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Article de revue

Adoption, les apports de la théorie de l'attachement

Pages 84 à 94

English version

1 La théorie de l’attachement apporte, depuis maintenant plus de trente ans, un éclairage incontournable à tout ce qui touche aux besoins de sécurité dans les relations interpersonnelles. L’étude des relations précoces et, plus spécifiquement, de ce qui concourt à donner cette sécurité de l’attachement est une des cibles les plus importantes de cette théorie. Avoir pu développer au moins une relation d’attachement sécure semble, au vu des innombrables études publiées actuellement dans le monde entier, un facteur de protection ou de résilience pour un développement psychologique optimal de l’enfant. La théorie de l’attachement a confirmé, de manière scientifique, les intuitions de psychanalystes d’enfants mieux connus en France, tels que Bion et Winnicott. Les travaux de Robertson et de Bowlby sur les séparations d’enfants hospitalisés ou le rapport de Bowlby de 1951 pour l’oms ont contribué à révolutionner les pratiques de santé publique, tant dans les hospitalisations pédiatriques, les modes de garde, que les réorganisations des pouponnières ou des orphelinats. Bowlby a particulièrement mis l’accent sur le désastre que représente pour l’enfant jeune le fait d’être séparé de ceux qui l’élèvent, s’il n’est pas placé dans de nouvelles conditions relationnelles qui lui permettent de supporter ce traumatisme. La théorie de l’attachement a démontré l’importance capitale d’une relation continue avec quelques personnes de référence, ce qui avait été cliniquement révélé par les travaux de Spitz et d’Anna Freud notamment. La question de l’adoption est donc particulièrement pertinente pour la théorie de l’attachement : il s’agit d’une situation de la vie qui réalise de manière quasi expérimentale une rupture des liens de l’enfant avec ceux qui l’ont élevé jusque-là, et la création de nouveaux liens avec ceux qui l’adoptent et qui prennent la nouvelle responsabilité de l’élever.

Du côté de l’enfant : bref rappel des apports de la théorie de l’attachement

2 Il est toujours très difficile de résumer en quelques lignes la complexité de cette théorie qui tente de comprendre le développement normal et d’en inférer les conséquences pathologiques lorsque celui-ci est entravé ou attaqué. Nous nous focaliserons donc sur les points particulièrement éclairants pour le sujet de l’adoption.

3 L’attachement, au sens qui lui est donné dans la théorie de l’attachement, est le lien très particulier qu’un petit enfant va construire avec les quelques figures qui sont le plus souvent là, dans son entourage immédiat, et qui concourent à l’élever. Un bébé, même si on lui reconnaît actuellement un certain nombre de compétences, est cependant totalement immature et dépend, pour sa survie, des soins donnés par un adulte. Le bébé est programmé pour les relations sociales : il est attiré par les interactions avec les êtres humains, dispose d’un registre comportemental qui attire l’adulte et maintient la relation avec lui. Dès la naissance, le petit humain est aussi programmé pour s’attacher, c’est-à-dire pour rechercher la proximité d’un adulte en cas de détresse. Il a à sa disposition tout un répertoire comportemental inné qui va lui permettre d’obtenir cette proximité. Ce répertoire de comportements se déclenche dès que le bébé se trouve dans un état désagréable, d’inconfort, d’alarme ou de détresse. Ces émotions « négatives » (au sens où elles désorganisent le bébé en élevant le niveau d’éveil), comme les émotions de colère, de peur ou de chagrin par exemple, sont présentes très rapidement. Dès qu’elles atteignent une certaine intensité, variable selon les enfants, elles mettent l’enfant dans un état émotionnel que l’on peut qualifier de chaos. Le bébé, qui ressent la destruction psychophysiologique liée à la faim, au froid ou au sommeil, appelle à l’aide en manifestant sa détresse. Dès la naissance, il va expérimenter, de nombreuses fois par jour, que la même ou les mêmes personnes s’approchent et répondent de manière rapidement généralisable pour lui, et cela pour chacune d’elles. Le plus souvent en population non clinique, quand tout va à peu près bien, cette figure lui apporte le réconfort nécessaire, apaise sa détresse, lui permet de retrouver un état de paix, de détente et de reprendre le contrôle de son état émotionnel. Cette figure lui parle, agit, lui fait ressentir qu’elle partage son vécu émotionnel, soulage sa détresse et lui fait vivre cette expérience répétée que le chaos est suivi de solutions positives. Le bébé va s’attacher aux figures qui répondent à ce besoin de proximité physique et qui fournissent le réconfort qui va avec. La figure qui a le plus souvent, le plus durablement et le plus adéquatement répondu à ses besoins de proximité deviendra la figure d’attachement principale. Cette figure, le bébé l’a très vite repérée avec un sentiment de familiarité ; il s’oriente préférentiellement vers elle. La mère occupe le plus souvent cette place : la relation intra-utérine, les échanges corporels, la proximité physique de celle qui assure une présence continue, au moins les premiers mois, facilitent cette discrimination immédiate et cette orientation préférentielle progressive.

4 Au fur et à mesure des semaines, le bébé, véritable machine à généraliser et à repérer les invariants, va construire un schéma qui associe un résultat à l’action : la proximité de cet adulte entraîne un sentiment de bien-être et de sécurité. « Quand cela ne va pas, je sais que ma figure d’attachement me répondra et que je me sentirai réconforté ensuite. » L’attachement va créer progressivement un lien unique, irremplaçable et spécifique entre le bébé et sa ou ses figures d’attachement. Le bébé va associer à l’expérience de proximité physique l’expérience émotionnelle, plus intérieure, de sécurité. La généralisation de la réponse réconfortante de la figure d’attachement va lui permettre, parallèlement au développement de ses capacités cognitives, de pouvoir évaluer l’accessibilité de sa figure et d’obtenir de cette assurance un sentiment de sécurité.

5 Ceci prend plusieurs mois : le bébé va s’orienter préférentiellement, à partir de 2 mois, vers celle qui va devenir sa figure d’attachement. Entre 2 et 7 mois, il va construire un attachement de plus en plus spécifique à cette personne : elle seule pourra le réconforter et c’est vers elle que le bébé se tournera électivement en cas de détresse. À partir de 7-9 mois, le système d’attachement est opérationnel. On voit d’ailleurs, à partir de cet âge, que le bébé commence à être de plus en plus effrayé par l’inconnu, le non-familier, en plus de ce qui l’effrayait avant ou de ce qui le mettait en état de détresse.

6 Tout éloignement mal préparé, trop long, toute inaccessibilité de sa figure d’attachement, alors qu’il est fatigué, malade, entraîne l’expression d’une réaction de détresse à la séparation : cette réaction témoigne que le système d’attachement de l’enfant est activé et que seule la proximité physique de sa figure d’attachement pourra rétablir son sentiment de sécurité. Cette période-clé de 7 mois-10 mois représente une charnière dans le développement du système d’attachement : avant il n’y a encore aucune figure du monde extérieur qui joue ce rôle de figure unique, irremplaçable, garante du sentiment de sécurité de l’enfant ; à partir de cette période, en cas de danger, l’enfant ne fait pas que fuir le danger, il fuit vers une personne (une seule à la fois), de manière spécifique, automatique et constante, avec une hiérarchisation entre les deux ou trois figures d’attachement qui en général élèvent l’enfant.

7 Cette sécurité des interactions avec sa figure d’attachement, la capacité et la volonté de celle-ci de répondre à ses besoins d’attachement vont permettre au bébé de mettre en place les rudiments d’une représentation des autres et de lui-même en relation avec les autres. L’enfant qui a expérimenté un lien d’attachement sécure va développer le sentiment qu’il y a toujours quelqu’un pour répondre quand cela ne va pas, qu’on peut compter sur cette disponibilité et cette bonne volonté à répondre à ce besoin de proximité et de consolation. Il va construire également une image de lui comme digne d’amour et d’intérêt puisqu’il y a toujours eu réconfort quand il en a eu besoin.

8 Cette confiance dans la disponibilité de sa figure d’attachement permet au bébé de développer, en toute tranquillité, ses nouvelles compétences au service de l’exploration du monde. Le bébé est un explorateur-né : tout l’intéresse, l’attire, stimule sa curiosité. Par contre, ce challenge de l’exploration le confronte à de nouvelles sources de détresse et d’alarme : l’impuissance, la frustration, la colère, l’éloignement de sa figure d’attachement, la peur devant l’inconnu. L’assurance que sa figure d’attachement est là, en cas de besoin, lui permet de construire un équilibre flexible entre besoins d’attachement et besoins d’exploration : il va l’utiliser comme une base de sécurité depuis laquelle il s’élance, tranquillisé, vers l’exploration du monde, et comme un havre de sécurité vers lequel il revient en cas de détresse, pour en repartir aussitôt qu’il est consolé, dessinant ce que l’on appelle le cercle de la sécurité. Plus un bébé est attaché parce que l’on a répondu à ses besoins de proximité et de réconfort et plus il se montre autonome, explorateur. Cette sécurité lui permet également d’aborder la période des 2-4 ans avec confiance : la capacité de négociation des conflits et de l’agressivité, l’acceptation négociée de l’autorité sont autant de marqueurs plus tardifs de la sécurité de l’attachement.

9 Dans des circonstances moins favorables, ceux qui élèvent l’enfant vont répondre de manière moins adéquate mais relativement prévisible. L’enfant peut construire différentes stratégies adaptatives, dès la fin de sa première année, pour s’adapter à la manière dont ceux qui l’élèvent répondent à ses besoins de proximité et de réconfort. On distingue ainsi les attachements sécures et les attachements insécures.

10 Dans des circonstances proches, cette fois, de la clinique ou de la pathologie, le bébé va expérimenter d’autres environnements marqués par l’imprévisibilité, la négligence, la maltraitance ou les discontinuités graves. Mais il faut des circonstances extrêmes pour qu’un bébé ne s’attache pas : même dans les conditions de déprivation environnementale majeure, on est impressionné par la capacité des enfants à s’attacher à une personne, du moment qu’elle est repérée comme familière et participant, d’une manière ou d’une autre, à ce qui contribue à la survie.

11 Dans les environnements maltraitants, l’enfant ne peut pas ne pas s’attacher ; mais si ceux qui sont censés le protéger et favoriser sa survie sont aussi ceux qui le menacent ou le terrifient et altèrent son sentiment de sécurité, l’enfant est soumis à une situation paradoxale à laquelle il ne peut échapper, car plus la personne sera menaçante plus l’attachement de l’enfant sera stimulé. L’enfant peut alors recourir à des mécanismes protecteurs extrêmement coûteux. Ce qu’il est capital de comprendre, c’est que l’enfant va développer des modes de défense qui intègrent cette réponse de l’environnement et qui seront particulièrement protecteurs pour cet environnement-là, même s’il doit le payer au prix fort, au détriment de la qualité de son développement cognitif, émotionnel et social.

12 Ces modèles de représentation du monde et de soi traduisent les attentes de l’enfant, et guident les comportements et les réactions cognitivo-émotionnelles qu’il présentera dans les situations d’alarme. Ces dernières sont particulièrement fréquentes, dans les premières années, car l’enfant n’a pas encore beaucoup de ressources autonomes, vu ses limitations cognitives. Ces modèles de travail ont une certaine stabilité car ils filtrent les perceptions, ne retenant que celles qui confirment les attentes. Plus l’enfant est jeune, plus des changements de l’environnement pourront facilement modifier ces modèles du monde et de soi ; plus l’enfant grandit et plus il faudra des changements environnementaux profonds et durables pour que de nouveaux modèles se surajoutent aux anciens, en attendant l’âge de l’adolescence où le jeune pourra réexaminer ses propres modèles et se confronter, dans les meilleurs des cas, à de nouveaux modèles relationnels. Ces modèles ont une valeur de sauvegarde. L’enfant ne les abandonnera pas facilement : en particulier, toute situation de confrontation qui risque de l’amener à sentir ses besoins d’attachement sera perçue et interprétée comme une situation de menace pour lui, mettant en péril son équilibre de survie.

13 La clinique des troubles de l’attachement, en plein développement actuellement, comporte donc les attachements désorganisés considérés comme vulnérabilisants et les troubles cliniques de l’attachement. Parmi ceux-ci, on distingue : les troubles de non-attachement, où il n’y a aucune figure d’attachement constituée ; les troubles de la base de sécurité, qui peuvent être observés dans des situations où il y a attachement préférentiel à une figure donnée, mais où il existe des troubles spécifiques à cette relation – ces troubles traduisent, pour l’enfant, l’absence de régulation interpersonnelle efficace de ses émotions négatives ; les troubles liés à la rupture du lien d’attachement, enfin, consécutifs à des expériences de deuil d’une ou des figures d’attachement, à des séparations successives ou à une séparation brutale et durable de la figure d’attachement, quelle que soit la qualité de l’attachement qui s’y rattache.

Du côté des parents

14 La manière dont ceux qui élèvent l’enfant répondent à ce besoin de protection est conceptualisée sous le terme de système de caregiving (le fait de donner des soins). Cette réponse est déclenchée par la présence d’un être vulnérable ou très jeune ; elle se construit de manière extrêmement complexe, tout au long de la vie. Ce système motivationnel, qui est un des éléments de la fonction parentale, a pour rôle de donner la protection et de répondre aux besoins de proximité. L’ontogenèse du processus est complexe et commence dans l’enfance pour se poursuivre dans l’adolescence. L’accès à la parentalité va jouer un rôle critique : sont particulièrement déterminants les facteurs hormonaux et psychologiques liés au processus de grossesse, le contexte de la naissance et les caractéristiques du bébé, tant morphologiques, toniques, interactives que tempéramentales. Sont aussi très influents, la qualité soutenante de la relation au partenaire, l’absence de concurrence ou de conflits entre les différents rôles que doit assumer ou assurer la personne qui élève l’enfant, la qualité du support social, tant relationnel qu’environnemental et socio-économique, et enfin le contexte culturel qui imprime la marque finale à l’expression du caregiving. Un des facteurs les plus étudiés, car il est particulièrement pertinent en clinique même s’il ne représente qu’un faible pourcentage du phénomène expliqué, est la transmission du « style d’attachement » de l’adulte, avec en particulier l’influence de ses propres représentations d’attachement. La question de la transmission transgénérationnelle de l’insécurité de l’attachement est au cœur de la théorie de l’attachement. Plus un parent a des représentations d’attachement « sécure », plus il semble capable de s’accorder à cette tâche si difficile d’assurer la régulation interpersonnelle des émotions de son bébé.

Adoption et attachement

15 Comment le phénomène même de l’adoption interroge-t-il ou met-il en pratique les questions fondamentales soulevées par la théorie de l’attachement ? La perspective, on le comprend maintenant, est très différente de celles auxquelles nos formations psychanalytiques classiques nous ont sensibilisées. Il s’agit là d’évaluer deux focus fondamentaux.

Du côté de l’enfant adopté

16 Qu’est-ce que l’adoption, chez tel enfant, clôt comme histoire d’attachement antérieur et quels risques fait-elle surgir pour cet enfant-là, du fait du changement radical qu’elle introduit dans son environnement habituel, aussi peu satisfaisant soit-il ? Du côté de l’enfant adopté, il n’y a pas une situation d’adoption unique, il y a différentes situations qui entraînent des expériences différentes et des conséquences différentes pour ses modèles d’attachement. Cette multiplicité justifie une évaluation rigoureuse des conditions de l’adoption, qui peut nous permettre alors d’émettre des hypothèses sur ce qu’a vécu l’enfant et sur ses vulnérabilités ou ses troubles de l’attachement éventuels.

17 Les questions auxquelles nous avons à répondre n’auront pas toujours une réponse aisée. Nous nous centrerons sur la situation d’adoption internationale car, à notre avis, elle cumule les facteurs de risque. La question préliminaire est celle de l’âge de l’adoption. Les adoptions dites précoces (avant 7 mois) concernent des enfants qui n’ont pas encore constitué de figure d’attachement proprement dite. Ce sont les parents adoptifs qui constitueront ces figures d’attachement, avec les mêmes aléas que pour toute relation parent-enfant. La question clé, toujours du côté de l’enfant, est alors celle des facteurs de risque associés au fait que le bébé a pu être abandonné : la prématurité, les maladies familiales somatiques ou psychiatriques, les pathologies maternelles pendant la grossesse (drogue, alcool, dénutrition), ainsi que les conditions d’éducation des bébés et les conditions culturelles qui entourent les enfants abandonnés dans ce pays. Ces facteurs de risque doivent être considérés comme dans n’importe quelle pratique pédopsychiatrique : il ne s’agit pas de les voir comme des facteurs de fatalité ou de stigmatisation, mais de reconnaître l’existence de facteurs de risques développementaux.

18 Après 7 mois, il s’agit d’une adoption tardive, et la question est de savoir si l’enfant a pu ou non établir une relation d’attachement avant l’adoption. Il est important de comprendre que les enfants adoptés tardivement sont exposés à de grands risques. Les enfants élevés en orphelinat peuvent avoir développé des troubles de non-attachement et un comportement de sociabilité indiscriminée. Les enfants ont pu être retirés à leurs parents de naissance en raison de conditions extrêmement négatives où leur protection n’était pas assurée, avec un risque de négligence, de maltraitance. Certains ont pu être confiés plus ou moins temporairement à une ou plusieurs familles d’accueil, avec lesquelles des liens de qualité se sont peut-être tissés. Certains enfants ont été hospitalisés de manière durable pour des problèmes somatiques. Enfin, de nombreux enfants ont pu cumuler toutes ces possibilités.

19 Ces enfants n’arrivent pas vierges, prêts à s’attacher à des parents nouveaux. Ils ont pu développer, au contraire, une profonde méfiance à l’égard de toute personne censée les protéger. De nombreux auteurs soulignent les difficultés énormes que peuvent vivre les parents face aux troubles du comportement ou aux attitudes que présente leur nouvel enfant, surtout au début de l’adoption, justement parce que celle-ci active dramatiquement le système d’attachement de l’enfant, placé dans une situation inconnue, face à des inconnus, et qu’elle peut réveiller les protections habituelles de l’enfant que les nouveaux parents ne peuvent pas toujours comprendre. Toutes les études sur les enfants adoptés tardivement montrent chez eux un taux significativement plus élevé d’attachements désorganisés et de troubles de l’attachement que chez ceux adoptés précocement, chez qui la fréquence de ces troubles est comparable à celle d’une population d’enfants élevés dans leur famille de naissance.

20 Les conditions de l’adoption sont particulièrement cruciales dans le cas de l’adoption internationale et jouent à plusieurs niveaux sur l’enfant dans le processus de compréhension de cette nouvelle expérience, qui peut, à court terme, signifier tout autant une rencontre extraordinaire qu’une expérience de perte de tous ses repères : y a-t-il eu des contacts réguliers entre les parents adoptifs et l’enfant ? Quels sont les obstacles linguistiques et culturels, la qualité des intermédiaires entre l’enfant et les parents ? Y a-t-il eu passage du parent réel ou de la famille d’accueil au parent adoptif ? Celui qui est là rappelle-t-il celui que l’on a perdu ?

21 Ces conditions jouent également sur les parents, dans le déclenchement de leur caregiving.

Du côté des parents adoptifs

22 Du côté du parent, qu’est-ce qui, dans le processus d’adoption, risque de freiner le plein épanouissement du caregiving? Qu’est-ce qui, chez l’enfant, risque de mettre à mal le désir de protection des parents ? Et enfin, qu’est-ce qui, dans le phénomène même de l’adoption, va peut-être cristalliser de nouveaux fantômes dans la chambre d’enfant : pas seulement ceux réveillés par le processus de parentalisation, comme pour chacun, mais ceux liés aux parents biologiques, qui viennent hanter les parents adoptifs et s’interposer entre eux et leur enfant adoptif.

23 Plus l’enfant est grand, plus les stimuli déclenchant le système de caregiving risquent d’être affaiblis, surtout si l’enfant a en outre appris à ne jamais montrer sa détresse ni sa vulnérabilité. Parfois les caractéristiques physiques du bébé, l’absence d’attractivité due à un retrait massif peuvent ne pas déclencher automatiquement cette volonté de protection. L’absence des conditions favorisant la transition à la parentalité gêne le plein épanouissement du caregiving : les délais d’attente entre la procédure d’agrément et le moment de l’adoption effective peuvent être très longs, contrastant parfois avec le laps de temps très court qui sépare l’annonce qu’un enfant les attend et le moment où il faut partir, obligeant les futurs adoptants à abandonner quasi immédiatement toutes leurs responsabilités professionnelles voire familiales.

24 Les facteurs contextuels au moment de l’adoption peuvent mettre à mal la sécurité nécessaire aux parents pour exprimer leur capacité de protection et de réconfort : parfois un seul parent peut rester sur place, vu les délais de la procédure, ce qui prive du support social et familial habituel ; les tracasseries administratives, quelquefois l’insécurité sur le devenir des démarches, l’étrangeté des coutumes et de la culture du pays, la différence de langue, la relation avec l’interprète et le sentiment de perte de tout contrôle peuvent mettre l’adoptant dans une situation de vulnérabilité extrême, activant son propre système d’attachement et les éventuelles protections qui y sont liées. De tels facteurs ne fournissent pas la sécurité nécessaire pour des conditions de rencontre optimale avec cet enfant dont ils n’ont pas encore le « mode d’emploi ».

Pourquoi une telle analyse de l’adoption au travers des connaissances sur l’attachement ?

25 On a peut-être trop insisté sur les qualités dont doivent faire preuve les futurs adoptants. Ou plutôt on l’a fait sans l’associer à une aide proposée systématiquement à ces futurs adoptants pour les rendre plus aptes à prendre contact avec des enfants qui eux-mêmes n’osent pas prendre le risque de s’attacher une fois de plus, ou qui ne savent plus comment on peut le faire. Cette aide, la théorie de l’attachement recommande de la présenter comme un droit de ces futurs adoptants et un devoir des professionnels. Beaucoup de parents adoptants estiment avoir eu tant de chance de pouvoir adopter qu’ils ont bien davantage de difficultés à reconnaître leur déception ou leurs difficultés éventuelles. Des parents qui ne se sentent pas sûrs d’eux ou qui n’ont pas confiance dans les autres auront beaucoup plus de mal à demander de l’aide. Enfin, des parents extrêmement attentifs pourront avoir un vécu de profonde incompétence parentale si leurs réponses de protection n’entraînent chez l’enfant, dans un premier temps, que provocations ou rejets.

26 Cette évaluation soigneuse de la complexité de la situation clinique et de ce qui appartient à l’enfant, aux parents et à la rencontre est très utile pour trouver des voies d’aide : pour favoriser l’émergence d’une relation d’attachement chez les enfants qui n’ont pas de figure d’attachement ; pour lutter contre les éventuels fantômes des parents dans la chambre d’enfant ; pour faciliter le caregiving en aidant les parents à repérer les signaux de détresse et de besoin de protection de leur enfant, à comprendre ses comportements et les intentions qui s’y cachent, en soutenant et renforçant les compétences parentales ; pour prendre en compte les facteurs de risques associés pour les enfants adoptés tardivement.

Bibliographie

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