Notes
1 Il est bien admis que le handicap ou une pathologie psychiatrique peuvent empêcher un enfant d’apprendre comme les autres. Il reste toujours plus difficile de comprendre, voire d’admettre, qu’un enfant « qui a tout pour » se retrouve en difficulté pour accéder avec aisance et plaisir au savoir scolaire partagé.
2 Et pourtant, sans être dans une situation familiale dramatique, et malgré des compétences intellectuelles, de nombreux enfants souffrent à l’école.
3 Parmi les multiples causes, les défaillances, les manques, les inadéquations de l’expérience du corps peuvent entraîner des troubles de la maturation des fonctions psychomotrices.
Où est le corps de l’enfant qui regarde au tableau ?
4 Les fonctions psychomotrices sont le cadre de référence des actions et sont donc toujours nécessaires aux apprentissages.
5 Imaginons un enfant de 7 ans, avec une bonne vue. Il doit copier ce que l’enseignant écrit au tableau sur son cahier. Il s’agit d’un exercice de copie, d’écriture…
6 Pour le réaliser, il est obligatoire qu’il transpose les signes graphiques organisés dans les repères de l’espace du cadre du tableau, qui est vertical, au cadre de sa feuille, qui est horizontale. S’il ne sait pas, de manière tout à fait immédiate et sûre, que « en haut du tableau » correspond à « loin de lui » sur sa feuille, il ne pourra pas recopier comme les autres.
7 Il ne saura pas où commencer, ni comment s’organiser, il perdra du temps et sera en décalage face à la demande de l’enseignant et par rapport au groupe.
8 Pour beaucoup d’enfants en difficulté d’apprentissage, il ne s’agit pas d’une impossibilité, d’une carence ni d’une défaillance complète du repérage dans l’espace, mais d’approximations, de troubles ténus et inconstants, qui se révèlent lorsque la demande s’accentue et que l’apprentissage devient plus complexe. Avant cela, ces enfants compensaient, au prix d’efforts certes, mais assez efficacement pour passer inaperçus.
9 Comment l’enfant apprend-il, par l’intermédiaire de son corps, à faire ce passage d’un support à l’autre ?
D’où vient la maturation psychomotrice ?
10 La première perception d’un espace est celle des éprouvés corporels. Dans le dialogue tonico-émotionnel du début de la vie, l’enfant construit sa charpente tonique, « étoffe des émotions » (Ajuriaguerra).
11 Dans ses échanges avec ses parents, dans le portage, les jeux corporels et les soins physiques, il va recevoir et se créer les stimulations nécessaires à sa maturation neuromotrice, psychomotrice et affective. Ces expériences, ces sensations corporelles, seront à la base de sa perception de lui-même et constitueront le premier espace vécu puis représenté. L’organisation dans l’espace se construit à partir de ces éprouvés ; elle se fait toujours en référence à l’espace corporel interne, qui est la base de sécurité qui permet ensuite la projection dans l’environnement, s’organisant autour de l’axe du corps.
12 Le redressement progressif et la maturation neurologique confèrent à cet axe un rôle de pilier. Or l’expérience corporelle est toujours créatrice, porteuse, expression des émotions et des affects. Les enfants hypotoniques ou dystoniques, même sans trouble neurologique, nous montrent bien comment les échanges peau à peau, la manière d’être porté, regardé, manipulé par les parents, peuvent laisser des traces dans la charpente musculaire et les gestes, séquelles incarnées des discordances dans les premières relations (Berges, 2003).
13 Si l’axe du corps n’est pas stable, s’il n’est pas investi, connu activement, intégré, il ne sera pas une référence de base suffisante à partir de laquelle l’enfant pourra se situer face à son environnement.
14 Lorsque l’enfant copie au tableau – ce qui est une activité intellectuelle –, il utilise sa main et son œil. Mais tout son corps est convoqué, engagé. Non seulement parce que la précision de son regard, le guidage de la main pour l’œil, la fluidité du geste et du déplacement des doigts et de la main dépendent de sa posture, de la manière dont il est assis, dont il pose ses pieds au sol, mais aussi parce que, pour agir, il utilise ses fonctions psychomotrices et puise donc, dans sa mémoire corporelle, les ressources tissées depuis ses premières rencontres.
15 Si nous regardons cet enfant de 7 ans, « lent », qui ne réussit pas à copier ce que l’enseignant écrit au tableau, nous remarquons aussi qu’il enroule sa main, qu’il tient le crayon à quatre doigts et non du bout des doigts, qu’il tourne sa feuille pour dessiner un losange.
16 N’ayant pas investi son axe du corps comme un repère assez sécurisant, il ne peut s’en détacher pour s’engager dans le déploiement d’un geste de trace distal. Il rétracte son geste, pour tenter de compenser un sentiment déstabilisant et inquiétant de flou. Il agit ainsi, à ce moment, comme un enfant plus jeune dont l’organisation praxique est égocentrée.
17 Les capacités d’action corporelle d’un enfant dépendent de ses expériences. Ses manières de faire témoignent de ses vécus affectifs et émotionnels. Si ceux-ci sont désorganisés, chaotiques, désynchronisés, l’enfant développera un profil psychomoteur disharmonieux.
L’histoire de John
18 Cette histoire illustre comment un enfant peut se retrouver écartelé dans des attitudes réactionnelles discordantes.
19 John est l’aîné de deux garçons. Sa mère est étrangère. On parle donc deux langues à la maison où John est le seul à ne s’exprimer qu’en français. La mère se présente comme une femme très tonique, pressée. Elle s’inquiète beaucoup des réactions de son fils aîné : lenteur, passivité, peu de goût pour le vélo… Et aussi de ses peurs : du noir, de rester seul. Et surtout de ses difficultés à fournir à l’école le « travail » demandé. Elle consulte sur les conseils de la maîtresse qui se dit « déroutée » par ce petit garçon qui connaît tant de choses mais qui répond si souvent à côté du sujet et qui refuse presque toutes les activités graphiques, pleurant en silence ou se mettant en colère contre les autres enfants si elle insiste.
20 John a 4 ans et 7 mois lorsque nous nous rencontrons. Il se présente comme un enfant tranquille et assez attentif à ce que disent les adultes à son sujet. La séparation d’avec sa mère n’est pas facile, mais son absence sera acceptable. S’il est attiré par les jeux, c’est sans s’organiser vraiment dans une activité structurée, qui aurait un but. Il est surtout très bavard et ses nombreuses questions témoignent à la fois de sa vivacité et de son anxiété dans cette situation nouvelle.
21 John est un bel enfant, aux mimiques un peu figées par de fines crispations. Il semble très attentif aux réactions de l’autre. Par exemple, il me donne l’impression de chercher sur mon visage s’il fait bien ou non. Il est grand pour son âge, sa morphologie est longiligne, modérément hyperlaxe. Le fond musculaire de l’axe du corps est assez équilibré au repos.
22 L’élan moteur est encore diffus et imprécis. Ses sauts manquent d’impulsion et l’équilibre dynamique est peu contrôlé. Les syncinésies (contractions musculaires parasites) réduisent la fluidité de la motricité fine. La régulation tonique en activité est donc précaire. Il ne présente aucun signe de retard de maturation et la répétition entraîne une rapide amélioration. Cependant, les résultats sur l’échelle de niveau moteur (Charlop-Hatwell) sont à la limite inférieure de sa classe d’âge.
23 L’ambivalence de la dominance latérale contribue à l’impression de manque de stabilité de l’élan gestuel. Il utilise plus fréquemment sa main droite, mais hésite parfois entre ses deux mains ou change de main d’appui en cours de réalisation d’une tâche complexe comme enfiler des perles. Bien sûr, à cet âge, on ne pourra pas évoquer de retard de maturation, mais on sait aussi que le choix d’une main pour les activités graphiques est souvent imposé aux enfants dès la moyenne section de maternelle.
24 Son rythme spontané est encore trop rapide pour être régulier, ce qui renforce l’impression de labilité tonico-émotionnelle. Il identifie bien les cadences qu’il préfère rapides. Les adaptations aux vitesses sont spontanément ajustées par la frappe, il est gêné à la course. Les reproductions de structures rythmiques témoignent d’excellentes capacités de mémorisation auditive (âge de réussite de 8 ans environ au test de Mira Stamback).
25 Il commence à se situer dans le temps objectif, sans faire le lien entre sa date de naissance et son anniversaire.
26 L’adaptation à l’espace large est spontanée et les repères de base sont bien situés, sauf la droite et la gauche.
27 John paraît gêné par le contact corporel et ne recherche pas ce type d’échange. La connaissance des différentes parties du corps est très détaillée sauf pour ses mains et ses articulations. Les imitations de gestes sont également précises, même dans les combinaisons des plans de l’espace (âge de réussite de 6 ans environ au test de Berges & Lezine).
28 La représentation du personnage dans le dessin, assez simple, correspond à celle d’un enfant de 4 ans environ. Malgré la simplicité de la représentation graphique, il précise que le personnage est « fâché, avec des bras tordus ». Compte tenu de ses autres réalisations et en comparaison avec sa compréhension spontanée des situations, cette représentation peut évoquer une forme d’immaturité de l’investissement émotionnel du corps propre. On peut aussi ici repérer le décalage entre son expression verbale (précision du vocabulaire corporel) et graphique (simplicité du dessin de personnage).
29 Il demande à « crayonner ». Il tient bien le feutre, guide sa main du regard. Les tracés sont encore réalisés avec beaucoup de force musculaire. Les dessins sont peu organisés et détaillés, mais précisément expressifs. Au regard de ses autres réalisations et de la précision de son expression orale, la trace graphique est bien peu investie. La copie des figures géométriques et des préscripturaux (composantes des lettres) est approximative. Dans les activités graphiques, il n’utilise pas ses capacités d’organisation dans l’espace, observées dans d’autres situations.
30 John apparaît ainsi comme un enfant vif, qui sait communiquer et s’exprimer. Si certaines de ses réalisations peuvent sembler précoces, dans les situations où il doit s’engager corporellement ou laisser une trace, il agit comme un enfant plus jeune. Son profil manque ainsi d’homogénéité. Si l’on compare ses manières de faire entre différentes situations ou même les résultats entre des tests étudiant différentes composantes des mêmes fonctions psychomotrices, les décalages sont prégnants.
31 Les situations proposées en psychomotricité viseront à lui permettre de faire des expériences corporelles variées, nouvelles, qu’il pourra répéter autant qu’il le souhaite, en dehors de tout apprentissage. L’objectif thérapeutique est de l’aider à développer au mieux ses potentiels corporels et toniques, donc d’expression émotionnelle, d’investir positivement les activités corporelles globales comme des sources de plaisir.
32 Rapidement, John se contrôle moins pendant les séances. Des réactions de dispersion apparaissent, notamment face aux difficultés liées à l’action dans la réalité et aux limites inhérentes aux objets. Elles s’accompagnent d’élans agressifs, d’abord face aux objets, puis vis-à-vis de moi. Mais les jeux tonico-moteurs sont bien investis, il se rapproche, et la levée des réactions de prestance dévoile une motricité performante. John passe plusieurs heures à expérimenter ses possibilités corporelles : jeux d’équilibre, sauts, jeux de ballon, jonglage lui apportent visiblement satisfaction.
33 L’investissement de l’espace est favorisé, d’abord dans des activités où il peut laisser libre cours à son imagination en construisant de grandes tours, des cabanes, des parcours… Ces situations permettent certainement à l’enfant de se projeter dans ses constructions pour vivre pratiquement l’espace et ses différentes dimensions (profondeur, combinaison de plans). Il peut aussi y faire le lien entre ses actions et leurs conséquences, tout en y projetant son intériorité et son imaginaire. Ce n’est qu’ensuite qu’est proposé le soutien fonctionnel ciblé sur l’organisation dans l’espace par des exercices ayant un but précis plus rééducatifs.
34 La graphomotricité est abordée par le modelage et les dessins libres. Ceux-ci vont évoluer. D’abord très simples et peu colorés, ils s’enrichissent et se chargent de détails inquiétants, témoignant de sa richesse intérieure mais aussi d’un trop plein d’inquiétudes. Peu à peu, les contenus vont s’apaiser et les tracés s’organiser. C’est alors que nous aborderons le travail graphomoteur de préparation de l’écriture.
35 Ces expériences, sensorielles et motrices, de ressenti et d’expression (Le Camus, 1984), variées, semblent avoir participé à son évolution en lui permettant d’équilibrer ses potentiels, ce qui lui a facilité l’accès aux apprentissages. Il est moins souvent en colère, ne pleure plus à l’école.
36 Au début de la prise en charge, les parents ne souhaitaient pas consulter un autre thérapeute. Ils étaient même réticents à ce que je contacte le pédiatre… Quelques mois plus tard, John rencontrera la psychologue qui le suivra pour l’année scolaire suivante. C’est sans doute parce qu’ils ont été rassurés par l’évolution de leur fils que ses parents lui ont permis d’accéder à cet autre espace d’expression et de soin.
À partir de l’observation psychomotrice
37 En lien avec les autres interventions thérapeutiques et/ou pédagogiques, une situation d’évaluation psychomotrice qui allie observation et quantification, qui prend en considération autant l’expression de sa subjectivité par l’enfant, la référence aux échelles de développement objectives et la réflexion du thérapeute sur son propre ressenti, qui n’oublie pas que le trouble psychomoteur est mouvant dans sa forme et son expression et qui considère autant les réussites que les échecs de l’enfant, peut participer grandement à la compréhension de celui-ci (Saint-Cast, 2003).
38 Le profil psychomoteur ainsi décrit ne sera pas un descriptif linéaire et circonstancié des actions observées mais un essai de mise en lien des différentes expressions symptomatiques fonctionnelles. Il faut les resituer dans un double mouvement de compréhension, d’une part vers l’histoire de l’enfant pour approcher le rôle, la place, la signification du symptôme pour lui, et d’autre part vers son quotidien pour essayer d’en préciser les conséquences pratiques.
39 Alors, s’établit un projet thérapeutique personnalisé qui ne visera pas l’abrasion du symptôme. Au contraire, les situations choisies avec lui seront, pour l’enfant, une opportunité de changer sa manière d’agir, donc d’abandonner un peu de ses défenses face à l’angoisse.
40 De plus, la différenciation entre les carences liées au manque et les réactions de compensation permettra d’affiner ce projet thérapeutique.
Médiation corporelle et apprentissage
41 L’activité corporelle facilite un certain nombre d’apprentissages (manipulations dans la numération par exemple). Plus encore, la psychomotricité peut être une occasion pour l’enfant de vivre une autre expérience corporelle. Les jeux, les échanges, les médiations y sont organisés pour lui permettre d’agir autrement, de repousser un peu les limites à son épanouissement, en faisant l’expérience d’activités nouvelles, dans une situation relationnelle où il est assez sécurisé pour oser utiliser d’autres facettes de ses potentiels et abandonner ainsi un peu de ce symptôme, parfois protecteur, qui le restreint toujours.
42 Le renforcement, l’affinement, l’automatisation des fonctions psychomotrices par la mise en jeu de son propre corps, permettent à l’enfant d’accroître ses moyens de compréhension et d’action. Les situations médiatisées facilitent son expression.
43 En passant par le jeu, cette thérapeutique peut favoriser une harmonisation et une équilibration du développement de certains enfants qui, comme John – dont l’écart entre qiv [1] et qip [2] était de 54 points –, surinvestissent certaines aires de compétences. Or, pour apprendre comme les autres à l’école, l’enfant doit mobiliser des savoir-faire présentant une certaine homogénéité de niveau, tout en étant de natures différentes.
L’histoire de Clotilde
44 Ainsi Clotilde, que je rencontre lorsqu’elle a presque 7 ans. De cette belle enfant blonde au teint pâle, longiligne et grande pour son âge, l’air sérieux, ses parents disent qu’elle a toujours été hypersensible à leurs réactions comme à celles de ses copines ou de sa petite sœur. À l’école, elle se met en retrait et est souvent déçue de ses notes. Dès le dimanche soir, elle a mal au ventre. Ce sont ses difficultés graphiques qui motivent la consultation. Elle n’aime pas écrire, jusqu’à parfois refuser de le faire.
45 Clotilde en est consciente, c’est pour cela qu’elle vient me voir et demande de l’aide. Son fond musculaire est encore hypotonique, ses mains pouponnes, les syncinésies (contractions musculaires diffuses parasites) sont très présentes. Tous ces éléments confèrent à sa morphologie une expression de jeune enfant qui contraste avec son aisance verbale et sa taille.
46 L’extensibilité articulaire est réduite par les blocages tonico-émotionnels. La charpente tonique instable porte ses blocages réactionnels.
47 Les conduites motrices de base sont maîtrisées mais manquent de souplesse. Quand elle court et saute, Clotilde penche son buste en avant avec trop de tensions musculaires, ses bras ne jouent donc pas leur rôle de balancier. De plus, elle manque d’impulsion. Dans l’action, le bas du corps reste hypotonique et le haut se bloque. Pourtant, ses réalisations motrices, en termes de performance, sont normales pour son âge. L’élaboration du projet moteur est rapide et précis car elle sait observer vite et mémoriser. Cependant, la mise en acte est perturbée par le manque d’adaptation de la force musculaire. La motricité fine est peu fluide. Les déplacements de ses doigts ne sont pas encore indépendants de ceux de sa bouche.
48 Pour les activités graphiques, sa posture de base (appui des pieds au sol, installation sur la chaise et position de son buste) est assez adaptée. Elle tient bien le crayon à trois doigts, mais trop proches de la mine, sans doute pour tenter de mieux contrôler son déplacement.
49 Dans le dessin, le geste est assez précis. On retrouve ici d’importantes contractions de la bouche. Le coloriage est appuyé. Clotilde s’attache aux détails, gomme, soupire, transpire.
50 Pour copier les figures géométriques et les signes préscripturaux (composantes des lettres), elle utilise des stratégies trop complexes pour être efficaces. La répétition s’accompagne de détérioration. Elle repère bien les orientations de tracés mais son geste est trop tonique, donc trop restreint ou trop ample. Elle est très attentive à ses erreurs, gomme encore, vite… L’écriture est trop dessinée et contrôlée pour être fluide et confortable. La pression est excessive, jusqu’à entraîner une douleur musculaire dans la main (crampe). Ses réalisations graphiques contrastent avec ses autres potentiels. Elle donne l’impression de fournir de gros efforts pour un résultat sans doute décevant.
51 Toutes les autres observations réalisées lors de ce bilan font apparaître des capacités d’adaptation psychomotrice performantes.
52 C’est bien la composante émotionnelle, dans l’engagement corporel dans l’action et l’échange avec l’autre, qui s’exprime chez cette enfant au travers de ses difficultés à acquérir une écriture confortable.
53 La relaxation psychomotrice, associée à des situations médiatisées d’expression corporelle, a constitué une partie importante de cet accompagnement thérapeutique. Ce n’est qu’ensuite que nous avons abordé le travail de rééducation graphomotrice. Par les jeux corporels non verbaux de rapprochement/éloignement d’avec l’autre, d’adaptation à ses déplacements ; par les exercices de prise de conscience des limites du corps, d’ajustement de la force musculaire ; par l’expérience particulière de la relaxation, qui lui a permis « d’avoir l’esprit moins brouillé, comme si quelqu’un y faisait le ménage », Clotilde a pu se rassurer assez pour oser s’exprimer et déployer sa gestualité dans les tracés.
54 Lors d’une de ses dernières séances, après un temps de relaxation, Clotilde évoqua un souvenir de ses sensations corporelles quand elle se balançait vers l’âge de trois ans dans un hamac. La perception de ses traces corporelles positives lui a sans doute permis de se relier à ses éprouvés. Moins envahie par des tensions réactionnelles, elle semble s’être dégagée d’une gangue tonique qui réduisait ses possibilités d’action et d’accès au savoir-faire de l’écriture. Dans un contexte familial en évolution, sa maman s’est engagée dans une psychanalyse, ce qui témoigne à mon sens de sa prise de conscience de la nature pluri-factorielle des difficultés de sa fille à grandir, et a certainement influencé l’évolution positive et l’apaisement de celle-ci.
Conclusion
55 En ne se focalisant pas sur le trouble de l’apprentissage, en tentant de s’approcher au plus près du mode d’agir de l’enfant, en renforçant ses potentiels, en dégageant son expression corporelle des émotions trop intenses, la psychomotricité peut aider ces enfants qui se retrouvent coincés dans leur vécu scolaire.
56 L’activité corporelle diversifiée, tranquille, sans recherche de performance ou d’acquisition d’une technique, permet à l’enfant à la fois d’exercer ses capacités d’adaptation de base, de faire l’expérience de son unité psychocorporelle où sensations, éprouvés émotionnels et souvenirs s’articulent pour fonder une base de sécurité. Voilà une des contributions de l’abord par la médiation corporelle chez les enfants en difficulté pour apprendre, avec et en complémentarité des autres professionnels.
Bibliographie
Bibliographie
- Ajuriaguerra de J., Soubiran G.B. (1960), « Indications et techniques de rééducation psychomotrice en psychiatrie de l’enfant », La Psychiatrie de l’enfant, 2, p. 423-494.
- Ajuriaguerra de J. (1989), « Collège de France. L’enseignement de Julian de Ajuriaguerra (1976-1981) », Bulletin de psychologie, XLII, p. 391.
- Albaret J.-M., Noack N. (1993), « L’échelle de coordination motrice de Charlop-Atwell : étalonnage sur une population d’enfants de 3 ans 6 mois à 6 ans », Entretiens de Psychomotricité 1993, Paris, Expansion Scientifique Française, p. 18-24.
- Bergès J. (2003), « De la motricité à la psychomotricité, spécificité de l’examen psychomoteur », Évolutions psychomotrices, 63, p. 37-40.
- Bergès J., Lézine I. (1978), Test d’imitation de gestes (2e édition), Paris, Masson.
- Bullinger A. (2004), Le développement sensori-moteur de l’enfant et ses avatars. Un parcours de recherche, Toulouse, Éditions érès.
- Le Camus J. (1984), Pratiques psychomotrices : de la rpm aux thérapies à médiation corporelle, Bruxelles, Pierre Mardaga.
- Saint-Cast A. (2003), « Norme, normalité et évaluation psychomotrice », Évolutions psychomotrices, 62, p. 214-221.