Couverture de EP_022

Article de revue

Les tribulations de l'autorité à l'école

Du surgé au cpe

Pages 59 à 67

Notes

  • [*]
    Ce n’est qu’en 1968 que l’on découvrit la richesse de la statuaire mumuyé. Cette ethnie qui compte de deux à quatre cent mille personnes vit sur la rive gauche de la Bénoué dans le nord-est du Nigéria. On doit à Philip Fry le premier écrit relatif à cette statuaire. Il date de 1970. La même statue peut remplir quatre fonctions : l’accueil et la surveillance, le soin, le règlement des conflits, enfin elle entretient la conversation. Au-delà des coïncidences de dates qui semblent lier l’art des Mumuyé et la catégorie des cpe, c’est le fait qu’une même figure puisse remplir simultanément quatre fonctions qui m’a semblé mériter notre attention.
English version

1 Automne 1965. N’eût été la présence d’une jeune fille, mon année de première dans ce lycée de garçons ne mériterait aucun regard nostalgique. Le cours d’histoire s’étirait sans éveiller l’intérêt. Il ne nous restait que le chahut que nous pratiquions avec une violence et une barbarie de sauvageons dans ce très policé lycée Clémenceau de Nantes. Ce jour-là, il s’agissait d’allier les bourdonnements lâches aux imbéciles frottements de pieds. L’objectif était clair : déstabiliser l’enseignant dont la gentillesse nous apparaissait comme de la faiblesse… L’objectif fut atteint, somme toute plus rapidement que prévu. Provoquant l'injonction : « Daviaud, au bureau du surveillant général ! » Au bout du couloir, je frappais à la porte. « Entrez ! » Le récit que je lui fis à sa demande ferme mais distraite n’éveilla même pas son intérêt. Blasé. Sans me demander ni mon nom ni ma classe, il me proposa avec lassitude le marché : « Quatre heures de colle ou une paire de claques ? » Non sans hésitation, j’optais pour la seconde proposition. Il ne me fallut que quelques secondes pour le regretter. Les joues rougies, je regagnai ma classe en longeant les murs, avec l’espoir de ne pas croiser la seule fille du lycée…

2 Nous étions en 1965, et nul n’aurait songé à se plaindre, à mettre en cause cette autorité absolue qui n’hésitait pas à recourir à la force. La décennie à venir allait connaître quelques bouleversements.

3 Partant de l’hypothèse selon laquelle les évolutions de la notion d’autorité se répondaient dans et hors de l’école, nous nous sommes intéressés à sa figure probablement la plus emblématique dans les collèges et les lycées. Nous avons dégagé les grandes tendances qui semblent avoir marqué des évolutions significatives. Elles ne se traduisirent pas toutes par des ruptures brutales. Le plus souvent, ces évolutions ne furent perceptibles que sous la forme d’une mise en avant (plus marquée) de certaines pratiques professionnelles. En effet, à l’instar de la statuaire mumuyé [*], les conseillers principaux d’éducation remplissent simultanément plusieurs fonctions, et c’est seulement l’importance relative qu’ils leur accordent qui peut suggérer, voire indiquer, des évolutions.

La figure du surveillant général

4 De 1849, année de naissance du surveillant général, aux années 1970, date de création du corps de ce qui deviendra plus tard celui des cpe, l’image et la fonction de cette catégorie de personnel ont bien évolué.

5 Cantonné au lycée, ne pouvant sortir sans autorisation du proviseur, le surveillant général était chargé d’assurer l’ordre, d’appliquer les sanctions, de prononcer les peines, de veiller aux absences, aux retards, « à la tenue, à la propreté, et à la politesse des élèves » (Rémy, Sérazin, Vitali).

6 Tel l’auteur de Yäel, il pouvait dire : « Dans le mot œil, il y a le mot loi. » Régnant sans partage ni contestation sur une population scolaire soumise et obéissante, il voit tout, connaît tout, « sonde, à la manière médiévale, le cœur et les reins ». Rien ne lui échappe. Le moindre recoin du lycée, la moindre parcelle d’intimité ne doivent lui être inconnu.

7 C’est qu’en effet « la notion de vie scolaire, au sens où nous l’entendons aujourd’hui, est inexistante. Les jeunes sont réduits au rang de disciples qui doivent le plus grand respect à leurs maîtres. Leur éducation ne peut passer que par la contrainte… L’image du surveillant général, incarnation d’un certain ordre moral et social, est particulièrement négative. Assumant “le travail répressif” qui permet aux autres personnels de garder les mains propres, il devient très vite objet de crainte, de mépris et souvent de haine de la part des élèves. Il n’est apprécié des enseignants et de ses chefs que dans la mesure où il réussit à maintenir une discipline ferme et sans discussion » (Rémy, Sérazin, Vitali).

8 Certes, du temps nous sépare de cette caricature de notre prédécesseur dont la fonction a elle-même évolué, en particulier à travers l’animation des foyers socio-éducatifs, apportant une nouvelle perception de l’élève et contribuant ainsi à favoriser son épanouissement (Circulaire de fonction des cpe).

1970: l’apparition du conseiller principal d'éducation

Qui sont les cpe ?
Les conseillers principaux d’éducation sont environ dix mille en France.
Ils sont recrutés au niveau des professeurs certifiés et sont formés en iufm.
Les postes sont implantés dans la presque totalité des collèges et des lycées.
Le plus souvent, ils sont deux ou trois par établissement où ils sont nommés pour exercer la totalité de leur service (35 heures hebdomadaires).
Ils sont responsables du service « Vie scolaire » qui recouvre une réalité aux contours flous. Il s’agit pour simplifier de tout ce qui concerne la vie de l’élève dans l’établissement. Responsable du traitement des absences et des retards des élèves, ils entretiennent dans ce domaine des liens étroits avec les élèves et leur famille. Si cette responsabilité est première, elle ne s’arrête pas là.
Ils ont en charge la formation des élèves délégués, l’animation de la vie de l’établissement, ils participent à l’évaluation des élèves… Parmi leurs responsabilités figure l’organisation du service de surveillance, ce qui les amène à travailler avec l’ensemble des personnels rattachés à ce service. Au-delà de ce cercle, ils sont les conseillers du chef d’établissement pour toutes les questions relatives aux élèves, ils travaillent en collaboration étroite avec les personnels de santé de l’établissement et avec l’ensemble des professeurs et personnels ouvriers et de service. On dit souvent à propos des cpe qu’ils sont à l’interphase, mettant en relation les autres membres de la communauté éducative.
Enfin, signalons que même s’il existe ici ou là des fonctions qui s’en approchent, le cpe reste une spécificité française.

9 Le souffle de 1968 balaya la figure du « surgé » qui dans les établissements scolaires représentait à n’en pas douter la figure emblématique de l’autorité. La figure du « roi-père » (Reboul) était renversée. La mort du père symbolique, puis réel en la figure (personne) du général De Gaulle entraînait celle de son représentant scolaire. Le général de brigade qui gouvernait la France et le général de surveillance qui régnait sur les établissements scolaires disparaissaient en même temps. Notre société semblait ne plus pouvoir accepter ni surveillance ni généraux. Nous entrions dans une ère nouvelle. Si l’éducation avait déjà remplacé l’instruction, à l’autorité de l’ordre succédait la fonction de conseil. Aucun modèle ne pouvait plus être imposé, il fallait se limiter à aider, à accompagner. Le changement d’appellation reflétait un profond changement sémantique sensible, au moins dans les intentions. Renonçant à la frontalité duale, l’école avait recours à la « tiercéité » pour fonder la légitimité de son autorité.

10 Que demande-t-on alors aux cpe ? En eux, on met l’espoir qu’ils soient les vecteurs du changement. Le système scolaire est perçu comme sclérosé. Il faut le changer de l’intérieur, et dans ce dessein, le système conçoit une catégorie dont la mission pourrait être cette transformation. Renonçant au radical « changement de cadre » (Watzlawick), il s’agit plus modestement de faire pénétrer dans le système une figure dont la fonction est d’une certaine manière à l’opposé de la figure antérieure, avec l’espoir que cet élément nouveau sera de nature à déséquilibrer suffisamment le système pour en provoquer le changement. Pour restaurer l’autorité de l’école, la réponse est alors paradoxale. On supprime la surveillance pour développer un concept nouveau d’« autosurveillance ». On compte beaucoup aussi sur la dimension d’animation du cpe. On nourrit l’espoir que, par l’animation, les rapports figés entre les adultes et les jeunes se trouveront profondément bouleversés. L’autorité de l’école s’appuiera alors sur une forme de modernité portée par la jeunesse qui détiendrait la vérité. Il convient donc d’établir des liens de proximité avec elle. Professionnellement parlant, c’est la période de l’animation socioculturelle. Le mot d’ordre : faciliter la créativité que possède la jeunesse et probablement la canaliser. En cette période de manifestations lycéennes, le cpe est souvent appelé à les contrôler.

11 Peut-être faut-il voir aussi dans la création de cette catégorie une volonté de calmer la poussée des parents qui souhaiteraient trouver une place dans l’école, tout en préservant le professeur qui n’est alors pas prêt à entendre cette demande. En plaçant ce tiers entre parents et maîtres et en lui confiant le soin d’établir le lien entre les sphères antinomiques de la vie et du scolaire, l’institution espère maintenir l’équilibre menacé. La place institutionnelle qu’on lui assigne alors traduit une valse-hésitation. Membre de droit du conseil d’administration, il peut en être aussi membre élu et ainsi représenter ses collègues enseignants. Cette situation juridique exceptionnelle reflète les atermoiements de l’institution qui hésite à le cantonner dans l’un des camps. Cette situation ambiguë, loin de nuire, sera une source de richesse et de complexité, même si elle représente pour beaucoup de collègues un potentiel de difficultés et si elle est génératrice de conflits. L’institution attend beaucoup de lui, mais ne saura pas le situer. Il deviendra le grand oublié des circulaires. Comme le fait remarquer Vandevoord, il créera seul les conditions de son évolution. Si l’imprécision statutaire y contribua, il faut probablement chercher ailleurs les raisons profondes qui font de lui un être innommable. Dans une institution qui rêve de pouvoir réduire les élèves à des cerveaux prêts à assimiler des savoirs, celui qui s’occupe du corps, de la vie, de la violence, mais aussi du domaine qui est perçu par le système comme l’image de son échec, ne peut qu’être dérangeant.

12 De fait, l’apparition du cpe et la mixité dans le secondaire sont concomitantes. En place dans le primaire et en partie dans le supérieur, la séparation des sexes semblait s’imposer comme une nécessité pendant la période de l’adolescence, tant la frustration semble, à cet âge, nécessaire à l’appropriation des savoirs. La mixité précipite l’entrée du juvénile dans l’école. D’une certaine manière, le cpe, sans qu’on lui assigne réellement cette mission, sera chargé de réguler cette intrusion qui perturbe à bas bruit les établissements. De façon générale, dans la société française, l’année 1970 est l’année de la modification de la loi sur l’autorité parentale. À la toute-puissance du père succède l’autorité partagée. Si l’on émet l’hypothèse que le conseiller principal d’éducation est d’une certaine façon une « variable d’adaptation » (Vitali, 1998) à l’intérieur du système scolaire, on peut penser que ces corrélations ne sont pas sans significations.

13 Il convient de s’interroger de ce qu’il advient de son autorité dès lors que celle-ci n’est plus caractérisée comme l’apanage d’un appareil coercitif consistant à appliquer mécaniquement la discipline.

14 Finis les pensums, les peines corporelles ; finies les sanctions collectives puisque nul ne peut être puni pour un acte qu’il n’a pas commis. Si à la transgression doit correspondre une peine appropriée, si la loi doit s’appliquer, c’est avant tout pour sauvegarder l’identité d’un système organisationnel régissant le vivre-ensemble. La sanction se veut ainsi éducative. Outre le fait de réparer, c’est-à-dire de réconcilier le sujet avec lui-même et de prendre conscience du tort fait à autrui, il s’agit en fait, comme le dit Meirieu, d’aider un sujet à advenir en lui attribuant la responsabilité de ses actes. Il s’agirait en quelque sorte de punir pour ne plus punir ou encore d’« éduquer pour moins surveiller », pour reprendre une formule chère à Olivier Reboul, le but d’une éducation réussie étant de recourir le moins possible à la sanction en lui substituant « l’ordre de la parole et de la raison » (Prairat).

15 À la silhouette lugubre, triste et sévère du surveillant général, se substitue, à travers le cpe, une personnalité souvent dynamique, charismatique, faisant savoir, dans bien des cas, son plaisir d’exercer, son désir de s’installer au creux du projet éducatif ou pédagogique, de participer à la réduction des discriminations, son souci constant de traiter chaque élève avec une égale dignité.

16 Dès lors, dans une telle évolution, dans un tel bouleversement, d’où le cpe tient-il son autorité ? Rappelons encore qu’Olivier Reboul définit diverses figures de l’autorité qui ne relèvent plus du simple autoritarisme. Celle du contrat, celle de l’expert, celle de l’arbitre, celle du modèle, celle du leader, celle enfin du roi-père. Les deux dernières relevant de d’ordre irrationnel, il convient de les éliminer. Le cpe est-il un expert ? Certes sa compétence fait son autorité, mais il est aussi capable de recourir à la souplesse du contrat pour atténuer la rigueur de la loi et la rendre ainsi éducative. Quant à l’arbitre, si son intervention met souvent fin au conflit, comme le dit Prairat, il est intéressé par le résultat en tant qu'éducateur.

17 Ces catégories ne constituant qu’une ébauche de son autorité, nous nous contenterons pour l’instant de la situer dans ses compétences reconnues, son rayonnement, sa position d’acteur référent. L'écoute, le suivi, la connaissance scolaire et périscolaire de l’élève induisant une saisie globalisante de celui-ci, la participation à l’élaboration du projet personnel du jeune, l’inculcation du sens de la loi, l’ouverture au champ du vivre- ensemble, l’apprentissage des valeurs de la citoyenneté et de la virtuelle démocratie et bien d’autres encore…, tous ces actes édictés par des lois, décrets et circulaires, en font ce que Meirieu et d’autres nomment « le passeur », c’est-à-dire celui qui aide le jeune à advenir, « l’autorise à être soi-même », à passer sous sa conduite ou avec son autorisation du monde de l'enfance à celui qui sera le sien une fois devenu adulte.

Les années 1980 : l’écoute autour du projet personnel

18 Les années 1980 vont connaître un sensible glissement de la fonction du cpe. La dimension collective qui se traduisait dans les pratiques d’animation va s’étioler alors que s’affaiblissent ces valeurs dans l’ensemble de la société : l’individu se replie sur lui-même. Si la circulaire de 1982 qui précise les missions du cpe définit alors la vie scolaire comme devant « permettre l’épanouissement individuel et collectif des adolescents », jamais auparavant la dimension individuelle de l’adolescent n’avait été autant affirmée. C’est la période du projet personnel de l’élève. Le cpe devra développer ses qualités d’écoute, la relation d’aide s’appuyant essentiellement sur la pratique de l’entretien individuel. Il travaille alors de moins en moins avec des groupes, mais tente de prendre en charge autant d’individus (Vandevoorde). Dans le même temps, dans les rues de nos villes, nous croisons des multitudes de « joggers » à la poursuite d’un hypothétique salut individuel, dans l’école, nous sacralisons aussi cette figure. 1981 voit paraître le premier palmarès rudimentaire des établissements scolaires. Les parents peuvent se lancer à la recherche effrénée de « la bonne école » (Ballion), l’ère du consumérisme est ouverte. Les valeurs collectives s’amenuisent ou se déplacent. L’autorité de l’école ne s’imposera que par sa capacité à opérer ce traitement individuel. Mais dans le même temps s’effrite l’édifice qui s’imposait par son unité nationale sans failles.

À la recherche de la citoyenneté

19 L’école est alors malmenée par les premiers soubresauts de la violence (en fait il lui faudra près de dix ans pour réellement réagir). Avec la « massification » arrivent dans les collèges, puis dès 1985 dans les lycées, des cohortes entières de « nouveaux élèves » (Dubet), le plus souvent ignorants des règles implicites de leurs aînés. Pour rétablir l’autorité de son école, l’État souhaite fixer dans les textes les obligations des élèves qui ne peuvent trouver leur légitimité sans l’octroi de droits étendus. L’abaissement à 18 ans de l’âge de la majorité (1974) implante de fait dans les lycées un nouveau type d’élèves… Dans ce nouveau cadre, le cpe devient le garant de l’éducation à la citoyenneté. Revient ainsi après une éclipse de dix ans la fonction d’animation. Il doit former les délégués après avoir sensibilisé l’ensemble des élèves.

20 L’éducation à la citoyenneté reprend ainsi l’idée selon laquelle, dans une société démocratique, les décisions ne peuvent s’appliquer sans s’expliquer. Les règlements intérieurs doivent faire l’objet de concertation et la négociation permet la conception de « chartes de vie scolaires » qui se développent quand l’application de la loi de l’établissement au travers du règlement intérieur s’avère difficile. Dans ce contexte, si l’on prend le risque d’adopter l’hypothèse controversée selon laquelle le père incarnerait la loi et la mère son explicitation, l’on ne peut que s’intéresser à l’évolution démographique que connaît la catégorie. Le cpe qui débute est aujourd’hui très majoritairement une femme alors que la représentation masculine croît avec les années d'ancienneté.

L’apogée du droit

21 Les années 2000 se caractérisent par l’adoption de deux axes essentiels. Le premier, au travers des textes relatifs à la « vie lycéenne » et à ses instances, tente de relancer le désir de démocratie parmi les jeunes. Même si c’est sous une autre forme, le lancement du dispositif sur « l’engagement » semble devoir prolonger et développer cet axe. Ces textes sont en partie la mise en œuvre des propositions émanant de la très controversée « consultation nationale des lycéens ». Pour que l’école puisse fonder son autorité, elle doit être réellement à l’écoute des difficultés quotidiennes rencontrées par les élèves. Les conseils de la vie lycéenne (cvl) ont pour fonction de rendre possible une réelle écoute des préoccupations collectives des élèves. Dans cette perspective, le cpe retrouve sa dimension originelle. L’importance accordée à la dimension individuelle s’atténue au profit du retour à des compétences d’animation qui renaissent sous une nouvelle forme.

22 L’autre grand axe est de fonder l’autorité de l’école sur la mise en application des principes généraux du droit dans les établissements. Les règlements intérieurs et les procédures disciplinaires doivent respecter les règles appliquées dans la société. Il s’agit de rétablir une légitimité qui repose sur la cohérence des décisions et leur adéquation avec la loi de la République et le respect de ses principes. Cette situation produit un sensible fléchissement de l’activité du cpe. De plus en plus, il devient le spécialiste du droit, de la sanction. Gardien de la paix sociale, il est formé, dans les iufm, à gérer les conflits.

23 En outre, les textes législatifs énoncent clairement que l’intrusion de la parole, l’écoute, la notion d’autrui, la dynamique du groupe, sa régulation, l’apprentissage au débat et à l’argumentation sont autant de lieux où se structurent les connaissances, entraînant avec elles la possibilité du mieux éduquer pour moins sévir. De plus, l’apparition du droit grandeur nature à l’école a pour objectif de prendre en compte la réalité sociale, d’établir une logique éducative et de réguler la vie collective des établissements sur les principes généraux du droit afin de faire régner un climat relationnel apaisé et la transparence des règles. S’ils manifestent un profond bouleversement de la culture scolaire, s’ils heurtent certaines sensibilités, opinions et habitudes, ces textes donnent à la dimension éducative un sens global selon lequel le cpe ne peut qu’occuper une place de choix.

24 Certes, de la formalité à la réalité, les faits montrent encore que les principes ont du mal à s’incarner et, dans maints établissements, les violences, les incivilités, les échecs existent, persistent et perdurent. De plus le cpe, comme l’indique Claude Caré, souffre encore de son passé de surveillant général. Certains voudraient le voir davantage surveiller et punir que s’investir dans l’éducation. Sa délicate position dans l’entre-deux – entre l’équipe de direction et les enseignants – ne favorise pas non plus une claire perception de sa fonction. De la sorte, il arrive que le travail en équipe se trouve pénalisé et la nécessaire complémentarité du didactique et de l’éducatif compromise.

25 Paradoxalement, si le cpe demeure le gardien de l’ordre, il contribue aussi à assurer le bon fonctionnement de l’établissement et, plus encore, à en faire un espace où la démocratie doit trouver plus largement sa place en y intégrant les élèves. Souvent à la croisée du pédagogique et de l’éducatif, le cpe devient de la sorte un des acteurs de la communauté scolaire susceptibles de donner aux jeunes le sens de la scolarité, c’est-à-dire a être des sujets capables de se construire et d’exister. C’est sans doute cette position dans l’entre-deux qui fonde le mieux son autorité.

Essentiellement depuis la loi d’orientation du 10 juillet 1989 et plus particulièrement la circulaire du B.O. n° 21 du 27 mai 1999 instituant les « vies de classe » et le B.O du 13 juillet 2000 relatif « au règlement intérieur des eple et l’organisation des procédures disciplinaires ».

L’éternel retour ?

26 Cependant, la fonction et les missions – et plus spécifiquement ici l’autorité – du cpe ont suivi les évolutions et les mutations des mentalités : d’abord bras séculier de la coercition, il a été l’un des agents de la prise en considération de l’élève comme acteur de droit, touchant du doigt une idéalité d’autorité collective et consensuelle. Mais la société, en manque de repères et perdue sans doute dans ses phobies ancestrales, opère aujourd’hui un net tournant réactionnel dans lequel l’autorité des savoirs cognitifs et instrumentaux et le retour à l’ordre apparaissent à certains comme d’incontournables instruments de la paix civile.

27 Le « surgé », l’ancêtre que l’on avait soigneusement enfermé dans le placard, semble frapper à la porte. Les fantômes régressifs aspirent à un retour inespéré. L’on pare de mille vertus pédagogiques le souhait de séparer de nouveau filles et garçons… L’on prévoit de remplacer les surveillants qui représentaient une figure de l’autorité que l’on pourrait qualifier de proximité par des figures mythiques : le retraité et la mère de famille.

28 Ce retournement risque d’avoir des répercussions sur le métier de cpe, prié de revêtir le costume étriqué et élimé du surveillant général. À moins que l’éducation à la citoyenneté, au politique, à la démocratisation, inculquée aux citoyens actifs de demain prenne le pas et s’épanouisse dans une effectivité de valeurs constructives et émancipatrices. Gageons alors que les cpe y seront pour quelque chose…

Bibliographie

  • Prairat, E. La sanction. Petites méditations à l’usage des éducateurs, L’Harmattan, chapitre « Vers une sanction éducative ».
  • Reboul, O. Philosophie de l’éducation, coll. « Que sais-je ? ».
  • Rémy, R. ; Sérazin, P. ; Vitali, C. « Les conseillers principaux d’éducation », dans Éducation et formation.
  • Vandevoorde, P. « Le conseiller principal d’éducation », dans Dictionnaire encyclopédique de l’éducation et de la formation, Nathan.
  • Vitali, C. La vie scolaire, Hachette éducation.

Mots-clés éditeurs : é, 'éducation, énéral, ), droit

Date de mise en ligne : 01/10/2005

https://doi.org/10.3917/ep.022.0059

Notes

  • [*]
    Ce n’est qu’en 1968 que l’on découvrit la richesse de la statuaire mumuyé. Cette ethnie qui compte de deux à quatre cent mille personnes vit sur la rive gauche de la Bénoué dans le nord-est du Nigéria. On doit à Philip Fry le premier écrit relatif à cette statuaire. Il date de 1970. La même statue peut remplir quatre fonctions : l’accueil et la surveillance, le soin, le règlement des conflits, enfin elle entretient la conversation. Au-delà des coïncidences de dates qui semblent lier l’art des Mumuyé et la catégorie des cpe, c’est le fait qu’une même figure puisse remplir simultanément quatre fonctions qui m’a semblé mériter notre attention.

Domaines

Sciences Humaines et Sociales

Sciences, techniques et médecine

Droit et Administration

bb.footer.alt.logo.cairn

Cairn.info, plateforme de référence pour les publications scientifiques francophones, vise à favoriser la découverte d’une recherche de qualité tout en cultivant l’indépendance et la diversité des acteurs de l’écosystème du savoir.

Retrouvez Cairn.info sur

Avec le soutien de

18.97.14.81

Accès institutions

Rechercher

Toutes les institutions