1Reconstituer depuis son origine, c’est-à-dire depuis l’Antiquité, le contexte de vie de la philosophie n’est pas sans intérêt. On continue certes à considérer comme « non philosophique » l’intérêt que l’on peut manifester au rapport entre la vie des hommes et la philosophie (« Aristote est né, a travaillé et est mort »), mais un tel intérêt peut malgré tout faire apparaître le rôle culturel de celui qui a pu écrire une telle phrase. Ma contribution consiste précisément à éclairer un peu la place de la philosophie dans la vie humaine. Dans ce qui suit, et en me plaçant au point du commencement, je vais faire quelques remarques sur le rôle de la philosophie dans la vie quotidienne dans l’Antiquité (I) ; je chercherai ensuite par une brève définition à rendre compte de ses manifestations dans le développement de la civilisation (II). Dans une troisième et dernière partie, j’en viendrai à m’exprimer sur la situation actuelle de la formation philosophique en me plaçant d’un point de vue didactique.
I – La philosophie dans le monde culturel des anciens
2S’agissant des relations de l’individu à sa propre personne et au monde, de la vie morale ou de l’événement de la mort, des valeurs et de la question du sens, on a l’habitude de se tourner plutôt vers la religion. Mais quelle place reconnaître à la philosophie pour toutes ces questions ? Quel rôle les philosophes ont-ils pu jouer par exemple dans la vie des hommes ? La philosophie n’était-elle l’affaire que de quelques-uns, de privilégiés ? On peut établir avec certitude que la philosophie, initiée par un Socrate posant ses questions à la croisée des chemins ou sur l’agora, le marché de l’ancienne Athènes, s’est toujours pratiquée dans un contexte de vie quotidienne. Je vais présenter ce contexte selon quatre rubriques : l’agora, l’Académie, le kêpos et le Museion.
3a) Si l’on s’interroge sur les lieux de l’exercice philosophique dans l’Antiquité, on peut établir sans conteste que Socrate (469-399) représente et incarne l’idéal d’une pratique philosophique ouverte au public, pratique qui s’exerçait « pleinement dans un contexte de vie ». Cette situation est indissociablement liée à sa figure extraordinaire, agissante du seul fait de son engagement personnel. Socrate exerce cette action dans un lieu spécifiquement public : il s’attarde sur l’agora, le marché, le cœur de la vie publique d’Athènes, centre aussi des échanges commerciaux ; il ne s’adresse pas à des cercles d’élites coupés du public. Ce qui caractérise aujourd’hui sa contribution, c’est sa didactique qui voit dans le travail philosophique une dimension humaine commune et fondamentale à réaliser (Ekkehard Martens, Sokrates, Stuttgart, Reclam, 2004). À cette fin Socrate œuvre « sur place » ; selon l’expression utilisée, comme un « cantonnier de la raison », il invite ses concitoyens à un examen critique de leurs croyances quotidiennes. On devrait se rendre aujourd’hui dans les centres commerciaux de nos villes pour y rencontrer les hommes, à la manière de Socrate. Le lieu de rencontre préféré de Socrate était le portique de Zeus Eleutherios, dieu suprême de la libération des Grecs du joug des Perses.
4b) Un pas supplémentaire a été franchi lors de la fondation de l’Académie par Platon, disciple de Socrate. Platon a donné à la philosophie une base plus professionnelle et plus officielle. Au nord-ouest d’Athènes, devant les portes de la ville, dans le parc arboré dédié à l’antique héros attique Académos, à portée de vue de l’Acropole, il a fondé la première université au sens européen du terme dont la mission était de dispenser par des cours et des conférences un enseignement supérieur pour l’acquisition et le partage de connaissances théoriques. On peut se représenter un complexe de constructions de la Grèce antique avec des salles de réunions, une bibliothèque de papyrus et des habitations. On dit que l’enseignement pouvait aussi bien être donné dans le parc.
5Il s’agit là de l’un des grands moments de l’histoire de la civilisation. Même si culturellement une telle institution brille par son éclat, son importance et sa signification, il n’en demeure pas moins que la philosophie a en quelque sorte distendu alors ses liens, déjà difficiles, avec la cité. On a pu montrer que du point de vue strictement topographique l’Académie se situait environ à un kilomètre et demi de la ville, de l’agora : du point de vue des dimensions propres à une ville de l’Antiquité, cela représentait déjà une bonne distance, d’autant plus que l’Académie se situait à l’extérieur des murs. Cicéron confirme qu’en 79 av. J.-C. (De finibus 5, 1-5) il s’est aventuré hors les murs en passant par la porte du Dipylon et qu’il n’a trouvé sur son chemin aucune école philosophique, alors que l’activité de l’Académie s’est étendue sur environ mille ans ; mais il est vrai qu’il n’y a pas toujours eu une parfaite continuité de cette activité.
6Par rapport à son site initial, qui était le marché, le travail philosophique a donc opéré un déplacement en direction de l’est de la ville. Dans un langage plus moderne on dirait que philosophie et sciences commencent à s’afficher comme des formations systématiques et cognitives autonomes. Il faut alors pour le moins se demander si l’institutionnalisation de la philosophie par l’Académie ne lui a pas fait perdre le statut public pour lequel Socrate, comme nul autre, avait œuvré.
7c) Un éloignement de l’agora est également à souligner de la part d’Épicure (342-270) et de son école réputée, le « Jardin ». Dans ce « Jardin » se retrouvait une communauté, communauté de contestation, qui connaissait même des formes de culte. La mise à distance du politique par Épicure, si critiquée, peut donner l’impression de souligner un mode de vie coupé de la cité.
8La communauté apolitique du Jardin opère ce faisant un des tournants les plus significatifs de l’histoire de la philosophie dans la manière d’enseigner la philosophie : c’est un plaidoyer puissant qui caractérise le travail philosophique comme une tâche humaine vraiment personnelle. L’épicurisme dépasse aussi l’exclusion de la philosophie, exclusion d’inspiration profondément aristotélicienne, des étrangers, des esclaves et des femmes en déclarant l’égalité entre les hommes, en proclamant même un cosmopolitisme. Épicure ne promet aucune recherche de vérité pour une élite, mais il adresse ses propositions de sagesse à tous, ainsi que le signifie un passage bien connu de la Lettre à Ménécée. Il est précisément intéressant de faire remarquer que le célèbre tableau de Raphaël, « L’École d’Athènes », évoque les divers âges de la vie comme un appel didactique autour de la figure d’Épicure qu’on reconnaît à droite à sa couronne de feuilles de vigne (on connaît en effet les enseignements attribués au maître).
9d) Le dernier lieu significatif à citer dans cet ordre d’idées est le port égyptien d’Alexandrie dans l’ouest du delta du Nil, port célèbre dans l’Antiquité pour son phare. À l’initiative de Démétrios de Phalère (né en 360 avant J.-C.), disciple d’Aristote, le souverain hellénistique Ptolémée Ier a fondé le Museion, une fondation dans la continuité de l’Académie de Platon. On doit se contenter de spéculations pour expliquer cette initiative. Peut-être Ptolémée Ier avait-il à l’esprit la cour macédonienne où il avait été général et où Aristote avait été précepteur d’Alexandre, le successeur du roi. Peut-être se reflétait aussi dans un tel mécénat la puissance de ce prince hellénistique. La ville elle-même témoigne d’une architecture urbaine particulière. À côté d’un plan de rues symétrique, en forme de damier, se trouvent les établissements portuaires, les théâtres, les temples et surtout le quartier royal du « Brucheion » où, selon les indications du géographe Strabon (Geographica XVII, 1, 8), s’étendaient les bâtiments du Museion. C’est là que se situait la célèbre bibliothèque. La bibliothèque comprenait peut-être plus d’un demi-million de papyrus à ses périodes les plus prospères, un cabinet de traduction et un catalogue. Les philologues étudiaient déjà les papyrus selon une méthode critique qui garde sa pertinence pour l’édition des textes classiques du xixe siècle à aujourd’hui. C’est à cette époque alexandrine qu’a peut-être déjà pris forme le savoir philosophique sous son aspect à la fois historique et philologique d’une part, systématique d’autre part, présentation qui reprend les idées du passé et les traditions qui en sont issues afin de relever et de caractériser les formulations pertinentes pour la pensée d’aujourd’hui.
10C’est à Alexandrie que pour des siècles se constitue un système cohérent qui veut que le développement de la civilisation échoie à certains groupes d’hommes qui, en tant que philosophes et savants, ont pour unique tâche d’administrer la culture générale de leur civilisation. Le Museion étant une fondation et un établissement de nature royale, le roi entretenait ses philologues de cour selon une réglementation avec une rémunération libre d’impôt, un logement sur le site même du Museion et une cuisine collective. Ce projet scientifique a attiré des gens comptant sur une vie sans tracas au service des muses. De communication à caractère public et de portée universelle, il n’y en avait cependant presque plus. C’est ainsi que le sceptique Timon de Phleion (320-230) a pu comparer les érudits du Museion à des oiseaux dans une cage dorée se disputant sans fin. Et bien des siècles plus tard un document romain fait le tableau critique de philosophes entretenant, devant un public choisi, leurs querelles internes et leurs jalousies à l’égard d’autres philosophes du Museion, au lieu de remplir leur devoir d’éducation publique.
11Procédons à un court résumé. La philosophie n’est pas comparable à la religion qui a su répondre aux exigences d’orientation d’une majorité de la population ; la philosophie a eu au contraire, dès ses débuts, du mal à attirer vers elle un public significatif, même si dans l’Antiquité on a vu apparaître dans ses rangs des représentants qui avaient au plus haut point le souci de la vie morale et publique, et qu’elle n’avait pas manqué du tout d’éléments pour la formation de communautés et de rites. Certains témoignages de la vie quotidienne des anciens vont plutôt dans une direction contraire. On a même raillé les philosophes avec leurs habits débraillés et leurs longues barbes – présentation traditionnelle des philosophes par les anciens – comme on peut le voir dans une latrine publique d’Ostie (Paul Veyne, Peter Brown, in Georges Duby und Philippe Ariès : Histoire de la vie privée, Paris, 1985). Pétrone, l’auteur satirique, fait passer le nouveau riche Trimalcion comme un personnage voulant mettre sur sa pierre tombale l’inscription suivante : « sestertium reliquit trecenties, nec unquam philosophum audivit », inscription qui signifie qu’il a laissé après sa mort trente millions de sesterces sans jamais avoir entendu un philosophe (Cena Trimalchionis, 71, 12). Cette plaisanterie signifie que la philosophie devait être dans les classes supérieures de Rome, au moins à certaines époques, objet de conversation courante. L’auteur classique de l’histoire de la civilisation, Ludwig Friendländer, fait remarquer que « dans Rome, ville mondiale, le nombre de philosophes et de pseudo-philosophes devait être assez important, leurs manifestations dans une population variée et dans une effervescence sans mesure assez visibles pour attirer de façon aussi marquante l’attention et la critique ». Pour la Grèce il s’appuie sur des sources évoquant des figures en barbes et manteaux, tenues des philosophes, qui apparaissaient assez souvent en public comme cordonniers, amuseurs publics ou représentants d’un quelconque autre corps de métier.
12D’autres recherches sur la situation sociale des philosophes dans l’Antiquité seraient certainement d’un grand intérêt pour illustrer la didactique de la philosophie, mais je vais tirer un premier bilan. Les résultats de ce premier point sont les suivants. L’Antiquité illustre, pour nous encore, des potentialités exemplaires de la philosophie : elle est instruction publique sur l’agora ; elle est, de manière moins publique, science comme dans l’Académie ou le Museion ; elle est, hésitant entre expression publique et formation en cercle restreint, art de vivre comme dans le Kêpos, le Jardin d’Épicure.
II – La philosophie perçue comme facteur de civilisation
13Ce que j’ai entrepris pour l’Antiquité, on pourrait le poursuivre en brossant le tableau d’une histoire sociale, culturelle et quotidienne de la philosophie. L’idée de la philosophie comme « mode de vie », ainsi définie par Pierre Hadot, pourrait sans doute, par voie de généralisation, s’énoncer selon le principe fondamental d’un « travail de soi sur soi » (Pierre Hadot, Exercices spirituels et philosophie antique, Paris, 1987). Partant de là, on pourrait élargir le problème à celui de la participation de tous les hommes à la philosophie, même s’il s’agit là d’un regard rétrospectif de la didactique philosophique d’aujourd’hui.
14En allant plus loin, on pourrait prêter attention aux Salons du Siècle des Lumières, à Humboldt et à son idée de formation humaine, à Marx et aux difficultés suscitées au xixe siècle par son œuvre et ainsi de suite. Je citerai Kant, auteur très conscient du fait que les questions fondamentales de la philosophie sont les questions essentielles de tous les hommes. Évidemment, on connaît bien ces formulations : que pouvons-nous savoir ? que pouvons-nous espérer ? que devons-nous faire ? Nous ne pouvons pas vivre en tant qu’hommes si nous ne nous posons pas ces questions.
15La philosophie a bien essayé, sous des formes diverses et avec ses limites propres, d’exercer une influence publique, point qu’il faudrait examiner et évaluer ailleurs qu’ici. Je ne souhaite toutefois pas développer ce point plus longuement, mais m’arrêter principalement sur la question de la philosophie comme facteur de civilisation, en interaction avec d’autres facteurs : religion, science, politique, économie. Je me contenterai ici d’une définition courte et certainement perfectible.
16Sans tenir compte de son mode premier d’existence académique, la philosophie se présente comme lieu réflexif où les processus culturels, dont ceux de la conscience commune, sont exprimés sous la forme conceptuelle. La philosophie a sans conteste participé à la conquête des droits fondamentaux, des degrés de conscience et de leur reproduction dans les systèmes d’enseignement, qui sont maintenant la norme des sociétés développées. Elle est impliquée de multiples façons dans les développements des grands systèmes culturels : la politique dont elle a cherché à donner un modèle de Platon à Locke en passant par Marx, la religion avec laquelle elle a partagé en Occident une histoire complexe, les sciences de la nature dont elle a accompagné l’émancipation moderne, l’économie de marché dont la prééminence actuelle a été pensée par Adam Smith. Elle a plus particulièrement pris part à la libération des formes rationnelles modernes de la démarche à la fois scientifique, technique et économique, formes caractérisant de façon décisive le développement de la civilisation dans son ensemble, sans omettre les dimensions sociale et écologique, sources de nouveaux changements dans la culture.
17Je ne veux ici ni préciser ni commenter davantage cette courte énumération, mais seulement établir fermement pour ma troisième partie le point suivant : la philosophie est bien entendu un facteur de civilisation. La question de la place de la culture philosophique dans les contextes de la civilisation ne se pose finalement pas comme une conséquence de processus auxquels elle a pris part ; elle se pose du point de vue d’un système d’enseignement, construit et différencié, d’une société moderne très complexe et, à bien des égards, pleine de tensions, dans laquelle la culture de l’esprit est mise à la disposition d’un grand nombre d’hommes. (Que cette question se présente autrement sur le plan mondial et qu’elle implique une tâche de grande ampleur est un point sur lequel je ne peux pas m’engager ici). En tout état de cause la question est de savoir si le rôle de la philosophie dans la civilisation ne pourrait pas se poser de façon plus effective et démocratique. J’en arrive ainsi à mon troisième et dernier point.
III – Bilan d’une formation philosophique voulant intégrer les dimensions de l’agora, du Kêpos, de l’académie et du Museion et souhaitant rester aujourd’hui « facteur de civilisation »
18Les occupations liées au gagne-pain, aux affaires, le temps consacré au sommeil, à la maladie ou à la souffrance, les soins prodigués aux enfants, le désœuvrement, et, dans notre époque « pop », les distractions et le souci de la consommation prennent l’essentiel de notre temps. Il faut néanmoins mentionner d’assez nombreuses manifestations consacrées à la vie et à la culture ; elles témoignent des efforts consentis en direction de préoccupations de nature réflexive. Une grande partie de ces efforts est réalisée dans le cadre religieux, une autre dans le cadre de la culture, par la littérature ou l’art, une autre encore dans le cadre de préoccupations quotidiennes diverses. Un examen rapide de ce que les hommes font dans le cadre de leurs relations sociales courantes permet d’estimer que les préoccupations « préphilosophiques » (ou « potentiellement philosophiques », et peut-être même « nettement philosophiques ») exprimées au quotidien atteignent une intensité et un degré susceptibles d’être modestement révisés à la hausse.
19La question de l’effectivité quotidienne et culturelle de la philosophie, qui est le sujet de cet article, est abordée pleinement par la philosophie contemporaine. Je me contente de citer deux noms. Ekkehard Martens a défini le travail philosophique comme technique culturelle élémentaire du mode humain d’existence. Quant à Richard Shusterman, il reproche aux philosophes de métier de donner l’impression que, du point de vue pratique, la philosophie souffre d’une absence de signification, ce qui a eu pour conséquence de marginaliser socialement la philosophie pour des millions de gens intelligents (Richard Shusterman, Practicing Philosophy : Pragmatism and the Philosopical Life, London, 1997). D’après ces deux théoriciens, les questions philosophiques sont les questions fondamentales de la formation humaine. Ce sont des questions que l’on ne peut pas déléguer à des experts : personne ne peut autoriser quiconque à penser pour lui ou à se faire représenter dans la vocation à devenir « homme ». Chaque homme ayant le devoir de penser son rapport à soi-même et au monde est en ce sens un philosophe en puissance. Une culture philosophique conséquente ne remplit sa mission que lorsqu’elle suscite les capacités et la disponibilité de tous les hommes pour une formation qui doit durer toute la vie. Une telle culture obéit à l’exigence d’accepter de discuter les questions du sens de la vie dans un contexte humain général et dans un débat collectif avec tous les hommes de culture.
20Le fait que la philosophie concerne tous les hommes n’est pas à prendre au sens où n’importe quelle considération, n’importe quel débat vague serait de la philosophie, au sens où « tout » serait de la philosophie. Certes, dans les médias, on parle couramment de « philosophie d’entreprise », de « philosophie de la production » ou d’une « nouvelle philosophie de la vie » par la consommation de telle marque authentique de cigarettes ou de tel alcool d’anis grec. Ne relèvent pas davantage de la philosophie les considérations générales et vagues, les séductions d’un hédonisme vulgaire vide de questionnement à l’occasion de « parties de plaisir », pas plus que les chansons dont le refrain invite les habitués de la table ou les fêtards des noces d’argent à « jouir de la vie, avant que celle-ci ne s’en aille ». Philosopher consiste à aller, avec l’aide de professionnels, vers une conscience et un examen critique de telles représentations et à passer de la moindre conscience et de l’implicite à une réflexion plus profonde, des débats vagues et futiles au sérieux de la pensée.
21Il n’est pas question d’un simple « going public » ; la didactique de la philosophie est bien plutôt un développement de capacités. Elle n’essaie pas de « vendre meilleur marché ». Il s’agit de prendre au sérieux les idées communes et multiformes qui n’existent pas seulement dans la tête des jeunes gens mais dans celle de tous les hommes, de reprendre ces idées dans les lieux de formation intellectuelle les plus divers, de les penser dans un cadre de cours et de séminaires, tout en les rendant en même temps – et c’est le point décisif – effectives avec les adéquations et précisions nécessaires. En rapport avec l’acquisition de compétences de diverses natures on développera à partir de la philosophie didactique des liens avec, entre autres, la phénoménologie, l’herméneutique, l’analytique des concepts, l’argumentation, la dialectique, la créativité, mais aussi avec « les expériences de corps », la dimension philosophique du jeu théâtral, la culture de l’émotion, la valeur de l’exemple, l’expérience intellectuelle et bien d’autres expériences encore. (Volker Steenblock, Philosophische Bildung. Eine Einführung in die Philosophiedidaktik, Münster, 3. Aufl. 2007).
22Toute cette démarche relève d’un engagement dont la philosophie a totalement besoin. Les processus culturels de nature philosophique veulent parvenir d’après le projet de la didactique de la philosophie à rendre méthodiquement plus claire la conduite de soi et de la pensée, à lui transmettre les fins qui sont celles de la philosophie, à susciter une attention à soi, un sens de l’examen critique et de la réflexion. La plus grande partie du fonds philosophique géré de manière académique reste pour notre société et notre culture sans enracinement s’il n’est pas réellement transposé et médiatisé. Qui se rend à l’agora ou au Kêpos ne doit surtout pas tourner le dos à l’Académie ou au Museion. La didactique de la philosophie voudrait aujourd’hui contribuer à développer davantage la philosophie dans le processus d’une culture démocratique.