Couverture de EP_012

Article de revue

Le médecin de pmi et les « psy »

Pages 20 à 29

English version

1 Chez nos anciens et dans les sociétés traditionnelles pour faire passer un message, il était souvent fait usage du conte. Par l’image qu’il évoque en nous, et que la parole fait entrer en résonance, il peut nous éclairer beaucoup plus qu’un long discours théorique. Celui qui va suivre va m’aider à mettre des mots sur mon expérience professionnelle en pmi dans l’accompagnement des familles et la mise en place d’un travail en réseau pluridisciplinaire.

2 Il était une fois une modeste petite ville de banlieue…

3 Au cœur de grandes cités hlm se dresse un espace clair et vitré, visible de très loin, nous pourrions l’appeler un auditorium. Dans ce lieu vivaient des instruments de musique. Chacun jouait sa partition, s’essayant à quelques duos ou trios, mais sur de brèves œuvres, ils travaillaient surtout la musique du corps.

4 Un peu plus loin dans la ville et dans les communes environnantes, vivaient d’autres orchestres, très spécialisés. Certains connaissaient bien la musique de l’esprit et du cœur, d’autres celle du social, d’autres celle de l’école ou de la crèche… Mais ils se fréquentaient peu.

5 De nombreux petits chœurs venaient se joindre aux musiciens. À force de les écouter chanter, beaucoup de choses ont changé.

6 Très vite, le simple orchestre du corps a manqué d’instruments et un instrument de l’esprit est venu apporter sa couleur harmonique. Puis les groupes environnants ont pris l’habitude de se joindre à l’orchestre, c’est ainsi que la musique du cœur et de l’esprit, du social, de l’école et de la crèche se sont rencontrés et ont appris à jouer ensemble. L’œuvre sonnait déjà beaucoup mieux.

7 Parfois un instrument accompagnait le chœur dans l’un ou l’autre des orchestres, d’autres sont même allés à domicile faire quelques répétitions.

8 Selon la partition proposée par le chœur, l’orchestre est plus ou moins complet, les répétitions plus ou moins fréquentes, la difficulté plus ou moins grande. Chaque instrument a appris à écouter les autres, à s’accorder avec eux pour mieux soutenir et mettre en valeur la mélodie du chœur. Ce n’est pas toujours facile, parfois le chœur s’en va chanter ailleurs mais, souvent, il écoute l’accompagnement musical et reconstruit au fil du temps sa partition. Bientôt l’orchestre n’est plus qu’un murmure soutenant et le chœur peut devenir soliste, mais il peut arriver qu’il doive porter longtemps la voix du chœur.

9 Si mon goût pour la musique d’ensemble m’a fait choisir ce conte ce n’est pas par hasard :

  • l’auditorium au milieu de la cité pourrait être la pmi. Ce lieu nous l’avons souhaité convivial, beau, bien décoré, clair et spacieux ;
  • les instruments du corps, chacun dans leur spécialité, ont un rôle important, ils se complètent et essayent de vivre en harmonie. Ce sont les auxiliaires de puériculture, les puéricultrices, l’éducatrice de jeunes enfants, la sage-femme, la psychologue et le médecin ;
  • le chœur pourrait représenter les familles qui viennent à la pmi, au cmpp, au service social, à l’école, à la crèche. Elles sont très différentes et chaque nouvelle partition représente ce que la famille mobilise en nous comme accompagnement.

Marie-Agnès Jeune est médecin de protection maternelle et infantile à Malakoff (Hauts-de-Seine)(encadré page 2 ou 3). Créés par l’ordonnance de 1945, pour lutter contre la mortalité infantile, les services de protection maternelle et infantile (pmi) sont, au fil des années, devenus des lieux d’accompagnement de la famille et de l’enfant. Accompagnement sanitaire bien sûr, mais aussi de plus en plus, accompagnement de l’installation de la parentalité. Dans le département des Hauts-de-Seine, chaque commune a un ou plusieurs centres de pmi, situés au plus près des familles. Ces lieux sont ouverts tous les jours et accueillent les jeunes parents et leurs enfants de moins de 6 ans pour des consultations sur rendez-vous, mais aussi sans rendez-vous pour des pesées, pour des conseils, pour se faire dépanner d’une boîte de lait, d’un paquet de couches… pour rencontrer quelqu’un parfois tout simplement.

Repérer la souffrance psychique d’un enfant et de sa famille

10 Dans le quartier où j’exerce, se côtoient une zone importante d’habitat social, un quartier pavillonnaire et une cité de familles de militaires et de gendarmes. Cela donne une population très diversifiée. Nous avons, au fil des années, appris à mieux la connaître, nous nous sommes formés et essayons d’adapter notre prise en charge à chaque situation.

11 Au cours de ces formations, nous avons rencontré des équipes aux spécialités différentes :

  • formation d’ethnopsychiatrie par l’équipe de Tobie Nathan et Marie-Rose Moro ;
  • formation autour des familles à problèmes multiples par l’équipe du copes ;
  • formation autour du lien mère-enfant et de la connaissance du tout-petit grâce à l’équipe du centre d’accueil parents-jeunes enfants du secteur (l’Aubier) ;
  • formation par des neuropédiatres autour du développement psychomoteur du jeune enfant…
Nous avons ainsi mieux compris les champs d’actions de chaque équipe, et aussi appris à mieux repérer les différents signes de souffrance des familles. Je pense, en effet, que le repérage de la souffrance psychique d’un enfant et de sa famille s’apprend. Comme on apprend et l’on s’entraîne à reconnaître un souffle au cœur, en comparant son intensité, sa musicalité, sa position par rapport aux bruits habituels, son association à un frémissement, à une cyanose…, il faut du temps pour que l’oreille s’affine, analyse et pose le diagnostic et l’orientation. De la même façon, le travail de prévention et de dépistage des difficultés psychologiques demande une expérience et une écoute spécifique.

12 En pmi, les visions complémentaires des membres de l’équipe permettent de mieux repérer les dysfonctionnements et de discuter ensemble du moment et du choix de l’orientation.

13 Les familles suivies en pmi sont habituées à l’accompagnement par une équipe, très différent du suivi assuré par un médecin en ville. Ce n’est pas seulement le médecin qu’elles viennent voir. Avec chaque membre de l’équipe, elles se montrent sous un jour particulier : dans la proximité et la confidence avec l’auxiliaire de puériculture, dans le soin quotidien et les « petites questions » si importantes avec la puéricultrice, dans la préoccupation de la santé, de la « normalité » et dans l’attente de conseils de soins et de comportement envers l’enfant avec le médecin. Les paroles de chacun et le regard posé sur l’enfant vont, au fil des rencontres, contenir et soutenir le démarrage de la parentalité. Si ce travail préventif se révèle insuffisant, l’orientation sera présentée comme un prolongement spécialisé du travail d’équipe de la pmi.

14 Chaque lundi matin, nous parlons des familles qui sont venues à la pmi la semaine précédente et nous posent problème. Notre réflexion porte sur le repérage du dysfonctionnement, sur la décision d’orientation vers un service d’accompagnement psychologique et sur le choix de l’équipe, mais pas sur celui du type de prise en charge. C’est plus tard, au cours d’une consultation, que des mots sont mis sur les signes repérés et que l’orientation est proposée. Dans certains cas, la famille formule une demande et l’orientation est proposée à ce moment-là. J’informe l’équipe le lundi suivant.

15 Je propose à la famille un accompagnement complémentaire de celui qui est effectué par l’équipe de la pmi. Cette nouvelle prise en charge va s’installer, se poser, puis se construire sur la base de celle de la pmi, mais ne va pas s’y substituer. En même temps que je propose une orientation vers un service de « psy », j’explique à la famille comment nous travaillons habituellement en réseau, et pourquoi je choisis cette équipe, ce médecin ou ce psychologue. Si elle ne souhaite pas qu’il y ait de liens entre nous, nous respectons ce vœu, mais cela arrive très rarement. Nous lui expliquons que nous nous rencontrerons en respectant le secret professionnel de chaque intervenant et l’assurons qu’elle sera informée du contenu de ces rencontres.

16 La psychologue de la pmi va prendre en charge la famille quand celle-ci et l’enfant présentent un signe mineur et isolé de dysfonctionnement – petite difficulté alimentaire, approche compliquée de la propreté, opposition, trouble du sommeil récent, arrivée d’un nouveau bébé… C’est elle aussi qui répond aux questions des parents sur le comportement de leur enfant, par exemple à propos de l’apparition du non, des pleurs lors des séparations, de l’agressivité à l’école.

17 Elle rencontre aussi les enfants qui ont bénéficié du bilan scolaire en maternelle à l’âge de 3-4 ans et que je lui adresse pour le même type de symptômes. Elle prépare la famille si c’est nécessaire.

Le rôle thérapeutique de la pmi

18 Ce sont les familles que nous suivons depuis plusieurs années qui nous ont fait prendre conscience du rôle thérapeutique de la pmi. Souvent quand l’enfant a environ 6 ans, au moment de la fin de l’accompagnement à la pmi, elles nous rappellent ces petits gestes ou paroles qui les ont soutenues et aidées dans leur parentalité, c’est important pour elles de nous le dire et de nous remercier. Plus le bébé est vu précocement à la pmi, plus ce travail sera efficace. Actuellement nous sommes aidés par les maternités qui conseillent aux mamans d’amener leur bébé en consultation rapidement après la sortie de maternité. Nous leur donnons un rendez-vous lors de la consultation qui suit l’appel téléphonique. Cela nous permet ainsi de voir beaucoup de bébés de quelques jours, de parents dans leurs tout premiers pas. Le poids des paroles et des gestes a alors une importance extrême. Par le regard émerveillé d’une jeune maman dont le nouveau-né ébauche quelques pas ou qui, la nuque bien maintenue, arrive à suivre des yeux une cible, à tendre la main vers un petit hochet, nous voyons sous nos yeux se matérialiser un bébé réel gratifiant et valorisant. Par quelques petits mots tous simples : « Comme il est calme dans vos bras », « vous pouvez le câliner, le prendre dans vos bras, il ne prendra pas de mauvaises habitudes, il a beaucoup besoin de vous », « quel papa attentif vous êtes, il en a de la chance ! », « c’est pas facile un tout petit qui pleure…, c’est pas facile de mal dormir…, heureusement il va vite grandir…, déjà il ne se réveille plus qu’une fois la nuit », « il est gentil »… les parents se sentent rassurés dans leurs compétences et celles de leur bébé et ils se sentiront aussi autorisés à faire part de leurs difficultés.

19 Ce travail, que je pense thérapeutique, est différent de celui du psychothérapeute. Même si j’ai conscience de l’effet de certaines paroles que je vais prononcer, de certains gestes, je suis aux yeux des familles le médecin de la pmi et pas un psychiatre, et elles n’ont pas, je crois, la conscience du travail autour du lien qui se fait au moment des premières consultations. De plus je vais rester en marge de leur vécu personnel, même si je l’aborde, je ne cherche pas à l’approfondir pour laisser cela au thérapeute. Cependant, beaucoup ressentent une impression de « bien-être » à la pmi et ils le disent volontiers.

20 Selon les origines, le vécu, le milieu social, l’accompagnement est sensiblement différent. J’ai parfois l’impression d’être une espèce de caméléon qui change de couleur au contact des autres.

21 À mes débuts en pmi je concevais la consultation d’un nourrisson comme une succession de moments : l’interrogatoire, puis l’examen clinique, puis une prescription ou un vaccin. Grâce à l’aide médicale, et maintenant à la cmu (couverture médicale universelle) nous voyons peu d’enfants malades et cela nous permet d’aborder autrement la consultation. L’interrogatoire devient un temps d’échange sur l’enfant, un temps de réponse au questionnement des parents. L’examen clinique se recentre sur l’éveil de l’enfant, ses capacités, ses progrès. La prescription sera peut-être d’amener une mère à oser parler à son tout petit, à accepter qu’il n’aime pas encore la cuillère, qu’il ne finisse pas son assiette, à prévoir une colonie pour le grand frère… Ce sera aussi mettre en place un soutien par une travailleuse familiale ou rencontrer l’assistante sociale ou le pédopsychiatre.

22 Paradoxalement, la pmi est aussi un service d’urgence. Il n’est pas une journée sans que plusieurs mamans appellent pour une question qui les tracasse, passent à la pmi montrer leur bébé… Le symptôme qui les tourmente est souvent bénin, mais angoissant à l’extrême pour la maman. En l’absence de pmi la maman serait allée à l’hôpital où elle aurait encombré le service et reçu une réponse rapide, voire agacée. Les auxiliaires de la pmi jouent un rôle important de réassurance pour ces mamans, évaluant le problème, rassurant, mais aussi proposant l’orientation adaptée : avis de la puéricultrice, visite médicale avec le médecin de la pmi, rencontre avec la psychologue de la pmi, orientation vers le médecin traitant ou le dispensaire… Beaucoup de parents à problèmes psychiatriques « débarquent » aussi à la pmi en cas de crise et nous les accompagnons vers le cmp qui les suit.

23 Lorsque je propose d’adresser un enfant à un service spécialisé, je prends souvent l’image de la maison qui se construit : si la vie de l’enfant est une maison en construction, la pmi peut aider à remettre droites quelques briques posées de travers ; s’il en manque, la pmi peut le dépister, mais il faut un spécialiste pour réparer. Plus on attend, plus la réparation est longue et difficile. Si on ne fait rien, la maison se construira quand même, mais peu solide, et au moment où l’on posera le toit (adolescence, naissance, deuil…), elle risquera de s’écrouler. À partir de quelques exemples cliniques, je vais essayer de décrire notre travail d’accompagnement.

Le travail avec les équipes spécialisées

L’accompagnement des familles migrantes

24 Depuis plus de quinze ans, une famille Sunninké – deux femmes et treize enfants –, vient colorer la pmi de ses sourires et de ses boubous, mais aussi nous interpeller dans sa souffrance d’être déracinée, dans sa difficulté d’intégration, dans son désarroi face au handicap de l’un des enfants. De nombreux partenaires accompagnent avec nous cette famille. Participent au réseau : un service d’ethnopsychiatrie, des médiateurs, des interprètes, le service social, l’école, les travailleuses familiales. Un accompagnement spécifique autour du handicap a été mis en place par l’antenne handicap de la pmi.

25 Récemment la famille a pu être relogée dans un pavillon décent où la place de chaque épouse est respectée.

26 L’histoire de cette famille illustre bien les difficultés d’accompagnement que nous pouvons rencontrer avec les familles migrantes. La première est de gagner leur confiance en respectant leurs usages, en valorisant leurs compétences. Il faut du temps. L’éclairage ethnopsychiatrique nous aide à poser les bonnes questions, à mieux repérer ce qui dans la culture ne fonctionne pas et à trouver la meilleure manière de les aider. Une autre difficulté est que ces familles fonctionnent souvent dans l’urgence, ont du mal à avoir un médecin traitant… Un travail d’apprentissage se développe, en lien avec l’équipe d’alphabétisation du secteur. L’accompagnement de la pmi les aide à s’intégrer, à ce sentir mieux dans leur ville.

Les familles à problèmes multiples

27 Dans cette famille, la souffrance des liens a traversé les générations, elle se reflète même dans leur corps : cheveu rare et terne, dents gâtées, peau trop fine et marbrée, regard craintif. Pourtant, ce n’est qu’au moment de la scolarisation et devant un symptôme très démonstratif – une encoprésie –, qu’une prise en charge a pu être proposée, entendue et mise en place très progressivement.

28 Notre partenaire « psy » pour cette famille est le cmpp. Nous l’avons choisi pour sa proximité, son accessibilité et son équipe pluridisciplinaire.

29 Afin de travailler en cohérence, nous nous rencontrons deux à trois fois par an pour faire le point sur les familles que nous suivons en commun. Le cmpp participe aussi à la synthèse de fin d’année avec chaque école de mon secteur, où nous faisons le bilan des prises en charge et des orientations des enfants en difficulté. Le cmpp fait partie à l’évidence des instances de la protection de l’enfance.

Les familles au passé carencé

30 La maman semble s’être recouverte d’une carapace protectrice contre toutes les souffrances et les ruptures qu’elle a connues dans son enfance. Avec son premier enfant elle n’a pu éviter de la reproduire, et le bébé s’est vite retrouvé confié à une famille d’accueil. Elle arrive un beau jour de septembre avec son deuxième enfant âgé de 18 mois, un bébé nouveau-né et un nouveau papa jeune militaire.

31 La puéricultrice l’a rencontrée pour la première fois en visite de naissance. Très vite la maman l’a « ensevelie » sous son histoire, ses souffrances, ses difficultés… Ce discours, elle l’a de nouveau déposé lors de la première consultation à la pmi, comme si sa souffrance personnelle l’envahissait au point de ne pas pouvoir parler de ses enfants, ni de comprendre leurs besoins. Chaque enfant était déjà en grande souffrance affective.

32 Très vite, le réseau s’est mis en place. En lien avec la pmi, le service de pédopsychiatrie a pris en charge la famille, associant des visites à domicile hebdomadaires et une prise en charge thérapeutique parfois bihebdomadaire. Sont venus ensuite le rejoindre le service social, la crèche, puis l’école, l’ase, des travailleuses familiales…

33 Le réseau fait régulièrement le point. La famille est informée de nos rencontres.

34 Le suivi de cette famille est émaillé de périodes de turbulences graves, remettant souvent en cause les équipes. Notre travail en réseau a su contenir nos angoisses, éviter les ruptures et le fonctionnement dans l’urgence.

35 Notre partenaire psy pour cette famille est l’Unité d’accueil parents/enfant du secteur. Nous l’avons choisi pour sa grande connaissance du tout-petit et de l’accompagnement de la parentalité. La possibilité d’accompagnement à domicile a été très précieuse pour cette famille.

Les familles à problème psychiatrique

36 Un jour, la psychiatre du cmp adulte a réuni autour de la grossesse d’une de ses patientes délirante, la maternité, la pmi, le service social, le cmp enfant. Elle nous a fait rencontrer un couple en grand désarroi, la maman délirante vivant sa grossesse comme un énorme fibrome et le papa très effacé. Un travail d’accompagnement a débuté pendant la grossesse par des consultations avec la sage-femme et par des rencontres avec le pédopsychiatre. Petit à petit, la réalité de la présence d’un bébé s’est fait jour.

37 L. est né. L’hospitalisation en maternité a pu être prolongée afin d’observer les interactions mère-enfant, et d’évaluer les capacités du papa. Le réseau a mis en place toute une organisation. Pour sa sécurité, le bébé ne devait jamais être seul avec sa mère. Une assistante maternelle, au cours des premières semaines, puis une crèche l’ont accueilli pendant la journée. Une travailleuse familiale a accompagné la famille dans les gestes quotidiens. L’enfant a été suivi régulièrement à la pmi et au cmp enfant, le suivi de la mère étant toujours assuré au cmp.

38 Les membres du réseau se rencontrent régulièrement. Très vite la psychiatre de la maman a souhaité s’en retirer pour laisser un espace à cette dernière.

39 Les années ont passé, il y a eu des rechutes délirantes, des hospitalisations… Le papa est très présent, ainsi que la famille élargie. Il est épaulé depuis peu par une aide éducative administrative (aemo). L. a grandi, il va bien, son développement psychomoteur et affectif est bon, il vit avec ses parents.

40 Le cmp adulte a mis en place le réseau pour ensuite s’effacer. Notre partenaire psy enfant a été le pédopsychiatre de l’intersecteur.

41 Nous essayons, grâce à notre collaboration avec les cmp adulte, de prendre en charge très précocement les enfants et futurs enfants des malades psychiatriques. Quand cela est possible, nous essayons de maintenir ces enfants à domicile par le type de prise en charge décrit précédemment. Nous évaluons aussi ensemble si la place de l’enfant est avec sa famille, ou si une alternative de placement est à envisager. C’est le maintien des liens qui sera alors travaillé. De toute façon, l’évolution de la pathologie mentale du ou des parents sera mieux évaluée grâce au travail en réseau, et l’accompagnement adapté à celle-ci. Parfois malheureusement, la situation nous oblige à prendre des décisions en urgence, mais elles sont mieux acceptées par les familles et moins douloureuses pour les enfants quand il existe un passé d’accompagnement.

L’enfant différent

42 A. est suivi à la pmi depuis sa naissance. Son important strabisme mal dissimulé par de grosses lunettes, son agitation incessante, ses cris, la lenteur de ses acquisitions ont été autant de souffrances pour cette famille algérienne encore traumatisée par la guerre dans son pays. La dépression de la maman est niée, masquée par « le travail et les soucis » que lui procure cet enfant différent. Il a fallu plusieurs années pour adresser A. au pédopsychiatre.

43 L’intégration à l’école a été mouvementée, remise en question. La famille a souvent mis en difficulté les différents partenaires, multipliant les prises en charges et les avis médicaux. Nous avons petit à petit réussi à faire du lien, appris à maîtriser notre propre agressivité, à comprendre les réactions de l’école, des parents…

44 Actuellement il y a un aide-éducateur auprès de la maîtresse, un traitement médical soulage A. de son hyperactivité, la maman a pu reprendre un travail. Enfin le langage a remplacé les cris…

45 Pour A., notre partenaire psy est un service de guidance infantile. Nous l’avons choisi pour son équipe pluridisciplinaire et parce que situé dans un hôpital, il était mieux accepté par la famille, réticente au début pour un soutien psychologique.

46 Actuellement, la mère, qui vit ses premiers moments avec le nouveau-né dans un profond bouleversement corporel et psychique, est souvent isolée, éloignée de sa famille, elle a laissé les repères de son travail. Par ailleurs, chez les mères au passé douloureux, réapparaissent souvent les « fantômes de la nurserie » : la mère ne pouvant répondre aux cris de son bébé tant que ses propres cris n’ont pas été entendus.

La pmi continue d’accompagner les familles

47 Pour compléter et renforcer le travail de l’équipe de la pmi auprès de la famille, nous développons deux axes prioritaires :

L’accompagnement très précoce du lien parent-enfant

48 Nous avons invité les « psy » à la pmi, pour venir au-devant des familles et participer avec nous au travail de prévention. Ensemble, nous avons créé « l’envolée » : accueil parents-bébés-professionnels où la parole s’enroule, circule et se repose autour de ces bébés à naître ou déjà nés. Lieu d’échange et de convivialité, mais aussi lieu d’observations des parents et de leur bébé, consignées par un compte rendu et retravaillées de façon régulière par une supervision.

49 Nos regards se croisent et s’entrecroisent, se confrontent et se rencontrent, repérant plus facilement ce baby blues qui persiste, ce bébé au regard perdu, ce portage inadapté, cette mère à l’enfance meurtrie que nous pourrons ainsi accompagner et adresser très précocement au pédopsychiatre.

Créés pour des raisons sanitaires en 1945, les centres de pmi ont élargi leurs missions au fil des années, et sont devenus actuellement des lieux privilégiés d’observation du tout-petit et de sa famille. Les puéricultrices proposent dès la sortie de maternité des visites à domicile. Les séjours en maternité étant actuellement de 3 ou 4 jours, nous voyons souvent en consultation des bébés de moins d’une semaine. Dans l’esprit des travaux de Brazelton, nous avons compris que le médecin, au cours de sa consultation, par une action psychothérapeutique, peut favoriser l’établissement des premiers liens : en parlant des capacités du bébé, de ses besoins, en valorisant les compétences de la maman.

L’accompagnement des familles à problèmes multiples

50 Le terme d’accompagnement désigne l’acte de se joindre à quelqu’un pour faire un parcours commun.

51 Nous sommes confrontés à des familles connaissant des conditions d’existence génératrices d’isolement, de déstabilisation. Certaines ont traversé dans leur enfance et leur adolescence des crises familiales jalonnées de ruptures, de violences, de carences ou de négligences graves.

52 Nous ne nous contentons pas de les « adresser au psy ». Familières des ruptures, ces familles ont besoin de se sentir « contenues » par une cohérence de prise en charge. Ce parcours commun, nous le construisons ensemble. Les familles connaissent nos rencontres et leurs dates. Chaque partenaire, après les rencontres, repart avec un éclaircissement sur le travail des autres et sur ce qu’il a à faire. Il connaît les limites de son action et la façon dont les autres se positionnent. Dans le secret professionnel partagé, chaque membre du réseau apporte au groupe les informations qui lui paraissent utiles, gardant pour lui ce qui ressort de sa seule compétence. La force de ce travail réside dans la mise en synergie de nos différences au lieu d’une mise en concurrence. Si l’un des membres est mis en difficulté par la famille, il reste porté par le groupe, évitant les éternelles ruptures que cherchent à mettre en œuvre ces familles en souffrance.

Bibliographie

Bibliographie

  • Cardenas, Michel Sanchez. « Le pédopsychiatre, l’hôpital, l’école et le secteur social », Abstract Pediatric, n° 58.
  • Funk, Marianne. « Indispensable pmi », Enfances et psy n° 7, dossier « Accès aux soins ».
  • Gane, Hélène. « Rendre visite », Enfances et psy, n° 7, dossier « Accès aux soins »
  • Jésu, Frédéric. « Les réseaux locaux de soutien à la parentalité, actualité du concept et des pratiques. » Journées nationales d’études à Amiens.

Mots-clés éditeurs : pmi, prévention, travail en réseau, accueil parent-bébé-professionnels, pédopsychiatre

https://doi.org/10.3917/ep.012.0020

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