Couverture de EP_039

Article de revue

Malaise dans le champ de l'enfance

Pages 6 à 9

English version

1Parce que les enfants, comme les vieillards, dépendent des adultes pour survivre et se faire entendre, l’avancement d’une société se mesure aussi à la façon dont elle les traite, les considère et s’organise pour assurer leur éducation à travers ses institutions. Celles-ci sont autant d’organisations, supplantant les rituels d’autrefois, dont se dote une société pour permettre aux enfants de devenir des adultes capables de vivre en société, de s’y épanouir et de la renouveler.

2La famille est la première des institutions. D’autres sont nées de la volonté de seconder les parents, de former des citoyens, de transmettre des savoirs, ou encore de soutenir la natalité, de protéger les enfants de toutes sortes de difficultés, de soigner les maladies : école, services sociaux, lieux d’accueil, d’écoute et d’accompagnement, services de soins. Elles sont nées également de la volonté d’accorder une place spécifique à l’enfance délimitant de nouveaux champs : justice des mineurs, pédiatrie, pédopsychiatrie etc.

3Aujourd’hui, ces institutions sont accusées de ne pas remplir suffisamment leurs missions, frappées par la chute démographique de leurs acteurs, la crise des vocations, les restrictions économiques, sommées de faire la preuve de leur efficacité, de faire mieux pour moins cher, gangrenées par un envahissement administratif au détriment de leurs tâches premières, bousculées dans leurs modèles théoriques de référence, elles semblent bien traverser une période de doute et de remise en cause.

4Elles doivent aussi s’adapter à une société qui a évolué : changements familiaux, crise d’une certaine autorité, montées parallèles de la notion d’usagers et de ses droits, du consumérisme et de la judiciarisation, correspondant à de nouvelles attentes des parents, des enfants, de la société à leur égard : les parents attendent de l’école qu’elle fasse réussir leurs enfants ; les pouvoirs publics attendent de la psychiatrie qu’elle prévienne les troubles et les dépiste avant qu’ils ne se manifestent trop bruyamment, les victimes attendent de la justice qu’elle garantisse la réparation à la fois financière et symbolique du préjudice subi et empêche tout risque de récidive. Les familles attendent des services sociaux qu’ils offrent une sécurité matérielle.

5La plupart de ces institutions, mis à part l’école, aux assises beaucoup plus anciennes, ont connu leur véritable essor et trouvé leur forme moderne dans l’après Deuxième Guerre mondiale : ainsi la justice des mineurs est née des ordonnances de 45 ; la protection de l’enfance ou encore la psychiatrie infanto-juvénile se sont développées dans la foulée de la psychiatrie de secteur (circulaire inaugurale de mars 1962), elle-même issue de la prise de conscience du sort tragique des malades mentaux « oubliés » et morts de faim dans les asiles pendant la guerre. C’est sur un idéal humaniste et généreux, de solidarité et de protection du plus faible, d’ouverture à l’autre, à celui qui est différent, que se sont édifiées ces institutions. Des courants importants ont profondément marqué leur développement. Par exemple, la psychanalyse a révolutionné notre appréhension de la personne en ouvrant la voie à une clinique du sujet ; mais ce n’est qu’après guerre, avec la diffusion des travaux d’auteurs comme Melanie Klein puis Donald Winnicott, suivis de Françoise Dolto, qu’a pu se construire la pédopsychiatrie moderne sur laquelle se sont notamment appuyées les sciences éducatives et sociales.

6Changement d’époque, changement de paradigme. Aujourd’hui il semblerait que nos démarches aient trouvé leurs limites. Trois défauts principaux sont mis en avant : nos institutions ne seraient pas assez efficaces (ce que révèlent les débats actuels autour de l’évaluation), elles coûteraient trop cher, et enfin elle seraient laxistes (ce dont témoigne le durcissement des politiques sécuritaires).

7L’ambition n’est plus d’aider des sujets en souffrance mais l’éradication du symptôme et le dépistage dès le berceau du futur délinquant : retour à une démarche du xixe siècle.

8La justice des mineurs est sommée de rééquilibrer son action vers le pénal, le versant protection de son action étant transféré aux départements : autant d’économies pour l’État.

9Retour en arrière perceptible également dans le champ de l’école où le le discours autoritaire véhiculé par les médias et le gouvernement s’actualise sur le mode le plus ringard qui soit, nostalgie de la bonne vieille éducation « à la papa ». Les recherches pédagogiques sont vilipendées au profit d’un retour aux méthodes d’un passé idéalisé. Mai 68 est vilipendé parce que profondément cette révolution qui fut plus sociétale que sociale aurait signé le déboulonnage de la statue paternelle. Mélange de vrais problèmes et de faux diagnostics, de solutions rétrogrades panachées de bonnes intentions proclamées, mais en contradiction flagrante avec les moyens que l’on se donne pour les réaliser. De sorte que les professionnels se sentent profondément découragés…

10Dans les faits, on superpose les dispositifs au coup par coup avec beaucoup d’incohérences selon une logique libérale ou il s’agit de désétatiser, défaire les cadres anciens jugés obsolètes, faire des économies et transférer au privé le maximum, ou le plus acceptable et, si ce n’est pas immédiatement possible, lui fournir un marche-pied pour la suite. Des pans entiers des champs de l’enfance se départageront entre activités rentables investies par le privé et activités non rentables réservées au public, au détriment de la cohérence de l’action des institutions, la sectorisation en psychiatrie notamment. L’exemple de l’accueil des enfants handicapés à l’école est également flagrant à cet égard.

11Si des efforts doivent être réalisés, une meilleure organisation trouvée, sans une véritable politique de l’enfance, ces restrictions ne produiront que la destruction ou la régression des systèmes de solidarité publics au profit d’institutions privées destinées à ceux qui pourront s’en offrir les services.

12Regard bien pessimiste dira-t-on, tout n’est peut-être pas si noir… et les vrais problèmes de société qui concernent l’éducation des enfants ne peuvent pas être éludés.

13La réorganisation est en marche et, sur le principe, pourquoi pas ? Tout change, évolue, la société des années 2000 n’est pas celle de l’après guerre. Toutes les critiques qui sont faites aux institutions ne sont pas à rejeter. La dimension économique est à prendre en considération quand les structures se sont multipliées, quelquefois dans un certain désordre. Rien ne serait pire que de refuser d’adapter nos dispositifs à ces changements.

14Des pistes se dessinent d’ailleurs très clairement. Les connaissances sur le bébé, l’enfant, l’adolescent, la famille se sont considérablement développées, amenant de nouvelles pratiques plus légères, plus performantes, plus spécifiques.

15Il paraît indispensable aujourd’hui de favoriser un partage des savoirs, une connaissance de l’enfance dans ses différentes dimensions et plus seulement dans le champ étroit d’une discipline, sans qu’elle perde pour autant sa spécificité. Comment comprendre, par exemple, que les professeurs, qui vont côtoyer à longueur de journée des groupes d’adolescents, ne reçoivent aucune formation sur les particularités de l’âge adolescent ou encore sur la dynamique des groupes !

16L’importance de coordonner les différentes interventions et de développer le partenariat et le travail en réseau, les formations, n’est d’ailleurs pas contestée mais risque tout simplement de ne pas être prise en compte au regard des logiques guidant actuellement l’évolution de chaque institution, qui ne sont pas celles de l’enfance mais celles du champ scientifique et de ses impératifs économiques ou institutionnels. Par exemple, la pédopsychiatrie se voit actuellement appliquer une logique purement médicale, pensée pour des problématiques assez univoques et des pratiques aisément quantifiables : le référentiel t2a. Ce dernier s’appuie sur un cadre hospitalier, directement issu de l’idéologie actuelle de la gouvernance d’entreprise, et condamne à brève échéance la pédopsychiatrie, en niant sa spécificité et ses acquis, en particulier la nécessité d’une cohésion avec les autres institutions que sont la protection de l’enfance, l’école, la justice des mineurs, etc.

17Va donc pour le changement, mais que les acteurs en soient parties prenantes, qu’ils contribuent à définir les axes et que ne soient pas oubliées en cours de route les valeurs qui fondent un humanisme. Ne laissons pas détruire, par des logiques purement comptables et managériales, des années d’efforts et de progrès pour dépasser les clivages et les corporatismes. Revendiquons une véritable politique de l’enfance, réfléchie, coordonnée, articulée, qui associe tous les champs de l’enfance. Leurs actions concernent les mêmes enfants, les mêmes parents et sont souvent liées. C’est ainsi que pourra se réaliser une meilleure organisation, plus efficiente, donnant les moyens à une véritable prévention, et intégrant les apports les plus récents de toutes les disciplines sans rejeter brutalement ce qui en a permis l’émergence…

18Toutes ces questions seront débattues lors du colloque du 21 novembre 2008 : Nos futurs… quel avenir pour les institutions de l’enfance ? et développées dans le prochain numéro d’enfances&psy. Nous espérons que vous viendrez nombreux partager ce temps fort d’échange et de réflexion.


Date de mise en ligne : 06/11/2008

https://doi.org/10.3917/ep.039.0006

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