Couverture de EPH_592

Article de revue

Apprendre à philosopher et découvrir la citoyenneté à partir du Contrat social

Pages 35 à 56

Notes

  • [1]
    Ce texte a commencé à être rédigé lors de la première année où nous découvrions le métier de professeur de philosophie et a de nombreuses fois été repris depuis. Nous tenons à remercier et à adresser nos pensées les plus amicales aux deux professeurs qui ont accompagné nos premiers pas dans ce métier, Denis Collin et Dominique Raoult. Cette réflexion singulière au sujet de l’art d’enseigner la philosophie en terminale leur est dédiée.
  • [2]
    Nous nous réfèrerons ici à la très bonne édition du texte établie par B. Bernardi chez Flammarion.
  • [3]
    Cf. Q. Skinner et M. van Gelderen, 2002.
  • [4]
    Spinoza, 1999, III, prop. XVII, scolie, p. 231 : « Cet état de l’esprit, qui naît de deux affects contraires, s’appelle un flottement de l’âme, lequel, partant, est à l’affect ce qu’est le doute à l’imagination ».
  • [5]
    En voici un bref recueil : « la philo, c’est se contenter de parler pour ne rien dire » ; « au bac on a jamais au-dessus de 8 » ; « c’est impossible de comprendre ce qu’écrivent les philosophes » ; « ils vivent d’ailleurs en dehors de la réalité »,…
  • [6]
    Spinoza, 1999, III, prop. XVIII, scolie II, p. 235.
  • [7]
    Kant, 1973, pp. 68-69.
  • [8]
    Ibid., p. 69.
  • [9]
    Descartes, 1990, p. 38.
  • [10]
    M. Blanchot, 1955, p. 251.
  • [11]
    Ibid., p. 252.
  • [12]
    Idem.
  • [13]
    Platon, 1989, 275d, pp. 179-180.
  • [14]
    Rousseau, 2001, p. 45.
  • [15]
    Rousseau, 2001, Liv. I, chap. VI, p. 57 : « Chacun de nous met en commun sa personne et toute sa puissance sous la suprême direction de la volonté générale ; et nous recevons en corps chaque membre comme partie indivisible du tout. »
  • [16]
    Rousseau, 1964, pp. 841-842.
  • [17]
    Freud, 1933, p. 146.
  • [18]
    Spinoza, 1999, p. 305.
  • [19]
    Kant, 1973, p. 70.
  • [20]
    Hegel, 1998, p. 313.
  • [21]
    Idem.
  • [22]
    Ibid., p. 315.
  • [23]
    Hegel, 1998, §§ 155 & 261, pp. 238-239 & 325-327.
  • [24]
    Ibid., § 261, p. 327 : « L’individu, [qui est] sujet d’après ses obligations, trouve, en les remplissant en tant que citoyen, la protection de sa personne et de sa propriété, la prise en considération de son bien-être particulier et la satisfaction de son essence substantielle, la conscience et l’amour-propre [qui consistent à] être membre de ce tout ».
  • [25]
    Spinoza, 1979, p. 11.
  • [26]
    Rousseau, 2001, Liv. I, chap. VIII, p. 60 : « Ce passage de l’état de nature à l’état civil produit dans l’homme un changement très remarquable, en substituant dans sa conduite la justice à l’instinct, et donnant à ses actions la moralité qui leur manquait auparavant. C’est alors seulement que la voix du devoir succédant à l’impulsion physique et le droit à l’appétit, l’homme, qui jusque-là n’avait regardé que lui-même, se voit forcé d’agir sur d’autres principes, et de consulter sa raison avant d’écouter ses penchants. »
« La plupart prennent une ville pour une Cité et un bourgeois pour un Citoyen. Ils ne savent pas que les maisons font la ville mais que les Citoyens font la Cité. »
Rousseau, Du contrat social.

1Le Contrat social[2] présente ce paradoxe, très attrayant pour le professeur de philosophie, d’être une œuvre « révolutionnaire » devenue un « classique ». Rousseau, ici penseur politique, théorise les fondements de la vie en société et les principes de la citoyenneté républicaine à un moment où l’individu gouverné est encore réduit au sujet soumis à un monarque. S’y déroulent progressivement les fils à partir desquels a été tissée la conception républicaine française – non sans une grande intertextualité avec les grands textes de la tradition républicaine européenne [3]. Sa lecture peut offrir une approche solide des questions fondamentales et des concepts essentiels non seulement de la philosophie politique, mais peut-être, plus globalement des questions que le cours de philosophie de terminale se pose. Le renouvellement de la problématique des rapports entre l’individu et la communauté, et des conditions de l’obéissance dans un État libre, qui est opéré dans le Contrat social en fait un ouvrage fondamental pour comprendre les principes des démocraties contemporaines, et en particulier de la démocratie française. Il est dès lors tout à fait captivant de donner à lire à des élèves de terminale ce texte fondateur et d’en faire le fil directeur d’une année, car l’apprentissage difficile de la lecture philosophique se mêle alors à l’étude des conditions de possibilité sous lesquelles leur individualité peut être articulée avec la communauté à laquelle ils appartiennent.

2L’objectif de cette présentation d’une pratique enseignante n’est pas de proposer une nouvelle étude de cette œuvre politique majeure, et de la conception de la citoyenneté qu’elle déploie, dont de nombreux commentateurs ont déjà proposé des lectures magistrales. Il s’agit, plus modestement, de donner à lire, autant que faire se peut, et dans les limites de la transcription par l’écrit d’une activité pour l’essentiel orale, une pratique enseignante artisanale et singulière, en partant du fait primordial qu’enseigner, loin d’être une science exacte, est un art difficile qui implique de se confronter nécessairement aux échecs et aux difficultés, mais qui également apporte ses joies et ses réussites. En partant de cette expérience comme un possible pour l’enseignement de cette discipline, nous souhaiterions nous interroger sur ce qui fait la spécificité de la lecture d’un texte philosophique à travers cet exemple particulier. Autrement dit, en quoi l’enseignement de la philosophie passe-t-il en partie par un effort pour réapprendre à lire aux élèves ? Quelle est la singularité de la lecture d’une telle œuvre dans le cadre d’un enseignement de terminale ? Et en quoi la lecture du Contrat social peut-elle participer, une fois ces préalables posés, d’une initiation véritable à la citoyenneté ?

3Si notre objectif n’est donc pas exégétique, il n’en est pas plus politique. Il ne s’agit en effet en rien de justifier ni de contester la volonté de plus en plus explicite de nos gouvernants de remettre au goût du jour les cours de civisme, afin d’éduquer ou de dresser, suivant le point de vue que l’on adopte, le futur citoyen. L’enjeu de cette exposition sera bien plus modestement pédagogique, si l’on entend bien sûr par ce qualificatif mettre en valeur non une science de l’éducation, mais bien une expérience d’enseignement. L’initiation à la citoyenneté désignera donc dans ce cadre la manière dont le texte philosophique, et plus largement le cours de philosophie, peut contribuer à former une capacité de participation aux décisions collectives de la communauté politique dont il est attendu qu’elle soit celle dont dispose le jeune citoyen au sortir du lycée.

I – Apprendre à philosopher, c’est apprendre à lire

Réapprendre à lire

4La découverte de la philosophie en terminale constitue pour les élèves un événement à l’égard duquel le sentiment éprouvé semble proche de ce que Spinoza appelle la fluctuatio animi[4] : voici en effet une discipline qu’ils rattachent souvent à la liberté de penser et à l’émancipation intellectuelle, mais au sujet de laquelle la curiosité, voire le désir de connaître, se mêle aux craintes issues des préjugés les plus divers [5]. Se rencontrent donc autour de la première approche de cette discipline inconnue, mais si réputée, les deux affects qui par leur indissociabilité incarnent le mieux le flottement de l’âme [6], à savoir l’espoir et la crainte : l’espoir de progresser dans le développement de sa pensée, la crainte de ne pas y parvenir. Il ne peut en résulter qu’une impression d’inconstance et d’instabilité qui précède l’entrée en cette matière. La philosophie est la seule discipline à propos de laquelle, avant d’avoir appris à la connaître – ce que l’on espère – on craint de ne jamais y parvenir ! Autant dire que la tâche du professeur de philosophie face à une telle ambiguïté est loin d’être aisée, puisqu’à l’enseignement de la discipline en lui-même semble nécessairement devoir se greffer une justification de son bien-fondé et de son accessibilité.

5Il va de soi que dire ou répéter à nos élèves que la philosophie est le lieu véritable de l’épanouissement de la pensée, qu’elle ne se réduit pas à un enseignement sur une année de terminale, et que si elle ne leur « sert » pas dans la vie active, apprendre à philosopher n’en demeure pas moins essentiel pour l’homme qui veut méditer sur sa condition et le citoyen qui veut envisager d’un esprit critique les divers problèmes de la société et du monde auxquels il appartient, ne suffit pas. Ils ont nécessairement besoin (et l’habitude) de traduire tout ce qu’ils apprennent en termes d’utilité concrète et immédiate, en particulier au cours de l’année de terminale où la stratégie à adopter doit être le plus rapidement claire. Le savoir doit servir, sinon il est considéré comme vain. Toute la difficulté réside dès lors dans la capacité du professeur, tout en répondant concrètement aux objectifs stratégiques énoncés, à faire entendre à ses élèves que le « Livre de Philosophie » n’existe pas, et que c’est la raison pour laquelle, comme l’a très bien montré Kant, on n’apprend pas la philosophie, mais on apprend à philosopher [7]. L’émancipation intellectuelle, la capacité à penser par soi-même, vient précisément du fait que la philosophie ne constitue pas un savoir définitif à apprendre, mais une méthode de recherche à acquérir pour pouvoir progresser dans la connaissance. Or « si la méthode spécifique de l’enseignement en Philosophie est zététique » [8], c’est donc que par définition elle est inachevée, et ne répond pas aux critères habituels de la discipline stable. La philosophie appartient toujours au mouvement de la pensée, elle est toujours à faire. Mais pour faire de la philosophie, ou plutôt pour philosopher, encore faut-il développer les aptitudes de problématisation, de recherche et de raisonnement qu’elle exige. C’est en ce développement de la pensée que consiste l’enseignement de l’« apprendre à philosopher » en terminale.

6Cependant, s’il n’existe aucun « Livre de Philosophie », il n’en reste pas moins qu’il est de nombreux livres des philosophes, au moyen desquels cet enseignement se construit. Apprendre à philosopher, pour les élèves, va donc d’abord signifier apprendre à lire des philosophes, qui possèdent et mettent en application cet art difficile. Or, de la même manière que les élèves ne doivent pas tomber dans l’illusion d’un savoir constitué lorsqu’ils abordent cette discipline, les professeurs ne doivent pas être dans l’illusion selon laquelle une telle lecture va de soi pour les élèves. Car pour la majorité d’entre eux, la lecture du texte philosophique va se révéler une redoutable épreuve, d’une très grande difficulté, ce qu’ils ne se privent d’ailleurs jamais d’affirmer lorsqu’ils disent à leurs camarades ne rien comprendre après avoir lu à haute voix un texte. Aussi, si l’on devait caractériser en quelques mots l’un des objectifs initiaux du métier de professeur de philosophie, une expression pourrait donc suffire : réapprendre à lire.

7Que signifie ici « lire » ? Bien entendu, il ne faut pas entendre le terme au sens commun de déchiffrer les mots contenus dans un texte, parce qu’on a la connaissance du système de signes qui le permet. Même si beaucoup ânonnent ou ont encore du mal à décrypter correctement un texte, la majorité des élèves de terminale savent lire. En revanche, pour ce qui est de la compréhension du sens de ce qui est écrit, une telle majorité n’existe plus. Lire, au sens où nous l’entendons ici, implique en effet de trouver la signification, de savoir interpréter, ou plus précisément encore de pouvoir comprendre et rendre raison de ce qu’on lit. La lecture oblige à cette rencontre problématique avec la pensée de l’autre. Décrypter ne peut donc jamais suffire, car lire c’est reconstituer ce que veut dire l’auteur, le sens qu’il tente d’apporter à ce qu’il écrit. Réapprendre à lire, c’est alors guider l’élève dans la transition de la lettre à l’esprit d’un texte, en lui permettant d’articuler l’attention rigoureuse à son contenu singulier et le désir de réfléchir (à) son sens. À travers les signes, c’est donc le sens qui se communique, l’existence d’une pensée en acte dans un contexte donné.

8« Je savais […] que la lecture de tous les bons livres est comme une conversation avec les honnêtes gens des siècles passés, qui en ont été les auteurs, et même une conversation étudiée en laquelle ils ne nous découvrent que les meilleures de leurs pensées. » [9], nous dit Descartes, témoignant ainsi de ce partage d’un logos commun comme étant la véritable finalité de la lecture. Là est peut-être en effet la plus haute des sociabilités, dans la communauté rationnelle des textes, dans le devenir libre et transhistorique de la pensée. Autrement dit, l’apprentissage de la lecture des textes philosophiques doit rendre possible la conversion, qui est le propre de la philosophie, de l’opinion à la raison.

9Néanmoins, encore faut-il pour réaliser cette fin que cette relation privilégiée à l’altérité d’une pensée que nous offre la lecture apparaisse intelligible aux élèves. Car ce qui leur pose problème n’est pas tant le désir de partager la pensée de l’autre, que la capacité à y parvenir. Manifestement, l’expérience montre que, pour ce qui concerne des élèves devant un texte de philosophie, Blanchot avait tort de penser qu’il n’y a pas une angoisse de lire pour le lecteur, comme il y a une angoisse d’écrire pour l’écrivain [10]. S’il est vrai que « lire ne demande pas même de dons » [11], ce n’est pas pour autant l’activité de tous les possibles, parce qu’elle est possible à tous, cet art innocent qui « exige plus d’ignorance que de savoir » [12], que décrit Blanchot. Et ce, précisément, parce que nombre d’élèves ne sentent pas en eux les dispositions nécessaires pour saisir le sens de ce qu’ils lisent, et se retrouvent dès lors démunis face au texte, dont la difficulté intrinsèque en apparence insurmontable s’impose à eux avec violence.

10Quelle est l’origine d’une telle angoisse ? En suivant Platon, on pourrait la situer dans la nature de l’écrit lui-même, dans le trouble créé par son silence :

11

« Car, à mon avis, ce qu’il y a de terrible, Phèdre, c’est la ressemblance qu’entretient l’écriture avec la peinture. De fait, les êtres qu’engendre la peinture se tiennent debout comme s’ils étaient vivants ; mais qu’on les interroge, ils restent figés dans une pose solennelle et gardent le silence. Et il en va de même pour les discours. On pourrait croire qu’ils parlent pour exprimer quelque réflexion ; mais, si on les interroge, parce qu’on souhaite comprendre ce qu’ils disent, c’est une seule chose qu’ils se contentent de signifier, toujours la même. » [13]

12Socrate considère le dialogue comme la seule forme d’expression acceptable car l’écriture, comme la peinture, toutes deux fixes par nature, figent la pensée. L’écrit paraît sans vie à cause de son silence morbide. Il ne peut répondre aux questions que lui pose le lecteur, et ne paraît pouvoir le guider dans la recherche du sens. On aura beau l’interroger pour comprendre ce que son auteur a voulu en dire, il nous renverra infiniment le même assemblage invariable de mots. Le mouvement de la pensée donne l’impression d’être immobilisé. La frontière entre l’interprétation vraie et l’interprétation fausse est dès lors trop floue pour que l’interprète soit assuré de ce qu’il dit. On observe donc que l’instabilité, l’inconstance qui caractérisait le rapport de l’élève à l’entrée en philosophie, se retrouve aussi dans la nature du texte écrit. Le texte philosophique ne peut donc que rendre perplexe celui qui, non initié, se met à le lire.

13C’est la raison pour laquelle il faut vaincre cette angoisse de la lecture en veillant à transmettre aux élèves cette capacité à comprendre ce qu’ils lisent. Tous ont certes déjà pratiqué ce travail d’explication inhérent à toute véritable lecture, essentiellement en cours de français, histoire ou langue vivante. Mais la philosophie est cette discipline singulière, dont l’un des modes de fonctionnement essentiel est cette exigence permanente, pour ceux qui l’apprennent, d’une attention des plus rigoureuses aux textes, à ce que disent les auteurs, et à la manière dont ils le disent. Rendre raison de ce que dit un texte, comme de ce qu’il ne dit pas, rendre intelligible ce qu’il explique, la logique comme le contenu de sa démonstration, c’est apprendre à philosopher.

Lire le Contrat social

14Il est prévu dans le programme de philosophie de terminale l’étude d’œuvres d’auteurs majeurs, afin d’enrichir la culture philosophique des élèves et d’approfondir leur réflexion sur des problèmes et des développements philosophiques singuliers. Mais l’enjeu pédagogique premier du professeur de philosophie dans le cadre de la lecture suivie d’une œuvre est de leur apprendre à lire un texte philosophique. Dans ce contexte, l’étude du Contrat social de Rousseau peut constituer un bon exemple d’œuvre incontournable offrant la possibilité pour les élèves de surmonter l’angoisse initiale du texte.

15L’œuvre de Rousseau peut être étudiée de deux manières. Soit l’on privilégie l’approche thématique, et l’on étudie la question du contrat, du droit naturel, de la liberté, de la souveraineté, du gouvernement, de la démocratie, du rapport entre la morale et la politique, etc., et l’on fait référence aux différents textes de l’œuvre lorsqu’ils répondent à cette progression thématique ; soit l’on explique le texte dans son mouvement propre, linéaire, ce qui implique alors que les différents thèmes s’entremêlent et prennent sens progressivement au cours de la lecture. Il va de soi que les deux approches du Contrat social (comme de toute œuvre philosophique) peuvent être justifiées et employées, et qu’a priori aucune n’est meilleure que l’autre. Mais cette indifférence à la méthode ne tient plus lorsque l’on considère l’objectif recherché. Dans la mesure où le but est d’apprendre aux élèves à suivre de manière rigoureuse un texte, à pouvoir expliquer ce qu’il contient, alors la seconde méthode semble s’imposer. De ce point de vue en effet, la première a l’inconvénient de ne pas s’attacher aux textes en eux-mêmes, mais à ce qui dans tel ou tel texte relevait du thème étudié. L’unité des thèmes entraîne le morcellement des textes.

16Cependant ce travail de lecture en commun du Contrat social est loin d’être simple à organiser. Deux difficultés au moins s’imposent. La première concerne l’écriture de Rousseau elle-même. À la beauté du style qui fait de Rousseau l’un des plus grands écrivains de langue française, s’associe sans nul doute aux yeux des élèves la difficulté d’une langue qui ne nous est plus tout à fait contemporaine. Or, si le décryptage de la lettre du texte se révèle laborieux, la découverte de son esprit n’en est sans conteste que plus ardue. Il est donc souvent indispensable de prendre pour règle première de faire une traduction, ou à tout le moins une retranscription en termes et phrases plus accessibles, des idées développées dans les textes étudiés – la gageure étant qu’une telle retranscription se doit de n’être ni simplificatrice ni réductrice afin que le sens du texte puisse être saisi par tous de manière rigoureuse. La deuxième difficulté peut se résumer à la question : quels textes choisir ? Car lorsqu’on est confronté à l’une des œuvres philosophiques les plus denses et riches en problèmes, l’on peut aisément tomber dans l’écueil de la lecture exhaustive, qui serait nécessairement étouffante et ennuyeuse pour une classe de terminale. Il faut donc se résoudre à choisir, à ne pas tout commenter, à n’étudier que ce que l’on considère comme primordial, à faire comme si dans l’ordre des choses essentielles, il y avait encore une hiérarchie à établir.

17À l’aune de ces deux difficultés, c’est donc un parcours initiatique de l’ouvrage qu’il est utile de tracer, afin que l’étude de l’œuvre puisse articuler l’apprentissage de la lecture philosophique et la saisie des enjeux principaux du texte. Ce type de lecture du Contrat social peut s’élaborer autour de trois moments essentiels (mais inégaux en nombre de textes), qui chacun répondent à la volonté de joindre la lecture et la compréhension de cette œuvre à l’appréhension de questions politiques fondamentales. Le premier correspond à l’explication du problème posé par l’œuvre, le deuxième à l’énoncé de la thèse qui apporte une solution à ce problème, le troisième pose la question de sa mise en application. Autrement dit : pourquoi vivons-nous en communauté politique ? Qu’est-ce qui est au fondement de l’association politique ? Et comment cette association peut-elle perdurer dans le temps ?

II – Un parcours initiatique

a – La problématique du fondement de la vie en société

18Une première partie de l’explication peut s’attacher, à travers les quatre premiers chapitres du premier livre, à reprendre dans le détail le problème engagé par Rousseau dès le début de l’œuvre, celui des fondements de la vie en société. Or d’emblée une difficulté de lecture apparaît pour les élèves, et ne manque généralement pas de persister pour certains tout au long de ces premiers chapitres : la confusion entre le principe et le fait, et plus généralement, entre une question de droit, relative au fondement théorique de ce qui est, et une question de fait, relative à ce qui existe ou a existé. Le Contrat social a en effet pour sous-titre « Principes du droit politique ». Ce sous-titre est évidemment inséparable du titre auquel il apporte tout son sens. Il ne s’agit en rien pour Rousseau de faire œuvre d’historien, de montrer comment historiquement les sociétés se sont formées, comment les hommes se sont associés pour vivre en communauté. Une telle tâche se réduirait à une interrogation des faits, qui par définition sont contingents, variables selon les sociétés. Les conditions concrètes d’une telle unification relèveraient donc de l’histoire des peuples, et non de la pensée politique. Or c’est bien en philosophe politique que veut raisonner Rousseau. Et pour cela, ce ne sont pas les faits historiques, qui auraient pu très bien être ou ne pas être tels qu’ils ont été, qui l’intéressent, mais bien le principe qui permet d’en rendre raison. Comment expliquer la nécessité de la vie en société, au-delà de toutes les contingences historiques ? Qu’est-ce qui fonde ce moment de l’unification qui dans les faits se traduit de manière plurielle ? Tel est le problème auquel Rousseau veut répondre. Ce problème relève d’une question de droit, c’est-à-dire qu’il concerne ce qui en principe, est, et non les diverses réalisations possibles de ce qui est. Or cette dualité de l’être, du principe au fait, est bien ce que les élèves ont au départ le plus de mal à comprendre.

19Afin donc que la frontière entre le droit et le fait soit clairement établie, il est vraisemblablement crucial de prendre le temps d’expliquer la phrase d’ouverture du préambule, qui indique explicitement l’objectif philosophique de Rousseau dans ce livre :

20

« Je veux chercher si dans l’ordre civil il peut y avoir quelque règle d’administration légitime et sûre, en prenant les hommes tels qu’ils sont et les lois telles qu’elles peuvent être » [14].

21Rousseau exprime ici clairement sa volonté heuristique en précisant quelle est son hypothèse de travail. Le lieu de recherche ne fait point de doute : il s’agit de s’intéresser à l’ordre civil. Ce n’est donc pas cet état hypothétique de nature qui, selon la théorie de Hobbes, permet de comprendre, par le conflit d’intérêt qu’il génère, la nécessité de l’état civil, qui sera le centre des réflexions rousseauistes, mais bien l’état civil. Par ailleurs, l’objet de la recherche est précisément déterminé : l’existence d’une « règle d’administration légitime et sûre ». C’est là que la difficulté de lecture peut être la plus grande pour les élèves, si bien qu’il s’agit de ne pas se méprendre sur les termes usités. Le terme central, celui de « règle », qui, dans le langage commun, désigne une formule qui prescrit ce qui doit être, prend en ce contexte politique un sens plus précis : elle doit contenir les conditions de toute vie en communauté. En effet, c’est bien de la vie en communauté qu’il s’agit si l’on ne fait pas de contresens sur le terme d’administration. Le mot n’est pas ici employé en son sens technique, mais au sens large de l’ensemble des règlements qui fondent la vie commune. Loin de se demander comment l’on gère administrativement un État, comme certains élèves pourraient le croire après une première lecture trop rapide, ce que recherche Rousseau est donc une règle fondamentale, essentielle, au sens où elle contient en elle le fondement, l’essence de toute vie en communauté. Nous sommes bien dans une réflexion d’ordre logique et non chronologique. Mais les deux adjectifs qui qualifient cette « règle » achèvent de nous faire comprendre les intentions philosophiques de Rousseau. « Légitime » signifie précisément « qui est fondé en droit », tandis que « sûre » désigne ce sur quoi on peut s’appuyer, ce dont on ne peut remettre en question le bien fondé, ce dont la légitimité ne saurait donc être contestée. Tel est l’objectif très élevé que se fixe Rousseau en ce début d’ouvrage : découvrir un principe politique certain. Néanmoins, la politique étant loin d’être une science exacte, comment être assuré que la règle trouvée sera la bonne ? C’est là le rôle attribué aux moyens envisagés pour cette recherche. En effet, Rousseau finit la phrase en se fixant deux règles méthodologiques. La première est un principe de réalité qui consiste à penser la politique sans exclure la nature humaine qui est loin, a priori, de tendre spontanément à l’intérêt collectif. Une connaissance anthropologique est donc indispensable afin d’éviter que cette recherche ne dérive vers l’édification imaginaire de ce que l’on aimerait que les hommes soient. La deuxième est fondée sur une bonne compréhension du concept de loi. À la différence des hommes qui sont « tels qu’ils sont », les lois sont ce que les hommes en font. Et puisque le propre de la loi est d’être humaine, de ne dépendre que du pouvoir de l’homme, il s’agit d’envisager cette création en prenant en compte tous les possibles, afin de cerner celui qui correspond à la recherche projetée.

22À l’affirmation de cet objectif de recherche répond dans le premier chapitre du livre I l’opposition de deux interrogations essentielles. Ce livre s’ouvre sur l’un des constats politiques les plus célèbres de Rousseau :

23

« L’homme est né libre, et partout il est dans les fers. »

24Mais ce paradoxe de la situation en société de l’homme contemporain ne prend vraiment sens qu’une fois lue la phrase qui le suit :

25

« Tel se croit le maître des autres, qui ne laisse pas d’être plus esclave qu’eux. »

26Ce premier chapitre met donc en avant la contradiction entre la liberté naturelle de l’homme et son asservissement social, en insistant sur l’idée qu’une société politique dont l’autorité est construite à la manière d’un rapport de maître à esclave exclut par définition tout rapport de droit, et de fait toute obéissance légitime et consentie. C’est une fois ce constat paradoxal énoncé en ce début de chapitre que Rousseau pose et oppose deux questions qui méritent, du point de vue de l’explication de la différence entre une question de droit et une question de fait, un éclairage spécial. En effet, Rousseau se propose, non pas de répondre à la question « Comment ce changement s’est-il fait ? », mais plutôt à celle-ci : « Qu’est-ce qui peut le rendre légitime ? ». Comment mieux affirmer la volonté de l’auteur de faire, non pas œuvre d’historien, mais de philosophe politique ? Rousseau se désintéresse de l’origine de cette situation d’asservissement, car l’étude des faits singuliers ne permet de comprendre que des cas particuliers. La question de ce passage de la liberté aux fers ne doit pas être tranchée historiquement, mais il faut la comprendre rationnellement. Comment fonder en droit l’obéissance à l’autorité ? Qu’est-ce qu’une autorité légitime lorsqu’on accepte de partir du postulat que l’homme est libre par nature ? C’est bien une telle problématique qui seule permettra de jeter les fondements d’une science politique.

27Une fois les prémisses de la réflexion rousseauiste ainsi posées, il devient possible d’analyser dans les chapitres II à IV du premier livre les réponses traditionnellement apportées à la question du fondement de la société et qui sont d’emblée rejetées par Rousseau : le pouvoir patriarcal, la force, et l’esclavage. Loin de la réduire à son origine naturelle, Rousseau fait de la famille, et plus particulièrement de la conservation des liens familiaux, une fois que les enfants ne sont plus dépendants pour leur survie, une convention proprement humaine. Le chapitre III, outre l’étude évidente de la contradiction propre à l’expression absurde de droit du plus fort, outre la distinction entre rapport de droit et rapport de force, nous permet d’introduire une première fois la distinction entre pacte d’association et pacte de soumission, et la question du pouvoir et de l’obéissance légitimes. Enfin, le texte sur l’esclavage peut être la base à la fois d’une distinction entre la nature et l’artifice, et de l’explication de la remise en question par Rousseau de l’esclavage, non seulement comme fondement de la société, mais encore comme institution elle-même fondée, puisqu’elle est contradictoire avec la nature de l’homme.

28Tout fondement naturel de la société étant désormais écarté, un fondement artificiel comme l’esclavage étant infondé, il devient alors possible d’introduire la question du fondement artificiel de toute société politique.

b – La volonté générale comme principe politique

29Précédant le chapitre central de l’ouvrage, le chapitre cinq constitue un vrai tournant dans la réflexion de l’auteur sur lequel il est central d’insister. Ce chapitre, en effet, n’est plus écrit sur le ton de la remise en question des thèses adverses, mais constitue en quelque sorte une mise en bouche de la thèse de Rousseau. Le titre du chapitre est ainsi énoncé sur le ton de l’affirmation à démontrer : « Qu’il faut toujours remonter à une première convention ». Autrement dit, et même si les faits ne nous permettent pas de le vérifier, toute société est en droit fondée sur une convention originelle. Or cette affirmation, inaugurant un deuxième moment de réflexion, rend possible une relecture de tout ce qui vient d’être remis en question depuis le début de l’œuvre. Quel était au fond selon Rousseau l’écueil commun aux trois thèses répondant au problème du fondement de la société dans les chapitres II à IV : l’oubli de l’objet au centre de l’interrogation, à savoir la société. En effet, que l’on prenne le pouvoir patriarcal, la force ou l’esclavage, ces trois fondements possibles de la société sont d’emblée à exclure du seul fait qu’ils ne traitent point de la société, mais plutôt de rapports dissymétriques entre individus. Dans les trois cas, c’est l’asservissement qui prévaut, c’est donc la contradiction initiale entre la liberté naturelle de l’homme et ses fers qui n’est pas résolue. Ces thèses ne posent pas le problème de la société parce qu’elles ne conçoivent la société qu’en des termes qui sont incompatibles avec la nature humaine. Rousseau le prouve par la distinction très nette qu’il fait entre « soumettre une multitude » et « régir une société ». Par cette distinction, il cherche en effet à comprendre comment un peuple devient peuple. Une multitude, c’est un amas, un agrégat d’individus qui n’a pas d’unité, et dès lors aucune existence collective possible. C’est ce qui faisait dire à Hobbes que seule sa sujétion totale au Léviathan lui donne une unité. Mais cela ne peut être qu’un semblant d’unité pour Rousseau. Car, de la même manière que l’aliénation est aux antipodes de la liberté qui anime naturellement tout homme, la soumission d’une multitude est aux antipodes de la société politique, c’est-à-dire de l’unification d’un peuple autour de règles collectives. Ce n’est donc pas la soumission qui fait un peuple ; son unité ne vient jamais de l’extérieur mais lui est inhérente. Ainsi, partout où des individus épars se soumettent absolument à une autorité, il n’y a aucun peuple qui émerge, il n’y a qu’un rapport de force contraire à la coexistence des libertés, qui seule est au fondement du droit.

30Ce que Rousseau exclut désormais définitivement, c’est la confusion de l’autorité politique avec la domination du maître sur ses esclaves. La convention qui fait qu’un peuple naît doit donc nécessairement relever, non pas de la juxtaposition des intérêts particuliers, mais de l’association autour d’un intérêt commun. Voilà ce qui de l’intérieur fait l’unité d’un peuple des citoyens. La convention première constitue l’émergence du peuple parce qu’elle est l’énoncé collectif d’une unanimité, qui n’est autre que la volonté de vivre en commun. L’unanimité de la première convention est donc à l’origine de l’articulation entre la société et la liberté naturelle, puisqu’elle est ce moment fondateur où chacun librement consent à transmettre sa volonté à la collectivité.

31Une fois ces jalons posés, les élèves peuvent aborder la thèse fondamentale de Rousseau développée dans le chapitre six : le fondement conventionnel recherché est un pacte social d’union entre les hommes. Mais la difficulté consiste alors dans l’assimilation de tout un vocabulaire politique nouveau qui va désormais être au cœur du texte. Tout d’abord, le concept d’association se substitue subtilement mais définitivement au concept d’agrégation, au moment où la réflexion sur les conditions d’articulation entre intérêts individuels se focalise sur ce que doit être l’intérêt commun. Car le problème posé par le concept d’agrégation, et qui disparaît avec celui d’association, est la détermination d’un objectif commun qui puisse unir les forces agrégées. Si l’on en reste à l’idée d’une somme de forces, les individus agrégés se retrouvent dans une situation de contradiction interne entre leur conservation individuelle, et l’utilité générale à laquelle leur force concourt. Les deux niveaux de l’individu et de la collectivité semblent s’opposer l’un l’autre. Sommes-nous agrégés pour nous conserver singulièrement, et alors c’est au tout que notre force risque de faire défaut, ou bien sommes-nous agrégés pour nous conserver collectivement, mais alors c’est la conservation de notre individualité (et de notre liberté) qui devient problématique ? Telle est l’aporie fondamentale face à laquelle se retrouve Rousseau à ce moment du texte. Or cette aporie ne peut se résoudre par une agrégation, mais bien par une association, dont la détermination va être le fil directeur de ce chapitre.

32Tout le problème de cette association consiste dans l’articulation en son sein de la sphère individuelle et de la sphère collective, et cette articulation problématique fondamentale devient à ce moment un élément majeur à bien faire entendre aux élèves :

33

« Trouver une forme d’association qui défende et protège de toute la force commune la personne et les biens de chaque associé, et par laquelle chacun s’unissant à tous n’obéisse pourtant qu’à lui-même et reste aussi libre qu’auparavant. »

34Dans le premier mouvement de cette interrogation, qui va du collectif à l’individuel, Rousseau énonce que l’association en question ne peut exister que si le droit de chaque associé de conserver sa vie et ses biens est, non seulement respecté, mais aussi préservé par tous. Dans un second mouvement, qui va de l’individuel au collectif, Rousseau expose la réciproque de ce premier mouvement : la dimension du devoir, c’est-à-dire de l’obéissance légitime. Il faut en effet que le consentement ne se réduise pas au moment de l’unanimité originelle mais qu’il se perpétue aussi longtemps que l’association existe. L’association exige le consentement perpétuel, la liberté exige l’obéissance. Rousseau théorise ici sans explicitement le nommer le concept d’autonomie politique. L’association recherchée doit être telle qu’elle permette à ses membres d’obéir en restant libres, autrement dit d’obéir aux lois qu’ils se sont prescrites. Quelle est alors la nature d’une telle association ? Rousseau énonce aussitôt la solution :

35

« Tel est le problème fondamental dont le contrat social donne la solution ».

36Le contrat social va donc être ce pacte collectif par lequel le peuple va de manière souveraine élaborer les conditions de sa conservation et de la coexistence des volontés individuelles en son sein. Autrement dit, avec ce contrat, Rousseau rompt ouvertement avec le pacte hobbesien qui unissait deux entités distinctes, le peuple et le souverain. Mais pour ainsi refuser le pacte de soumission au profit d’un véritable pacte d’association, Rousseau va devoir redéfinir le concept d’aliénation. En effet l’aliénation, comprise comme l’asservissement envers une puissance absolument souveraine, est antinomique avec le concept de contrat social. Si donc Rousseau réemploie ce terme dans ce chapitre, c’est en un sens tout à fait nouveau. L’aliénation dont il est question ici a pour spécificité d’être non plus individuelle mais collective. L’aliénation individuelle regroupe toute forme d’esclavage, de rapport de force entre particuliers, qui sont considérés par Rousseau comme la négation de toute possibilité d’un corps social. L’aliénation proposée par le contrat social doit donc au contraire être concomitante à l’avènement du droit. Elle ne signifie donc rien d’autre que le renoncement à la liberté naturelle insociable au profit d’une liberté conventionnelle qui a pour référent la communauté avant l’individu. Chacun s’aliène également au corps politique et se retrouve donc également libre.

37Par cette apparition d’un nouveau couple liberté/aliénation, Rousseau vient d’énoncer les conditions d’existence du véritable fondement constitutif du contrat social, à savoir la volonté générale. En effet, ce qui simultanément se passe lors de l’adhésion de chacun individuellement au contrat social, c’est la naissance d’une volonté unanime à préférer une conservation commune à toute forme de conservation individuelle. L’association est bien le premier acte (et l’acte fondateur) de la volonté générale, par lequel un peuple affirme son unité politique [15]. La volonté générale est donc une union en marche, un esprit commun qui a pour vocation d’animer le corps politique naissant.

38Cette volonté générale se manifeste à travers l’apparition de deux nouvelles figures politiques majeures et inséparables, le souverain et le citoyen. Le concept de souverain est désembourbé de tout résidu d’absolutisme monarchique pour désigner chez Rousseau la personne publique ainsi formée par le contrat social, en tant qu’elle est active. Mais cette définition du chapitre VI va être complétée et développée par le chapitre VII. Rousseau ne peut accepter la définition hobbesienne selon laquelle le souverain est ce pouvoir absolu auquel chacun se soumet en contrepartie de la protection qu’il apporte. Il va donc mettre l’accent sur l’engagement réciproque qui fait de chacun un membre du souverain, qui a renoncé à donner la primauté à son intérêt particulier sur l’intérêt général. Loin d’être une simple union d’individualités, le souverain est une véritable puissance collective dont l’action essentielle va être législative : le peuple souverain devient peuple autonome puisqu’il élabore les lois, régulant la vie commune, auxquelles chacun de ses membres décide d’obéir en tant que particulier. Obéir à la volonté générale, c’est donc bien se conserver en collectivité, et conserver la collectivité.

39Cette autonomie du peuple souverain se retrouve au niveau de chacun de ses membres et réalise l’unité de cet individu en apparence dual, le citoyen-sujet. Rousseau met en effet en valeur l’indissociabilité du citoyen et du sujet dès la fin du chapitre VI, où il montre qu’adhérer au contrat social signifie participer à l’autorité souveraine et obéir en tant que particulier aux décisions qui en émanent. Mais l’enjeu d’une telle réciprocité des droits et des devoirs prend toute son ampleur dans le chapitre VIII, où Rousseau insiste sur la transformation que réalise l’état civil sur l’homme. À l’homme de l’état de nature, isolé, asocial et déterminé par son instinct de conservation, se substitue en effet le citoyen-sujet, cet être bicéphale qui par la conformité aux règles communes qu’il a créées découvre le sens de la justice et de la moralité dans la recherche du bien commun. La société conduit donc l’homme à sa véritable humanité puisqu’il devient un être de raison. Elle forge au même moment un citoyen et un homme, autrement dit un être libre qui a délaissé la soumission aux rapports de force au profit des rapports de droit instaurés par la communauté.

c – La théorie politique mise en pratique

40Pourtant, il ne suffit pas d’avoir fait de la volonté générale le principe politique au fondement de toute société de droit pour être assuré de son existence. Encore faut-il pour cela veiller à l’adéquation entre ce principe et sa réalisation pratique. C’est à cette articulation que nous avons consacré le troisième acte de ce parcours initiatique. Les textes que nous avons étudiés à cette fin sont plus éparpillés dans l’œuvre et ont été choisis pour leur intérêt problématique relativement à cette question de l’articulation de la théorie et de la pratique politique, autrement dit des conditions concrètes d’exercice de la citoyenneté.

41La première difficulté qui a trait à cette articulation concerne la volonté générale elle-même. Comment garantir sa conservation, et éviter qu’elle soit remise en question ? En affirmant son inaliénabilité (Livre II, chapitre I). En effet, puisque l’exercice de la volonté générale consiste en la recherche continue de l’intérêt général, il est par définition impossible qu’elle s’aliène à un intérêt particulier. Il ne peut donc y avoir d’autre souverain légitime que le peuple, qui remet son existence en cause dès lors qu’il se soumet à une volonté autre que la sienne. Le souverain est donc pour Rousseau tout le contraire du maître dont on dépend, puisque le peuple ne dépend de personne d’autre que lui-même. La souveraineté n’est plus exercée sur le peuple mais par lui.

42Néanmoins, ne peut-on pas craindre que des groupes d’influences au sein du peuple lui-même ne viennent le convaincre que son bien est dans tel ou tel intérêt privé plutôt que dans l’intérêt général ? Rousseau évalue ce risque dans le chapitre III en montrant que la volonté générale peut errer lorsque des groupes d’opinions viennent influer sur les volontés particulières, et tromper ainsi le peuple souverain dans la recherche de son bien. Or une telle emprise des intérêts privés est inacceptable, dans la mesure où la volonté générale est tout le contraire d’une somme de volontés particulières. Le souverain doit donc, dans son intérêt général, refuser l’existence de tout groupe d’intérêt particulier, de toute société dans la société, afin que chaque citoyen soit bien membre du souverain en ayant pour seule finalité la recherche du bien commun. C’est à ce titre aussi que le chapitre XV du troisième livre pourra rejeter la députation. Qu’est-ce en effet que choisir des députés sinon renoncer à sa citoyenneté en confiant à des mandataires particuliers la souveraineté du peuple ? Tout corps politique qui se résoudrait à représenter la volonté générale court indubitablement par une telle aliénation à sa perte.

43Cependant, si l’intérêt particulier est ce qui par définition vient miner de l’intérieur le corps social, il n’en demeure pas moins que tous les citoyens-sujets sont aussi des individus particuliers. Comment concilier la nécessité de service public et d’obéissance à la loi qui est le propre de tout membre du pacte social, avec l’existence particulière ? C’est cette délicate question que pose le chapitre IV du livre II, en distinguant très clairement le citoyen et l’individu. Le citoyen est le membre du souverain et, en tant que tel, il ne réfléchit et n’agit qu’en considération de l’intérêt général. Mais en tant que particulier, le citoyen jouit de sa liberté individuelle et dispose de ses biens, pour autant que cette manière d’user de sa vie ne vient pas remettre en cause les limites fixées par le souverain. Donc, les bornes du pouvoir souverain sont celles de la vie privée individuelle, et les limites de cette vie privée sont celles fixées par la législation commune.

44Mais quelle est précisément la nature de cette législation ? Comment rendre raison de la nécessité de la loi ? À la différence du contrat social qui est l’acte de naissance de l’État, la loi est ce par quoi il se conserve et persévère dans son existence. La loi réalise donc, comme le montre le chapitre VI, les conditions d’une perpétuation de l’union dans le temps, avec pour objectif central d’instaurer un ordre social où figure la réciprocité des droits et des devoirs, où chacun obéit également aux mêmes règles, à l’élaboration desquelles il est à l’origine. La loi, loin des dérives métaphysiques, est donc un concept strictement politique, qui dans les faits doit éviter un écueil : prendre pour objet le particulier. Acte par lequel « tout le peuple statue sur tout le peuple », la loi incarne l’unité de la forme et du contenu, l’unité de la volonté générale et de l’intérêt général.

45En pratique un problème demeure cependant, comme le montre le chapitre XI du livre II. En effet, si tout système législatif a pour vocation de garantir la liberté et l’égalité de chacun des membres du souverain, il n’en reste pas moins que les faits viennent souvent contredire ces principes. Le système rousseauiste serait-il une simple théorie politique en contradiction avec la pratique ? C’est le sentiment que l’on pourrait avoir, eu égard aux distinctions sociales excessives qui permettent aux plus puissants et aux plus riches d’influer sur tout le corps social. Que faire lorsque ces inégalités sociales minent par leur excès le bon fonctionnement de l’État jusqu’à contrevenir à la recherche de l’intérêt général au profit d’intérêts privés ? Rejetant la solution égalitariste du nivellement des différences sociales, Rousseau opte pour une modération des oppositions excessives au sein de la société, par le biais d’une législation active qui veille à ce que l’union soit toujours ce qui l’emporte sur les différences individuelles, à ce que les inégalités sociales ne viennent pas remettre en cause l’égalité de droit, pour que la volonté générale demeure souveraine.

46Quel est alors le rôle du législateur si c’est au peuple seul que revient la volonté législative ? Rousseau s’évertue, dans le chapitre VII de ce deuxième livre, à distinguer le législateur du peuple souverain. Le législateur n’a en rien une fonction d’élaboration de la loi. Mais il est ce personnage quasi divin qui établit les principes constitutifs d’un État, qui change la nature des hommes en les introduisant dans le règne du droit, qui donne donc au peuple la capacité de s’affirmer comme volonté législative souveraine. En donnant ainsi ses lois constitutives à un État, il ne participe en rien à la vie de l’État, mais accomplit la tâche exceptionnelle de mettre en route son fonctionnement autonome.

47Si par ailleurs le législateur ne doit, une fois son œuvre réalisée, en aucun cas avoir une fonction gouvernementale, c’est parce que le gouvernement est d’une nature tout autre, qu’explique avec précision le premier chapitre du livre III. Le gouvernement a une fonction d’intermédiaire et d’union entre le souverain et les particuliers, donc entre le citoyen et le sujet, en ce qu’il veille à ce que tous les membres de la volonté générale obéissent aux lois qu’ils se sont prescrites. La puissance exécutive du gouvernement est donc ce qui vient mettre en œuvre concrètement la loi. Sans ce serviteur de la puissance législative, l’autonomie politique du peuple serait pure théorie, mais ne serait en aucun cas mise en application pratiquement.

48Dès lors, ce gouvernement ne devrait-il pas être démocratique, afin que la puissance souveraine et la puissance exécutive ne fassent plus qu’une ? Ne serait-ce pas là l’acmé de l’autonomie politique ? C’est une telle idée que Rousseau remet en cause au chapitre IV du livre III, au nom de la séparation des pouvoirs, comme seule garantie d’une stabilité de l’État. Étant donné que le gouvernement a pour objet le particulier et non le général, un régime démocratique entraînerait une contradiction au sein du peuple qui en tant que souverain aurait pour objet le général et en tant que gouvernant le particulier. Par ailleurs, l’acte du souverain vise à instituer un ordre social dans la durée, alors que le gouvernement veille au maintien de cet ordre par le biais d’actions ponctuelles. Que le peuple légifère et gouverne en même temps paraît donc une idée plaisante en théorie mais inapplicable en pratique, à moins d’imaginer un très petit État, où tous les citoyens se connaissent, entre lesquels les inégalités sont quasi inexistantes, et où le luxe n’existe pas. Si la puissance législative est donc par nature démocratique, il est très rare et peu recommandé que la puissance exécutive le soit.

49À l’issue de ce parcours, qui n’est pas exhaustif, mais traite, en suivant le texte de manière linéaire, les questions essentielles soulevées par le Contrat social, les élèves auront donc pu tout à la fois apprendre à lire un texte philosophique, et auront été initiés à la pensée politique de Rousseau, en réfléchissant en particulier à l’idée de citoyenneté. Mais afin d’assumer l’unité de l’étude du texte, tout en évitant le risque du morcellement des thèmes, il n’est pas incongru d’articuler cette lecture et l’approche des grandes questions posées par le cours de philosophie.

III – Philosopher en éveillant la conscience citoyenne

a – Articuler individu et communauté : le possible fil directeur d’une année

50À nouveau, entendons-nous : il ne s’agit pas ici de tomber dans un prêche pédagogico-philosophique centré sur la question du civisme, et venu des sphères éthérées, comme il en existe de trop nombreux. Il s’agit simplement, plus modestement aussi, de mettre en évidence, au moyen de ce qui est à la disposition du professeur de philosophie, à savoir des textes et des thèmes, la manière dont une réflexion sur l’idée de citoyenneté peut être abordée : non une discussion vague sur un concept incertain, mais une réflexion en commun sur un concept dont on aura fait l’effort dans un premier temps de commencer à déceler rationnellement une théorie dans l’œuvre de Rousseau. Dans une telle perspective, le choix du Contrat social comme œuvre à étudier en lecture suivie peut être d’autant plus pertinent s’il s’inscrit de manière tout à fait adéquate dans la logique d’un cours dont le fil directeur consiste à articuler individu et communauté.

51Pour ce faire, il peut être bienvenu de débuter l’année en se focalisant sur la notion qui peut-être porte à son paroxysme ce problème, à savoir la notion de liberté. Si en effet l’individu accepte les règles de la collectivité, c’est parce qu’il prend conscience du fait qu’il s’agit là du seul moyen pour lui de conserver sa liberté. Mieux vaut effectivement une liberté limitée par les lois communes qu’une liberté illimitée, et de ce fait illusoire, inexistante. L’articulation de l’individu et de la communauté est au cœur de toute réflexion sur la liberté, se retrouve même au centre de l’antinomie traditionnelle qui l’oppose à la nécessité, ce qui peut donner l’occasion d’introduire une première fois les élèves à Rousseau (avant que ne commence la lecture suivie) à travers un extrait des Lettres écrites de la Montagne[16]. Point de liberté sans lois nous dit en effet Rousseau dans ce texte, car la liberté se distingue de l’indépendance en ce qu’elle ne se réduit pas à une absence de contraintes. Les élèves rencontrent ainsi pour la première fois de l’année la notion d’autonomie en politique. Un peuple n’est libre que s’il obéit à ses propres lois, autrement dit sa liberté est conditionnée par l’existence de la loi qui en détermine les limites. Mais réciproquement, seul un peuple législateur est un peuple libre. Ainsi pouvait-on déjà entrevoir l’esprit de la conception démocratique de Rousseau et le sens qu’il allait donner à la citoyenneté.

52Par la suite, il est possible d’étudier une série de notions qui permettent de répondre à la question : qu’est-ce qu’une communauté ? Mais au lieu de commencer directement par une réflexion sur l’État et la Société, qui pourrait paraître trop abstraite aux élèves non habitués encore aux subtiles distinctions de la philosophie politique, il peut être préférable de poser une question assez proche de la réalité médiatique autour de laquelle gravite l’élève – spectateur : y a-t-il de la morale en politique ? Cette question qui pourrait avoir l’apparence d’une soumission aux revendications de la doxa, se révèle on ne peut plus philosophique. En parallèle avec le travail commencé sur Rousseau, relatif à la question du fondement de la société, elle rend possible une distinction entre la morale, le droit et la politique, tout en n’omettant pas de mettre en valeur que ces trois notions ont pour fond commun de poser le problème de la vie collective et de la règle comme moyen rationnel permettant la coexistence avec autrui.

53Il est alors envisageable d’aborder avec plus de sérénité la distinction entre l’État et la société. Pour bien saisir l’enjeu d’une telle réflexion, où la question de la nature de la communauté apparaît avec le plus d’acuité, il est essentiel de partir de l’opposition entre la communauté aristotélicienne, conçue comme une fin naturelle de l’homme, et la citoyenneté artificielle de Hobbes, premier grand théoricien du contrat, sans la connaissance duquel il est impossible de comprendre Rousseau : alors qu’Aristote est le théoricien de l’« animal politique », Hobbes, en affirmant que la société résulte d’un pacte de soumission au Léviathan, conçoit une première forme de la citoyenneté artificielle, qui est le pur effet des conventions humaines. C’est donc désormais à l’art humain, et non à des finalités qui seraient extérieures à la volonté des hommes, de construire la communauté politique. Mais dans la nécessité naturelle comme artificielle de vivre en société, un écueil demeure : l’absence de distinction entre la société et l’État, dont le caractère problématique est néanmoins à relativiser par la dimension anachronique qu’aurait revêtue une telle distinction chez Aristote comme chez Hobbes. Cette difficulté sera en effet résolue par la philosophie du droit de Hegel, chez qui pour la première fois, la société, centrée sur l’intérêt, est différenciée de l’État, sphère de la rationalité collective la plus élevée, et au sein de laquelle le citoyen accède à l’universalité en conformant son action à l’intérêt collectif. Cependant, quelle est la réalité concrète d’une telle citoyenneté universelle ? L’État ne cache-t-il pas, et même ne légitime-t-il pas, sous ce voile universaliste, les conflits de la société civile entre ceux qui dominent économiquement et ceux qui sont dominés ? C’est alors le renversement hégélien par Marx et Engels que nous pouvons étudier pour répondre à cette question. Il est intéressant de poursuivre en interrogeant la démystification marxiste du rôle de l’État, et par là même de la conception de la citoyenneté hégélienne, en mettant en évidence sa véritable nature, la domination implicite que justifie ce concept, et l’avenir de cette forme historique bourgeoise vouée à être dépassée.

54La transition est alors toute trouvée pour une réflexion sur le thème de l’histoire, qui s’incarne avant tout à travers l’histoire des collectivités humaines, et les conflits meurtriers incessants que leur rivalité engendre. Pour résoudre l’opposition apparente entre ce que veut l’individu dans son histoire personnelle, c’est-à-dire persévérer dans son existence, et ce que veulent les États, c’est-à-dire augmenter leur puissance (ce qui au fond revient à une même chose, à savoir la recherche de son seul intérêt, mais envisagée selon deux points de vue différents), on peut s’attacher à comprendre le devenir historique comme l’œuvre non des hommes mais de l’humanité, véritable agent de l’histoire : une œuvre rationnelle de l’espèce qui consiste à mettre progressivement en place les moyens pour établir un droit cosmopolitique. À l’aune de l’histoire de l’humanité, la communauté apparaît donc bien comme celle de l’espèce humaine dans sa totalité.

55Or le vecteur d’une telle construction historique est le langage. Le langage est en effet ce véhicule proprement humain par lequel l’homme a la possibilité de communiquer rationnellement avec ses semblables, et de ce fait de favoriser l’union par la recherche de règles de vie commune. Mais le langage, en ce qu’il est toujours le fruit d’une appropriation singulière, est aussi la notion qui permet d’établir une transition entre la communauté, dont nous venons d’essayer de dévoiler la nature, et l’individu, dont l’étude constitue ici le deuxième grand moment du cours.

56Pour comprendre ce qu’est un individu, l’on peut commencer par mettre en évidence la difficulté de cerner son essence. Un premier cours sur la conscience, afin de pénétrer la difficulté de penser aujourd’hui le sujet cartésien après la révolution psychanalytique freudienne. En effet, selon Freud, la découverte de l’inconscient aurait infligé à l’égocentrisme humain un démenti aussi grave que ceux qu’en leur temps Copernic et Darwin provoquèrent, en montrant « que le moi n’est pas maître dans sa propre maison » [17], qu’il en est réduit à se contenter de signes très vagues de ce qui se passe en dehors de sa conscience, à laquelle la vie psychique est loin de se limiter. Sommes-nous capables d’être maîtres de ce que nous sommes, si notre moi ne règne plus en sa demeure, si le psychisme ne se réduit plus au simple conscient, mais est constitué en grande partie de l’inconscient, cette zone d’ombre, à la fois pulsionnelle et normative, qui non seulement influe, mais le plus souvent détermine le « je » que nous sommes ? Une esquisse de résolution d’un tel problème est alors de remettre en question l’identité trop rapidement admise entre le sujet et celui qui consciemment dit « je », pour essayer de comprendre si au fond le sujet n’est pas essentiellement collectif. Dès lors, c’est encore à la nature de la communauté qu’il faut revenir lorsqu’il est question de comprendre l’individu, car avant de dire « je », il est nécessaire qu’en commun nous puissions dire « nous ». Dans ce « nous » collectif se retrouve aussi bien le fondement de la politique que celui de toute altérité.

57Poursuivre cette quête de l’individu peut passer par une étude de ce qui, selon Spinoza, constitue « l’essence même de l’homme, en tant qu’on la conçoit comme déterminée, par suite d’une quelconque affection d’elle-même, à faire quelque chose » [18], c’est-à-dire le désir. Cela permet de revenir à la réflexion morale au point de vue individuel, de percevoir quelle conception du désir est à l’origine de sa condamnation morale, et d’envisager sa nature sous un nouveau point de vue. Le désir n’apparaît plus selon Spinoza comme extérieur à la nature de l’homme, mais il est bien le nom que prend sa puissance singulièrement déterminée. Tout le problème consiste pour Spinoza à faire de ce désir un désir de connaître, afin de parvenir à l’intelligence de la nécessité, qui est ce par quoi l’individu est le plus utile aux autres.

58Il ne reste plus qu’à approfondir la définition de ce qui traditionnellement caractérise la nature humaine, à savoir la raison. La rencontre de cette notion doit offrir un aperçu de ce qu’est le sujet connaissant : un sujet qui, comme l’a montré Kant, crée la connaissance à l’aune des concepts de son entendement et dans les limites de l’expérience possible.

59À travers ce premier abord de la réflexion sur la connaissance, il est plus aisé d’entrer dans le troisième axe de cette réflexion : après avoir essayé de connaître la nature de la communauté et de l’individu, nous ne pouvons, pour articuler définitivement les deux notions, que réfléchir à ce que produit l’individu dans la communauté, aussi bien du point de vue de la connaissance que de celui de l’action.

60C’est pourquoi, afin d’achever l’approche du sujet connaissant, on peut aborder la difficile et centrale notion de vérité, en appréhendant aussi bien la pluralité des usages possibles du concept : de la vérité universelle et nécessaire qui résulte de la démonstration mathématique à la vérité qui fait sens et donne à penser, telle qu’elle est élaborée par les recherches et interprétations qu’apportent les sciences de l’homme, en passant par la vérité en sciences de la nature, qui nécessite la vérification expérimentale d’une hypothèse construite par le savant face à une observation énigmatique venant remettre en question les théories jusqu’alors acceptées.

61Une approche de la notion de travail permet ensuite de se demander s’il participe plutôt à l’aliénation, comme son étymologie pourrait le suggérer, ou bien à la libération de l’individu dans la communauté. Si le travail est en effet une nécessité dans l’organisation de la communauté que les échanges viennent réguler, la substitution du gain au besoin tend à dénaturer aussi bien le travail que son mode de régulation, en faisant de la richesse et de l’accumulation, par nature infinie, du capital la première cause des conflits au sein des communautés humaines. Mais la division des membres de la société civile entre travailleurs-exploités, qui sont les véritables individus aliénés par leur travail, et travailleurs-exploitant, qui sont propriétaires de leur travail, ne peut suffire à nous faire considérer le travail seulement comme un instrument d’asservissement de l’homme par l’homme. Comme en témoigne la dialectique du maître et de l’esclave chez Hegel, l’oisiveté conduit à la dépendance alors que le travail, aussi aliénant soit-il, peut être l’expression d’une reconquête de la liberté. Expression concrète de son intelligence, moyen par lequel il humanise et donne sens au monde qui l’entoure, le travail est donc indissociable d’une réflexion sur la technique. L’introduction de cette notion permet, à ce moment-là du cours, d’élargir l’idée de production de l’individu sur la communauté, à la production de l’individu sur la nature, sur le monde qui l’entoure. Enfin, ce voyage conceptuel peut se terminer par une approche de l’art, au moyen duquel l’individu retranscrit l’esprit de sa communauté, et de la conception du monde qui en émane, et pérennise son inscription en son sein.

62L’étude de l’œuvre politique majeure de Rousseau permet donc de renforcer la ligne directrice du cours de philosophie, et de revenir par un autre biais, celui de la lecture philosophique, sur la problématique centrale de cette réflexion commune engagée avec les élèves. Cependant, la lecture suivie rigoureuse du Contrat social, même si elle est intégrée à un cours dont la ligne directrice consiste dans l’articulation de l’individu et de la communauté, suffit-elle à l’éveil de la conscience citoyenne des élèves, si tant est que cet éveil fût nécessaire ? Autrement dit, en quel sens peut-on discuter les thèses avancées par Rousseau et permettre à des citoyens en devenir d’aborder l’œuvre d’un point de vue critique ?

b – De la lecture à la réflexion critique : le Contrat social en question

63Le travail de lecture suivie peut avoir cet inconvénient qu’il exige du professeur, et des élèves, une telle attention à la lettre et à l’esprit du texte que l’on en oublierait la seconde partie du travail, à savoir la mise en question de ce qui est lu, comme nous le recommande Kant :

64

« L’auteur philosophique sur lequel on s’appuie dans l’enseignement ne doit pas non plus être considéré comme le modèle du jugement, mais seulement comme une occasion de juger soi-même sur lui, et même contre lui, et la méthode de réfléchir et de raisonner soi-même est ce dont l’étudiant recherche essentiellement la possession » [19].

65Ainsi, la compréhension de la théorie politique de Rousseau ne devait en aucun cas faire du Contrat social un bréviaire de la citoyenneté pour les élèves. Tout l’intérêt d’une réflexion philosophique sur cette œuvre est de veiller à ce que l’originalité des problèmes posés et des thèses avancées soit saisie tout en n’omettant pas de donner à cette avancée une dimension critique, consistant à interroger ce qui est lu et à répondre à ces interrogations par des références philosophiques nouvelles. Articuler compréhension rigoureuse et discussion critique semble effectivement au fondement aussi bien de la philosophie que de la capacité à user d’un esprit critique, qui est censé animer tout citoyen.

66Le premier problème qui peut être soulevé concerne l’universalité de la volonté générale. C’est en effet la critique classique qu’Hegel adresse à Rousseau dans l’addition du § 258 de ses Principes de la philosophie du droit. Après avoir montré dans le paragraphe précédent que l’État est « l’effectivité de l’idée éthique » [20], Hegel établit dans ce paragraphe qu’il est « le rationnel en soi et pour soi » [21], le but final dans lequel la liberté individuelle parvient à sa véritable destination, si bien qu’il ne peut rien y avoir de plus rationnel, aucune expression plus haute de liberté pour les individus, que d’être membres de l’État. Autrement dit Hegel envisage en des termes tout à fait originaux les rapports entre l’État et l’individu, et ce en raison d’une distinction tout à fait précise et nouvelle entre l’État et la société civile. À cette occasion, Hegel va dans l’addition de ce paragraphe remettre définitivement en cause la conception rousseauiste de l’État fondé sur un contrat social.

67Or pourquoi Hegel refuse-t-il le concept de contrat social ? Parce que l’État hégélien se distingue de l’État libéral qui confond les notions d’État et de société civile. La société civile est en effet pour Hegel la sphère par excellence de la recherche incessante de l’intérêt particulier. Elle est une jungle de l’égoïsme, étant donné que chacun de ses membres ne se soucie que de satisfaire ses propres besoins, de réaliser ses propres buts tout en niant les intérêts des autres. Cette situation engendre une lutte des égoïsmes qui rend peu à peu nécessaire un ordre institutionnel rationnel, à savoir l’État. Mais l’État, loin de simplement réguler ces oppositions en adoptant la même logique que la société civile, va se donner pour mission de transformer ces individus aux intérêts particuliers en citoyens n’obéissant qu’à son intérêt universel. L’État est donc le moment de l’esprit objectif où les individus comprennent que la citoyenneté, l’engagement au service de la vie collective, est le seul moyen pour réaliser pleinement leur liberté. L’État s’oppose bien à la société civile puisqu’il est la rationalité la plus haute, la réalisation concrète de l’universalité là où la société civile n’avait pour seule règle que la satisfaction sans limite de la particularité.

68Or le contrat social ne constitue-t-il pas justement, comme le montre Rousseau, l’émergence d’une volonté générale, qui par définition transcende toute particularité ? Si Rousseau a eu en effet, selon Hegel, le mérite de penser l’État en son principe, il a fait l’erreur de confondre le particulier et l’universel. Car la référence au contrat fait de la volonté individuelle le fondement de la volonté universelle de l’État. La volonté générale n’est rien d’autre que « l’élément-commun qui surgit de cette volonté singulière en tant que consciente » [22]. Or, cette subordination de la volonté générale aux volontés particulières est inacceptable pour Hegel, car, s’il faut reconnaître à la particularité toute sa dimension dans la sphère de la famille et de la société civile, c’est précisément pour qu’au niveau de l’État on puisse passer à la considération de l’universel. L’État ne peut donc en aucun cas se réduire à une union par contrat des particuliers en vue de veiller à leur vie et à leurs biens. C’est parce qu’elle fait de l’État une union de volontés individuelles que la théorie du contrat est fausse.

69L’État hégélien se distingue donc de l’État libéral, dont Rousseau est l’un des représentants et dont le seul objectif, par l’entremise du contrat, est la coexistence sociale des libertés individuelles. L’État hégélien est au contraire ce qui permet à la volonté individuelle de s’élever à l’universalité rationnelle, et de rejeter son intérêt égoïste. Hegel refuse à l’homme de la société civile la prérogative d’établir l’État dans ses limites. C’est en revanche à l’État d’élever l’individu au-delà de ses limites particulières pour atteindre l’universel. L’obéissance au droit de l’État n’est alors plus vécue comme une contrainte mais comme un devoir qui conditionne l’accès à la rationalité universelle. Le devoir du citoyen n’est plus un impératif formel, mais la participation à la raison collective, qui prend la forme des institutions de l’État. Il n’y a plus dès lors une simple réciprocité, mais une identité du droit et du devoir [23]. En réalisant son devoir, c’est-à-dire, en agissant dans un but universel, le citoyen hégélien affirme au même moment son droit [24]. Loin d’être au service de l’individu, de se contenter de régler les conflits d’intérêts, l’État éveille ainsi les individus à la citoyenneté, à la conscience de l’intérêt collectif.

70Cependant quelle est la réalité concrète d’une telle conception de la citoyenneté ? Hegel, en rejetant la référence au contrat, n’accentue-t-il pas à outrance un idéal du citoyen, capable de réprimer toute survivance de son intérêt particulier en servant uniquement la collectivité, déjà fortement présent chez Rousseau ? Contrairement à ce que pense Hegel, n’y a-t-il pas chez Rousseau l’existence d’un même idéalisme, qui empêche de comprendre à quelles conditions puisse se concevoir « une politique qui pût être appliquée pratiquement » [25] ? C’est la question que l’on peut se poser en mettant en particulier en évidence la dimension morale intimement présente dans la manière dont Rousseau envisage la question politique. N’est-ce pas plutôt dans l’articulation d’une réflexion sur des principes et d’une prise en compte de la réalité que la citoyenneté se construit véritablement ? Le discours moral n’est-il pas là pour masquer la réalité des rapports de force qui constituent concrètement la politique ? Avant d’être vertueuse, la politique ne cherche-t-elle pas à être efficace et l’objectif concret du pouvoir politique n’est-il pas de durer et d’assurer la vie collective ?

71C’est de ce point de vue en effet que la question morale ne se pose déjà plus pour Machiavel, car la politique n’est précisément pas une affaire de morale. Il ne faut pas entendre par là que la politique est immorale, mais plutôt qu’elle est amorale, qu’elle ne concerne pas la morale. Avec Machiavel, la politique ne se donne donc plus pour fin la recherche du souverain bien, mais la conservation du pouvoir. C’est pourquoi il se propose d’étudier les mécanismes du pouvoir dans leur réalité, sans nier aucun des éléments qui les constituent, y compris la force.

72C’est pourquoi, si l’on peut tout à fait suivre Rousseau dans sa démonstration de l’incohérence du droit du plus fort, de l’inexistence nécessaire d’un tel droit du fait de l’incompatibilité des deux termes, il n’en reste pas moins que la question de savoir si le droit peut exister sans recours à la force demeure envisageable. Car une chose est de critiquer le droit du plus fort, une autre est de prouver que le droit n’a pas besoin de la force pour s’imposer. C’est un tel problème qu’on peut traiter en se référant à la célèbre pensée 298 de Pascal consacrée au rapport de la justice et de la force. Ce que montre en effet Pascal dans ce texte très célèbre, c’est que sans la force la justice n’existe pas.

73Si en effet la force manque de légitimité, la justice manque, elle, de puissance pour contraindre à l’obéissance, et s’en tient donc au bon vouloir des individus. On obéit à la justice par devoir, mais on se soumet à la force parce qu’on y est contraint. La justice seule est donc une illusion inapplicable, et la force seule est un pouvoir violent illégitime et inacceptable. L’union est donc nécessaire. Mais l’union n’est pas la fusion. Il faut nécessairement choisir laquelle des deux dans le couple doit se subordonner à l’autre. Justice forte ou force juste, Pascal va opter pour la seconde solution, qui est selon lui la seule en adéquation avec la réalité. Quel est en effet le défaut qui va déséquilibrer le rapport en faveur de la force ? La variabilité absolue de la justice. L’impossibilité de s’entendre à propos de ce qui est juste fait que la force elle-même peut prétendre être la justice, et à travers cet injuste maquillage qu’elle peut imposer, rendre la justice définitivement caduque. Si donc la justice veut un tant soit peu exister, il lui faut accepter de devenir l’auxiliaire de la force. C’est donc bien la justice qui a besoin de la force pour exister, si bien qu’en réalité, le juste n’est jamais éloigné de l’intérêt du plus fort, qui conditionne son existence.

74Mais qu’en est-il plus précisément de la citoyenneté en pratique, autrement dit du rapport de l’individu à la société et de sa recherche de l’intérêt général ? C’est encore dans la droite lignée du réalisme politique hérité de Machiavel que s’inscrit Spinoza lorsqu’il répond à cette question. Comme ceux de Machiavel, les hommes qu’étudie Spinoza sont des êtres de désirs, de passions, qui ne sont que rarement dirigés par la raison. Si l’organisation politique se révèle donc nécessaire, c’est précisément parce que les hommes ne suivent que leurs intérêts particuliers et sont incapables de vivre rationnellement les uns avec les autres, si une règle commune à suivre ne leur est pas imposée avec contrainte. L’illusion serait de croire que les hommes agissent quotidiennement de manière rationnelle. La force du pouvoir politique est donc de refréner l’égoïsme et la violence humaine, et d’amener les hommes à un comportement, sinon rationnel, du moins raisonnable. À la différence de Rousseau, Spinoza ne fait donc pas de la citoyenneté un accès à la rationalité, une transformation de l’homme dans le sens de la moralité [26].

Conclusion

75La lecture du Contrat social de Rousseau peut donc se révéler à la fois comme un moment d’apprentissage de la lecture philosophique, de découverte d’un des chefs-d’œuvre de la pensée politique, et d’initiation critique à la question de la citoyenneté. L’expérience est d’autant plus fructueuse lorsque les élèves parviennent à se prendre au jeu de la lecture et du commentaire, essayant de saisir précisément ce que l’auteur veut dire, évacuant de ce fait l’angoisse initiale qui hante aussi bien l’entrée en philosophie que l’entrée dans le texte philosophique. Cette expérience confirme alors l’idée selon laquelle on apprend à philosopher en premier lieu en lisant des textes philosophiques.

76Il n’en reste pas moins que le travail de lecture philosophique constitue une épreuve en soi pour les élèves, qui à cette occasion ont à faire face à un ensemble de difficultés où se croisent les lacunes qui ont pu être accumulées au cours de leur scolarité (en particulier en français), et l’adversité d’un nouveau type de réflexion. À cet égard, l’œuvre de Rousseau constitue à la fois un bon révélateur de ce lot de difficultés, mais aussi un bon moyen pour les dépasser. En effet, si le Contrat social est indéniablement une œuvre dont la lecture ne va pas de soi, dont l’explication doit être très rigoureuse, en posant dès le départ les repères nécessaires pour bien saisir où Rousseau nous conduit, c’est aussi, et peut-être en cela même, l’un des textes les plus adéquats pour une introduction à la lecture philosophique critique. Et ce d’autant plus que, comme nous avons essayé de le montrer ici, la réflexion politique déployée exige des élèves qu’ils pensent et n’hésitent pas à interroger leur situation d’individus au sein de la collectivité.

Bibliographie

Bibliographie

  • Blanchot M., L’espace littéraire, Gallimard, Paris, 1955.
  • Descartes, Discours de la méthode, Agora, Paris, 1990.
  • Freud, Essais de psychanalyse appliquée, « Une difficulté de la psychanalyse », traduction de M. Bonaparte et E. Marty, Gallimard, Paris, 1933.
  • Hegel, Principes de la philosophie du droit, traduction de J.-F. Kervégan, PUF, Paris, 1998.
  • Kant, Annonce du programme des leçons de M. E. Kant durant le semestre d’hiver (1765-1766), traduction de M. Fichant, Vrin, Paris, 1973.
  • Platon, Phèdre, traduction de L. Brisson, GF-Flammarion, Paris, 1989.
  • Rousseau, Du Contrat social, Flammarion, Paris, 2001.
  • Rousseau, Lettres écrites de la Montagne, dans Œuvres complètes, t. III, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, Paris, 1964.
  • Skinner Q. et van Gelderen M., Republicanism. A Shared European Heritage, Cambridge University Press, Cambridge, 2002.
  • Spinoza, Éthique, traduction B. Pautrat, Seuil, Paris, 1999.
  • Spinoza, Traité politique, traduction de P.-F. Moreau, Réplique, Paris, 1979.

Notes

  • [1]
    Ce texte a commencé à être rédigé lors de la première année où nous découvrions le métier de professeur de philosophie et a de nombreuses fois été repris depuis. Nous tenons à remercier et à adresser nos pensées les plus amicales aux deux professeurs qui ont accompagné nos premiers pas dans ce métier, Denis Collin et Dominique Raoult. Cette réflexion singulière au sujet de l’art d’enseigner la philosophie en terminale leur est dédiée.
  • [2]
    Nous nous réfèrerons ici à la très bonne édition du texte établie par B. Bernardi chez Flammarion.
  • [3]
    Cf. Q. Skinner et M. van Gelderen, 2002.
  • [4]
    Spinoza, 1999, III, prop. XVII, scolie, p. 231 : « Cet état de l’esprit, qui naît de deux affects contraires, s’appelle un flottement de l’âme, lequel, partant, est à l’affect ce qu’est le doute à l’imagination ».
  • [5]
    En voici un bref recueil : « la philo, c’est se contenter de parler pour ne rien dire » ; « au bac on a jamais au-dessus de 8 » ; « c’est impossible de comprendre ce qu’écrivent les philosophes » ; « ils vivent d’ailleurs en dehors de la réalité »,…
  • [6]
    Spinoza, 1999, III, prop. XVIII, scolie II, p. 235.
  • [7]
    Kant, 1973, pp. 68-69.
  • [8]
    Ibid., p. 69.
  • [9]
    Descartes, 1990, p. 38.
  • [10]
    M. Blanchot, 1955, p. 251.
  • [11]
    Ibid., p. 252.
  • [12]
    Idem.
  • [13]
    Platon, 1989, 275d, pp. 179-180.
  • [14]
    Rousseau, 2001, p. 45.
  • [15]
    Rousseau, 2001, Liv. I, chap. VI, p. 57 : « Chacun de nous met en commun sa personne et toute sa puissance sous la suprême direction de la volonté générale ; et nous recevons en corps chaque membre comme partie indivisible du tout. »
  • [16]
    Rousseau, 1964, pp. 841-842.
  • [17]
    Freud, 1933, p. 146.
  • [18]
    Spinoza, 1999, p. 305.
  • [19]
    Kant, 1973, p. 70.
  • [20]
    Hegel, 1998, p. 313.
  • [21]
    Idem.
  • [22]
    Ibid., p. 315.
  • [23]
    Hegel, 1998, §§ 155 & 261, pp. 238-239 & 325-327.
  • [24]
    Ibid., § 261, p. 327 : « L’individu, [qui est] sujet d’après ses obligations, trouve, en les remplissant en tant que citoyen, la protection de sa personne et de sa propriété, la prise en considération de son bien-être particulier et la satisfaction de son essence substantielle, la conscience et l’amour-propre [qui consistent à] être membre de ce tout ».
  • [25]
    Spinoza, 1979, p. 11.
  • [26]
    Rousseau, 2001, Liv. I, chap. VIII, p. 60 : « Ce passage de l’état de nature à l’état civil produit dans l’homme un changement très remarquable, en substituant dans sa conduite la justice à l’instinct, et donnant à ses actions la moralité qui leur manquait auparavant. C’est alors seulement que la voix du devoir succédant à l’impulsion physique et le droit à l’appétit, l’homme, qui jusque-là n’avait regardé que lui-même, se voit forcé d’agir sur d’autres principes, et de consulter sa raison avant d’écouter ses penchants. »
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