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Article de revue

Les conditions d’impossibilité de la preuve ontologique : le cas Bergson

Pages 5 à 21

Notes

  • [1]
    Nous citons les œuvres de Bergson à partir de l’édition critique publiée sous la direction de F. Worms (Paris, PUF, 2007-2011) : Matière et mémoire = MM ; L’évolution créatrice (2007) = EC ; Les deux sources de la morale et de la religion (2008) = DS ; L’énergie spirituelle (2009) = ES (CV = La conscience et la vie) ; La pensée et le mouvant (2009) = PM (I1 = Introduction (Première partie) ; I2 = Introduction (Deuxième partie) ; PR = Le possible et le réel ; IP = L’intuition philosophique ; PC = La perception du changement ; IM = Introduction à la métaphysique ; CB = La philosophie de Claude Bernard ; WJ = Sur le pragmatisme de William James) ; Écrits philosophiques (2011) = EP (PP = Le problème de la personnalité ; CM = Conférence de Madrid sur l’âme humaine) [(n.s.) = nous soulignons].
  • [2]
    Même lorsqu’il s’agit d’une présence interprétative fictive qui n’est autre qu’une absence réelle, comme la distinction entre le monde intelligible et le monde sensible chez Platon. J. Laurent, La mesure de l’humain selon Platon, Paris, Vrin, 2002, p. 10.
  • [3]
    Bergson fait mention de l’argument dans son œuvre publiée dans sa recension des Principes de métaphysique et de psychologie de P. Janet, EP, p. 206-207 et dans l’EC, p. 284.
  • [4]
    H. Bergson, Cours de philosophie de 1886-1887 au lycée Blaise-Pascal de Clermont, Paris-Milan, Séha-Archè, 2010, p. 350 ; Cours I, Paris, Puf, 1999 2, p. 368 ; Cours de morale, de métaphysique et d’histoire de la philosophie moderne de 1892-1893 au lycée Henry-IV, Paris-Milan, Séha-Archè, 2010, p. 303 ; Cours III, Paris PUF, 1995, p. 76.
  • [5]
    Ibid., p. 68-69.
  • [6]
    Ibid., p. 87-91 ; p. 117-118 : Aux yeux de Bergson, la preuve ontologique n’est pas concluante chez Descartes, parce qu’il « n’identifie pas franchement le réel avec le possible », contrairement à Spinoza (qui pense l’existence comme existence mathématique, qui implique une saturation modale immédiate) et à Leibniz.
  • [7]
    H. Bergson, Histoire de l’idée de temps, (éd. C. Riquier) Paris, PUF, 2016, (HT) p. 285-301.
  • [8]
    Il y aura toujours quelque chose de grec en nous : la pente naturelle de l’intelligence qui cherche l’immobile dans le mobile et qui ne doit pas être la métaphysique implicite des sciences, le mécanisme (EC, p. 17 ; p. 313-315 ; p. 325 ; PM, I2, p. 65). Voir H. Gouhier, Bergson dans l’histoire de la pensée occidentale, Paris, Vrin, 1989 et l’excellent livre de C. Riquier, Archéologie de Bergson. Temps et métaphysique, Paris, PUF, 2009, p. 219-233.
  • [9]
    HT, p. 286.
  • [10]
    HT, p. 295.
  • [11]
    HT, p. 294.
  • [12]
    HT, p. 294-295.
  • [13]
    HT, p. 327.
  • [14]
    EC, p. 344-345.
  • [15]
    C. Riquier, op. cit., p. 25-117.
  • [16]
    EC, p. 135-137. Nous ne considérons pas ici la torpeur végétative. Sur la différence de nature et de direction entre l’intelligence (qui vise la matière inerte) et l’instinct (qui vise la vie), bien que provenant tous deux d’un même principe originaire vital, EC, p. 166-169. L’intuition est l’instinct devenu désintéressé et conscient de lui-même (EC, p. 177-178), bien que, au fond, ce soit l’instinct qui est originairement un rétrécissement de l’intuition (EC, p. 182-183), puisqu’il est le rétrécissement de l’intuition aux intérêts de l’espèce.
  • [17]
    PM, I2, p. 95.
  • [18]
    EC, p. 160.
  • [19]
    PM, PR, p. 103-104.
  • [20]
    EC, IX ; p. 50.
  • [21]
    EC, VI.
  • [22]
    PM, I2, p. 36.
  • [23]
    PM, IM, p. 197.
  • [24]
    PM, I1, p. 23.
  • [25]
    ES, CV, p. 4 ; PM, I2, p. 46.
  • [26]
    PM, I2, p. 45 ; IM, p. 188.
  • [27]
    Ibid., p. 30.
  • [28]
    PM, PC, p. 176.
  • [29]
    PM, IM, p. 187.
  • [30]
    PM, WJ, p. 249.
  • [31]
    EC, V.
  • [32]
    Ibid., p. 161-163.
  • [33]
    Ibid., p. 104 ; PM, I1, p. 14 ; PM, PC, p. 148.
  • [34]
    PM, I1, p. 19.
  • [35]
    PM, I2, p. 32.
  • [36]
    PM, CB, p. 235.
  • [37]
    PM, WJ, p. 246.
  • [38]
    EC, p. 239.
  • [39]
    PM, I2, p. 67.
  • [40]
    Ibid., I2, p. 73 ; p. 98 : « Étendre logiquement une conclusion, l’appliquer à d’autres objets sans avoir réellement (n.s.) élargi le cercle de ses investigations, est une inclination naturelle à l’esprit humain, mais à laquelle il ne faut jamais céder ».
  • [41]
    PM, PC, p. 148-149.
  • [42]
    PM, IM, p. 181
  • [43]
    Ibid., p. 202.
  • [44]
    Ibid., p. 181.
  • [45]
    C. Riquier, op. cit., p. 86-87.
  • [46]
    Ibid., p. 188-189.
  • [47]
    Ibid., p. 197.
  • [48]
    Ibid., p. 202.
  • [49]
    Ibid., p. 196.
  • [50]
    EC, p. 175.
  • [51]
    PM, I2, p. 67.
  • [52]
    PM, IM, p. 210.
  • [53]
    PM, I2, p. 48.
  • [54]
    EP, « Lettre de Bergson à J. de Tonquédec du 12 mai 1908 », p. 361-362.
  • [55]
    EC, p. 276.
  • [56]
    Ibid.
  • [57]
    PM, I2, p. 25.
  • [58]
    EC, p. 284.
  • [59]
    PM, PR, p. 107.
  • [60]
    Ibid., p. 110.
  • [61]
    Ibid., p. 111.
  • [62]
    ES, CV, p. 2.
  • [63]
    PM, IM, p. 227.
  • [64]
    ES, CV, p. 4.
  • [65]
    EP, PP, p. 429.
  • [66]
    PM, IM, p. 194-195.
  • [67]
    ES, CV, p. 6.
  • [68]
    EP, CM, p. 491.
  • [69]
    EP, PP, p. 432.
  • [70]
    EP, CM, p. 491-492.
  • [71]
    Ibid., p. 493 ; PM, PR, p. 116.
  • [72]
    PM, PR, p. 102.
  • [73]
    DS, p. 267.
  • [74]
    PM, PC, p. 210.
  • [75]
    Ibid., p. 211.
  • [76]
    DS, p. 258.
  • [77]
    Ibid. ; PM, I2, p. 48.
  • [78]
    DS, p. 269 ; voir les analyses capitales d’A. Feneuil, Bergson. Mystique et philosophie, Paris, PUF, 2011, p. 58-98.
  • [79]
    PM, IM, p. 208.
  • [80]
    PM, PC, p. 176.
  • [81]
    PM, IM, p. 210-211
  • [82]
    EC, p. 258.
  • [83]
    EP, CM, p. 524-525 ; p. 528.
  • [84]
    DS, p. 270 ; EP, PP, p. 438 ; CM, p. 529.
  • [85]
    DS., p. 240.
  • [86]
    DS, p. 238.
  • [87]
    Ibid., p. 244.
  • [88]
    DS, p. 242.
  • [89]
    DS, p. 244.
  • [90]
    DS, p. 245.
  • [91]
    DS, p. 246.
  • [92]
    DS, p. 247.
  • [93]
    DS, p. 255.
  • [94]
    DS, p. 260.
  • [95]
    Kant, Critique de la raison pure, A713-717 / B741-745.
  • [96]
    DS, p. 255.
  • [97]
    PM, PR, p. 99.
  • [98]
    DS, p. 259.
  • [99]
    DS, p. 256 ; EC, p. 321-322.
  • [100]
    DS, p. 257 ; p. 259.
  • [101]
    EC, p. 321.
  • [102]
    EC, p. 355-356.
  • [103]
    DS, p. 257.
  • [104]
    DS, p. 257.
  • [105]
    DS, p. 262.
  • [106]
    DS, p. 263.
  • [107]
    DS, p. 266.
  • [108]
    DS, p. 267.
  • [109]
    EC, p. 282.
  • [110]
    EC, p. 281.
  • [111]
    EC, p. 286-288.
  • [112]
    EC, p. 292.
  • [113]
    DS, p. 268.
  • [114]
    DS, p. 269.
  • [115]
    Ibid.
  • [116]
    DS, p. 270.
  • [117]
    DS, p. 271.
  • [118]
    DS, p. 338.
  • [119]
    EC, p. 267.
  • [120]
    DS, p. 278-279.
  • [121]
    Exode III, p. 14 ; J.-F. Marquet, « Durée bergsonienne et temporalité », in J.-L. Vieillard-Baron (coord.), Bergson. La durée et la nature, Paris, Puf, 2004, p. 89.
  • [122]
    PM, I1, p. 13.
  • [123]
    EC, p. 358-359.
  • [124]
    PM, IP, p. 140-141.
  • [125]
    EC, p. 360.
  • [126]
    PM, I2, p. 25 ; PC, p. 155.
  • [127]
    PM, WJ, p. 245-246.
  • [128]
    PM, IP, p. 141 ; PC, p. 163 ; p. 167.

Introduction : une histoire de l’absence en philosophie

1Faire une histoire de la philosophie à partir de l’absence constatée de certains concepts, de certaines notions, de certaines questions, de certains arguments, etc., à partir de ce qui ne se trouve pas dans une philosophie ou dans une pensée, pour en interroger les principes premiers ou les décisions originaires, pour les mettre explicitement en lumière, en sorte que, dans un double mouvement, apparaissent à la fois les conditions de possibilité et les conditions d’impossibilité de tel ou tel philosophème [2] ; bref, faire une histoire transcendantale de la philosophie, pour mettre au jour ce qui rend possible ou impossible tel énoncé au sein d’une philosophie, c’est ce que nous voulons tenter ici.

2Mais se dévoileront en retour et du même coup les conditions de possibilité et d’impossibilité d’un philosophème particulier, puisque se manifesteront alors les présupposés implicites ou explicites sur lesquels il repose a priori et qui le rendent possible ou impossible dans une philosophie. En effet, aucun philosophème, qui prend corps au sein d’une pensée philosophique, ne fonctionne seul, il tisse un halo plus ou moins délimité de relations avec d’autres philosophèmes : il y a là et toujours un holisme transcendantal de l’énonciation, qu’il soit systématique ou non. Jusqu’à quel point l’importation problématisante d’un philosophème plus ou moins extérieur à une philosophie dans cette philosophie même est pertinente et légitime, alors qu’il en est explicitement absent, seuls l’exercice empirique et expérimental de l’interrogation et ses résultats, a posteriori, permettront de légitimer le choix de rapprocher une pensée et une absence, de déclarer ce rapprochement pertinent ou absurde, opératoire ou arbitraire. Ainsi cette expérimentation en histoire de la philosophie, nous la tenterons en rapprochant la pensée de Bergson et l’argument ontologique. Pourquoi Bergson n’a-t-il ni voulu ni pu exploiter cet argument [3] ? Qu’est-ce qui rend impossible de jure son utilisation chez Bergson ? Que faut-il alors poser ou présupposer de jure pour que l’argument puisse advenir de facto ou non dans une philosophie ?

Anselme, mieux, Descartes

3Bergson, dans ses cours de lycée, perçoit une continuité entre les arguments d’Anselme et de Descartes, tout en déclarant que la version cartésienne est supérieure, plus profonde que celle d’Anselme, et qu’elle a trouvé son expression définitive chez le philosophe français [4]. À cette époque, la preuve de la Meditatio V est, pour Bergson, la preuve cartésienne par excellence. Ce primat de la preuve a priori et la résorption en elle de la preuve a posteriori vient de la méthode de Descartes, la mathesis universalis[5], en sorte que Dieu lui-même devient un objet de cette mathématique. Bergson considère que la preuve implique un passage analytique de la possibilité de Dieu comme pensabilité à son existence, en sorte que Dieu se voit soumis a priori au principe de non-contradiction comme principe de toute pensabilité, l’argument ontologique concernant cet étant pour lequel la possibilité comme pensabilité implique l’existence nécessairement et analytiquement, voire immédiatement pour l’esprit (per se nota) [6].

4En 1902-1903, dans son cours sur l’Histoire de l’idée de temps[7], Bergson perçoit dans la philosophie cartésienne non plus une unité systématique issue de la mathématique universelle et de la méthode algébrique, mais un antagonisme entre deux tendances, l’une exprimant l’intuition dans la durée, l’autre l’esprit de système. La durée est présente dans le commencement même de la philosophie cartésienne, à savoir dans l’ego en son caractère temporel et comme acte. Cela signifie que, aux yeux de Bergson, ce commencement est absolument non grec [8] et par là non moderne. Mais Descartes recule devant cet être de l’ego comme durée, en le rapportant à un concept immuable, Dieu, qui sert à synthétiser les moments discontinus du temps de l’ego et du monde, lesquels ne peuvent avoir aucun maintien dans l’existence sans lui [9]. Descartes pense l’être temporel de l’ego selon un préjugé discontinuiste [10] (comme spatialisation), il a donc besoin de quelque chose de plus solide [11] contre lequel l’appuyer pour le maintenir dans l’être [12].

5L’interprétation bergsonienne de Descartes a donc changé, puisque la preuve de la Meditatio V n’est plus la preuve cartésienne par excellence, il n’est plus question que de la preuve a posteriori, pour des raisons herméneutiques fondamentales issues de la lecture et de l’écriture de l’histoire de la philosophie depuis l’effort de l’intuition de la durée, intuition qui chez Descartes fait craquer la systématicité de la mathesis[13]. Ainsi cette preuve, bien qu’elle serve ici l’esprit de système, établit l’idée d’une création continuée, mieux continue [14], c’est-à-dire d’une durée. Il y a donc quelque chose de la durée qui déborde l’esprit de système au sein même de la nécessité intellectuelle de fondation [15].

Les conditions d’impossibilité de la preuve ontologique chez Bergson

1 – Les concepts solides et les concepts fluides

6Dans L’évolution créatrice, Bergson propose une genèse-généalogie de l’instinct-intuition et de l’intelligence à partir d’un unique principe vital, élan qui progresse en se dissociant en différentes directions (comme un obus ou une gerbe autour d’un même axe), les deux principales étant celle des insectes (instinct entouré d’une nébuleuse d’intelligence) et celle des vertébrés (intelligence entourée d’une nébuleuse d’instinct) [16]. Bergson va alors distinguer deux types de concept et de clarté.

71. Ou bien les concepts sont tout faits. Ils sont issus des besoins de l’intelligence et des habitudes contractées par elle pour favoriser l’action sur la matière inerte, ils sont des expressions sociales [17] et se déposent dans le langage, ils passent ensuite dans la spéculation, par la mobilité des mots qui libère l’intelligence des objets et lui permet de se tourner vers ses propres opérations, tout en maintenant les présupposés de l’action [18], à savoir le besoin normal d’immobilité, de la stabilité, de la maniabilité, de régularité, etc., extraites du flux du réel [19]. L’évolutionnisme vrai montre ainsi que les concepts de l’intelligence ne sont pas a priori, les cadres intellectuels ne sont pas préexistants, mais proviennent du mouvement évolutif de la vie qui a créé l’intelligence pour qu’elle serve l’action, en sorte qu’il est impossible de saisir la vie à partir de la seule intelligence puisqu’elle en est issue [20]. Les catégories sont donc des concepts produits à partir des solides, cadres qui leur conviennent ainsi qu’à la matière inerte, mais qui craquent lorsqu’il s’agit de penser le vivant [21], ces concepts s’appliquant exactement aux articulations de la matière [22].

82. Ou bien les concepts épousent les choses elles-mêmes en leur singularité, sont taillés pour elles, à partir de ce qui se donne d’elles dans une intuition [23]. Les concepts produits à partir de l’intuition seront des concepts nouveaux, puisqu’ils ne seront pas composés à partir d’idées élémentaires déjà connues, mais des concepts « cette fois taillés à l’exacte mesure de l’objet » [24]. S’il s’agit bien de concepts, ils peuvent être singuliers mais aussi généraux, mais d’une généralité issue des articulations du réel lui-même, ou des lignes de faits, qui nous donnent des directions où trouver progressivement la connaissance désirée, la certitude, en consolidant sa probabilité [25]. Ce seront des concepts souples, mobiles [26], épousant les articulations de la réalité comme durée réelle, qu’on obtiendra alors par cette méthode, en pensant intuitivement, en durée [27], sub specie durationis[28].

9Il ne faut donc pas partir d’un concept, au risque sinon de s’exposer d’abord à l’illusion de la saisie de la chose elle-même, alors que le concept présente des attributs impersonnels puisqu’il procède par abstraction, puis à un grand danger, dans la mesure où la généralisation déforme toujours la propriété dont le concept traite puisqu’elle doit pouvoir s’appliquer à une infinité de choses [29]. L’intelligence étudie, tandis que l’intuition investigue. La vérité ne peut donc plus être définie comme adéquation, puisqu’elle doit suivre « la direction […] marquée par la réalité même » [30].

10La première condition de l’argument ontologique – l’aprioricité ou l’innéisme – est neutralisée par Bergson, au nom d’une philosophie de la Vie et de la durée.

2 – Logique solide et logique assouplie

11Notre logique, intellectualiste, est une « logique des solides » [31], qui est à l’aise pour saisir les immobilités [32], mais ne suffit pas lorsqu’il est question de la durée et de la vie. Il ne s’agit toutefois pas de renoncer à cette logique ni de s’insurger contre elle, mais de l’assouplir, de l’élargir, comme les concepts [33] ; il faut les adapter à une durée où la nouveauté jaillit sans cesse et où l’évolution est créatrice [34], ressourcés dans et par l’intuition, pour autant qu’il y a un processus d’intellectualisation et de clarification de la clarté d’un concept souple grâce à son application pour dissoudre ou poser autrement les problèmes intellectuels [35]. Notre logique est une réplique des rapports fixes entre les solides, elle ne peut donc pas saisir par elle-même la mobilité. Il existe un « écart entre la logique de l’homme et celle de la nature » [36], en sorte que vouloir faire de la nature un tout systématique conceptuel soutenu par « une armature logique » [37], c’est ne pas voir que la réalité ne respecte pas en elle-même ces lois de la logique humaine, parce qu’elle est un flux. « La dialectique est nécessaire pour mettre l’intuition à l’épreuve, nécessaire aussi pour que l’intuition se réfracte en concepts et se propage à d’autres hommes ; mais elle ne fait, bien souvent, que développer le résultat de cette intuition qui la dépasse » [38]. La dialectique ou la logique assure ainsi au philosophe la cohérence de sa pensée, parce qu’il ne peut intuitionner continuellement. Grâce à la philosophie intuitive, une fois que nous avons aperçu intuitivement le vrai, « notre intelligence se redresse, se corrige, formule intellectuellement son erreur. Elle a reçu la suggestion ; elle fournit le contrôle » [39].

12La logique, comme manipulation de symboles, est « la logique immanente à nos langues, et [a été] formulée une fois pour toutes par Aristote : l’intelligence a pour essence de juger, et le jugement s’opère par l’attribution d’un prédicat à un sujet », qui est une liaison du stable (sujet) et du stable (prédicat) propre à la pente naturelle de notre intelligence [40]. Cette dernière produit alors des systèmes hypothético-déductifs qui entraînent nécessairement des antagonismes entre les systèmes, dans la mesure où un système reprend ce qu’un autre a laissé tomber, alors que nous devrions chercher une philosophie qui ne laisserait rien de côté, qui « aurait pris tout ce qui est donné, et même plus que ce qui est donné, car les sens et la conscience, conviés par elle à un effort exceptionnel, lui auraient livré plus qu’ils ne fournissent naturellement » [41].

13La deuxième condition de l’argument ontologique – le principe de non-contradiction comme principe a priori de toute pensabilité – est invalidée au nom du rapport entre intuition et concept.

3 – Analyse et intuition

14Bergson introduit la question de l’analyse à partir de l’identification souvent faite de l’absolu et de l’infini : un absolu (une chose, pas nécessairement Dieu) qui, vu intuitivement du dedans, est simple, sera, envisagé intellectuellement du dehors, comme décomposable, c’est-à-dire analysable, sans fin, à l’infini [42]. L’analyse est une succession de points de vue qui relie et compare l’objet avec d’autres objets déjà connus. Elle est donc une spatialisation de la durée. L’analyse est toujours une traduction qui jamais ne pourra atteindre l’essence unique d’un absolu. Il y a un aspect déceptif dans l’analyse, qui, ne pouvant sympathiser avec l’intériorité et la singularité de l’objet, s’épuise à tenter de regagner l’être de la chose. L’analyse ne peut atteindre la perfection de la chose, c’est-à-dire ce qu’elle est parfaitement en soi, elle est le symptôme de cette impossibilité de l’intelligence et du langage à voir directement l’essence unique et intérieure de la chose, puisque l’analyse opère sur l’immobilité [43].

15Si l’analyse est une recherche nécessairement déceptive, parce que spatialisante, de l’essence interne temporelle de la chose comme un absolu, elle est alors liée, au moins négativement, à l’intuition, qui, « si elle est possible, est un acte simple » [44]. L’analyse est le deuil d’une connaissance intuitive simple qui ne se fait pas par elle. Mais si l’analyse doit être liée à l’intuition, et si cette intuition est un approfondissement de ma propre intériorité, alors les autres choses qui ne sont pas moi, qui conservent ainsi une extériorité vis-à-vis de moi et qui sont étudiées par l’analyse, obligent l’esprit à analyser pour sympathiser le plus possible avec l’intériorité de ces choses [45]. Il ne s’agit donc pas tant, en métaphysique, de totalement séparer intuition et analyse, bien que celle-là transcende nécessairement celle-ci [46], que de les hiérarchiser [47], puisque « de l’intuition on peut passer à l’analyse, mais non pas de l’analyse à l’intuition » [48]. Il faut « une espèce d’auscultation spirituelle » comme méthode d’« un empirisme vrai », de « la vraie métaphysique », qui « se propose de serrer aussi près que possible l’original lui-même » [49]. L’enracinement de l’analyse dans une intuition qui la précède permet de produire « une analyse réelle (n.s.) » de l’objet, et non pas « une traduction de cet objet en termes d’intelligence » [50]. En revanche, l’analyse peut opérer légitimement dès lors que l’objet est découpé par l’intelligence, en des vues arrêtées sur lui (comme dans les sciences) ; il est donc loisible d’en analyser les éléments immobiles, il faut simplement ne pas être dupe de ce qu’elle restitue. « Comme le plongeur va palper au fond des eaux l’épave que l’aviateur a signalée du haut des airs, ainsi l’intelligence immergée dans le milieu conceptuel vérifiera de point en point, par contact, analytiquement, ce qui avait fait l’objet d’une vision synthétique et supra-intellectuelle » [51]. Ni l’analyse intellectuelle, ni la rationalité ne sont donc niées par Bergson, mais elles pré-supposent l’intuition pour ne pas délirer seules à partir de leurs propres problèmes et constructions au-delà de leur champ légitime d’application. Dès lors, l’analyse d’un concept ne pourra jamais donner une existence, qu’il s’agisse de la perfection ou du plus grand, puisqu’il faudrait une intuition.

16L’argument ontologique est ainsi le symptôme de la séparation mortifère entre intuition et analyse intellectuelle lorsque celle-ci croit suffire à l’appréhension de l’essence de l’objet, puisqu’il prétend faire l’économie de toute expérience empirique au sens élargi, du violent effort de dilatation de ma propre durée, accédant par là sympathiquement à l’intériorité de la chose et suivant soit vers le bas (matérialité comme pure répétition) soit vers le haut (l’éternité comme resserrement et intensification d’une durée) les différentes durées, dilatation par laquelle nous nous transcendons nous-mêmes [52].

17La troisième condition de l’argument ontologique – l’analyticité – est invalidée au nom de la subordination de l’analyse à l’intuition.

4 – Le néant, le possible et le réel

18L’intelligence, dans toute la métaphysique, a eu tendance à dogmatiser à partir de concepts purs déposés dans le langage, engendrant ainsi nécessairement l’idée que la philosophie devait être systématique et qu’elle avait dès lors besoin d’un premier principe – Dieu comme synthèse – pour fonder la déduction rationnelle a priori de la totalité du réel [53]. Or, les concepts, en tant que pensables, sont des possibles, qui présupposent illusoirement leur préséance sur le réel, alors même que, pour autant que ce dernier est durée, imprévisibilité, c’est bien plutôt le possible qui présuppose le réel. Les différentes versions de l’argument ontologique (sauf celui du Schelling de la philosophie de l’Identité et, à sa suite, celui de Hegel, qui neutralisent la figure de la subjectivité finie) impliquent une certaine extériorité du concept ou de la possibilité de Dieu vis-à-vis de son existence, en sorte qu’il faille rejoindre par analyse l’existence de Dieu à partir de son seul concept ou de sa pure pensabilité a priori : c’est là une adéquation parfaite entre le concept et l’existence, en sorte que l’inexistence possible de Dieu devient une impossibilité. Mais si ce qui est premier, c’est l’immédiatement donné dans l’effort de l’intuition, s’il précède tout possible, alors il ne peut plus y avoir de concept a priori ou inné de l’essence de Dieu, et l’existence de Dieu ne peut plus se déduire à partir du seul principe de non-contradiction. La réalité même de Dieu doit se donner dans une expérience, pour être reprise dans une analyse conceptuelle. Bref, le réel comme durée précède le possible, qui n’en est que la création rétroactive, en sorte que, toujours, il y a Dieu, et ce il y a absolu neutralise le faux problème du néant [54] et la question de la raison de son existence, c’est-à-dire qu’il neutralise le principe de raison.

19Le primat épistémique et ontologique de l’existence logique sur l’existence physique et surtout psychologique [55] provient de la pente naturelle de l’intelligence 1° à chercher l’existence dans le stable, ici dans l’immuabilité éternelle, et 2° à penser l’existence comme s’arrachant du néant, exigences que seule une existence logique peut satisfaire, puisque a) elle est éternelle, et que donc b) elle existe toujours. La réalité véritable étant pour l’intelligence l’immuabilité éternelle, il faut poser une existence logique qui se pose éternellement elle-même, qui se suffit à elle-même (A = A). Qu’il s’agisse ici du principe d’identité pensé comme principe d’auto-position provient de cette tendance de l’intelligence à la répétition, le sujet (stable) se répétant à l’identique dans le prédicat (stable). Cette auto-position est donc issue de la force immanente à la vérité, puisque cette vérité étant éternelle (A = A) elle entraîne d’elle-même la position éternelle de son existence. Cette existence logique est ainsi l’identité de la possibilité et de l’effectivité, c’est-à-dire la nécessité éternelle [56] et elle inclut potentiellement et déductivement un panthéisme et un déterminisme [57]. Ainsi la métaphysique a besoin de l’argument ontologique, qui sature analytiquement la possibilité par l’existence dans la nécessité, afin de vaincre le néant qu’elle pose en premier lieu pour penser l’existence, et cela en vertu d’une dévaluation ontologique de l’existence temporelle. Se dégager de cette illusion du néant, c’est donc pouvoir développer une pensée de l’existence non-logique, mais vivante, de l’Absolu.

20Pour prouver que le néant ou l’irréalité d’un objet est plus que son existence, Bergson utilise de manière détournée la destruction de la preuve ontologique par Kant [58]. Comme « être n’est manifestement pas un prédicat réel, c’est-à-dire un concept d’une chose quelconque qui puisse échoir au concept d’une chose ; il est simplement la position d’une chose ou de certaines déterminations en soi » (A 598 / B 627) et comme il n’y a aucune différence entre le contenu réel d’un objet possible et son contenu en tant qu’effectivité (en distinguant Realität et Wirklichkeit), cette dernière n’ajoute rien du point de vue du contenu. Maintenant représentons-nous un objet A tout seul : en vertu de cette identité de contenu réel entre le possible et le réel, nous devrons nécessairement lui attribuer une existence. Ainsi se le représenter inexistant présuppose deux gestes de l’esprit : d’abord de le penser comme existant, puisque l’existence n’ajoute rien au contenu du concept de l’objet, et ensuite de l’exclure du champ de la réalité en bloc par une réalité qui le supplante. Ce n’est donc pas la non-compossibilité des possibles qui est en premier lieu considérée, mais la non-co-existence des réalités. L’objet pensé d’abord tout seul est donc nécessairement pensé comme existant, puis il est pensé comme inexistant à partir du tout de la réalité et par une réalité qui l’exclut du champ de l’existence comme co-existence des existences : il obtient alors un autre mode d’existence, l’existence possible ou idéale. Étant donné que seul l’objet A nous intéresse, nous faisons abstraction de la réalité qui cause son exclusion et qui est pourtant là implicitement : il y a donc toujours quelque chose. Si l’on exclut à son tour cette réalité qui supplante cet objet A, ce dernier sera à nouveau représenté comme existant : il y a donc une tendance des possibles à être, non pas en tant que tels (comme chez Leibniz), mais parce qu’ils sont pensés comme possibles et inexistants à partir de la représentation de leur existence première.

21Le néant est donc une suppression accompagnée d’une substitution [59]. L’idée de néant implique plus que l’idée d’existence, puisqu’il faut présupposer l’existence plus l’acte intellectuel de sa négation, comme il y a plus dans le possible que dans le réel, dans la mesure où le possible est « un acte [rétroactif et rétrospectif] de l’esprit qui en projette l’image dans le passé une fois qu’il s’est produit [60] ». Il faut distinguer trois sens de la possibilité : 1° la possibilité contextuelle, 2° la causalité et 3° l’idéalité. La réalité imprévisible, créatrice (ni la répétition de la matérialité ni la fabrication) aura toujours été possible dès lors qu’elle est effectivement advenue, mais elle n’est pas possible avant cette advenue. Le possible n’est donc pas comme « un fantôme qui attend son heure » [61], mais il est la réalité plus l’acte de la rejeter dans le passé. C’est une illusion intellectuelle de croire que la possibilité éternelle toute faite attend son actualisation. Or l’argument ontologique présuppose la possibilité de nier ou de douter de l’existence de Dieu ; il vise donc à rendre impossible la possibilité première de l’inexistence de Dieu. Mais s’il y a toujours de l’être, et si cet être est Dieu, alors il y a Dieu, en sorte qu’en nier l’existence présupposerait son existence et son exclusion de la réalité par une réalité supérieure, ce qui est absurde. Comment dire que Dieu n’est pas, si l’inexistence suppose l’exclusion d’une réalité par une autre réalité hors de l’effectivité et sa projection dans le champ de l’idéalité et de la possibilité ?

22Si c’est le réel divin qui se donne en premier lieu comme existant dans une expérience qui ne peut être délimitée a priori, dans la mesure où la critique de la pensée ou de l’esprit se fait a posteriori, au sein du déploiement de l’expérience elle-même [62], alors les concepts souples qui devront dire analytiquement et symboliquement Dieu seront taillés sur mesure, de telle sorte qu’il ne peut plus être question d’une preuve a priori de l’existence de Dieu, puisque Dieu se donne dans un pur il y a éternel à travers l’expérience privilégiée des mystiques. Le concept a priori de la preuve ontologique est un concept singulier non-compréhensif et non-souple, incapable cependant d’épouser l’éternité de vie qu’est Dieu.

23La quatrième condition de l’argument ontologique – la possibilité de l’inexistence – est invalidée au nom de la préséance, au sein même de la représentation, du réel sur le possible, et de la plénitude de l’être.

« L’expérience intégrale » [63]

1 – Personnalité et éternité

24« Qui dit esprit dit, avant tout, conscience » [64], qui suppose la mémoire totale, comme « conservation et accumulation du passé dans le présent », et anticipation de l’avenir, en sorte qu’elle se déploie indivisiblement, substantiellement et mélodiquement en ces trois ekstases du temps. Alors qu’une personnalité est réellement « tout d’une pièce » [65], la philosophie intellectualiste pense la personne soit comme une unité vide qui synthétise la multiplicité empirique des états de fait de la conscience (rationalisme), soit comme une pure multiplicité d’états psychologiques (empirisme) [66]. La conscience est donc « un trait d’union entre ce qui a été et ce qui sera, un pont jeté entre le passé et l’avenir » [67]. En vertu de ce lien au futur, une personne est capable, par sa volonté qu’elle est[68], de tirer de soi plus que ce qu’elle a et que ce qui est effectivement [69], le sens et le but de sa vie étant d’introduire de l’indétermination, de la nouveauté, de l’imprévisibilité dans le monde matériel calculable, bref de créer [70]. C’est en créant une œuvre viable et durable qu’un homme tire une joie qui « doit être quelque chose de semblable à la joie divine (n.s.) » [71] ; la création qui lui procure la plus grande joie est la création de soi-même par soi-même, le fait de créer volontairement la nature de son être [72].

25Dieu est une personne[73] ; il est donc une durée, celle de l’éternité qui n’est plus séparée du temps, mais qui est le resserrement de la durée sur elle-même [74]. Si la dilatation de notre durée nous permet d’accéder à la limite qu’est la matérialité comme pure répétition, son resserrement nous permet d’expérimenter la durée comme éternité [75]. Que serait alors une personne éternelle, s’il y a un resserrement de la durée sur elle-même, si le passé semble ne plus pouvoir faire boule de neige en s’incorporant au présent et en projetant un avenir ouvert ? À quelle condition Dieu, pour autant qu’il éprouve de la joie, peut-il se créer soi-même par soi-même, une sorte de causa sui inventive de Soi ?

26Cette nécessité de penser Dieu comme une personne apparaît dans le Dieu intellectualiste, qui, comme principe ou fondement synthétique immuable et éternel, est un Dieu tellement défiguré parce que tellement impersonnel qu’il faut lui donner des attributs, comme la bonté ou la justice par exemple, qui contredisent pourtant la rigueur de son concept comme position principielle et fondationnelle dans l’ordre systématique de l’être et du savoir, afin qu’il ressemble un peu au Dieu ou aux divinités auxquels l’humanité croit [76]. Il y a un tel écart entre le Dieu des philosophes intellectualistes et le Dieu « auquel pensent la plupart des hommes que si, par miracle, et contre l’avis des philosophes, Dieu ainsi défini descendait dans le champ de l’expérience, personne ne le reconnaîtrait » [77] – défiguration qui en rend impossible la reconnaissance. En fabriquant un concept de Dieu auquel devrait correspondre le Dieu réel, la philosophie intellectualiste défigure nécessairement le Dieu effectif qui se donne dans sa relation à l’humanité, parce qu’elle présuppose que pour le penser existant il faut en avoir a priori un concept, la déformation conceptuelle de Dieu venant donc de l’illusion de la préséance du possible sur le réel. Le recours à une théologie révélée à côté de la théologie rationnelle serait ainsi le signe de la différence entre le Dieu de l’expérience et le Dieu du pur concept.

27Si la personnalité est une histoire et une mélodie indivisibles, elle est plus fondamentalement encore une émotion unique, qui a toujours été là [78]. Cette émotion est ce resserrement de la durée en un unique point éternel. Dès lors qu’il est question de la durée, l’éternité ne peut plus être pensée comme une « éternité de mort » [79], dont l’essence consiste à être immobile, au-dessus et en dehors du temps, mais comme une éternité de vie. En m’enfonçant de plus en plus dans ma durée réelle, je me replace de plus en plus « dans la direction du principe, pourtant transcendant (n.s.), dont nous participons et dont l’éternité ne doit pas être une éternité d’immutabilité, mais une éternité de vie : comment, autrement, pourrions-nous vivre et nous mouvoir en elle ? In ea vivimus et movemur et sumus » [80]. L’éternité est donc

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une durée qui se tend, se resserre, s’intensifie de plus en plus […]. Non plus l’éternité conceptuelle, qui est une éternité de mort, mais une éternité de vie. Éternité vivante et par conséquent mouvante encore, où notre durée à nous se retrouverait comme les vibrations dans la lumière, et qui serait la concrétion de toute durée comme la matérialité en est l’éparpillement. Entre ces deux limites extrêmes l’intuition se meut, et ce mouvement est la métaphysique même. [81]

29Cette éternité est donc une réalité mobile, elle est une éternité en train de se faire, non une éternité toute faite, conceptuelle et immobile.

30Dieu, en tant que personne, est donc une émotion unique : il est amour, mais il n’est ni fondement ni principe. L’émotion unique simplifie et intensifie la multiplicité-une ou l’unité-multiple du moi profond [82] (comme histoire personnelle ininterrompue) en un point supra-intellectuel, qui est une exigence de création. Le moi profond présuppose ainsi une personnalité plus profonde encore parce qu’elle implique l’unité absolue de l’émotion originaire, qui va colorer tous les actes, toutes les paroles, toutes les créations du moi profond comme création de soi par soi. Dans la création continue de Dieu apparaîtra cette émotion éternelle de l’amour comme relation et comme lien à l’humanité. Cette émotion se déploie comme effort continu de création de soi par soi et de l’univers, sans pourtant se fatiguer d’être soi-même [83], précisément parce que Dieu est personnalité éternelle, c’est-à-dire la durée resserrée sur elle-même, en sorte que Dieu ne peut s’absenter de lui-même (comme l’amnésique) et qu’il ne cesse de créer, dans un dépli historique de sa personnalité, en tant qu’il est émotion unique, amour. Dieu, en tant que lien, nous aime et a besoin de nous, précisément pour aimer ; il crée ainsi des créateurs, des êtres libres [84], dignes de lui, il est le grand Artiste qui produit d’autres artistes. Pourquoi Dieu crée-t-il le monde ? Parce qu’il est amour, relation : cela implique la création d’une altérité à aimer, de telle sorte que Dieu est nécessairement transcendant, dans la mesure où, par amour, il crée cette altérité véritablement autre que lui, dont il a besoin et qui doit être composée d’êtres libres qui l’aiment en retour. Sans cette définition du Soi de Dieu comme amour, le bergsonisme ne serait pas loin d’être un spinozisme. Dieu comme création de soi par soi, comme causa sui inventive, est donc en même temps amour, c’est-à-dire création de cette altérité. Dieu, en tant qu’esprit, crée plus que ce qu’il a, il est excès amoureux.

2 – Le mystique complet et le Dieu des philosophes

31Le mystique complet, le grand mystique chrétien [85], qui n’en reste pas à la pure contemplation extatique, mais qui agit, crée et aime [86] (d’où sa complétude [87]), fait l’expérience volontative de Dieu, dans un rapport de personne à personne, au sens où il ne perd pas sa personnalité dans cette identification de sa volonté avec celle de Dieu [88]. Pour lui, peu importe au fond que le principe soit la cause transcendante ou pas ; il se sent pénétré par un être qui peut immensément plus que lui, qui le pénètre sans que sa personnalité s’y absorbe [89]. Son âme et sa volonté, bref sa liberté se font instrument de la volonté divine [90], et Dieu agit à travers lui. Les mystiques sont élevés « au rang des adjutores Dei, patients par rapport à Dieu, agents par rapport aux hommes » [91]. Le grand mystique n’en reste pas au discours, comme le mystique contemplatif, il déploie la volonté divine dans son action même : le mystique est alors amour de toute l’humanité, puisque la volonté de Dieu comme amour de l’humanité est devenue sa propre volonté. Le mysticisme est donc cette expérience de Dieu, de son existence et de sa nature – il ne s’agit pas d’une conclusion plus ou moins probable issue d’un raisonnement, mais d’une certitude [92] :

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Si le mysticisme est bien ce que nous venons de dire, il doit fournir le moyen d’aborder en quelque sorte expérimentalement le problème de l’existence et de la nature de Dieu. Nous ne voyons pas, d’ailleurs, comment la philosophie l’aborderait autrement. D’une manière générale, nous estimons qu’un objet qui existe est un objet qui est perçu ou qui pourrait l’être. Il est donc donné dans une expérience, réelle ou possible. Libre à vous de construire l’idée d’un objet ou d’un être, comme le fait le géomètre pour une figure géométrique ; mais l’expérience seule établira qu’il existe effectivement en dehors de l’idée ainsi construite. [93]

33Si toute existence se donne dans une expérience réelle ou possible – et ce dernier point est capital, puisque les mystiques sont des privilégiés qui indiquent cependant une expérience possible en droit pour tous les autres hommes [94] –, et si l’expérience de fait délimite a posteriori l’expérience possible, c’est seulement à partir de l’expérience de son existence qu’il sera possible de produire un concept de Dieu, non l’inverse. L’argument ontologique ne permet donc pas d’accéder à l’existence de Dieu, puisqu’il n’est qu’une construction intellectuelle [95], c’est-à-dire une saturation géométrique entre la possibilité et l’effectivité. Même si on est libre de construire par raisonnement le concept d’un tel Être et de dire qu’il existe, tant qu’il reste inaccessible à l’expérience, la question demeure de savoir si cet Être, « ainsi défini, ainsi démontré, est bien Dieu » [96], le réel ajoutant toujours un excès d’imprévisibilité sur le simple possible [97]. Le concept de Dieu – le plus grand, le parfait, etc. – ne pourra jamais donner Dieu en son existence, c’est-à-dire Dieu en tant que Dieu, seule une expérience le peut, qui a lieu dans le mysticisme. Et Dieu en tant que Dieu est un Dieu personnel qui est en relation à nous (d’où les prières, les invocations [98], etc.) ; l’Être intellectualiste ne peut être personnel, il ne peut être qu’une variation du Dieu d’Aristote, « adopté avec quelques modifications par la plupart de ses successeurs » [99].

34L’intelligence a besoin de stabilité et d’immobilité, en sorte que l’Être suprême n’est autre que l’ontologisation et la théologisation d’idées originairement pratiques et sociales. C’est diviniser le social, puisque Dieu est l’Idée des Idées (synthèse de toutes les Idées), bref il n’est qu’une Idée, originairement sociale et langagière, immuable, éternelle, morte. Si l’être est l’immuable, et si l’être est pensé comme immobilité, alors Dieu est le degré le plus haut de l’être, il est perfection, vers laquelle tendent tous les autres étants qui sont des moindres êtres [100]. L’action de l’éternité n’est donc pas une création, mais une présence immuable de la perfection qui met en mouvement les autres étants qui cherchent à atteindre en elle leur plein être idéal. Dieu est donc Pensée de la Pensée, comme perfection et souverain Bien. Aristote est celui qui, en évacuant toute dimension mythique (encore présente dans le Timée), produit cette figure d’un Dieu purement intelligible, qui n’agit pas volontairement, qui ne crée pas, qui n’a aucun rapport aux hommes, qui n’est pas personnel, et qui n’agit que par l’attrait de la présence de sa perfection, ou, s’il crée, c’est en s’inclinant vers le monde, en déversant hors de lui les Idées platoniciennes [101]. Il est une pure Idée, une pensée-objet, plutôt qu’une pensée-sujet, car il est cette synthèse éternelle de toutes les Idées [102] ; il devient un concept [103], c’est-à-dire qu’il est soumis a priori au principe de non-contradiction qui délimite logiquement le champ de son intelligibilité, en sorte que la liberté et la création sont exclues de ce concept. C’est à ces conditions que la théologie peut apparaître comme une partie de la métaphysique : « Le Dieu d’Aristote n’a rien de commun avec ceux qu’adoraient les Grecs ; il ne ressemble guère davantage au Dieu de la Bible, de l’Évangile » [104], il n’est que l’expression de la saisie rationnelle, intellectuelle de Dieu comme principe d’explication du rapport hiérarchique entre l’être immobile et le quasi-non-être mobile.

35Or la preuve ontologique, comme preuve a priori de l’existence de Dieu, est inutile dès lors que son existence se donne dans l’expérience des grands mystiques, que cette expérience ne cesse de se confirmer et dans la mesure où il existe entre eux « une identité d’intuition qui s’expliquerait le plus simplement par l’existence réelle de l’Être avec lequel ils se croient en communication » [105]. Néanmoins la philosophie ne pourra établir ici qu’une probabilité de plus en plus certaine grâce à la méthode par recoupement. L’expérience intuitive mystique, si elle est réservée à quelques-uns, doit pouvoir établir une probabilité forte en métaphysique, qui équivaille pratiquement à une certitude, en faveur de l’existence et de la nature de Dieu comme amour, pour autant que « la rencontre, chez les mystiques, de cette expérience telle qu’on l’attendait, permettrait alors d’ajouter aux résultats acquis, tandis que ces résultats acquis feraient rejaillir sur l’expérience mystique quelque chose de leur propre objectivité. Il n’y a pas d’autre source de la connaissance que l’expérience » [106]. Il ne s’agit donc pas, en philosophie, de renoncer à la conceptualisation et au langage, mais d’intellectualiser et d’objectiver l’expérience mystique de Dieu en la liant aux résultats déjà obtenus, en particulier ceux de L’évolution créatrice, et en tentant de l’exprimer par des métaphores, des images et à travers des concepts souples. Il faut donc prendre le mysticisme à l’état pur, « pour en faire un auxiliaire puissant de la recherche philosophique » [107].

3 – Dire l’indicible

36Le mystique affirme positivement que Dieu est et ce qu’il est, « il n’a aucune vision de ce que Dieu n’est pas » [108]. La théologie négative est une voie interdite pour penser Dieu, dans la mesure où Dieu se donne dans la plénitude de sa réalité à travers l’expérience intuitive et volontative mystique. Le refus par Bergson de toute théologie négative provient de sa critique du néant et de la positivité nécessaire de la saisie intuitive de la durée : l’ineffabilité de Dieu n’engendre une théologie négative que pour l’intelligence, l’inexprimable étant bien plutôt le signe que la connaissance intuitive mystique est supra-intellectuelle, comme l’est d’ailleurs toute intuition. Dans une expérience, il n’y a jamais de perception d’une absence (ni même une intellection d’une absence, dès lors qu’une intelligence en tant que telle n’a ni regret ni désir [109]), mais seulement d’une présence, puisque l’absence suppose la déception de ce que l’on attendait ou de ce dont on se souvenait (suppression), en oubliant qu’une réalité a pourtant pris sa place (substitution) [110]. Prétendre parler de Dieu par voie négative, c’est utiliser la négation comme ce qui nie l’existence de Dieu ou de l’un de ses attributs, ici en écartant ce qui s’y substitue positivement, à savoir une affirmation possible – ce qui est absurde, à propos de l’existence de Dieu, s’il est le il y a absolu qui neutralise ultimement l’idée de néant [111].

37En outre, le mystique ne peut nier quelque chose de Dieu si la négation doit servir à juger un jugement, c’est-à-dire à avertir pédagogiquement d’une erreur possible – ce que peut certes faire le philosophe, mais non celui qui fait l’expérience de Dieu – afin de substituer un jugement affirmatif à un autre jugement affirmatif. Or le mystique complet ne cherche pas à convaincre théoriquement, il agit ; il n’a donc pas à utiliser le jugement négatif qui sert pédagogiquement et socialement à avertir quelqu’un ou soi-même d’une erreur ; c’est donc la réalité même qui se donne dans l’expérience mystique : « L’inexistence de l’inexistant ne s’enregistre pas » [112].

38Comment définir alors conceptuellement et langagièrement Dieu tel qu’il se donne dans l’expérience mystique et qui reste, en tant que tel, inexprimable ? L’expérience mystique permet d’établir l’existence et la nature de Dieu comme amour. Le sublime amour, cette émotion unique et éternelle qui est la personne même de Dieu, et qui pour le mystique en est l’essence, ne peut donc être approché par le philosophe que par analogie, en usant de son émotion directe comme écrivain [113], pour lequel existent deux types de compositions : 1° soit un réaménagement des idées et des concepts, bref des mots, et il n’y aura ici rien d’absolument neuf, « ce ne sera qu’un accroissement du revenu de l’année ; l’intelligence sociale continuera à vivre sur le même fonds, sur les mêmes valeurs » ; il y aura nécessairement un résultat puisqu’il s’agit d’une re-composition à partir du déjà-fait ; 2° soit l’écrivain remonte du plan intellectuel et social, du déjà-fait, « jusqu’en un point de l’âme d’où part une exigence de création » : il s’agit donc de passer du plan au point, c’est-à-dire d’un resserrement de l’âme en « une unique émotion, ébranlement ou élan reçu du fond même des choses » [114], où il n’y a plus de mots et où guette alors l’échec. Fonds contre fond. L’écrivain devra alors dire l’indicible, exprimer dans des mots sociaux tout faits cette unique émotion, cette « forme qui voudrait créer sa matière » [115] (les mots) mais ne le peut pas. « Il faudra violenter les mots, forcer les éléments ». À cette seconde méthode de composition littéraire, « à l’image qu’elle peut donner d’une création de la matière par la forme, devra penser le philosophe, pour se représenter comme énergie créatrice l’amour où le mystique voit l’essence même de Dieu » [116]. Le philosophe qui, en tant que tel, n’est pas mystique, est au moins écrivain, et peut analogiquement se représenter le Dieu d’amour dont le mystique fait l’expérience à travers la seconde méthode de composition littéraire.

39Le mystique, par son expérience, son enthousiasme et son témoignage, suggère au philosophe une idée à laquelle il rattache son expérience supra-intellectuelle comme écrivain, et qu’il va pousser jusqu’au bout, celle « d’un univers qui ne serait que l’aspect visible et tangible de l’amour et du besoin d’aimer, avec toutes les conséquences qu’entraîne cette émotion créatrice » [117], à savoir des êtres vivants qui sont les compléments de cet amour, qui pourraient le combler, la fonction essentielle de l’univers étant d’être « une machine à faire des dieux » [118]. Le mystique serait le prolongement d’une des directions de la vie – l’intuition –, au-delà de l’humanité commune, mais il n’est ni l’humanité complète, ni la réalisation du sur-homme [119].

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Comment ne pas voir que, si la philosophie est œuvre d’expérience et de raisonnement, elle doit suivre la méthode inverse, interroger l’expérience sur ce qu’elle peut nous apprendre d’un Être transcendant à la réalité sensible comme à la conscience humaine, et déterminer alors la nature de Dieu en raisonnant sur ce que l’expérience lui aura dit ? La nature de Dieu apparaîtra ainsi dans les raisons mêmes qu’on aura de croire à son existence : on renoncera à déduire son existence ou sa non-existence d’une conception arbitraire de sa nature [120].

41Si Dieu est une personne, s’il est création par excès, c’est pourtant le philosophe qui, à partir de l’expérience mystique du divin, définit Dieu comme amour et comme personne. La personne est une multiplicité une et hétérogène impensable par l’intelligence elle-même. C’est peut-être cet emmêlement de l’unité et de la multiplicité qui permet de penser à la fois Dieu comme Un et comme Créateur, puisqu’il ne cesse de conserver son unité émotionnelle tout en se déployant éternellement dans sa création. Le Dieu personnel et créateur n’est-il pas au fond cette création perpétuelle de soi par soi et de l’autre par amour, capable d’une joie éternelle, parce qu’il serait Celui dont le nom est Je serai qui je serai ? N’est-il pas ce « pur futur » [121], si, « dans la durée, envisagée comme une évolution créatrice, il y a création perpétuelle de possibilité et non pas seulement de réalité » [122] ?

42Ainsi ce que Bergson a tenté de saisir à travers le témoignage de l’expérience mystique c’est la personnalité de Dieu, qui précède expérientiellement son essence, en sorte que l’essence est neutralisée par une résorption immédiate de l’existence dans la personnalité. Le rejet bergsonien de la preuve ontologique tourne autour de la tentative de saisir la personnalité de Dieu, au-delà et avant son essence.

Conclusion : l’oubli du soi

43Nous avons mis au jour chez Bergson quatre conditions d’impossibilité de l’argument ontologique. Il accepte la destruction kantienne de la preuve ontologique, mais il refuse la limitation a priori de l’expérience en sorte que l’intuition ne serait que sensible [123], parce que Kant n’a pas pu penser le temps comme durée [124], il n’a pas su saisir les faits « dans leur jaillissement même », il les a pris « une fois jaillis », il n’a pas creusé « au-dessous de l’espace et du temps spatialisé […]. Et pourtant c’est bien sous ce plan que notre conscience nous place ; là est la vraie durée » [125]. Limiter l’expérience à la sensibilité structurée par la spontanéité de l’entendement et par les catégories comme toujours du déjà-donné, c’est ne pas voir que l’intuition approfondie de l’esprit peut certes être traduite par l’intelligence, mais qu’elle n’est pas infra-intellectuelle (comme l’intuition sensible chez Kant en tant que matière in-formée et catégorialisée), mais bien supra-intellectuelle (il ne peut donc s’agir d’une intuition intellectuelle [126]). La métaphysique doit être un empirisme, mais l’expérience ne peut être délimitée à l’avance par une catégorialisation a priori de la réalité à partir de la spontanéité de l’entendement, elle seule peut indiquer en son propre déploiement jusqu’où elle peut aller, et cela parce que le temps est durée et non forme a priori de la sensibilité [127]. Si l’effort d’intuition permet d’accéder aux choses elles-mêmes, et si la substantialité est le mouvant et le changement, c’est-à-dire une substance sans support, sans mobile [128], alors notre connaissance n’est plus relative, déceptive et extérieure aux choses, elle est vision plus directe, sympathisante et intuitive, des choses telles qu’elles sont en soi. Il faut dépasser par un effort intuitif les catégories produites spéculativement par l’intelligence, il faut donc dire adieu à la preuve ontologique comme pure production intellectuelle sans enracinement intuitif. En rendant impossible l’argument ontologique, le bergsonisme ne dénie pas la possibilité d’un concept de Dieu, mais il ne peut jamais être a priori, car c’est cette aprioricité qui défigure Dieu en son existence et sa nature, puisqu’il est une personne.

44Dans la preuve ontologique, il s’agit de passer analytiquement de la possibilité ou de l’essence à l’existence à partir de la pensabilité pour autant qu’elle respecte le principe de non-contradiction. Certes la preuve n’a pas pour but de saisir la personnalité de Dieu, mais c’est présupposer que son essence et son existence peuvent être pensées en faisant abstraction de cette personnalité. Si, dans l’expérience mystique de Dieu, c’est la personnalité qui se donne d’emblée, alors essence et existence se résorbent entièrement en elle et l’argument est neutralisé. En effet, qu’est-ce que Dieu s’il n’est plus ou pas encore un Soi ?

45L’argument ontologique est donc pré-défini et pré-délimité par un type particulier de question, à savoir celle qui interroge l’existence à partir d’une préséance de l’essence : « que doit être essentiellement Dieu pour qu’il existe nécessairement ? ». Cette double question ne peut se poser qu’en faisant l’économie de la question portant sur la personnalité de Dieu : qui est-il ? mieux : qui es-tu ? C’est donc l’effacement de la personne et de la personnalité divines de Dieu qui rend possible l’argument ontologique dans une philosophie ; il n’est possible que par un oubli du Soi : on connaît l’essence d’une chose ou d’un être, on reconnaît une personne.


Date de mise en ligne : 15/04/2021

https://doi.org/10.3917/eph.682.0005

Notes

  • [1]
    Nous citons les œuvres de Bergson à partir de l’édition critique publiée sous la direction de F. Worms (Paris, PUF, 2007-2011) : Matière et mémoire = MM ; L’évolution créatrice (2007) = EC ; Les deux sources de la morale et de la religion (2008) = DS ; L’énergie spirituelle (2009) = ES (CV = La conscience et la vie) ; La pensée et le mouvant (2009) = PM (I1 = Introduction (Première partie) ; I2 = Introduction (Deuxième partie) ; PR = Le possible et le réel ; IP = L’intuition philosophique ; PC = La perception du changement ; IM = Introduction à la métaphysique ; CB = La philosophie de Claude Bernard ; WJ = Sur le pragmatisme de William James) ; Écrits philosophiques (2011) = EP (PP = Le problème de la personnalité ; CM = Conférence de Madrid sur l’âme humaine) [(n.s.) = nous soulignons].
  • [2]
    Même lorsqu’il s’agit d’une présence interprétative fictive qui n’est autre qu’une absence réelle, comme la distinction entre le monde intelligible et le monde sensible chez Platon. J. Laurent, La mesure de l’humain selon Platon, Paris, Vrin, 2002, p. 10.
  • [3]
    Bergson fait mention de l’argument dans son œuvre publiée dans sa recension des Principes de métaphysique et de psychologie de P. Janet, EP, p. 206-207 et dans l’EC, p. 284.
  • [4]
    H. Bergson, Cours de philosophie de 1886-1887 au lycée Blaise-Pascal de Clermont, Paris-Milan, Séha-Archè, 2010, p. 350 ; Cours I, Paris, Puf, 1999 2, p. 368 ; Cours de morale, de métaphysique et d’histoire de la philosophie moderne de 1892-1893 au lycée Henry-IV, Paris-Milan, Séha-Archè, 2010, p. 303 ; Cours III, Paris PUF, 1995, p. 76.
  • [5]
    Ibid., p. 68-69.
  • [6]
    Ibid., p. 87-91 ; p. 117-118 : Aux yeux de Bergson, la preuve ontologique n’est pas concluante chez Descartes, parce qu’il « n’identifie pas franchement le réel avec le possible », contrairement à Spinoza (qui pense l’existence comme existence mathématique, qui implique une saturation modale immédiate) et à Leibniz.
  • [7]
    H. Bergson, Histoire de l’idée de temps, (éd. C. Riquier) Paris, PUF, 2016, (HT) p. 285-301.
  • [8]
    Il y aura toujours quelque chose de grec en nous : la pente naturelle de l’intelligence qui cherche l’immobile dans le mobile et qui ne doit pas être la métaphysique implicite des sciences, le mécanisme (EC, p. 17 ; p. 313-315 ; p. 325 ; PM, I2, p. 65). Voir H. Gouhier, Bergson dans l’histoire de la pensée occidentale, Paris, Vrin, 1989 et l’excellent livre de C. Riquier, Archéologie de Bergson. Temps et métaphysique, Paris, PUF, 2009, p. 219-233.
  • [9]
    HT, p. 286.
  • [10]
    HT, p. 295.
  • [11]
    HT, p. 294.
  • [12]
    HT, p. 294-295.
  • [13]
    HT, p. 327.
  • [14]
    EC, p. 344-345.
  • [15]
    C. Riquier, op. cit., p. 25-117.
  • [16]
    EC, p. 135-137. Nous ne considérons pas ici la torpeur végétative. Sur la différence de nature et de direction entre l’intelligence (qui vise la matière inerte) et l’instinct (qui vise la vie), bien que provenant tous deux d’un même principe originaire vital, EC, p. 166-169. L’intuition est l’instinct devenu désintéressé et conscient de lui-même (EC, p. 177-178), bien que, au fond, ce soit l’instinct qui est originairement un rétrécissement de l’intuition (EC, p. 182-183), puisqu’il est le rétrécissement de l’intuition aux intérêts de l’espèce.
  • [17]
    PM, I2, p. 95.
  • [18]
    EC, p. 160.
  • [19]
    PM, PR, p. 103-104.
  • [20]
    EC, IX ; p. 50.
  • [21]
    EC, VI.
  • [22]
    PM, I2, p. 36.
  • [23]
    PM, IM, p. 197.
  • [24]
    PM, I1, p. 23.
  • [25]
    ES, CV, p. 4 ; PM, I2, p. 46.
  • [26]
    PM, I2, p. 45 ; IM, p. 188.
  • [27]
    Ibid., p. 30.
  • [28]
    PM, PC, p. 176.
  • [29]
    PM, IM, p. 187.
  • [30]
    PM, WJ, p. 249.
  • [31]
    EC, V.
  • [32]
    Ibid., p. 161-163.
  • [33]
    Ibid., p. 104 ; PM, I1, p. 14 ; PM, PC, p. 148.
  • [34]
    PM, I1, p. 19.
  • [35]
    PM, I2, p. 32.
  • [36]
    PM, CB, p. 235.
  • [37]
    PM, WJ, p. 246.
  • [38]
    EC, p. 239.
  • [39]
    PM, I2, p. 67.
  • [40]
    Ibid., I2, p. 73 ; p. 98 : « Étendre logiquement une conclusion, l’appliquer à d’autres objets sans avoir réellement (n.s.) élargi le cercle de ses investigations, est une inclination naturelle à l’esprit humain, mais à laquelle il ne faut jamais céder ».
  • [41]
    PM, PC, p. 148-149.
  • [42]
    PM, IM, p. 181
  • [43]
    Ibid., p. 202.
  • [44]
    Ibid., p. 181.
  • [45]
    C. Riquier, op. cit., p. 86-87.
  • [46]
    Ibid., p. 188-189.
  • [47]
    Ibid., p. 197.
  • [48]
    Ibid., p. 202.
  • [49]
    Ibid., p. 196.
  • [50]
    EC, p. 175.
  • [51]
    PM, I2, p. 67.
  • [52]
    PM, IM, p. 210.
  • [53]
    PM, I2, p. 48.
  • [54]
    EP, « Lettre de Bergson à J. de Tonquédec du 12 mai 1908 », p. 361-362.
  • [55]
    EC, p. 276.
  • [56]
    Ibid.
  • [57]
    PM, I2, p. 25.
  • [58]
    EC, p. 284.
  • [59]
    PM, PR, p. 107.
  • [60]
    Ibid., p. 110.
  • [61]
    Ibid., p. 111.
  • [62]
    ES, CV, p. 2.
  • [63]
    PM, IM, p. 227.
  • [64]
    ES, CV, p. 4.
  • [65]
    EP, PP, p. 429.
  • [66]
    PM, IM, p. 194-195.
  • [67]
    ES, CV, p. 6.
  • [68]
    EP, CM, p. 491.
  • [69]
    EP, PP, p. 432.
  • [70]
    EP, CM, p. 491-492.
  • [71]
    Ibid., p. 493 ; PM, PR, p. 116.
  • [72]
    PM, PR, p. 102.
  • [73]
    DS, p. 267.
  • [74]
    PM, PC, p. 210.
  • [75]
    Ibid., p. 211.
  • [76]
    DS, p. 258.
  • [77]
    Ibid. ; PM, I2, p. 48.
  • [78]
    DS, p. 269 ; voir les analyses capitales d’A. Feneuil, Bergson. Mystique et philosophie, Paris, PUF, 2011, p. 58-98.
  • [79]
    PM, IM, p. 208.
  • [80]
    PM, PC, p. 176.
  • [81]
    PM, IM, p. 210-211
  • [82]
    EC, p. 258.
  • [83]
    EP, CM, p. 524-525 ; p. 528.
  • [84]
    DS, p. 270 ; EP, PP, p. 438 ; CM, p. 529.
  • [85]
    DS., p. 240.
  • [86]
    DS, p. 238.
  • [87]
    Ibid., p. 244.
  • [88]
    DS, p. 242.
  • [89]
    DS, p. 244.
  • [90]
    DS, p. 245.
  • [91]
    DS, p. 246.
  • [92]
    DS, p. 247.
  • [93]
    DS, p. 255.
  • [94]
    DS, p. 260.
  • [95]
    Kant, Critique de la raison pure, A713-717 / B741-745.
  • [96]
    DS, p. 255.
  • [97]
    PM, PR, p. 99.
  • [98]
    DS, p. 259.
  • [99]
    DS, p. 256 ; EC, p. 321-322.
  • [100]
    DS, p. 257 ; p. 259.
  • [101]
    EC, p. 321.
  • [102]
    EC, p. 355-356.
  • [103]
    DS, p. 257.
  • [104]
    DS, p. 257.
  • [105]
    DS, p. 262.
  • [106]
    DS, p. 263.
  • [107]
    DS, p. 266.
  • [108]
    DS, p. 267.
  • [109]
    EC, p. 282.
  • [110]
    EC, p. 281.
  • [111]
    EC, p. 286-288.
  • [112]
    EC, p. 292.
  • [113]
    DS, p. 268.
  • [114]
    DS, p. 269.
  • [115]
    Ibid.
  • [116]
    DS, p. 270.
  • [117]
    DS, p. 271.
  • [118]
    DS, p. 338.
  • [119]
    EC, p. 267.
  • [120]
    DS, p. 278-279.
  • [121]
    Exode III, p. 14 ; J.-F. Marquet, « Durée bergsonienne et temporalité », in J.-L. Vieillard-Baron (coord.), Bergson. La durée et la nature, Paris, Puf, 2004, p. 89.
  • [122]
    PM, I1, p. 13.
  • [123]
    EC, p. 358-359.
  • [124]
    PM, IP, p. 140-141.
  • [125]
    EC, p. 360.
  • [126]
    PM, I2, p. 25 ; PC, p. 155.
  • [127]
    PM, WJ, p. 245-246.
  • [128]
    PM, IP, p. 141 ; PC, p. 163 ; p. 167.

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