Anorexie mentale, malaise au cœur de l’adolescence, Le Corps absent, Michel Corcos, Paris, Dunod, 2000, Anorexie, Thierry Vincent, Paris, Odile Jacob, 2000
1 Deux psychiatres d’adolescents abordent le sujet dans deux styles très différents. L’un comme l’autre ombiliquent leur essai théorique à leur expérience clinique. Avec pertinence, ils éclairent leurs propos par l’évocation des paroles de leurs patientes. Ces citations constituent ainsi un fil conducteur qui offre aux lecteurs l’occasion d’enrichir leurs propres réflexions cliniques d’un jeu fécond de nouveaux repères associatifs.
2 La thèse de Maurice Corcos s’efforce d’éclairer la problématique anorectique de façon exhaustive sous différents aspects cliniques et sociologiques. Il retient particulièrement le concept d’alexithymie caractérisé par l’incapacité à exprimer verbalement ses sentiments, le recours à l’action devant la limitation de la vie imaginaire. La potentialité psychosomatique opère comme une défense contre l’émergence pulsionnelle brutale et massive, particulièrement à la puberté. Lorsque le deuil de l’enfance ne peut se faire, les patients trouveraient dans la solution addictive du trouble de conduites alimentaires l’évitement d’un état dépressif. Mais comme il le souligne pertinemment, c’est précisément ce travail de deuil qui ne se fait pas.
3 Corps absent donc, mais paradoxalement omniprésent dans la fascination et la préoccupation de l’autre, privé à soi-même d’affect lorsque la sensation substitue à l’émotion.
4 Face à cette problématique, le cadre thérapeutique ne peut être ni intangible ni complice des circonvolutions évolutives du patient. Si croire à la croyance des patients ce n’est pas y adhérer, la souplesse de la réponse thérapeutique visera l’adéquation de la réalité du consultant avec le nécessaire maintien d’une cohérence et d’une constance des soins. À rude épreuve, le thérapeute aura, comme le recommandait Winnicott, à survivre. Rencontrer le patient dans sa haine et y répondre par une empathie négative, supporter les silences, blancs qui font partie de l’image que l’on a de soi-même constitueront la tache ardue de la position thérapeutique, au prix de savoir et de ne pas savoir, tout en sachant qu’il existe une différence essentielle entre ne pas savoir et l’assurance de savoir que l’on ne sait pas…
5 Thierry Vincent nous rappelle opportunément que le symptôme anorectique de cette fin de siècle résonne avec le symptôme hystérique de celui du siècle dernier. C’est que celles qui l’éprouvent dans leur chair reflètent le type de relation d’objet que la société dans laquelle elles sont immergées autorise et promeut. Autant dire qu’on ne saurait dissocier la pathologie individuelle du malaise dans la civilisation. Au-delà de l’incarnation pathologique, Thierry Vincent s’autorise et nous livre une intéressante réflexion sur l’époque actuelle qu’il caractérise comme celle d’une crise des fondements liés à la remise en cause de la fonction paternelle.
6 Il s’interroge sur la pertinence ou l’impertinence de ces modernes Antigones à dévoiler le dessous des cartes : hystérique combattant l’ordre établi autour du partage autoritaire entre le masculin et le féminin, anorexique combattant un désordre au sein duquel règne la dé-différenciation et l’effacement de l’autorité.
7 Éclat d’indépendance, le combat de l’anorexique est le reflet d’une lutte entre une immense appétence pour l’objet et le refus d’un système dans lequel est prôné son libre accès.
8 Dans son acharnement haineux contre l’objet, l’anorexique prône la privation comme illusoire maîtrise contre l’aliénation et défense contre le manque. Dans le refus, elle manque l’essentiel, l’accès à la castration, seule issue à l’esclavage de la dépendance à l’objet.
9 Dans un monde où la transparence devient paradigmatique là où l’hystérique s’insurgeait contre la pruderie du xixe siècle et la répression sexuelle, l’anorexique dévoile le confinement de la mort et de ce qui lui est lié : la violence, l’agressivité et plus largement la conflictualité en général.
10 Revenir à la notion d’interdit si difficilement acceptable à notre époque serait l’exigence éthique à soutenir, car l’interdit est au centre de la question éthique dans le sens où il en fonde la possibilité. Il donne à penser.
11 Cette longue digression nous ramène finalement au cœur de la clinique et nous confronte à l’éprouvé de notre subjectivité sans laquelle aucune attitude soignante ne vaut.
12 Nicole Vacher-Neill, psychiatre
Tout est psy dans la vie ?, Gabs, Didier Lauru, Patricia Berriau, Jeanine Gabillet, Éditions Eyrolles, 2001.
13 Si vous avez besoin d’un guide sur le pays de la psychanalyse, et plus précisément sur sa province lacanienne, lisez ce vif petit livre. Il vous y introduira de façon souvent amusante et parfois profonde. Ainsi cette remarque : « Derrière le masque du paraître, la réalité de l’être est au fond un besoin d’amour. »
14 Souvent l’étincelle de l’humour jaillit entre les brefs textes qui composent ce volume de cent pages et les dessins de Gabs.
15 Complété par un glossaire, lui-même clair et précis, ce petit livre, distrayant et utile, vaut le coup.
16 Laurent Renard, psychiatre