Couverture de EP_034

Article de revue

Deux, trois, quatre, nés ensemble

Pages 6 à 9

English version

1Pourquoi un numéro sur les jumeaux et les naissances multiples, ces situations qui suscitent depuis toujours des sentiments contradictoires et de multiples interrogations ? Le nombre de jumeaux, triplés et plus a régulièrement augmenté ces dernières années. Les professionnels de l’enfance étant de plus en plus souvent confrontés à ces situations, nous avons tenté de répondre aux questions qu’ils se posent dans leur pratique quotidienne : l’évolution de la prise en charge de ces femmes ayant des grossesses multiples, celle de leurs nouveau-nés souvent prématurés et fragiles, mais aussi du suivi ultérieur de ces enfants nés ensemble.

2« Mais… j’en vois deux ! Que dis-je, trois ! Oh, quatre ! » déclare un jour l’échographiste. Des chiffres qui prennent tout à coup une valeur inattendue. La surprise puis l’angoisse, le bonheur puis l’effroi, la plénitude puis le doute se lisent successivement sur le visage des futurs parents. La découverte d’une grossesse multiple déclenche à la fois fascination, étonnement et interrogations. Peut-on vraiment désirer des jumeaux, des triplés, des quadruplés ? Le bonheur d’être enceinte est-il démultiplié par le nombre de bébés ? Jaqueline Wendland nous parle avec finesse du vécu traumatique que peuvent engendrer l’annonce puis le vécu de la grossesse gémellaire ; elle propose quelques pistes de réflexion sur les relations mère-fœtus jumeaux, peu explorées jusqu’ici.

3L’augmentation importante ces dernières années du nombre des grossesses multiples est liée essentiellement aux traitements de la stérilité : traitements inducteurs de l’ovulation et techniques de procréation médicalement assistée, et à l’accroissement de l’âge maternel. En raison d’une demande croissante, ces traitements sont mis en œuvre de plus en plus précocement. On assiste ainsi à un véritable boom des grossesses multiples qui se terminent dans la moitié des cas par une naissance prématurée. Prématurité, hypotrophie, syndrome transfuseur-transfusé, autant de mots inquiétants que peuvent entendre les parents et susceptibles de générer angoisse, culpabilité et sentiments d’impuissance. Jean-Claude Janaud, pédiatre, nous explique les prises en charge des différentes pathologies liées à la gémellité dans un service de néonatologie.

Le boom des grossesses multiples en France

Taux de grossesses multiplesTaux d’enfants issus de grossesses multiples
19951,3 %2,5 %
19981,7 %3,5 %
20012,1 %4,2 %

Le boom des grossesses multiples en France

Sources : enquête DGS/Inserm pour 1995 et 1998, et réseau Sentinelle-Audipog pour 2001

4Comment sont vécues les arrivées de jumeaux ou de triplés dans une famille non préparée ? Problèmes matériels, isolement, cessation de l’activité professionnelle, difficultés psychologiques sont de vrais bouleversements qui attendent les parents et que nous expose Clothilde Robin en proposant des aides spécifiques.

5Coralie, mère de Renaud et Alexis, nous livre un témoignage optimiste sur la découverte de sa grossesse inattendue et les joies qui entourent les débuts de ses jumeaux.

6Les grossesses multiples amènent aussi à aborder de façon tragique et simultanée les questions de vie et de mort. Après avoir subi un parcours médical compliqué, après avoir attendu si longtemps un enfant, comment accepter de porter plusieurs embryons ? Comment entendre en même temps ou presque qu’il est indispensable de ne garder que deux de ces embryons ? Comment va se nouer la relation avec les enfants « survivants » ? Autant de questions sur la réduction embryonnaire que Micheline Garel et Élise Charlemaine abordent avec leur expérience clinique en l’illustrant de plusieurs exemples.

7Mais la mort peut aussi survenir spontanément et concerner un des jumeaux en cours de grossesse et dans la période néonatale. Les parents sont alors pris dans le double mouvement contradictoire du deuil de l’enfant décédé et de l’attachement à l’enfant survivant. La position des soignants est aussi loin d’être évidente. Angela Pinto da Rocha et Audrey Arderius, psychologues en maternité et en médecine néonatale, font part de leurs expériences et de leurs réflexions dans ces situations.

8Que deviennent ces jumeaux et triplés ? Comment s’élaborent leur personnalité, leurs rapports entre eux et avec l’entourage ? À quels types de difficultés psychologiques sont-ils confrontés ? On ne peut évoquer ces questions sans parler des nombreux travaux et des apports de René Zazzo qui ont transformé les conceptions dans ce domaine. Ses analyses sur les performances intellectuelles et le développement du langage des jumeaux, ses études sur les confusions entre jumeaux, sur les liens gémellaires, sur les problèmes de dominance ou d’individuation font référence. La constatation que de vrais jumeaux, identiques sur le plan génétique, sont souvent plus dissemblables au plan psychologique que de faux jumeaux est une des bases de son « paradoxe des jumeaux », titre d’un de ses livres. Les interactions entre jumeaux et la différenciation du rôle de chacun d’eux au sein du couple gémellaire ont conduit René Zazzo à développer la notion d’effets-de-couple et à l’élargir à des situations plus générales.

9Dans ce numéro Élisabeth Dardart fait, à partir d’un conte, un clin d’œil sur les confusions d’identité qui concernent les parents mais aussi parfois les soignants.

10À travers une expérience clinique, Marion Canneaux relate la vie d’un groupe thérapeutique de jeunes enfants et explique comment cet espace contenant peut permettre l’élaboration d’une séparation des jumeaux entre eux et d’avec leur mère.

11De la même manière Sylvie Jobin, psychologue, nous montre la nécessité d’adapter les prises en charge de jumeaux en fonction des liens particuliers qui existent entre eux et avec leur mère. Elle observe le phénomène fréquent de bascule du trouble d’un jumeau à l’autre en cas de suivi individuel et propose l’aménagement d’espaces thérapeutiques communs. Elle évoque aussi les difficultés rencontrées chez un jumeau lorsque l’autre est handicapé.

12À propos de différence, nous parlons des jumeaux comme s’il s’agissait d’une entité, comme si à l’intérieur de celle-ci le jumeau n’était que moitié dans ce contenant gémellaire. Claude Halmos, psychanalyste, nous démontre avec brio l’effet potentiellement « gémellisant » du regard inconscient des parents sur leurs jumeaux. Pourquoi est-il si difficile de faire du deux avec du un (une grossesse, un désir d’enfant…) ? Que nous renvoie le jumeau identique à l’égard de notre propre image spéculaire ? Que signifie le « second » ou le « deuxième » pour ce père ou cette mère ? Lorsqu’on est parent, on confond souvent différence et préférence et encore plus sans doute s’ils sont jumeaux ; différencier ses enfants implique de les différencier de soi.

13Dans le prolongement de cette question de différenciation, se trouvent celles de l’individuation, de l’identité, des identifications. Lorsque survient la crise pubertaire, la problématique adolescente se complexifie avec la gémellité. Le jumeau adolescent doit faire face à un double deuil, il quitte l’enfance, et doit s’extraire de son couple gémellaire. Pour l’aider à cela Guy Scharmann, psychothérapeute, forme un « couple transitoire » avec lui. Il souligne comme l’auteur précédent l’ambivalence de la demande des jumeaux et de leurs parents. Sa réflexion s’inspire largement des travaux de René Zazzo pour traiter de la singularité du processus adolescent du jumeau. Il illustre richement son propos par des extraits de psychothérapies.

14Maxime et Charlie, adolescents et lycéens, évoquent le plaisir qu’ils ont pris parfois à jouer de la confusion de leurs identités à l’école et simultanément la lutte incessante pour se différencier, en dépit parfois de leur choix individuel. Leur mère, Agnès, par ailleurs rééducatrice du rased, témoigne des difficultés rencontrées à l’école pour différencier, séparer, singulariser les enfants jumeaux.

15Bénédicte, elle, est sœur de jumelles, et raconte comment elle a grandi seule, se vivant comme privée d’une part d’elle-même entre ces deux couples, parental et gémellaire.

16Les Grecs ont bien moins peur des jumeaux qu’ils ne craignent les femmes. Une naissance gémellaire est un signe de fécondité. Françoise Frontisi nous offre sur les jumeaux un regard réfléchi par le miroir de la Grèce ancienne et de ses mythes. Les jumeaux grecs ne sont pas signe de similitude, ils ne se ressemblent pas. Les hommes grecs vont par deux, le poème les définit en couple ; mais c’est l’amitié qui est la figure la plus importante, celle de la gémellité est bien minoritaire. C’est dans l’amitié (la philia) que l’homme libre trouve son double, son véritable alter ego.

17Deux, trois, quatre…, nous l’avons vu, sont des chiffres réducteurs, les jumeaux, les triplés, les quadruplés ne sont pas de simples singletons multipliés par deux, trois ou quatre nés ensemble. L’opération est tellement plus riche, complexe, surprenante, singulière, multiple…

18C’est une belle aventure que nous racontent les triplés, Frédérique, Amélie et Séverin.


Mise en ligne 01/03/2007

https://doi.org/10.3917/ep.034.0006
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