1 L’indication d’un groupe thérapeutique pour de très jeunes enfants (18 mois-3 ans) ne va pas de soi. Lorsque nous avons l’occasion de parler de notre travail, les réserves et les interrogations sont nombreuses et souvent virulentes.
2 Au sein même de notre institution – un lieu de consultations psychologiques parents-bébés qui reçoit les familles et les enfants avant l’âge de 2 ans –, l’idée d’un travail en groupe avec les enfants séparés de leurs parents a mis longtemps à faire son chemin et à pouvoir prendre corps. Les indications de soins (thérapies parents-bébés, thérapies psychomotrices) privilégient toujours le travail de compréhension du lien entre le parent et son enfant. Les difficultés autour de cette relation, qui ont motivé la consultation, sont toujours travaillées avec les parents et l’enfant.
3 L’essentiel du projet thérapeutique vise à com-prendre les empêchements vécus par l’un et/ou l’autre des partenaires de la dyade, pour aider à mettre en place ou à retrouver une relation plus harmonieuse.Pourquoi, alors, séparer l’enfant de son parent pour travailler ce lien difficile et conflictuel qui les unit et qui les fait souffrir ?
4 Le groupe – que nous nommons « groupe d’individuation » – s’adresse à des enfants ayant des difficultés à grandir et à s’autonomiser dans un lien complexe, souvent fusionnel, avec leur mère et les exprimant par des troubles du comportement et du caractère (difficultés de séparation, troubles du sommeil, colères).
5 Ces pathologies de la séparation précoce, pourquoi les jouer dans le concret en proposant un temps de séparation vécu en groupe par les enfants, mais aussi et s’ils le souhaitent, par les parents, en majorité les mères ?
6 Les consultants posent l’indication de ce groupe à partir de plusieurs éléments repérés en consultation thérapeutique.
7 Le lien mère-enfant est perçu comme ligotant pour les partenaires de la dyade. Il est tissé de surcharges conflictuelles qui perturbent leur relation depuis longtemps déjà. « L’ombre de soi » des parents (Palacio-Espasa) pèse sur l’enfant, infiltrant des personnages ou des sentiments qui ne lui appartiennent pas. Les parents projettent ainsi en permanence sur leur enfant à la fois le bon enfant qu’ils n’ont pas été et la bonne mère qu’ils n’ont pu avoir.
8 Ce mécanisme, normal à l’arrivée d’un bébé, permet à l’adulte de se construire en tant que parent avec ses références passées, bonnes ou mauvaises, faisant ainsi peu à peu le deuil d’un parent idéal. Il l’aide aussi à se mettre à la place de l’enfant, en retrouvant les anciens ressentis de sa petite enfance. Mais, peu à peu, l’enfant réel doit pouvoir prendre sa place et faire entendre ses propres besoins et aspirations.
9 On sait que, pour le tout-petit, le moi est avant tout une substance corporelle et que le psychisme s’ancre dans le corporel ; peu à peu, l’enfant acquiert une conscience de lui-même différenciée de sa mère, puis de lui-même en tant que personne. Le groupe propose un autre type d’approche relationnelle pour sortir de ce modèle unique difficile à vivre pour les deux partenaires. Ils peuvent alors découvrir d’autres relations, plus distanciées, plus souples, plus ouvertes.
10 Pour les enfants pris dans des liens trop forts et conflictuels, les tentatives d’individuation psychique sont engluées dans des rapports corporels archaïques, dans une « fusion trop chaude » où mère et enfant restent confondus.
11 Ce sont des enfants dont les manifestations corporelles restent envahissantes : accrochages à la mère, puis rejets brutaux, demandes alimentaires constantes anarchiques (des biberons et des bonbons !), des colères spectaculaires où ils se jettent par terre, s’arc-boutent, se roulent sur le sol, se tapent la tête.
12 Généralement, l’enfant, pris dans cette relation, est très actif, lui aussi, dans le resserrage des liens contraignants. C’est bien souvent le motif de la consultation : un enfant-tyran, avec des exigences permanentes, des colères impossibles à calmer, des troubles du sommeil.
13 À l’inverse, certains enfants peuvent avoir des moments de grande inhibition, dans l’impossibilité d’exprimer leurs propres émotions, pris dans celles de leurs parents, ne pouvant se distancier et différencier leurs ressentis et leurs affects. Cette première tentative de séparation, médiatisée par le groupe thérapeutique, est d’ailleurs demandée par les parents, après des échecs de mise en crèche ou en halte-garderie, dans une grande inquiétude pour le futur (l’école !). Cette demande est souvent chargée d’ambivalence de la part des parents, le message contradictoire que reçoit l’enfant (et les professionnels) étant : « Mon enfant ne peut être bien ni avec moi ni sans moi. » Ce qui nous a conduits à penser un accueil et un soutien des familles en salle d’attente. Une professionnelle de l’équipe, l’assistante sociale, est disponible avant, pendant et après le groupe au moment des retrouvailles.
14 L’objectif est, initialement, de renforcer l’alliance thérapeutique en s’appuyant sur le levier de la rivalité latente entre les parents et les enfants.
15 Il s’agit d’offrir un espace où puissent se médiatiser les mouvements agressifs et d’attaque à l’égard de ce qui est proposé exclusivement aux enfants. Pour cela, il faut, en même temps, pouvoir construire ensemble un lieu de transition où il est possible de supporter l’absence, où l’on peut trouver des moyens internes de ne pas faire « comme si ça n’existait pas ».
16 L’assistante sociale : avec les parents dans la salle d’attente
17 Ma présence dès l’arrivée des parents et des enfants à l’Aubier marque un premier temps dans le travail de séparation. J’accueille parents et enfants, chacun est reçu de manière individualisée. Au fur et à mesure, je nomme les présents, et j’annonce les absences. Enfin, c’est le moment pour les parents de quitter les enfants, et j’introduis les éducatrices. Lors d’une première séparation, si cela me semble nécessaire, j’accompagne le parent jusqu’à l’étage où se déroule l’activité thérapeutique et je verbalise – à l’enfant et pour le parent : « Je reste avec maman (papa), nous allons parler ensemble dans la salle d’attente. »
18 Il s’agit de dégager l’enfant d’une préoccupation interne, contraignante à l’égard de son parent, ce dernier étant alors très en difficulté pour rassurer l’enfant, laissant planer le doute sur la survie possible en son absence.
19 Une mère disait : « Il faut qu’il apprenne à être seul », puis elle s’était reprise : « Non, pas tout seul, il faut juste que je ne sois pas là. » Mais où pouvait-elle être pendant ce temps-là ?
20 Lorsqu’une autre mère interrompt brutalement l’ensemble du traitement à l’Aubier, son absence et celle de son fils suscitent interrogations et inquiétude. Malgré l’explication que je fournis au groupe – celle d’un déménagment, donnée par la maman –, cette absence est devenue comme une disparition inexpliquée, angoissante. Où sont-ils passés ?
21 Être là et ensemble, près des enfants (juste en dessous) mais sans être avec eux, se séparer sans disparaître, c’est probablement une des questions essentielles autour de laquelle s’articule l’accompagnement des parents en salle d’attente.
22 À ce moment-là, nous sommes tous dans la même maison, les mêmes murs et le même contenant psychique « Aubier », dont les espaces thérapeutiques s’ouvrent et se ferment selon les modalités de prise en charge élaborées pour chaque famille.
23 Les pleurs d’E. qu’on entend au-dessus rappellent à la maman de V. ceux de son fils lors des séances précédentes. Elle fait part de sa propre difficulté à se séparer de son fils et le groupe échange alors dans des mouvements d’étayages réciproques.
24 Lorsque Mme G., qui ne peut s’appuyer sur le groupe, est débordée par l’angoisse et me demande si elle peut rejoindre son fils, je lui dis : « Non, les éducatrices s’occupent de lui et le ramèneront s’il continue à pleurer et reste inconsolable » puis, me tournant vers les autres mamans, j’ajoute : « Rassurez-vous, jusqu’à présent, nous avons tous survécu. » Des sourires de soulagement apparaissent, quelques rires. L’atmosphère se détend. Le groupe peut survivre et contenir. C’est la condition qui permet à d’autres moments la médiatisation des mouvements agressifs. Ils apparaissent à travers des récits, quelquefois dignes des histoires d’ogres et de sorcières.
25 On parle cuisine. Mme M., d’origine péruvienne, vante la saveur des cochons d’Inde, « surtout quand ils sont frits ». Elle aurait d’ailleurs bien mangé celui de sa sœur (!) qui était si gros, si dodu…
Les éducatrices : construire une « maman-groupe »
26 Au premier étage, alors que les parents s’enracinent dans le « groupe de la salle d’attente », le groupe des enfants prend vie. Animé chaque semaine par deux éducatrices, il peut accueillir six enfants.
27 Ce groupe est semi-ouvert, c’est-à-dire qu’en cas de départ d’un enfant, un autre peut être accueilli après présentation en synthèse institutionnelle et lors d’une reprise après des vacances scolaires.
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Le fonctionnement de ces groupes de petits enfants est particulier pour plusieurs raisons :
- ce sont des groupes très fluctuants, qui peuvent sembler éphémères ;
- les présences sont souvent irrégulières : maladies des petits, ambivalences, changements de situation familiale (souvent reprise du travail de la mère après des congés parentaux) ;
- la durée de participation des enfants est assez brève (entre 3 et 18 mois dans le groupe) mais l’âge précoce, moment riche de construction psychique pour l’enfant et pour la parentalité, permet des avancées rapides et parfois spectaculaires.
29 Parfois pour la première fois, l’enfant doit se représenter sa mère absente. Cette première activité de symbolisation doit être fortement soutenue par les soignants : dire et redire qu’on n’est pas cassés, que les mamans absentes existent toujours pas très loin, qu’on les retrouvera. Observer les autres enfants qui manifestent de façon différente ou qui expriment les mêmes craintes et les mêmes colères est aussi une aide identificatoire précieuse.
30 L’enfant doit trouver des moyens psychiques nouveaux pour remplacer cette toute-puissance infantile qu’il joue à deux voix avec sa mère depuis si longtemps.
31 C’est un deuil difficile à faire, mais le groupe lui permet, dans un premier temps, d’expulser sa colère et sa souffrance ; il pourra vérifier que le groupe et les soignants sont solides et ne sont pas détruits par ses manifestations de rage destructrice. Celles-ci ne lui seront pas non plus renvoyées en boomerang, comme c’est souvent le cas par son parent, trop fragile ou trop attaqué et qui réagit en miroir aux colères du petit enfant par un agi qui renforce l’excitation corporelle et ne permet pas à l’enfant de réguler ses tensions internes.
32 Cette « maman-groupe », solide mais suffisamment souple, permet, dans un premier temps, de rassurer et de contenir. C’est une expression que nous employons souvent dans les moments de pleurs d’un ou de plusieurs enfants.
33 « La maman-groupe, elle est là et elle nous tient bien. » Nous essayons par là d’offrir à l’enfant une protection suffisante, mais pas envahissante. Pour consoler un enfant, plutôt que de le prendre dans nos bras comme il le demande, nous tentons de le mettre à côté de nous, l’entourant d’un bras, restant ainsi ouverts sur le groupe, essayant de ne pas reproduire cette relation à deux, exclusive, qui coupe des autres. Les mots sont là aussi, initiés par le soignant, pour nommer les peurs, les chagrins mais aussi les jeux et les manifestations des autres enfants.
34 Dans un groupe de petits, l’adulte doit beaucoup susciter l’envie du jeu, puis l’enrichir, le soutenir. Ce jeu est d’abord solitaire. La notion de jeu en groupe n’est pas encore présente pour les jeunes enfants autour de 2 ans. Ce premier temps sera celui « d’apprendre à jouer seul en présence de l’adulte », selon l’expression de Winnicott.
35 Pour la plupart des enfants accueillis dans le groupe, la pathologie du lien, à la fois excitant et source d’insécurité, les conduit à toujours le vérifier, ce qui les empêche d’accéder à d’autres activités ludiques de découverte. Souvent les parents le remarquent : « Il ne sait pas jouer. Il est toujours après moi. »
36 C’est grâce au matériel ludique proposé (voitures, dînettes, jeux moteurs) que l’agi de l’excitation corporelle peut faire place à une expression plus élaborée, médiatisée par ces jeux, mais surtout soutenue par les verbalisations et les expressions vocales des soignants.
37 Au début, les enfants ont peu de contacts entre eux. Pourtant, le groupe lui-même a une grande importance et permet une première distanciation ; en effet, les enfants s’observent beaucoup : voir d’autres enfants jouer ou exprimer des craintes ou des chagrins permet de mettre en perspective ses propres difficultés. Les élans affectifs et psychiques de chaque enfant (pleurs ou colères, excitation ou rires) sont toujours repris au nom du groupe tout entier.
38 Nous avons été frappés par le comportement du petit E. : pendant les deux ou trois premières séances, E. a énormément pleuré, demandant maman ou papa comme une litanie, sans pouvoir se calmer ni profiter d’aucun jeu. Mais si un autre enfant se mettait à pleurer dans un moment difficile, E. s’arrêtait aussitôt : un seul enfant, porteur de l’angoisse groupale de solitude et d’abandon, c’était suffisant ! Ce que nous avons souligné : « Ici, on a encore besoin de montrer un petit morceau de bébé seul et abandonné. »
Du côté des parents, l’image de l’absent se tisse
39 En salle d’attente, si l’absence ne signifie pas la disparition, elle suscite une autre question : que garder de l’autre en son absence ?
40 Silencieuse et attentive, notre stagiaire psychologue observe avec bienveillance. Elle sera ainsi le témoin d’une curieuse histoire qui se raconte pendant quelques séances.
41 Mme E. a un pull péruvien qui déteint (est-ce son pull ou celui de son fils ?). « Lorsque j’ai mon fils dans les bras et que je le repose (gestes à l’appui, elle montre le mouvement qui éloigne les corps l’un de l’autre), le pull déteint (sur elle ou sur lui ?), il se décolore et laisse une couleur rose sur tout ce qu’il touche. » Mme E. demande aux autres mères ce qu’elle peut faire.
42 Se séparer, se détacher, se décoller, quel risque prend-on, quelle part de soi reste dans l’autre, quelle part de l’autre garde-t-on ? Ne reste-t-il qu’une marque de l’un sur l’autre ? Chacune cherche une solution : « Il risque de s’abîmer, il va perdre ses couleurs », déclare Mme H. qui pense qu’il ne faut pas y toucher. On attend le retour de Mme M. dont l’origine péruvienne devrait éclairer le groupe. « Est-ce un vrai pull péruvien ? », questionne celle-ci. « Apportez-le moi que je vois. »
43 Mais, lorsque Mme E. apporte le pull, Mme M. est de nouveau absente. Mme E., déçue, nous montre quand même le pull. Cette fois, je suis présente : le pull est beau, multicolore, pas comme je me le représentais. Peut-être était-il un mélange de tous les pulls que le groupe avait imaginés, malgré ou grâce aux absences répétées ou temporaires des uns et des autres.
44 Ce pull qui n’était pas là s’était tricoté dans cet espace commun, comme se tisse l’image de l’absent, de l’enfant que l’on imagine d’abord là-haut et bientôt ailleurs…
Du côté des enfants : de la désorganisation aux retrouvailles
45 Au cours de trois années d’expérience, nous avons pu observer des temps forts qui se rejouent de façon presque semblable avec chaque enfant, et chaque groupe.
46 Le premier temps, comme on l’a dit, est celui des jeux solitaires. Les enfants ne sont pas encore en rivalité les uns avec les autres, ils s’observent et utilisent les jeux côte à côte ou l’un après l’autre. Nous avons été frappés de voir combien la rivalité agressive était déjà un processus secondarisé possible pour des enfants déjà individués psychiquement. Au début de la prise en charge, les enfants que nous accueillons ne sont pas à ce stade.
47 Un des premiers grands moments de plaisir commun est le jeu de construction/démolition. Nous avons de gros blocs de mousse de forme et de couleur différentes. Nous empilons ces formes le plus haut possible et les enfants peuvent, sans danger, les pousser et les mettre à terre. Nous proposons ce jeu lors des moments d’éparpillement, quand les enfants commencent à jeter le matériel en tous sens, montrant ainsi leur désorganisation interne.
48 Une fois qu’à leur demande le tour en mousse ont été construites puis démolies à plusieurs reprises, les enfants jouent ensuite à se mélanger eux-mêmes dans les gros cubes et les tapis. Se fondre, se nicher, se couler, sentir plus ou moins violemment le corps de l’autre est nécessaire pour combattre l’angoisse de séparation mais aussi pour construire une substance commune, une identité groupale, en place du vécu de morcellement.
49 Un autre temps important de la vie du groupe est celui où les enfants, par leurs jeux, élaborent psychiquement la disparition, la séparation, les retrouvailles. Ce sont des jeux de cache-cache, de coucous, grâce à deux grands placards vides dans lesquels les enfants peuvent se cacher, d’abord seuls, puis parfois à deux. Chaque enfant joue volontairement la peur d’être seul dans le noir, la maîtrisant en fermant lui-même la porte, puis vient la jubilation des retrouvailles que nous ponctuons de cris joyeux et soulagés.
50 Ce jeu, dans lequel le corps de l’enfant est directement engagé, se poursuit par des manipulations d’objets qu’on fait disparaître et revenir : de petits personnages circulant dans des tubes ou cachés dans des boîtes, des boules dans des circuits.
51 Tous ces jeux que les enfants redemandent inlassablement les aident à construire une intériorité, une contenance, et permettent ainsi l’accès à une élaboration de l’objet interne.
52 Peu à peu, l’arrachement de la séparation peut se transformer en une élaboration d’un objet absent physiquement mais présent psychiquement.
Avec les parents : le retour à soi et le retour à l’autre
53 Parfois, pour les parents, il n’est pas seulement difficile de se retrouver, il est avant tout difficile de se trouver. La première rencontre avec le bébé s’est inaugurée dans un climat d’angoisse intense, parfois de mort, souvent traumatisant.
54 Une séance entière a fait l’objet d’échanges très intenses sur les récits d’accouchements et de suites de couches concernant cet enfant-là suivi à l’Aubier de son aîné.
55 Tous sont dramatiques ou vécus comme tels. Les mères ont partagé des affects très forts et le groupe a médiatisé cette violence des émotions qui ressurgissaient. La séance s’est terminée par une discussion sur les doudous des enfants. Quels sont-ils ? Comment les enfants les ont-ils choisis ? Lorsqu’elles ont quitté la salle d’attente, toutes les mères tenaient le doudou de leur enfant à la main…
56 Pour certaines mères, les retrouvailles sont accompagnées par la nécessité impérieuse de « nourrir », de combler le manque ou le vide créé par l’absence.
57 Mme K. me demandait systématiquement trois minutes avant la fin de la séance si je pouvais réchauffer le biberon pour son fils. Elle m’excluait ainsi de ce moment des retrouvailles. Cette autre mère, à l’inverse, m’accaparait. Dans l’un et l’autre cas, j’étais mise dans l’impossibilité de voir soit un corps à corps fusionnel, soit une impossible rencontre. Nous avons souvent été frappés par ces retours en salle d’attente où l’un des partenaires qui semblait s’engager vers l’autre s’en détournait brusquement.
58 Il faut inventer ensemble des transitions qui permettent de retourner à l’autre sans revivre de façon aussi intense les angoisses de perte initiales.
59 Lorsqu’un jour les mamans ont échangé sur le plaisir de danser, nous avons pensé que le plaisir d’une réciprocité n’était plus si loin : elles nous ont appris que la salsa peut se danser collés, mais aussi moins serrés, et même éloignés !
Pour les enfants
60 Arrive le temps des premiers jeux symboliques partagés qui nous annonce que le groupe a atteint en partie son objectif. Ce sont, généralement, des jeux de dînette où chaque enfant veut donner aux autres et aux adultes assiettes, verres, couverts et nourriture.
61 Lorsque plusieurs enfants, ensemble, arrivent à créer une tablée commune, nous pouvons partager, sur un temps court bien sûr – quelques minutes –, ce moment privilégié où chacun sait qu’il joue pour lui-même mais avec les autres.
62 N’était-ce pas notre projet initial : permettre aux enfants de sortir de la constellation maternelle pour entrer dans l’enfance ?
Bibliographie
- Fraiberg, S. 1999. Fantômes dans la chambre d’enfants, Paris, puf.
- Manzano, J. ; Palacio-Espasa, F. ; Zilkha, N. 1999. Scénarios narcissiques de la parentalité, Paris, puf.
- Winnicott, D. 1972. L’enfant et le monde extérieur, Paris, Payot.
- Winnicott, D. 1975. Jeu et réalité. L’espace potentiel, Paris, Gallimard.