temps des reconnaissances. Cette évolution n’est pas propre aux pères étudiés puisqu’elle correspond à un mouvement de fond qui touche l’ensemble des pères non mariés. Par contre, lorsque la mère a moins de 20 ans, seule la moitié des enfants a une filiation paternelle [6].
9Après la loi Malhuret qui a facilité l’autorité parentale conjointe, la loi du 4 mars 2002 supprime la clause de résidence commune au moment de la reconnaissance concomitante ou de la seconde reconnaissance. Cette dernière loi a eu une incidence significative sur les reconnaissances paternelles. La mère, loin d’y être hostile, favorise cette reconnaissance : « Il est normal que l’enfant connaisse son père » est un propos fréquemment entendu par les professionnels.
10Paradoxalement cela n’empêche pas ces mères de rompre la relation au père sitôt la reconnaissance effectuée, mais le changement est là : le père n’est pas un simple géniteur, c’est un père socialement reconnu et qui souhaite assurer sa paternité. S’il ne peut pas assurer financièrement la charge de l’enfant à naître, il s’y intéresse. On peut parler à son égard de « possession d’état » au sens donné par la jurisprudence (le fait de posséder le nom du parent ne suffit pas, il faut y ajouter le fait d’être traité par son père comme son enfant, l’autre élément est le fait que la société reconnaisse bien comme telle la situation de l’enfant : le nomen, le tractatus et la fama). La possession d’état représente aussi pour l’enfant la stabilité des liens affectifs qui le lient à son père. L’enfant bénéficie donc d’un double lien de filiation.
Quelle coparentalité ?
11Depuis la loi du 8 janvier 1993, l’autorité parentale conjointe devient de droit pour les parents ayant reconnu l’enfant avec l’exigence d’une reconnaissance commune et de vie en commun avant que l’enfant atteigne l’âge de 1 an. Autre difficulté cependant : lorsque la mère est hébergée en centre maternel, seule par définition, la condition limitative de l’habitat commun n’est pas remplie. Reste la possibilité alors d’une déclaration commune, ce qui suppose l’accord de la mère.
12De même l’autorité parentale conjointe devient la norme depuis la loi du 4 mars 2002 toutes les fois où l’enfant est doté d’un double lien de filiation. Une seule réserve existe cependant, lorsque l’enfant est reconnu par son père après son premier anniversaire : dans ce seul cas de figure, la prééminence maternelle demeure, la mère pouvant s’opposer à une déclaration conjointe devant le greffier en chef du tribunal de grande instance dans le cas où elle a elle-même reconnu son enfant en premier.
13Dans les autres cas, on parlera de « coparentalité » et cette coparentalité ne s’octroie pas, elle est de droit, ce qui va dans le sens de la Convention internationale des droits de l’enfant qui précise dans son article 7 que l’enfant a « dans la mesure du possible le droit de connaître ses deux parents et d’être élevé par eux ».
14La coparentalité consacre la parité dans la parenté puisqu’elle dissocie le couple conjugal du couple parental. Émerge ainsi un droit commun de l’autorité parentale au bénéfice de l’enfant dès la naissance, sauf dans deux cas particuliers :
- le second lien de filiation est établi judiciairement. On peut alors penser que le père concerné, dans la plupart des cas, ne s’est pas montré très pressé d’exercer son autorité parentale, puisqu’on lui a forcé la main, et qu’il n’est pas dans l’intérêt de l’enfant de la lui imposer ;
- le second lien de filiation intervient plus d’un an après la naissance de l’enfant alors que l’autre lien de filiation a été créé, par rapport à la mère généralement. Il est normal alors de s’assurer des intentions du père, puisqu’il s’agit fréquemment de lui quant à l’exercice de l’autorité parentale. Dans ce dernier cas de figure, la condition de la possession d’état peut ne pas exister (intérêt pris à l’enfant et à son éducation, entretien matériel).
Quand la mère célibataire n’est pas vraiment isolée
15Aujourd’hui plus d’un enfant sur deux naît hors mariage, de parents qui peuvent être célibataires sans être pour cela en situation de monoparentalité. Il est ici question de l’état matrimonial de la jeune femme accueillie, en reprenant la distinction qui est faite par l’insee entre les mères de familles monoparentales qui peuvent être célibataires, mariées, veuves ou divorcées. Dans le cas présent, elles sont célibataires, comme le père. C’est aussi une réalité sociale.
Évolution de l’usage et de la valeur accordée au matronyme
16Depuis l’ordonnance du 4 juillet 2005, la filiation maternelle est établie par la désignation de la mère dans l’acte de naissance, qu’elle soit ou non mariée. Par contre, le père non marié doit toujours reconnaître l’enfant pour établir le lien de filiation.
17On s’attache ici à observer le nom patronymique donné à l’enfant pour ce que ce nom dit de la filiation mais aussi à cause de la fonction psychique du nom patronymique. Stratégie de la mère de lier l’enfant à la filiation maternelle et non à la filiation paternelle ? Il faudrait aller plus loin dans les observations pour l’affirmer, mais on retiendra la fonction symbolique accordée au nom de la mère même lorsque le père a reconnu l’enfant. Valérie Feschet, anthropologue, rappelle, dans un article du Monde du 23 décembre 2004, que le nom de famille est un symbole aux significations multiples. Le nom du père renvoie dans nos représentations à la famille patriarcale. Désormais « le nom de la mère n’est plus la marque d’un défaut de filiation. C’est un nom de famille à part entière. » L’effet est patent pour les mères célibataires : avec la nouvelle loi, le matronyme n’est plus un stigmate mais correspond à la possibilité qui concerne toutes les femmes, quel que soit leur statut matrimonial, de donner leur nom, accompagné ou non du nom du père.
18Dans les faits, l’enfant porte le nom de sa mère accueillie en centre maternel deux fois plus fréquemment que celui du père.
Récurrences transgénérationnelles de la filiation maternelle
19Ce qui crée le lien parental, c’est la filiation, mais celle-ci n’entraîne pas automatiquement l’exercice de l’autorité parentale.
20Si la mère est mineure, elle est elle-même sous l’autorité parentale de ses propres parents. Dans la mesure où c’est la grand-mère maternelle qui exerce fréquemment l’autorité parentale sur sa fille, on voit le rôle pivot joué par cette dernière, encore plus lorsque la jeune mère est mineure. Elle sera associée à la vie de sa fille en centre maternel. Cependant, l’enfant né, c’est la mère qui exerce l’autorité parentale sur son propre enfant même si elle a 15 ans, et la grand-mère est remise à sa place… de grand-mère, ce qu’elle accepte mal aux dires des inter-venants.
21La filiation de la mère elle-même n’est pas anodine : en effet, la filiation maternelle est pratiquement exclusive, le lien paternel quasi inexistant. La figure de référence est plutôt la grand-mère maternelle de l’enfant. Celle-ci a, dans un nombre de cas non négligeable, élevé seule sa fille et si elle a pu avoir un (ou des) compagnon(s), celui-ci (ceux-ci) ne semble(nt) pas avoir joué un rôle significatif dans l’éducation de la jeune mère. Le grand-père maternel lui-même semble assez lointain, si ce n’est déconsidéré, pour plusieurs raisons : il a pu être auteur de violences intrafamiliales par exemple. La grand-mère maternelle elle-même a dû fréquemment assumer seule sa grossesse et plus encore l’entretien de sa fille, future mère à son tour, ce qui peut faire dire à cette dernière : « Lorsque je lui ai annoncé la nouvelle (de la grossesse), elle ne pouvait rien me dire, elle a fait comme moi [7] ! » En revanche, la distance est marquée avec le grand-père maternel avec qui les relations ont été rompues depuis longtemps ou avec qui les relations sont tellement distendues qu’il n’a pas été informé ou ne se manifeste pas. Par ailleurs, le compagnon de la grand-mère maternelle, lorsqu’il existe, n’est pas perçu comme un grand-père de substitution et il ne souhaite rien assumer à cette occasion.
22L’image masculine d’un grand-père maternel qui n’a pas assumé sa paternité, sans parler d’un grand-père paternel dont il n’est jamais question, peut avoir un effet sur les représentations mentales de la fille sur le point de devenir mère. Son discours sur les pères peut être un définitif « Il ne faut pas compter sur eux » !
23Lorsque les bases du couple sont mal assurées, il semblerait que le lien mère-enfant se renforce comme une entité censée assurer la protection de l’enfant avec comme effet paradoxal de priver l’enfant de son père. Si traditionnellement ce mode de fonctionnement était privilégié par la société pour qui la mère était en dernière instance la protectrice de l’enfant du fait de la stricte division sexuelle des tâches, la question se pose maintenant de légitimer le père dans l’assurance de sa paternité, y compris dans les situations économiques difficiles et par delà la séparation du couple.
24On voit donc toute l’importance à accorder à l’accompagnement à la fonction parentale paternelle, non seulement pour ne pas reproduire l’histoire familiale mais aussi pour donner au père une place qui ne va pas de soi.
Le père placé dans l’incapacité d’exercer l’autorité parentale
Des dispositifs inchangés
25Si la loi change, le code de la Sécurité sociale ne change pas. L’api est versé pour la mère « isolée », ce qui incite à créer l’isolement : les médecins et d’autres intervenants sociaux conseillent encore à la future mère d’éviter de parler du compagnon pour avoir des chances d’être accueillie dans un centre maternel et pour toucher l’api. Peut en bénéficier la personne seule assumant la charge d’un enfant ou « étant enceinte » qui ne vit pas maritalement. La référence à la mère est explicite alors que le parent absent du domicile peut exister, ce qui va dans le sens de la coparentalité. Dès la création de la prestation en 1975, l’api doit permettre à la mère de rester au foyer pour s’occuper de son enfant en bas âge lorsque le pourvoyeur de ressources fait défaut. « L’api constituait au moment de sa création une ébauche de salaire maternel et l’instrument de reconnaissance de la monoparentalité. » Cette fonction de salaire maternel n’a pas été remise en cause, constate le rapport igf-igas 2006. L’objectif est d’éviter le recours au placement d’enfants ou à l’interruption volontaire de grossesse.
26Jusqu’à présent, le modèle de référence implicite est encore le modèle traditionnel : la mère avec un mari pourvoyeur de ressources. Investir la conjugalité, c’est s’assurer un gagne-pain. L’effet pervers de ce système est d’enfermer la mère dans la maternité comme mode d’insertion sociale alors que le couple ne s’inscrit plus dans la durée.
27De même, la nécessité de l’insertion professionnelle est toujours mise au second plan alors qu’elle seule peut permettre l’autonomie financière indispensable, alors que l’on sait que 30,2 % des mères inactives en situation monoparentale sont sous le seuil de pauvreté (insee). La sortie de l’api sera d’autant plus difficile qu’il faudra compter avec le regard négatif des employeurs sur la femme peu qualifiée restée au foyer, suspectée de désinvestir la sphère professionnelle. Sans compter que l’enfermement dans la maternité peut constituer un facteur de danger pour l’enfant [8].
28Il faudrait donc développer les modes de garde et inciter la mère à les utiliser, ce qui est loin d’être effectif. Les mères seules avec enfants de moins de 3 ans sont majoritairement inactives (52,7 %) ou au chômage (15 %) [9]. Seuls 3 % des enfants des familles bénéficiaires de minima sociaux sont gardés en crèche, quand huit enfants non scolarisés sur dix sont gardés par leurs parents, la mère la plupart du temps (commission « Famille, vulnérabilité, pauvreté », 2005). Il n’est dès lors pas étonnant qu’en 2005 plus de la moitié des sorties de l’api se fassent vers le rmi [10].
Le paradoxe de l’institution d’accueil
29L’accompagnement à la fonction parentale est privilégié, les changements profonds économiques et sociaux intervenus depuis 1970 laissant les parents désemparés pour élever leurs enfants en l’absence de modèles transmis. Le dispositif des reaap (Réseaux d’Écoute, d’Appui et d’Accompagnement des Parents) est ainsi mis en place le 9 mars 1999, d’autres dispositifs existent aussi.
30Par ailleurs, depuis la loi du 2 janvier 2002, l’usager est au centre du dispositif, il peut donner son avis dans les instances représentatives au sein des structures d’hébergement (Conseil de la Vie Sociale). Pour les « structures et services comportant ou non un hébergement assurant, avec le concours de travailleurs sociaux et d’équipes pluridisciplinaires, l’accueil, notamment dans les situations d’urgence, le soutien ou l’accompagnement social, l’adaptation à la vie active et l’insertion sociale et professionnelle des personnes ou des familles en détresse […] seule est assurée la représentation des usagers » (article 3 du décret).
31Si la place de l’usager a changé, celle des professionnels aussi qui donnent désormais toute sa place à l’usager, certains parlant même d’un leadership de l’usager dont il faut développer les potentialités. Les professionnels sont donc soumis à une véritable injonction paradoxale : on leur demande à la fois de favoriser les liens familiaux et de ne pas vraiment prendre en compte le père dont la prise en charge financière n’est pas prévue (la condition d’isolement de la mère ne le permet pas). Les logiques sont bien différentes, budgétaires il est vrai dans le second cas.
Les conditions d’exercice de la coparentalité en centre maternel
32On connaît l’importance des débuts de l’attachement à l’enfant qui se construit dans la proximité avec l’enfant mais aussi avec la mère lorsque le couple fonctionne.
33Cependant, actuellement, la demande d’un hébergement commun avec une résidente reste sans réponse.
34Lorsque la mère et l’enfant sont accueillis en hébergement, l’autorité parentale s’exerce de droit, en considérant l’intérêt de l’enfant (article 371-1, alinéa 1er du Code civil). Les droits et devoirs concernent :
- la fixation du domicile familial : cela suppose, lorsque l’accueil se fait après la naissance, que les deux parents titulaires de l’autorité parentale aient donné expressément leur accord à l’accueil de l’enfant au centre maternel ;
- la protection de la santé de l’enfant : en cas de traitements médicaux particuliers ou d’intervention chirurgicale, les deux parents doivent être consultés, ils ont le choix de la thérapie et peuvent s’opposer à une intervention chirurgicale qui n’est pas indispensable ;
- l’obligation d’entretien : les parents, en fonction de leurs disponibilités financières, assument une partie du coût de l’entretien de l’enfant.
Un impossible accompagnement à la fonction paternelle
35Dans les faits, le père n’a pas sa place en centre maternel. Un hébergement en appartement individuel est toujours possible en week-end avec, cependant, l’autorisation parentale de la jeune mineure enceinte [11]. En hébergement collectif, les règlements intérieurs prévoient des heures de visites, sur autorisation préalable, dans un cadre restrictif [12].
36Pourtant, laisser la place au père dans la quotidienneté, c’est permettre à la mère de ne plus être exclusivement consacrée à l’enfant et lui permettre une insertion professionnelle. Encore faut-il dégager la mère de sa responsabilité exclusive vis-à-vis de son enfant, exclusivité qui participe à la stigmatisation des femmes en situation monoparentale à qui on reproche ensuite de n’en avoir pas fait assez (elles sont alors démissionnaires) ou d’en avoir trop fait pour leur enfant (elles sont fusionnelles) !
37En effet, c’est la mère qui est consultée pour tout ce qui concerne les conditions de son hébergement et de celui de l’enfant. De même, seule la mère est appelée à signer le contrat d’admission, même lorsque le père accepte d’être rencontré. Les professionnels consultés reconnaissent agir souvent par habitude avec des formulaires qui n’ont pas changé.
38Les pères ont du mal à assurer leurs obligations pour leur enfant ; si une pension alimentaire a été fixée, elle est versée irrégulièrement (lorsqu’elle est payée). Les mères elles-mêmes ne sont pas exigeantes sur ce point, craignant que si le père contribue à l’entretien de l’enfant il ait des demandes en retour. On voit ici la nécessité qu’il y a à mettre en place un accompagnement à la fonction paternelle qui peut être difficile à instaurer dans la quotidienneté.
Lutter contre la vulnérabilité des mères… en accordant sa place au père
39La place faite au père dans les centres maternels est à rapprocher de celle des autres pères dans les séparations conflictuelles avec la mère. Si la résidence alternée est mise en place depuis 2002, elle n’est effective que lorsque les parents (et avant tout la mère) sont d’accord, ce qui alimente un contentieux toujours croissant auprès du juge aux affaires familiales de la part de pères qui se sentent dépossédés.
40C’est dans ces situations difficiles que l’on peut avoir une idée des freins puissants qui s’opposent à une véritable coparentalité réservée de fait aux séparations pacifiées dans des conditions matérielles favorables. La focalisation sur la maternité comme mode d’insertion sociale par les politiques familiales dans les familles monoparentales a des conséquences néfastes sur la place de la paternité pour les familles précaires. L’entrée dans la maternité au sein des centres maternels est symptomatique de la difficulté de donner véritablement une place au père dans l’action sociale et les dispositifs sociaux malgré les intentions affichées.
41La fragilité des couples donne encore plus de poids au lien de filiation maternel qui demeure déterminant. Le père se retrouve dans une position de simple géniteur dans une constellation familiale matricentrée avec des hommes de passage qui apparaissent comme des satellites autour de la mère. De la grand-mère à la mère et pourquoi pas à la petite-fille, on peut craindre ainsi une reproduction que les dispositifs institu- tionnels favoriseraient en mettant le père à distance. Faciliter la prise de responsabilité du père par rapport à son enfant permettrait aussi de lutter contre la vulnérabilité des mères.
Bibliographie
Bibliographie
- De Luca, V. ; Rollet, C., 1999. La pouponnière de Porchefontaine. L’expérience d’une institution sanitaire et sociale, Paris, L’Harmattan.
- Doinati, P. ; Molio, S. ; Norvez, A. ; Rollet, C., 1999. Les centres maternels, réalités et enjeux éducatifs, Paris, L’Harmattan.
- Feschet, V. 2004. « La transmission du nom de famille en Europe occidentale », dans L’Homme, 169.
- Iacub, M. 2004. L’empire du ventre. Pour une autre histoire de la maternité, Paris, Fayard.
- Knibiehler, Y. ; Neyrand, G. (sous la direction de). 2004. Maternité et parentalité, Rennes, ensp.
- Neyrand, G. ; Rossi, P. 2004. Monoparentalité précaire et femme sujet, Toulouse, érès.
- Tort, M. 2005. Fin du dogme paternel, Paris, Aubier Psychanalyse.
- « L’e-ssentiel », cnaf, n° 22, 2004 et n° 33, 2005.
- Rapport de la commission « Famille, vulnérabilité, pauvreté », avril 2005, « Au possible, nous sommes tenus ».
- Rapport de Recherche du Centre d’Études de l’Emploi, n° 36, 2007, « Les familles monoparentales en France ».
Notes
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[1]
Une présentation de ce travail a fait l’objet d’une intervention le 14 avril 2005 lors de la première journée départementale des centres maternels de Rennes, intitulée « De la mère isolée aux nouvelles façons d’être parents ». Je remercie pour leur lecture Gérard Neyrand, professeur de sociologie à l’université Paul Sabatier Toulouse 3 et directeur du Centre Interdisciplinaire Méditerranéen d’Études et Recherches en Sciences Sociales, Maïté Savina, et Jean-Claude Quentel du Laboratoire d’anthrop-logie et de sociologie de l’université de Rennes 2 Haute-Bretagne.
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[2]
Leur création à la fin du xixe siècle avait pour objectif d’aider les mères célibataires démunies, sans soutien familial, et de sauver les nourrissons menacés par la très forte mortalité infantile (V. de Luca et coll., 1999). Plus de cent ans après leur création, les centres maternels doivent s’adapter aux changements législatifs qui ont accompagné les transformations familiales. Leur vocation est d’héberger la femme enceinte ou mère d’enfants de moins de 3 ans, isolée et en difficulté sociale ou psychologique (P. Doinati et coll., 1999). La plupart des jeunes femmes concernées sont bénéficiaires de l’api (allocation parent isolé) et ont moins de 30 ans (cnaf, 2005). Certains centres n’accueillent que des mineures. Il existait 120 centres maternels en 1994 recevant 3574 femmes avec leur(s) enfant(s).
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insee Première n° 1153, juillet 2007.
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[4]
« Les familles monoparentales en France », rapport de recherche du cee, n° 36, 2007, p. 13.
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[5]
C’est le cas de près de la moitié des pères des enfants pris en charge dans les centres maternels consultés.
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[6]
insee Première, n° 1105, octobre 2006.
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[7]
Propos relevés auprès des professionnels.
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[8]
Selon l’odas, les carences éducatives liées à l’inactivité des parents et à un repli sur soi sont des facteurs qui concernent les deux tiers des enfants signalés comme étant en danger ou en risque de danger, avec une surreprésentation des familles monoparentales qui cumulent ces facteurs. Ces chiffres sont cependant à utiliser avec précaution parce qu’il est possible aussi que l’on fasse entrer les familles dissociées plus facilement que les autres dans les dispositifs de prise en charge, ce que les limites de notre étude ne nous ont pas permis pas d’observer.
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[9]
« Les familles monoparentales en France », op. cit.
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[10]
« L’essentiel », Direction des statistiques, des études et de la recherche de la cnaf », n° 33, 2005, p. 3.
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[11]
Certains centres maternels proposent ainsi deux types d’habitat :
- un hébergement collectif pour les mères, l’hébergement des pères (compa- gnons ou non de la mère) et des pères seuls n’est pas prévu par les dispositifs financiers ;
- un hébergement en appartement individuel pour répondre aux différents besoins exprimés par la mère, qui permet de prendre en compte l’accompagnement d’un jeune couple avec son enfant.
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[12]
Les situations observées correspondent aux analyses relevées par P. Doinati et coll. (1999) pour la région parisienne.