Notes
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[1]
Les aventures de la dialectique, Préface, p. 9, Folio essais, Paris, 2000 ; noté par la suite AD.
-
[2]
Signes, préface, p. 9, Folio essais, Paris, 2001 ; noté par la suite S.
-
[3]
En effet, si deux œuvres ont pour objet principal la politique, à savoir Humanisme et terreur et les Aventures de la dialectique, il faut aussi souligner que la politique est rencontrée dans les autres œuvres : Phénoménologie de la perception, Sens et non-sens, Signes ainsi que dans les cours sur l’institution.
-
[4]
S., préface, p. 9.
-
[5]
Les propos repris à la suite des Essais sont des articles précédemment publiés dans Les Temps Modernes, L’express et Le Monde.
-
[6]
Ces trois ambiguïtés sont successivement abordées dans L’homme et l’adversité ; l’ambiguïté politique, comme manifestation de l’ambiguïté plus générale de notre rapport au monde, étant explicitée dans la dernière partie, p. 384 et sq.
-
[7]
Par cette formule, nous voulons ici distinguer la période de l’époque, ainsi que nous y invite Merleau-Ponty dans la préface de Humanisme et terreur ; par période, il faut entendre une durée où la politique est avant tout sans crise, sans violence et dont la dimension essentielle est celle de l’administration d’un droit établi, alors que l’époque est « un de ces moments où le sol traditionnel d’une nation ou d’une société s’effondre, et où, bon gré mal gré, l’homme doit reconstruire lui-même les rapports humains, alors la liberté de chacun menace de mort celle des autres et la violence reparaît », H.T., p. 44. Dans le premier moment historique la politique est celle de la continuation de l’institution alors que la seconde est le moment même de l’institution.
-
[8]
Sens et non-sens, La Guerre a eu lieu, p. 257, Nagel, Paris, 1963 ; noté par la suite SNS.
-
[9]
« Nous avons désappris la « pure morale » et appris une sorte d’immoralisme populaire, qui est sain. L’homme moral ne veut pas se salir les mains. C’est qu’il a d’ordinaire assez de loisir, de talent ou de fortune pour se tenir à l’écart des entreprises qu’il désapprouve et se préparer une bonne conscience. Le peuple n’a pas cette liberté-là : le mécanicien dans un garage, s’il voulait vivre, était bien obligé de réparer les voitures allemandes. », SNS., La Guerre a eu lieu, p. 259.
-
[10]
SNS., La Guerre a eu lieu, p. 251.
-
[11]
« quand on a vécu, comme nous l’avons tous fait […], dans Paris, avec la présence des Allemands et tout ce que cela signifiait, on comprend comment cette expérience était de nature à nous orienter de plus en plus sur ce qui se passe, sur les événements, sur l’extérieur, sur la vie politique et sociale. Et par conséquent, le cours des choses jouait dans le même sens que la philosophie de l’existence, qui elle aussi, de son côté, par ses moyens abstraits de philosophie, nous orientait vers le monde. » ; La philosophie de l’existence in Parcours 2, p. 259, Verdier, Lagrasse, 2001.
-
[12]
Formule que nous empruntons à la préface des Aventures de la dialectique, p. 9.
-
[13]
S., p. 26.
-
[14]
S., p. 14.
-
[15]
« À propos d’un vote du groupe parlementaire ou d’un dessin de Picasso, que d’heures, que d’arguments consumés, comme si l’Histoire Universelle, la Révolution, la Dialectique, la Négativité étaient vraiment présentes sous ces maigres espèces. » S., Préface, p. 14.
-
[16]
S., p. 14-15.
-
[17]
S., p. 15.
-
[18]
Nous reprenons les termes de Merleau-Ponty.
-
[19]
« Cependant, cette transformation de la connaissance de l’homme que nous ne pouvons espérer de déterminer par une méthode rigoureuse, à partir des œuvres, des idées et de l’histoire, elle s’est sédimentée en nous, elle est notre substance, nous en avons le sentiment vif et total quand nous nous reportons aux écrits ou aux faits du début de ce siècle. Ce que nous pouvons essayer, c’est de repérer en nous-mêmes, sous deux ou trois rapports choisis, les modifications de la situation humaine. », S., p. 367.
-
[20]
Les Propos de Signes sont des articles repris dont les titres ont été revus.
-
[21]
SNS., Préface, p. 8.
-
[22]
AD., p. 9
-
[23]
Principes qui viennent remplacer la téléologie naturelle de la philosophie politique antique, laquelle, à partir, du bien proprement humain, déduit les conditions de développement de la vie vertueuse ainsi que la forme politique la plus appropriée à cette fin.
-
[24]
Propos principalement recueillis dans Propos d’économique, Propos de Politique et Propos sur les pouvoirs.
-
[25]
Ch II, § 6 : Le critère de la pratique dans la théorie de la connaissance, p. 49.
-
[26]
ibid.
-
[27]
AD., p. 97.
-
[28]
Texte publié en 1952 dans les Temps Modernes.
-
[29]
« le but de cet article, écrit Sartre, est de déclarer mon accord avec les communistes sur des sujets précis et limités, en raisonnant à partir de mes principes et non des leurs », Situations VI, Les communistes et la paix, p. 168.
-
[30]
AD., p. 142.
-
[31]
AD., p. 139.
-
[32]
AD., p. 140
-
[33]
L’être et le néant, Tel Gallimard, Paris, 1993, p. 493
-
[34]
AD., p. 150 ; nous soulignons.
-
[35]
AD., p. 139.
-
[36]
AD., p. 139.
-
[37]
AD., p. 139. Si le social est une « seconde nature », comme la première il peut être objet d’une approche technicienne le modifiant. Le politique apparaît alors comme une « sorte d’ingénieur politique ». L’approche technique est ainsi une conséquence de l’objectivisme, tout comme l’approche en terme de « création pure » est une conséquence du subjectivisme sartrien.
-
[38]
AD., Préface, p. 14.
-
[39]
AD., Préface, p. 10.
-
[40]
L’attitude offensive de l’URSS, qui succéda à son attitude défensive, marqua un tournant radical de sa politique : il ne s’agissait plus d’une politique de lutte des classes, mais d’une politique volontariste, où la lutte des classes, bien loin d’être le moteur de l’histoire et de sa politique, est devenue la justification des actions politiques déterminées au sommet de l’appareil étatique. Celles-ci n’étaient donc plus l’émanation de la conscience prolétarienne, mais l’émanation de « la conscience des chefs » : « Un communisme tout volontaire apparaissait, entièrement fondé sur la conscience des chefs, renouveau de l’État hégélien, et non pas dépérissement de l’État » ; AD., p. 316. Ainsi, l’URSS avait définitivement rompu avec la politique marxiste – en développant un marxisme orthodoxe –, avec sa dialectique, jouant alors le jeu d’un État comme un autre. Ce changement d’orientation politique de l’URSS, cette rupture avec la politique marxiste, Merleau-Ponty la remarquait dans le guerre de Corée. Et c’est à partir de là qu’il remit en question son « attentisme marxiste » qualifié dans Sens et non-sens comme position politique de lendemain de la guerre ; SNS., p. 10. Cependant, s’il n’y a plus à attendre de la politique soviétique une orientation marxiste de l’histoire, l’attentisme est alors dépourvu de sens, et la position politique de sympathie communiste doit être revue, dans la mesure où, sur fond d’offensive soviétique, elle risque de devenir une simple adhésion à la politique de l’URSS. Le positionnement politique n’est jamais abstrait, il est toujours sur fond de situation actuelle.
-
[41]
AD., Préface, p. 13-14.
-
[42]
S., Préface, p. 15.
-
[43]
AD., p. 282.
-
[44]
Et ainsi c’est dans une autre perspective que la révolution sera retrouvée, dans une relativisation radicale que le marxisme orthodoxe ne peut admettre.
-
[45]
Propos d’un Normand, I, CLXVIII, 1er avril 1909.
-
[46]
Éléments de philosophie, IV, De l’action, ch 1, p. 225, idées Gallimard, Paris, 1970.
-
[47]
Entretiens au bord de la mer, premier entretien, in Les passions et la sagesse, p. 1268, Pléiade, Gallimard, 1960.
-
[48]
Propos sur les pouvoirs, 35, 3 décembre 1931.
-
[49]
ibid.
-
[50]
ibid.
-
[51]
« De braves gens se laisseront convaincre, et gouverneront l’usine selon la force, sans remords et même sans méchanceté. Ou plutôt ils se feront méchants par raison, absolument comme Lénine et Trotsky se faisaient méchants par raison. Les uns et les autres sont convaincus qu’ils travaillent à des fins qui les dépassent, Patrie ou Humanité », Propos de politique, XLV.
-
[52]
Entretiens au bord de la mer, 5e entretien, p. 1313.
-
[53]
« l’histoire humaine est donc l’histoire des signes », Esquisses de l’homme, IX, 28 avril 1923 ; nous reviendrons par la suite sur cette notion de signes.
-
[54]
Propos de politique, XXXVI, 1er avril 1931, p. 143 ; ou dans Propos sur les pouvoirs, 102, p. 266, Folio essais, Gallimard, Paris, 1985.
-
[55]
« La pensée ne vit que par un signe qui renvoie à autre chose, et encore à autre chose », Les idées et les âges, p. 147, in Les passions et les sagesse.
-
[56]
Comprenons dans l’histoire : les hommes « feraient l’histoire, ou plutôt ils la déferaient, sans respect, ni religion », Propos de politique, XXXVI, p. 144.
-
[57]
ibid. p. 144.
-
[58]
Entretiens au bord de la mer, p. 1372.
-
[59]
Propos sur les pouvoirs, 103, p. 269.
-
[60]
« il me plaît de découvrir en ce monde politique où chacun décrète, préfère, choisit, improvise en idée, il me plaît de découvrir une nature économique qui nourrit tout et porte tout suivant des lois inflexibles », Propos sur les pouvoirs, 103, 16 avril 1921, p. 269 ; et : « La politique n’a guère changé et ne changera guère. C’est que la structure de l’homme est toujours la même ; et ce qu’en disait Platon est encore vrai aujourd’hui », Propos de politique, LXXVI, p. 303 ; dans ce propos la nature fixe invoquée relève encore de l’économie.
-
[61]
« Si jamais j’ai écrit quelque chose d’utile, j’ai écrit une Statique, et non une Dynamique », Histoire de mes pensées, in Les Arts et les Dieux, p. 175, Pléiade, Gallimard, Paris, 1960.
-
[62]
AD., Préface p. 10.
-
[63]
ibid.
-
[64]
Entretiens au bord de la mer, 9e entretien, p. 1373.
-
[65]
AD, Préface, p. 11.
-
[66]
Propos de politique, LI, p. 205 ou Propos sur les pouvoirs, 107, p. 279
-
[67]
Propos sur les pouvoirs, 139, p. 351 et sq.
-
[68]
C’est à cette autre perspective, dépassant l’opposition réforme-révolution, que travaillera Merleau-Ponty en développant le thème de l’institution.
-
[69]
Propos de politique, LI, 23 janvier 1932, p. 201 et sq. ou in Propos sur les pouvoirs, 107, p. 277.
-
[70]
Propos de politique, LXVIII, p. 269 et sq.
-
[71]
« On voit par là que, si la philosophie est strictement une éthique, elle est, par cela même, une sorte de connaissance universelle », Éléments de philosophie, introduction, p. 16.
-
[72]
AD. p. 10.
-
[73]
Les idées et les âges, tome I, p. 242, Gallimard 1927 ; in Les passions et la sagesse, p. 147, Pléiade, Gallimard, 1960.
-
[74]
ibid. p. 133 ; in Les passions et la sagesse p. 236.
-
[75]
Ainsi tenons-nous tout d’abord le printemps comme un signe-événement naturel.
-
[76]
Les idées et les âges, tome I, p. 242, Gallimard, Paris, 1927 ; in Les passions et la sagesse p. 148.
-
[77]
SNS., Le doute de Cézanne, p. 32.
-
[78]
L’institution est à la fois ce qui est institué et le processus même. Elle n’est pas un simple produit inerte, ni un pur processus de production dont le produit tomberait à l’extérieur. Et si l’institution est si éminemment dialectique, c’est dans la mesure où elle se distingue de la constitution qui appelle toujours comme un acte premier, sans réversibilité, opéré par un constituant. Ainsi, le sujet constituant produit en extériorité le constitué, et comme celui-ci tombe dans l’extériorité, il ne peut produire aucun effet en retour sur le constituant. L’acte de constitution est orienté dans un seul sens, sans réciprocité : « Donc [il y a] sujet institué et instituant, mais inséparablement, et non sujet constituant ; [donc] une certaine inertie, – [le fait d’être] exposé à… – mais [c’est ce qui] met en route une activité, un événement, l’initiation au présent, qui est productif après lui […], qui ouvre un avenir », L’institution, p. 35, Belin, Paris, 2003.
Le sujet instituant ne pouvant être séparé du sujet institué, de par une interaction immanente à l’institution, il est irréductible à la figure du sujet constituant, lequel est isolable du constitué comme son produit – produit qui porterait totalement le sens que lui aurait conféré celui qui produit. Le sens du constitué est identique au sens qu’il a pour le sujet constituant et aucun débordement de sens n’est possible, tout se jouant dans le constituant : « Constituer en ce sens est presque le contraire d’instituer : l’institué a sens sans moi, le constitué n’a de sens que pour moi et pour le moi de cet instant » ; L’institution, p. 37. -
[79]
Les idées et les âges, tome II, p. 128, Gallimard, Paris, 1927 ; in Les passions et la sagesse, p. 233.
-
[80]
ibid. p. 134 ; in Les passions et la sagesse, p. 237.
-
[81]
ibid. p. 134 ; in Les passions et la sagesse p. 237.
-
[82]
« La voix est le plus ambigu et le moins stable des signes. On sait que, faute d’œuvres résistantes, le langage parlé se décompose en dialectes, et se perdrait bientôt en un ramage presque animal. Mais la voix a trouvé fort anciennement le moyen de se faire objet, et vraisemblablement d’après les leçons de la danse » ; Les idées et les âges, tome II, p. 138-9, Gallimard 1927 ; in Les passions et la sagesse p. 240
-
[83]
Histoire de mes pensées, Hegel et Hamelin, p. 244, Gallimard 1936 ; in Les arts et les dieux, Histoire personnelle, p. 175, Pléiade, Gallimard.
-
[84]
Les dieux, livre II, ch1 : L’éternelle histoire. Après avoir distingué trois formes de religion comme trois étapes distinctes (religion de la nature, religion politique, religion de l’Esprit), Alain revient sur ce terme d’étape et le corrige : « Mais plutôt, veux-je dire, ce sont les étages de l’homme » (p. 95 Gallimard 1947) réduisant ainsi l’histoire des religions à une co-présence en l’homme d’éléments auxquels ces religions se rattachent : ventre, poitrine et tête (p. 95-6).
-
[85]
Ce dernier propos a été publié pour la première fois sous le titre « La Démocratie peut-elle renaître en France ? » dans L’Express du 3 juillet 1958.
-
[86]
Lettre à Sartre du 8 juillet 1953, in Parcours deux, p. 146.
-
[87]
Demain…, S., p. 556.
-
[88]
Cette situation du P.C.F. concernant la question de la participation au gouvernement était envisagée par Merleau-Ponty dans Pour la Vérité (publié pour la première fois en janvier 1946 dans les Temps Modernes et repris dans Sens et non-sens) comme un double jeu tactique du PC ; or, nous voyons que dans le propos qui nous intéresse, la politique du P.C.F. ne bénéficie plus de cette faveur.
-
[89]
« Cette solution abstraite et naïve oublie que compromis et double jeu ne sont pas des créations arbitraires des partis, qu’ils expriment sur le plan politique la situation vitale du monde », Pour la Vérité, in SNS, p. 287. Le double jeu était alors imputé par Merleau-Ponty à l’influence de facteurs brouillant les lignes marxistes de l’histoire, ibid. p. 288.
-
[90]
Demain…, S., p. 559-560.
-
[91]
cf. propos 52 et 102, in Propos sur les pouvoirs, p. 147-149 et 265-267, Folio, Gallimard, 1998.
-
[92]
Demain…, S, p. 560.
-
[93]
ibid.
-
[94]
ibid., p. 556.
-
[95]
ibid., p. 561.
-
[96]
ibid., p. 561.
-
[97]
L’institution, p. 38.
-
[98]
Le recours à la voie référendaire, pour entériner un changement constitutionnel – comme ce fut le cas pour la ve République, soumise à l’approbation populaire le 8 septembre 1958 – est l’une des formes d’un tel contrat.
-
[99]
C’est ce niveau d’un monde institué, en deçà des actes de la conscience constituante et de son intentionnalité (comme acte), que Merleau-Ponty met en évidence dans Le philosophe et son ombre. Cet essai philosophique de Signes se présente comme une lecture des Ideen II de Husserl, laquelle vise à dévoiler un impensé de Husserl (S., p. 270), un envers de la constitution, « un envers des choses que nous n’avons pas constitué », S., p. 293.
« Notre temps peut décevoir chaque jour une rationalité naïve : découvrant par toutes ses fissures le fondamental, il appelle une lecture philosophique. Il n’a pas absorbé la philosophie, elle ne le surplombe pas. Elle n’est ni servante, ni maîtresse de l’histoire. Leurs rapports sont moins simples qu’on ne l’avait cru : c’est à la lettre une action à distance, chacune du fond de sa différence exigeant le mélange et la promiscuité. »
1L’œuvre de Merleau-Ponty est traversée par un souci de la politique, sans jamais donner lieu à une détermination de la bonne forme politique, du Bien politique, à un développement systématique des normes de la construction et du jugement politique. Cette absence d’une philosophie normative du politique pourrait être comprise comme une absence d’approche philosophique de la politique. Tel n’est pas le cas ; elle marque une distance à l’égard de la philosophie politique, mais en aucun cas une séparation entre la philosophie et la politique. Comme le souligne la préface de Signes, il est indispensable de penser la relation entre politique et philosophie sans céder à la tentation rapide du divorce ou de la réduction de l’une à l’autre. Dès lors comment comprendre le statut des Propos de Signes, Propos principalement politiques et placés comme en marge de la partie philosophique du recueil ? Comment comprendre l’apparente mise à distance de la politique et de la philosophie ? Faut-il entendre que la préface portant sur le rapport entre philosophie et politique préparait leur séparation ? Faut-il interpréter l’extériorité des Propos et des Essais comme un divorce, ou l’appréhender pour ce qu’elle est, une simple extériorité, une simple juxtaposition ? Et si nous retenons l’hypothèse d’une extériorité sans divorce, il faut encore comprendre les raisons de cette juxtaposition. Est-elle à imputer à une philosophie phénoménologique qui serait dans l’incapacité d’atteindre la philosophie politique comme philosophie normative ? Ou faut-il voir dans cette extériorité la manifestation d’une résistance de la politique vécue à toute approche systématisante, et donc la condition du « parler philosophiquement politique » [1], d’une approche philosophique de la politique qui évite l’écueil du système ? N’est-ce pas dans ce sens que nous devons comprendre la forme de l’écriture philosophique empruntée à Alain, à savoir le propos ? Signes manifestent la complexité de l’approche merleau-pontienne de la politique. En effet, leur structure qui juxtapose ou articule – et c’est ce qu’il faudra trancher – des Essais philosophiques et des Propos principalement politiques, invite à s’interroger sur le statut de ces derniers. Sont-ils réellement en marge d’une pensée phénoménologique qui, par son statut premier de description, semble devoir s’interdire le champ de la politique et de la philosophie politique, domaine par excellence du jugement et de la norme ? Ne manifestent-ils pas alors comme une impuissance à penser la politique, dans la mesure où la mise à l’écart de la question des valeurs est éminemment problématique pour toute approche philosophique de la politique.
2Si, en nous fiant aux apparences, nous plaçons les propos de Merleau-Ponty en marge de sa phénoménologie, nous admettons par avance que la phénoménologie ne peut qu’échouer face à la question politique, qu’elle ne peut jamais, si ce n’est de manière marginale, aboutir à une politique, à une philosophie politique. Or si les Propos, « presque tous politiques » [2], clôturant le recueil font l’objet d’une présentation à part, il faut être attentif au fait que la politique n’est pas toujours, chez Merleau-Ponty, l’objet d’un questionnement séparé [3]. Il ne faut donc pas se laisser abuser par cette position apparemment marginale dans Signes. Cette mise en garde, Merleau-Ponty nous la livre lui-même dans sa préface, en soulignant que la différence entre les Essais philosophiques et les Propos presque tous politiques est une différence de première vue [4]. En outre, le texte qui clôture, voire conclut, les Essais, à savoir, L’homme et l’adversité, introduit la question politique, laquelle anime la plupart des Propos sans pour autant être développée explicitement comme thème philosophique. Introduisant les Propos, ce dernier essai philosophique indique le sens de la reprise d’articles à la fin du recueil [5]. Dans L’homme et l’adversité, il s’agit de mettre en lumière la crise de la philosophie dualiste classique qui pose des lignes de partage nettes et fondatrices, ainsi que sa difficulté à penser l’ambiguïté en général, celle du corps et de l’esprit, celle du langage et de la pensée, enfin celle de la guerre et de la paix [6]. L’homme et l’adversité est ainsi une invitation à revoir nos représentations dualistes du monde, représentations qui sont inadéquates, en regard de l’ambiguïté du monde lui-même, du sens des événements. Il s’agit alors de reprendre les failles de la raison déjà développées dans Sens et non-sens, comme pour ébaucher une nouvelle expérience du monde, point de départ d’une nouvelle philosophie, si la philosophie ne veut pas tomber en dehors du monde, par un repli sur la conscience constituante. Le monde et l’événement se dressent face au philosophe comme un rappel au monde qu’il ne doit aucunement esquiver. C’est pourquoi l’événement est au cœur de la réflexion de Merleau-Ponty. Ainsi Sens et non-sens est organisé autour de trois types d’événements : les événements-ouvrages (Cézanne, L’invitée de Beauvoir, le cinéma), les événements-idées (l’existentialisme et le marxisme), enfin les événements-politiques (la guerre et la situation politique aux alentours de la guerre). Or une certaine proximité entre les Propos de Signes et Sens et non-sens peut apparaître : tous deux s’organisent autour d’événements-politiques et d’événements-artistiques ; avec cependant un recentrement, dans Signes, des « propos de circonstance » autour de la politique. L’événement est le fond de la philosophie, fond de l’événement philosophique. Ainsi, dans Sens et non-sens, l’événement-idée qu’est l’existentialisme et l’événement politique qu’est la guerre, s’entrecroisent. La guerre apparaît comme l’événement critique de la conscience philosophique héritée du cartésianisme, de la figure de la conscience solitaire, en dehors du monde. En époque de guerre [7], il n’est plus permis de faire abstraction de la situation, de penser la politique comme en dehors du temps, de faire abstraction des conditions d’existence des hommes pour ne retenir qu’une épure des hommes « toujours prêts pour la liberté et le bonheur, toujours capables de les obtenir sous quelque régime que ce soit à condition qu’ils se reprennent et retrouvent la seule liberté qui soit, celle de leur jugement » [8]. La liberté pensée, la liberté intérieure du sage stoïcien est apparue comme illusoire sur fond de guerre ; une telle liberté peut, à la limite, convenir aux périodes, pour lesquelles l’action politique et morale ne fait pas problème [9]. Or cet événement qu’est la seconde guerre mondiale, ne pouvait que retentir sur la philosophie elle-même, car celle-ci ne peut se réduire à une méditation solitaire sur la liberté. Ce que l’expérience de la guerre a mis à nu, c’est le monde, non comme objet de connaissance, mais comme milieu de notre coexistence :
« S’ils avaient pu autrefois se sentir allègres et maîtres de leur vie, c’était encore là un mode de la coexistence, cela n’était possible que dans une certaine atmosphère, ils apprenaient à connaître entre chaque conscience et toutes les autres ce milieu général où elles communiquent et n’avait pas de nom dans leur philosophie d’autrefois. » [10]
4La période masquait cette coexistence, laissant place à une philosophie de la conscience solitaire, à une morale pure, à une politique gestionnaire des institutions. L’événement historique, celui d’une époque, donne l’impulsion décisive à l’événement philosophique qu’est le retour au monde. Celui-ci n’est donc pas une pure attitude théorique, il prend son sens dans une certaine situation ; et c’est finalement la guerre qui donne un sens concret à la philosophie de l’existence [11].
5L’événement politique n’est donc pas extérieur à l’événement philosophique, pas plus que la politique elle-même n’est en marge de la philosophie ; elle est comme expérience du monde, comme événement du monde au cœur même d’une philosophie qui ne pose jamais le monde comme un objet constitué. C’est en ce sens qu’il est autorisé de « parler philosophiquement politique » [12], et qu’il y a place pour des propos politiques.
6La question se pose alors de savoir pourquoi les Propos politiques sont volontairement placés en marges de Signes, et comme en marge de la philosophie. N’est-ce pas pour souligner que la relation entre philosophie et politique est ambiguë ? Qu’il n’est pas aisé de tenir des propos philosophiques de circonstance ? En effet, la circonstanciation du propos risque de nuire à la dimension philosophique, laquelle qui vise à dépasser les circonstances pour investir l’universel pensé comme un absolu. D’où une tension entre deux écueils pour la philosophie : manquer la philosophie elle-même, manquer le monde. Ce qui pose le problème du « parler philosophiquement politique » et de la modalité de l’empiétement de la philosophie et de la politique.
Politique et philosophie
7La mise à l’écart des Propos politiques dans Signes et leur insertion dans ce recueil renvoient directement à la question de la relation et du divorce de la philosophie et de la politique, question qui fait l’objet de la préface. La mise en marge des Propos révèle en fait un empiétement de la politique et de la philosophie, empiétement qui apparaît dans la préface comme celui de l’histoire et de la philosophie, mais nous comprenons qu’il en est aussi question s’agissant de la philosophie et de la politique [13]. L’empiétement n’est pas forcé, il n’est pas le produit d’une philosophie qui se voudrait, par sa prétention systématique, aussi politique. Il n’est pas non plus le fait d’une politique qui s’érigerait en pensée philosophique ; l’empiétement est inévitable, et il est là avant que la philosophie ou la politique ne s’en soucient. Étant incontournable, il ne nous reste plus qu’à en faire « bon usage » ; mais pour cela il ne faut ni retenir la seule différence sur fond de laquelle surgit l’empiétement, ni la seule unité qui semble produire. Il ne faut ni forcer l’union, ni forcer le divorce. À forcer l’union, nous tombons dans la « manie politique » [14]. Et cette manie, ce tic quasi naturel aux philosophes tourne au maniérisme, à l’attitude forcée et outrée. Le risque de l’empiétement – que nous sommes tentés de qualifier de naturel – est la manie où l’habitude de la proximité et du recouvrement laisse place à l’artifice de la réduction [15]. Finalement cette mauvaise union ne donne rien de mieux qu’un rigorisme politique, aussi paralysant que le rigorisme moral : « le rigorisme politique donnait la main à la paresse, à l’incuriosité, à l’improvisation » [16]. La conclusion est alors sans appel :
« Si tel était le mariage de la philosophie et de la politique, on pensera qu’il faut se féliciter du divorce. » [17]
9Inversement, en mettant en avant la seule séparation de la politique et de la philosophie, on se risque à une « “mauvaise” rupture » [18]. L’isolement de la philosophie et son repli ne sont pas des actes de neutralité qui la protégeraient. Le divorce est intenable, du fait que la philosophie ne peut ignorer, dans une neutralité d’esquive, le monde politique et social. C’est pourquoi la pensée de Merleau-Ponty sur les événements politiques trouve sa place dans des Propos, qui se situent non seulement à la suite des Essais, mais encore sont appelés par le dernier d’entre eux : L’homme et l’adversité. Ce dernier essai de la partie philosophique de Signes se présente comme une mise en lumière de la crise philosophique qui apparaît sur fond d’une nouvelle expérience de notre condition : expérience qui est celle de l’intenable position dualiste de la philosophie à l’égard du monde. Plutôt que d’assurer le dualisme relatif à une philosophie de la constitution par un sujet de part en part rationnel, l’orientation des recherches, en ce qui concerne l’homme, révèle le brouillamini des lignes de partages constitutives de la philosophie du sujet – celles du corps et de l’esprit, de la pensée et du langage – lequel s’étend aussi à la dimension politique de l’existence. L’ultime ligne de partage mise à mal dans le demi-siècle, dont Merleau-Ponty entreprend de brosser l’allure générale, telle qu’elle se trouve dans l’homme lui-même comme sédimentée en nous [19], concerne la vie politique, à travers la difficile démarcation de la guerre et de la paix. Et c’est sur cette ambiguïté de la politique que s’ouvrent les Propos. La politique paranoïaque répond sur le plan des relations communisme-anticommunisme à cette ambiguïté du politique qui peut apparaître comme délétère pour la politique elle-même.
10Ainsi le Propos politique n’est pas à considérer comme radicalement en marge des Essais et de la philosophie ; il est, en tant qu’article repris [20], témoignage d’un sens nouveau de la politique, d’une nouvelle allure politique du monde qui ne peut se comprendre au travers des schémas classiques de la politique. Et il signale une résistance de la politique à la philosophie classique, celle pour laquelle le monde ne débordait pas ses lignes de partage constitutives. Mais, s’il demeure encore en marge d’une philosophie qui est attentive à l’ambiguïté, c’est peut-être aussi parce qu’il y a une forme de résistance de la politique à la phénoménologie, résistance de nos aspirations vécues dans le domaine politique à se laisser approcher par une philosophie qui met la description au cœur de sa tâche. Il reste encore à savoir si cette résistance marque l’échec de toute phénoménologie politique ou signale en creux la condition à laquelle une telle phénoménologie est possible.
Le Propos comme manifestation de la résistance de l’événement à la politique de la raison
11L’œuvre politique de Merleau-Ponty n’est pas cantonnée à des écrits spécifiquement politiques. Cela n’est pas à imputer aux hasards des publications, mais révèle en son fond un refus de l’élaboration systématique de la pensée politique. La réflexion politique, la réflexion sur la vie politique, ne sont pas, comme le voudrait le philosophe des systèmes, susceptibles d’une exposition à part et complète à partir de principes philosophiques établis au préalable – la séparation étant la condition de la complétude de l’exposition.
12Ce refus est tout d’abord à entendre sur le plan philosophique. Il est motivé par une mise à l’écart de la pensée systématisante, de la pensée réduite à l’univocité d’une raison universelle qui fait du monde un de ses développements pouvant être saisi par une déduction logique. Et c’est ce que Sens et Non-Sens mettent en évidence en explorant les failles de la raison qui doivent nous conduire à une « nouvelle idée de la raison » [21], c’est-à-dire à une raison, qui, loin d’être un « principe », se situe comme au terme de la réflexion. Nous ne pouvons présupposer la raison, mais nous devons comme la laisser émerger de son fond qui n’est autre que l’expérience de la déraison de l’histoire, déraison qui tient à son événementialité. Ce refus de la raison univoque et universelle comme point de départ de toute pensée motive une phénoménologie de la perception et converge avec la critique de l’approche téléologico-historique de la politique. C’est ainsi que nous comprenons la mise en garde de la préface des Aventures de la dialectique :
« Pour traiter les problèmes auxquels nous touchons ici, il faut une philosophie de l’histoire et de l’esprit. Mais il y aurait fausse rigueur à attendre des principes parfaitement élaborés pour parler philosophiquement politique » [22].
14Cette ouverture des Aventures de la dialectique marque une tension entre deux orientations de la philosophie politique. La première voie, celle de la tradition philosophique, présuppose des principes [23] – une philosophie de l’histoire et de l’esprit, l’histoire et l’esprit – et son objectif est alors de traiter des problèmes, d’apporter une certitude dans une solution tranchée. À cette quête de solution définitive, Merleau-Ponty semble opposer ici une philosophie politique qui loin de prétendre résoudre des problèmes, cherche plutôt à « parler philosophiquement politique ». Comment comprendre ce parler philosophique sur la politique qui ne vise aucune solution définitive ?
Parler philosophiquement politique
15Si nous n’employons pas le terme de propos en ce qui concerne les Aventures de la dialectique, c’est dans la mesure où Merleau-Ponty donnera par la suite à ses articles politiques la forme de Propos. Or entre les propos de Signes – qui font évidemment écho aux propos d’Alain sur la politique [24] – et le parler philosophique sur la politique des Aventures de la dialectique, il y a manifestement un écart. C’est dire que le parler philosophique politique auquel fait référence la préface des Aventures de la dialectique, n’est ni réellement propos ni traitement systématique. Et l’organisation même du livre en témoigne : il est bien composé de chapitres et non d’articles rédigés autour d’un fait, d’un événement ; mais il n’est pas un écrit systématique qui partirait d’un principe. Bien plutôt, il s’ouvre sur une double crise, la crise de l’entendement – mise en lumière à travers l’œuvre de Weber, et la crise de la raison. Et les Aventures de la dialectique tente ainsi d’explorer le double écueil de la raison et de l’entendement, afin de préciser en négatif la voie nouvelle pour une dialectique qui ne s’abîmerait ni dans l’objectivisme, ni dans le subjectivisme. Mais derrière cette double crise, ce qui se joue, c’est la crise de la philosophie du sujet et de l’objet, de l’objectivisme et du subjectivisme politique, dont les figures extrêmes sont le bolchevisme et l’ultra-bolchevisme de Sartre, figures qui sont celles de la liquidation de la dialectique révolutionnaire conduisant à un forçage de l’histoire qui en dernière instance la nie.
16Le bolchevisme, dans la mesure où il s’appuie sur une approche de l’histoire, sur la dialectique, se croit autorisé à forcer l’histoire et ceci parce qu’il en a percé, par la dialectique matérialiste, le sens profond. Le fond historique du bolchevisme, qui ne sera pas même maintenu dans l’ultra-bolchévisme, apparaît ainsi comme un élément extérieur à la praxis, sur lequel il faut influer pour y trouver une corroboration voire une vérification. C’est pourquoi Lénine écrit dans Matérialisme et empiriocriticisme : « en suivant le chemin tracé par la théorie de Marx, nous nous rapprochons de plus en plus de la vérité objective (sans toutes fois l’épuiser jamais) ; quelque autre chemin que nous suivions, nous ne pourrons arriver qu’au mensonge et à la confusion » [25]. La recherche léniniste d’un critère pratique absolu de validation de la théorie ne peut jamais être satisfaite, car un tel critère « ne peut, au fond, jamais confirmer ou réfuter complètement une représentation humaine, quelle qu’elle soit » [26]. Cette recherche devient alors adhésion à une théorie, à une vérité qui devient elle-même le critère de la pratique. C’est en ce sens que Merleau-Ponty a raison de qualifier le matérialisme léniniste de « réalisme naïf » [27] lequel met en accusation et finalement ruine la dialectique, puis, à travers la dialectique historique, l’histoire elle-même.
17Cette liquidation de la dialectique et de l’histoire se poursuit dans le versant subjectif de la pratique politique. Rappelons tout d’abord que la dernière partie des Aventures de la dialectique est une réponse aux Communistes et la paix de Sartre [28]. Le parcours antérieur de la dialectique au travers les figures de Weber, Lukacs, Lénine, Trotsky prend alors tout son sens : il s’agissait de replacer l’attitude de Sartre sur ce fond historique de la dialectique. Dans les Communistes et la paix, Sartre précise le sens de son attitude de sympathie à l’égard du P.C.F, à partir de ses principes et non des leurs [29]. Toute la difficulté tient au fait que Sartre raisonne à partir de ses principes, et la question que pose Merleau-Ponty est alors de savoir s’il est possible de légitimer la politique communiste en dehors du communisme, s’il est possible de justifier l’action politique communiste en écartant à la fois le marxisme, la dialectique et l’histoire, et « si ce communisme tout volontaire est tenable » [30]. Ce que dresse en dernière instance Sartre, c’est un constat d’échec de la dialectique, non pas à partir d’elle-même, mais de l’extérieur, en partant des principes de sa philosophie tout en essayant de maintenir une certaine vérité de la politique communiste. Ce qui se profile alors, c’est un communisme détaché de son fond historique, un communisme anhistorique, qui ne correspond à un devenir du communisme, que dans la mesure où celui-ci n’est plus sous-tendu par la dialectique historique déjà bien mise à mal dans l’objectivation léniniste qu’elle a subie. Cette mise à distance de la dialectique tient au fait que, selon Merleau-Ponty, Sartre envisage l’histoire, dans ce qu’elle a de connaissable, comme « le résultat immédiat de nos volontés », renvoyant le reste à « une opacité impénétrable » [31]. La conception sartrienne de l’action pure, telle qu’elle est comprise par Merleau-Ponty, réside dans l’alternative suivante : soit l’histoire a du sens et, dans ce cas, elle est réductible à ce qu’en fait le sujet volontaire ; soit elle est dépourvue de sens. Si l’histoire est réductible aux volontés, l’on comprend bien que dans la perspective sartrienne elle n’est aucunement sous-tendue par un sens déjà présent, qu’elle se joue dans la rupture, et que l’action communiste est « création pure » [32]. L’approche sartrienne de la liberté comme « rupture néantisante avec le monde et avec soi-même » [33] conduit à une mise entre parenthèses du passé, de sa reprise et finalement de l’histoire comme fond de notre action :
« Le militant, le parti et la classe […] seront les réponses que donne au piège de l’événement une volonté sans appui dans les choses. Ne parlons même pas de naissance : ils ne viennent de nulle part, ils ne sont rien que ce qu’ils ont à être, que ce qu’ils font. Le militant n’est pas un ouvrier qui milite, un certain passé de souffrance qui se fait action politique. » [34]
19Par conséquent, l’action politique, n’étant plus sous-tendue par un enracinement historique qui fait d’elle une reprise dans la différence, elle devient un acte de pure création, c’est-à-dire un acte qui n’est jamais préparé par un sens déjà au travail dans l’histoire ; elle n’est qu’un acte volontaire de rupture, expression d’une philosophie terroriste [35] et l’action politique devient elle-même terroriste si l’on entend par là, comme nous y invite Merleau-Ponty, une action qui ne prend plus sens sur un fond autre qu’elle-même, une action, qui comme l’histoire elle-même, est « soustraite aux critères de sens » [36].
20C’est pourquoi Merleau-Ponty qualifie la philosophie de Sartre d’ultra-bolchevisme, celui-ci n’étant que le pendant subjectiviste du bolchevisme qui, contrairement à l’ultra-bolchevisme, se voit autorisé à adopter une attitude de forçage historique, dans la mesure où il se pense comme garanti par un sens à venir de l’histoire. Le volontarisme bolchevique était comme l’expression d’un sens objectif de l’histoire, lequel, une fois clairement déterminé, peut faire l’objet d’une approche technique l’amenant à être ce qu’il doit être en vérité [37]. L’excès de sens de l’histoire autorisait son forçage bolchevique ; son défaut de sens autorise tout autant son forçage aux yeux de Sartre, mais c’est alors le statut même de l’action politique qui est modifié. Celle-ci n’est alors qu’un pur événement, non tramé historiquement.
21Les Aventures de la dialectique sont ainsi le constat d’échec d’une dialectique qui s’abîme dans la séparation de l’objet et du sujet qu’elle tentait de dépasser et cet échec manifeste la difficulté d’une politique qui se prétend révolutionnaire à s’assumer comme telle, dans ses actes et dans ses discours.
22De cette résistance de la politique concrète à sa théorisation historico-téléologique, Merleau-Ponty, dans la préface des Aventures de la dialectique, formule la raison :
« La révolution, c’était le point sublime où le réel et les valeurs, le sujet et l’objet, le jugement et la discipline, l’individu et la totalité, le présent et l’avenir, au lieu d’entrer en collision, devaient peu à peu entrer en connivence. Le pouvoir du prolétariat était la nouveauté absolue d’une société qui se critique elle-même et qui élimine de soi les contradictions par un travail historique infini, dont la vie de l’avant-garde prolétarienne dans son parti était la préfiguration. Que reste-t-il de ces espoirs ? Ce n’est pas tellement qu’ils aient été déçus et la révolution trahie : c’est plutôt qu’elle s’est trouvée chargée d’autres tâches, que le marxisme supposait accomplies » [38].
24La dialectique marxiste, dont le point sublime est la révolution, a rencontré la résistance de la situation politique qui cependant devait la justifier. Résistance de la politique dans la mesure où il a fallu accomplir l’industrialisation qui était cependant supposée par la révolution prolétarienne. Le décalage entre la situation concrète de la Russie et la révolution marquant bien plus que la résistance du concret à la théorie, à savoir : la résistance même de l’action politique à l’histoire. La révolution n’était pas historiquement mûre, ce qui conduisit à des actions politiques à contretemps de l’approche historique.
25Mais à cette résistance de la politique à la dialectique historique, de la situation politique qui apparaît comme autre de ce qu’elle devait être, répond la résistance de l’histoire à la politique. L’histoire résiste à la politique dans la mesure où l’action politique qui se veut une réponse à un événement, qui se veut « le tête-à-tête de la conscience et des événements un à un » [39] se voit engagée sur une durée proprement historique qui réduit toute prétention à voir au cas par cas. Mais dans cette double résistance, ce qui se joue, c’est finalement la résistance de la politique et de l’événement non prévu à une politique déduite historiquement, ainsi que la résistance de l’histoire à une politique qui n’engagerait aucunement l’histoire et qui ne serait donc qu’une politique d’entendement. L’histoire résiste à la politique dans la mesure où l’événement n’est jamais un simple événement non tramé d’histoire, et la politique résiste à l’histoire dans la mesure où elle n’est jamais la simple application d’une philosophie de l’histoire. Et si le rapport de la politique et de l’histoire reste éminemment problématique, c’est parce que ni la politique d’entendement, ni celle de la raison ne sont tenables : la première de par sa négation de l’histoire ; la seconde parce qu’elle nie le temps même de l’action et la situation, et finalement, parce que la dialectique marxiste n’a pas su équilibrer leur relation. Cet équilibre n’ayant pas été atteint, le point sublime est toujours repoussé. En repoussant la réalisation du dépassement révolutionnaire des contradictions, la politique communiste de l’URSS, dans son effort volontariste d’instaurer la lutte des classes par-delà la dimension subjective de la conscience de cette lutte, en vient finalement à nier la spécificité de la conscience de classe en en faisant le résultat d’une construction-constitution [40]. Et bien plus encore l’effort révolutionnaire devient alors la simple négation de l’une des séries que la dialectique tentait de dépasser, au profit de l’autre :
« Sujet et objet, conscience et histoire, présent et avenir, jugement et discipline, nous savons maintenant que ces contraires dépérissent l’un sans l’autre, que l’essai de dépassement révolutionnaire écrase l’une des deux séries, et qu’il faut chercher autre chose » [41].
27Cet échec de la dialectique tient au fait que la dialectique supposait que l’histoire et la politique font système, que l’une n’est pas la solution de l’autre et par conséquent qu’un équilibre est possible. Or l’histoire ne justifie pas et la politique ne crée pas l’histoire par un acte de volonté. Cependant cela ne signifie aucunement pour Merleau-Ponty qu’il faille trancher en faveur de la séparation ; en d’autres termes, il ne faut opter ni pour la seule raison ni pour le seul entendement, quand bien même la tentative d’union par la dialectique aurait échoué. Si « il y a une “mauvaise” rupture de la philosophie et de la politique qui ne sauve rien et qui les laisse à leur misère » [42], on peut aussi évoquer une mauvaise rupture de l’histoire et de la politique, rupture qui se traduit dans l’opposition de la politique de la raison et de la politique de l’entendement, opposition que Merleau-Ponty évoque dans la préface des Aventures de la dialectique. C’est en ce sens que pour Merleau-Ponty, il faudra reprendre la dialectique, redécouvrir la véritable dialectique, celle que les marxismes ont menée à l’échec par excès d’objectivisme, par sa réduction à la dialectique matérialiste. La dialectique que tentera d’envisager Merleau-Ponty à partir des Aventures de la dialectique ne sera plus une dialectique révolutionnaire au sens vulgaire, mais une dialectique prenant appui sur l’institution comme forme même de la coexistence :
« Elle [la dialectique] se pense toujours comme expression ou vérité d’une expérience où le commerce des sujets entre eux et avec l’être était préalablement institué » [43].
29Ainsi la liquidation de la dialectique révolutionnaire doit laisser place à une nouvelle dialectique, une dialectique de l’institution, qui ne s’oppose pas purement et simplement à la dialectique de Marx [44], mais à la forme qu’elle a prise en passant par le cadre théorique du matérialisme. Il s’agit alors de penser une dialectique primordiale, en deçà du clivage de l’esprit et de la matière, du sujet et de l’objet, qui interdit tout positionnement d’elle-même dans les choses, dans un cadre objectif. Cette dialectique rejoindrait alors la perspective phénoménologique.
30Le « parler philosophiquement politique » des Aventures de la dialectique manifeste ainsi la résistance de la politique à l’approche totalisante de la raison ; c’est pourquoi ce « parler philosophiquement politique » prendra par la suite la forme qu’Alain avait donnée à sa philosophie pour éviter l’écueil d’une philosophie réduite à un système de la raison, à savoir le propos. Cependant, il nous faut bien entendre l’emprunt que Merleau-Ponty fait à Alain, dans la mesure où il ne fait pas le choix d’une philosophie de l’entendement contre la philosophie de la raison et de l’histoire.
L’entendement et la raison
31La préface aux Aventures de la dialectique annonce d’emblée son emprunt à Alain : Merleau-Ponty y reprend l’opposition d’Alain entre la politique de l’entendement et la politique de la raison – opposition sur fond de laquelle Alain a choisi d’élaborer sa pensée politique sous forme de propos.
32Chez Alain, l’opposition des deux politiques trouve son point d’appui dans la distinction des deux facultés que sont l’entendement et la raison. Et c’est par refus de toute pensée systématisante qu’il choisit la politique d’entendement. La raison, comme faculté des principes visant à l’unification de la pensée apparaît totalisante, au fondement de la pensée-système. Ce refus du système tient à la prise en considération des faits, à l’attention que porte Alain aux faits, lesquels ruinent la prétention de la raison à rendre raison de tout :
« Il y a des choses qu’il faut bien accepter sans les comprendre […]. L’Univers est un fait ; il faut ici que la raison s’incline ; il faut qu’elle se résigne à dormir avant d’avoir compté les étoiles » [45].
34La raison est débordée par les faits, par la réalité factuelle et c’est ce débordement même qui appelle l’entendement. Le retour au monde, au fait et même à l’actualité prend chez Alain l’allure, non pas d’une phénoménologie, mais d’une philosophie du jugement, d’une philosophie de l’entendement, et si la raison comprend et cherche l’ordre, l’entendement juge sans attendre :
« Le jugement est cette décision prompte qui n’attend point que les preuves la forcent, qui achève et ferme un contour par un décret hardi, tenant compte aussi de ce qu’on devine, de ce qui est ignoré, de ce que l’homme doit à l’homme, mais sans peur, et prenant pour soi le risque » [46].
36L’audace de l’entendement s’appuie sur une incertitude que la raison ne peut tolérer et sur l’exigence d’une véritable valeur du jugement à laquelle la formule « ce que l’homme doit à l’homme » fait référence. La raison, qui pour Alain est amie de l’ordre, est marquée par une impuissance décisionnelle, si l’on comprend par décision le jugement juste qui tient compte de la situation. Ce n’est pas dire pour autant que la raison ne puisse fonder l’action. Bien au contraire, il y a une forme d’action orientée par la raison et qui ne juge point mais impose, décrète, tyranniquement par son impuissance qui appelle l’élément passionnel :
« la Raison, qui est un entendement errant, ne peut se fixer que par décret ; et ce sont les passions qui décrètent ; d’où ce nécessaire, si profondément inutile, et pour quoi et au nom de quoi les hommes tyrannisent » [47].
38L’insuffisance décisionnelle de la raison, laisse ainsi le champ libre aux passions et c’est cette impuissance de la raison qui en fait l’alliée de la tyrannie sur le plan de l’action politique :
« La tyrannie sera toujours raisonnable […]. Et la raison, au rebours, sera toujours tyrannique, parce que l’homme qui sait ne supportera jamais le choix et la liberté dans l’homme qui ne sait pas. » [48]
40Face à cette alliance de l’ordre tyrannique et de la raison, Alain en appelle à une restauration de l’entendement dont le jugement est résistance à la raison abstraite, à l’universalité abstraite de la raison qui sur le plan éthico-politique échafaude « des plans de bonheur universel » [49]. Ainsi, face à la domination du « roi Raisonnement » [50], seul le refus porté par l’entendement peut ramener l’homme à la politique concrète qui n’est autre que celle de la liberté. Face donc à la série raison-universalité-politique tyrannique, Alain propose la série entendement-jugement-liberté, série qu’il retrouve incarnée sur le plan politique dans le parti radical contre la politique communiste – en la quelle il reconnaît une politique de la raison qui peut amener de « braves gens » à la violence sans méchanceté [51] – et contre la politique réactionnaire de droite. Rejet de la raison au nom de la liberté et de la paix, soutien au programme libéral des radicaux, telle est l’allure générale de la politique d’Alain. La contrepartie de cette politique d’entendement est le rejet de l’histoire et la révolte.
41Rejet de l’histoire, ou plutôt, mise à l’écart de l’histoire, car, si elle se présente comme une compréhension ordonnée du monde, elle présuppose que le monde est Raison, ce qui nous ramène à la passivité aliénée des stoïciens :
« Le monde est raison, reprit le vieillard. Ainsi parlèrent les stoïciens ; et cela est la source de toute résignation, c’est-à-dire, à ce que je finis par croire, de tout le mal possible, ou presque. Car, pour un pieux sage qui s’abstient de tuer, combien tuent, en ordre ou non, parce qu’ils se disent qu’après tout c’est l’ordre du divin monde, et son invincible volonté, qui a décrété cela, et qu’enfin tout est bien, tout est juste, tout est raisonnable en ce que nous faisons par force » [52].
43La raison apparaît comme incompatible avec le jugement libre de l’entendement, avec l’action libre et par là avec la morale. C’est pourquoi l’histoire humaine sera une histoire des signes, bien plutôt qu’une téléologie rationnelle [53]. Dégagée de l’ordre de la raison univoque, l’histoire humaine apparaît comme « un océan de hasards » [54]. Cependant cela ne doit pas nous conduire à un fatalisme. Si Alain refuse l’ordre rationnel téléologique de l’histoire, ce n’est pas pour lui substituer un désordre de hasards nous conduisant à l’impuissance. Au contraire, ces hasards qui trament l’histoire laissent le champ libre à l’entendement et appelle son exercice éclairant, exercice qui n’est autre que celui de la pensée qui est appelée par les signes [55]. L’entendement peut se passer des preuves nécessaires à la raison. Il est le guide qui nous permet de naviguer avec la résistance des éléments :
« Il n’y a de fatalité historique que parce qu’on y croit. Il faut résister aux prêcheurs. Si les hommes croyaient en l’homme et ne cherchaient pas l’esprit où l’esprit n’est point [56], ils s’arrangeraient de politique comme ils s’arrangent des éléments, les détournant et soumettant par leur industrie » [57].
45Le jugement d’entendement est ce qui permet à l’homme le « travail de mer », évoqué à la fin des Entretiens au bord de la mer, « qui est l’étroit passage permettant le faible changement toujours à nouveau balancé » [58]. L’entendement est un barreur qui à chaque vague travaille avec elle, induisant par là les faibles changements qui permettent cependant de traverser l’océan. Et cette figure du travail de mer de l’homme conduisant son navire permet de comprendre que l’inflexibilité des lois de la nature, tout autant que les hasards de l’océan-histoire appellent le jugement d’entendement :
« On pourrait bien penser, en abstrait, que si la nécessité extérieure suit des lois inflexibles, nous perdons alors tout espoir de la modifier. Sur quoi un professeur, qui ne fait point œuvre de ses mains, discute tristement. Mais le forgeron se moque de cela et tape sur le fer […]. L’homme ne change point le vent, mais il tend obliquement sa voile, tient ferme la petite planche qui lui sert de gouvernail, et va à ses fins par l’effet des lois inflexibles. » [59]
47Ainsi l’entendement travaille sur fond de contingence et de fixité, et c’est sur cette fixité d’une nature humaine ou encore économique que la politique d’entendement doit s’appuyer [60]. C’est parce que le travail de l’entendement se fonde sur une statique, au plus loin de l’histoire, qu’Alain invoque la constance d’une nature et de valeurs – la statique étant aux yeux d’Alain plus importante que la dynamique [61]. L’entendement trouve toute sa place dans cette structure duale, fixité et contingence, qui interdit par là même toute dialectique.
48Cette politique d’entendement, qui met volontairement de côté le rapport dialectique de l’histoire et de la politique, comme le souligne Merleau-Ponty dans les Aventures de la dialectique est une politique qui « ne se flatte pas d’embrasser le tout de l’histoire » [62], mais qui tombe alors dans l’excès inverse en se réduisant « au tête à tête de la conscience et des événements un à un » [63]. Et du coup il apparaît que cette politique de l’entendement ne peut jamais envisager la continuité. À la fin des Entretiens au bord de la mer, Alain évoque la théologie de l’entendement qui ouvre l’espoir dans la mesure où le temps n’est que succession d’instants : « croire à l’instant qui suivra, tout neuf, et tout lavé par le grand univers, c’est vivre toujours » [64]. Et ainsi l’entendement conduit à un morcellement du temps sans continuité, réduisant les événements à la simple juxtaposition extérieure. L’écrit sur l’événement, le propos, ne peut donc être qu’un jugement sur un élément isolé, sans prise en considération des liens qui orientent, en deçà de la visibilité singulière, l’événement dans un sens non réductible à une unité rationnelle : la fin de l’histoire. Cette approche morcelée de l’événement, Merleau-Ponty en souligne dans la préface des Aventures de la dialectique la dimension morale : la politique d’entendement n’étant rien d’autre que la politique de l’homme juste, de celui qui prend les justes décisions. Cependant cette position du penseur jugeant est aux yeux de Merleau-Ponty insuffisante : « Il [le politique de l’entendement] n’est pas quitte avec l’histoire pour avoir, sur l’instant, agi selon ce qui lui paraissait juste. On ne lui demande pas seulement de traverser les événements sans s’y compromettre : on veut qu’à l’occasion il change les termes du problème » [65]. Ne changeant pas les termes du problème, le politique d’entendement se voit réduit à une posture critique conduisant à une politique du non, du refus. Politique qui répond à la fonction de résistance de l’entendement :
« Et maintenant, penseur, il t’est permis d’éclairer ton voisin, et le voisin de ton voisin. Non pas certes pour l’inviter à former quelque plan de bonheur universel. Mais simplement pour qu’il mesure son pouvoir de refus, pour qu’il l’exerce contre tel abus et tel autre » [66].
50L’entendement est résistance aux pensées abstraites, et penser du point de vue de l’entendement c’est dire non [67]. Cette dimension proprement négative du politique d’entendement le place dans l’indécision soulignée par Merleau-Ponty dans la préface aux Aventures de la dialectique : oscillant entre l’accommodation et la révolte, et ne proposant aucune perspective autre [68].
Propos
51La politique d’entendement et en général la pensée d’entendement trouvent leur expression appropriée dans la forme des propos. Forme qui met en avant la singularité dans la mesure où il n’y a pas enchaînement systématique mais qui vise chez Alain des formes fixes, statiques, mettant en évidence un élément structurel sous la forme de l’universalité. La singularité de l’événement public ou privé n’est qu’occasion d’approcher un ou plusieurs thèmes avec universalité. Ainsi, la lecture de Jaurès [69], la politique de Herriot [70] sont l’occasion de discussion sur la fidélité politique, sur le vote, sur l’opinion, sur les suffrages. Et l’on sent bien à la lecture des Propos que l’essentiel n’est pas tant le singulier, que la pensée universelle qui lui donne sens, qui lui donne sa saillance. La profusion du propos déborde son point de départ et ainsi, si le propos d’Alain apparaît comme circonstancié, il ne se réduit jamais aux circonstances qui l’ont amené. La politique d’entendement, si elle est attentive aux événements, trouve cependant son fond ailleurs que dans les circonstances qui font émerger l’événement. Tout comme la politique de la raison, mais en un sens autre, elle déborde l’événement, en mettant en avant des valeurs auxquelles l’événement doit être mesuré. C’est en ce sens que la politique d’entendement est avant tout une éthique, d’ailleurs, c’est l’ensemble de la philosophie d’Alain qui se présente comme une éthique, éthique et universalité des valeurs étant indissociables [71]. C’est pourquoi Merleau-Ponty affirme dans la préface aux Aventures de la dialectique, que la politique d’entendement d’Alain « cherche chaque fois à faire passer dans les choses un peu des valeurs que l’homme, quand il est seul, discerne sans hésitation » [72]. Or l’écueil de la politique d’entendement consiste justement dans ses valeurs universelles, car cette universalité n’est atteinte que dans le retrait du monde, et la politique d’entendement est ainsi une politique solipsiste.
52En revanche les propos de Merleau-Ponty, s’ils sont eux aussi circonstanciés, sont eux-mêmes événements, ou plutôt, comme nous le verrons par la suite, signes. C’est pourquoi la reprise des articles n’a pas le même sens pour Merleau-Ponty et pour Alain.
Propos et signes
53Le propos est une pensée qui ne fait pas système mais est décisionnelle. Le propos d’Alain est pensée et jugement à partir de ce qui peut apparaître tout d’abord comme une contingence, un événement. Cependant Alain vise autre chose que la simple réécriture de l’événement ou du fait. Ses propos tendent à l’universalité à partir de ce qui est signe, signe à penser, signe qui est le milieu même de toute pensée :
« La pensée ne vit que par un signe qui renvoie à autre chose, et encore à autre chose » [73].
55Ainsi, le mouvement de la pensée est le mouvement même du signe, du renvoi. Et ce que l’on doit appeler penser, n’est autre chose que penser sur le signe [74]. Cependant il faut préciser que si certains signes apparaissent tout d’abord comme des événements, et même des événements naturels [75], il faut cependant préciser que le signe n’est jamais réductible à un événement ou un fait enchaînant la pensée à l’empirique. Les signes par lesquels la pensée advient comme mouvement, sont des signes proprement humains, et qui sont par cela même le monde de la pensée. C’est dans l’épaisseur temporelle et collective des signes, qui prennent alors l’allure des rites, des cérémonies, des fêtes, que nous pensons. Le signe n’est alors plus un simple instrument permettant d’exprimer une pensée préexistante et déjà claire en elle-même de par cette épaisseur qui peut tourner à l’anonymat ; le langage mathématique, qui apparaît comme étant le plus instrumental, ne faisant pas exception. En effet, Alain souligne dans Les idées et les âges que l’algèbre n’échappe pas à cette condition générale du signe comme milieu appelant la pensée bien plus qu’il ne l’exprime d’une manière chronologiquement seconde :
« L’algèbre n’arrive jamais à ce sens dépouillé, et elle participe de ce langage réel en un sens […]. L’homme n’a point inventé cette exacte écriture en vue d’exprimer quelque chose qu’il pensait d’abord ; mais au contraire cette écriture, peu à peu formée et enrichie, s’est trouvée aussitôt exprimer bien plus qu’on ne croyait » [76].
57Or nous retrouvons chez Merleau-Ponty cette approche de l’expression comme n’étant jamais seconde par rapport à la pensée :
« L’expression ne peut alors pas être la traduction d’une pensée déjà claire, puisque les pensées déjà claires sont celles qui ont déjà été dites en nous-mêmes ou par les autres. La “conception” ne peut pas précéder l’“exécution” » [77].
59Cette rupture entre l’expression et la traduction, permet de comprendre en quoi le langage est proprement monde, est proprement institué. Le signe, chez Alain comme pour Merleau-Ponty, n’est pas un effet d’une pensée, mais bien plutôt l’épaisseur dans laquelle se constitue, ou plutôt pour Merleau-Ponty s’institue, la pensée [78]. Il est appel à penser, il est à penser avant d’être pensée. Si le signe chez Alain se fait monde, et notamment à travers les cérémonies, les monuments, les arts, réciproquement le monde est signe de part en part. Le signe est ce qui fait advenir un monde, le monde humain à partir du monde naturel, qui n’est pas, à proprement parler, monde. Seul le signe a le pouvoir, dans sa reprise du naturel, de faire émerger le monde :
« il faut remarquer que par les fêtes, qui sont des célébrations, un autre objet commun, qui est et sera le plus ferme soutien de nos pensées, fait son entrée sous le couvert des signes ; cet objet, c’est le monde » [79].
61Le printemps fait son entrée dans le monde humain, à partir du moment, où il n’est plus simplement constaté, mais fêté [80]. C’est dire que le printemps comme signe et non plus comme simple événement naturel est signe collectif. Et c’est là la particularité même du signe, qui n’est jamais la simple traduction d’une pensée, que d’être avant tout social, bien avant que « l’individu séparé et conscient de soi y cherche l’image de ses projets et de ses passions » [81]. C’est dire que le signe se passe du sujet pensant individuel, qu’il n’est pas l’effet d’une subjectivité pensante qui l’amènerait à être dans une pure intention de signification, et cependant, l’effort de la pensée consiste à le reprendre dans une telle subjectivité.
62Le rapport de la pensée et du signe se trouve alors inversé, penser c’est penser un signe qui préexiste à la pensée dans le monde humain, dans le monde collectif de l’anonymat. Et le propos doit alors être compris comme une pensée du signe qui sort de l’anonymat, comme une reprise d’un signe dans une pensée vivante attachée à un sujet pensant et qui tend à l’universalité de la pensée jugeante.
63Nous comprenons ainsi, en dernière instance, que ce qui appelle le propos, c’est une certaine approche du signe, approche qui interdit de le tenir pour la manifestation sensible d’un sens préalable et rationnel. Si tel était le cas, le signe serait repris dans une pensée systématique, qui poserait en même temps un principe téléologique de l’histoire. Or Alain est au plus loin du système et de l’histoire téléologique. Sa pensée est celle d’un signe qui ne peut trouver sens que dans une philosophie du jugement, qui offre des propos qui ne sont pas simplement des discours, mais aussi des décisions, des jugements au sens plein du terme. Son approche du signe est éminemment solidaire de sa conception statique de l’histoire. En effet, si les signes ont bien une épaisseur temporelle, ils ont aussi une certaine stabilité – et de ce point de vue même le signe apparemment le moins stable, à savoir la voix, accède à la durabilité [82]. Et l’histoire prise dans l’épaisseur des signes est bien plutôt une statique qu’une dynamique, l’idée de progrès étant étrangère à la philosophie d’Alain [83]. Ainsi l’histoire de la religion est réduite à des étages de la vie humaine, excluant alors toute approche en termes d’étapes ou de moments [84]. Cette absence de perspective proprement historique justifie le statut a-temporel du propos, qui amène, à partir de la contingence, à la forme même de la pensée laquelle est indissociable de l’universalité du jugement.
64C’est donc à partir de la différence d’approche des signes, que l’on doit comprendre que Merleau-Ponty et Alain n’accordent pas le même statut aux propos. En effet, si le signe est aussi monde, s’il a aussi une épaisseur temporelle, il n’est cependant pas, dans la perspective merleau-pontienne, appel à une philosophie du jugement qui viendrait combler sa singulière apparition par un sens universel ancré dans une nature humaine fixe. Le signe s’approche sur fond même d’un changement de l’homme. Les signes sont des manifestations de l’homme, et tout signe d’un changement dans les représentations que l’homme a de lui-même, est modification de l’homme lui-même. Le signe est sous-tendu par une dynamique étrangère à la philosophie d’Alain.
65C’est pourquoi, malgré une apparente proximité, les propos de Merleau-Ponty diffèrent de ceux d’Alain, non pas simplement dans leur contenu – comme par accident des circonstances – mais dans leur sens même. Les propos de Merleau-Ponty sont eux-mêmes renvoyés à la contingence, dont la pensée ne peut s’extraire, si son fond est un fond humain lui-même changeant. Ils sont à reprendre, sur un fond changeant lui-même, ce qui leur confère un statut non définitif, celui même de signe.
Demain…
66C’est sur le propos intitulé Demain… que s’achève Signes. Ce titre indique à la fois combien le propos est circonstancié, mais aussi, paradoxalement, qu’il n’est jamais enfermé dans ses circonstances. Celui-ci ne nous dévoile pas une vérité a-temporelle, absolue, mais appelle une révision ou du moins une re-visitation et ceci parce qu’il est tourné vers l’avenir. Nous pouvons entendre en deux sens cet appel à la révision du propos : soit il s’agit – le relisant deux ans après sa publication initiale ou bien plus pour nous [85] – de considérer cette révision comme définitive, la re-lecture ayant alors la valeur d’une évaluation définitive de ce qui n’était qu’un pronostic, qu’une anticipation de la situation politique ; soit nous considérons cette révision comme une nouvelle visite de l’article initial, comme un effort pour penser le présent d’une actualité politique au-delà de cette actualité, pour penser l’événement politique comme en dehors de la simple revue d’actualité.
67Qu’en est-il précisément de l’événement qui est au cœur de ce dernier propos ? Pour essayer de l’entendre, il faut en retracer, au moins à grandes lignes, les circonstances, son actualité, et ceci parce que le propos se présente sous une forme journalistique, même s’il ne peut s’y réduire, par son aspect éminemment critique et sa volonté de replacer l’événement dans le monde. Si le propos ne peut pas être lu comme simple article de journal – dont il emprunte apparemment la forme centrée sur l’événement singulier ainsi que le mode de publication –, c’est dans la mesure où il révèle un manque, un défaut du journalisme d’actualité. En effet, si sur le plan politique, « l’engagement sur chaque événement pris à part » doit être évité car il devient « en période de tension, un système de “mauvaise foi” » [86], de même sur le plan du journalisme, l’écriture d’actualité ne peut se réduire à une série d’événements traités un par un. Cette écriture doit donc être un travail qui essaie de nouer des lignes de sens entre des événements que la pratique du journalisme de quotidien laisse plus ou moins de côté. Ainsi, dans le dernier propos, lequel n’est pas un article mais une interview publiée dans L’Express, il est question d’un événement central replacé parmi les événements marquants de la première moitié de l’année 1958. Ces événements doivent être entendus sur fond de l’orientation de la politique française depuis la sortie de la seconde guerre mondiale. L’événement central, c’est la loi constitutionnelle du 3 juin 1958, laquelle met en place la réforme de la constitution qui sera finalisée le 4 octobre 1958. Le propos est ainsi une réflexion sur cette réforme entreprise par de Gaulle et sur la situation de la démocratie en France. Il est mû par un questionnement sur les motivations du changement constitutionnel, et par une incertitude sur l’avenir de la démocratie, si ce changement s’avère fondé sur une mauvaise interprétation de la crise démocratique qui le justifie.
68Cette crise n’est autre que celle qui émergea au grand jour le 13 mai 1958 lors du coup d’état des généraux d’Alger. Cependant, celle-ci n’est aucunement circonscrite aux contours immédiats de l’événement d’Alger et à l’appel du général de Gaulle. Merleau-Ponty montre en effet que le mal est bien plus profond, irréductible à cette simple actualité. Ce mal, profond et continu, est celui d’une démocratie faussée par « l’indigence politique de la droite » et conjointement « une politique communiste titubante » [87]. L’indigence qu’évoque Merleau-Ponty, est celle d’une droite sans idées, et cependant au cœur de la vie politique. C’est là que réside le mal, dans la mesure où, sans idées, elle se trouve en position d’arbitre de la politique française par le subterfuge de la déduction des voix communistes. Mais il ne s’agit pas d’une démocratie seulement faussée au moment du passage à l’urne et des votes parlementaires, mais d’une démocratie faussée dans la continuité, car, à l’indigence de la droite, s’ajoute la politique titubante du P.C.F. Cette politique du P.C.F est celle de ses hésitations à entrer dans le jeu parlementaire et gouvernemental [88], mais aussi celle de ses prises de positions, ou plutôt de ses silences, lesquels révèlent que le P.C.F. avait autre chose en tête que sa politique. Sinon comment comprendre qu’il n’ait aucunement condamné les massacres et répressions dans le Constantinois algérien en 1945-1946, alors même qu’il participait au gouvernement ? Cette attitude ne révèle plus un double jeu s’inscrivant dans une confusion que Merleau-Ponty imputait, en 1946, au monde lui-même [89], mais simplement que le P.C.F n’a plus de politique – car il en a plusieurs, et qu’il n’est même plus un parti – car il agit comme un groupe de pression. Ce comportement de groupe de pression, lequel n’est pas le propre du seul P.C.F., signale une absence de politique de pouvoir, une absence de perspective du pouvoir. Le pouvoir n’étant pas assumé, la politique devient une politique de la pression, qu’il s’agit d’exercer autant que possible afin d’éviter la pression adverse. Mais dans ce jeu, se crée un vide, celui-là même du pouvoir, et c’est en ce sens que Merleau-Ponty souligne que le rapport de la philosophie à la politique a changé : il ne s’agit plus d’en appeler, comme le faisait Alain, au citoyen critique du pouvoir, mais de critiquer et de réorganiser le pouvoir. L’absence de politique à propos du pouvoir et l’absence de pouvoir politiquement assumé, appellent une nouvelle réflexion philosophique sur le pouvoir. Cette réflexion ne peut se cantonner à une tâche critique qui relève d’un autre temps, d’un temps où le pouvoir était assumé, exercé, et où il s’agissait de le limiter et de le contrôler [90]. La tâche est à présent, pour Merleau-Ponty, de penser le pouvoir comme devant s’exercer et s’assumer. Cependant, Merleau-Ponty n’appelle pas à la naissance ou à la renaissance d’un Léviathan, pure mécanique de pouvoir si bien critiquée par Alain [91], mais à penser les conditions d’exercice du pouvoir. Ceci suppose un nouveau rapport au pouvoir autorisant alors une prise de position de chacun, des citoyens et finalement, un véritable engagement. C’est pourquoi « notre notion même de l’opinion est à revoir : elle est fondée sur une philosophie du jugement et de la décision qui est un peu courte » [92]. Est-ce à dire que la politique ne doit pas prendre en compte l’opinion, qu’elle doit se faire dans la négation de celle-ci ? Non, tel est seulement le cas quand la question du pouvoir n’est pas explicitée, quand l’exercice du pouvoir n’est pas assumé. Le recours à l’opinion ne peut être constructif qu’à la condition d’une visée politique, d’une politique, d’une ligne d’action claire, ce qui suppose des partis. En l’absence de souci politique de la part de partis se comportant comme des groupes de pression, l’opinion est réduite à son instantanéité, ne trouvant aucune stabilité dans ce à quoi elle résiste ou adhère. Et aucun recours à cette opinion sans fondement stable ne peut nourrir la démocratie : « Il n’y a pas de liberté dans la docilité à chaque frisson de l’opinion » [93].
69Quand la démocratie est ainsi faussée, quand le recours à l’opinion s’avère inutile, quand la liberté se voit réduite à une succession d’opinions sans liens, parce que les partis n’assument plus leur rôle de parti, il semble bien vain de tenir pour solution une refonte de la constitution laquelle permettrait de dépasser le jeu parlementaire, la politique des partis. C’est pourquoi Merleau-Ponty regarde avec une réserve pleinement assumée la réforme constitutionnelle appelée par de Gaulle : « Comme le nouveau régime qu’on prépare sera fondé sur cette appréciation, je n’en attends, pour ma part, rien de bon » [94]. Il ne faut pas y voir une volonté de défendre la Quatrième République. Merleau-Ponty s’abstient de la défendre, non pas tant parce qu’elle est critiquable, mais parce la solution n’appartient pas à un acte absolu de refonte constitutionnelle. Seule une réorganisation du pouvoir peut permettre de sortir de ce qui n’est pas une simple crise de la démocratie, une crise du pouvoir démocratique, mais bien une forme de négation de la démocratie et de son pouvoir. Car qu’est-ce qu’une démocratie faussée, si ce n’est une de ses négations, non pas une négation radicale comme le serait celle que porte un régime totalitaire, mais une négation qui coexiste avec la forme constitutionnelle de la démocratie et un certain sentiment de liberté ? C’est alors la question de la réorganisation du pouvoir, laquelle implique une extrême activité du citoyen, qui doit être mise à l’ordre du jour politique. Merleau-Ponty s’avance, avec cet appel, dans un domaine où le philosophe critique des pouvoirs – à savoir, le philosophe d’entendement, Alain – ne s’engage pas, car, avec évidence, le philosophe n’a pas le pouvoir. Mais il ne prétend pas réaliser cette tâche de réorganisation, laquelle n’est donc pas celle des propos philosophiques. Celle-ci ne peut se faire dans et par le discours philosophique, mais seulement dans des institutions. La question politique est alors « de trouver des institutions qui implantent dans les mœurs cette pratique de la liberté » [95]. Telle est selon Merleau-Ponty la tâche politique d’actualité, et s’il ne peut l’accomplir, le philosophe doit cependant en souligner la nécessité.
70Cette réélaboration de la politique est d’ordre institutionnel : elle ne peut se confondre avec un acte de constitution, pensé comme une création pure, comme « une fulguration sur le Sinaï » [96], car ce qui est en jeu ce sont des mœurs instituées. Il faut alors comprendre deux choses : d’une part que la politique ne se termine pas dans des institutions spécifiquement politiques, qu’elle doit se prolonger au-delà du domaine institutionnel de la politique (chambre des députés ou autre), à savoir dans les mœurs elles-mêmes, dans nos conduites ; et d’autre part que l’acte constitutionnel ne résout rien. En effet, un changement constitutionnel n’est pas plus capable qu’une révolution de résoudre les problèmes. Un acte de pure création, un acte de constitution ne permet pas de modifier, à lui seul, ce qui est déjà institué. La refonte de la constitution, annoncée par de Gaulle, ne pouvait donc résoudre le problème d’une absence de pratique politique, déjà installée dans les mœurs. Comprenons que la démocratie n’est pas une simple affaire de constitution, qu’elle concerne les mœurs elles-mêmes, c’est-à-dire l’ensemble de nos conduites instituées. Et le pouvoir, qu’appelle Merleau-Ponty, n’est pas un pur pouvoir créateur ou re-créateur de la politique, qui organiserait comme par une « fulguration sur le Sinaï » la vie politique et démocratique. Comme le révèlent les cours de Merleau-Ponty sur L’Institution, nous ne devons pas penser la politique à partir de la constitution, mais à partir de l’institution, de la naissance qui ouvre un à-venir :
« Naissance [n’est pas acte] de constitution mais institution d’un à-venir. Réciproquement l’institution réside dans le même genre de l’Être que la naissance et n’est pas plus qu’elle un acte : il y aura plus tard des institutions décisoires ou contrats, mais ils sont à comprendre à partir de la naissance et non l’inverse » [97].
72La naissance politique d’un régime ou la renaissance politique de la démocratie ne sont pas à chercher du côté d’un acte de constitution, ni à attendre d’un contrat constitutionnalisant [98]. C’est du fond même de nos pratiques politiques instituées qu’émergent de tels actes. La naissance d’une nouvelle constitution n’est jamais rupture avec ce qui la précède et la justifie dans les discours politiques. Elle est toujours une certaine reprise ; le danger consistant alors dans une cécité, volontaire ou naïve, à l’égard de cela. Sur le plan politique, comme sur le plan de la philosophie, il faut être attentif au pré-théorique, à cette couche du monde qui n’est pas un effet de la conscience constituante, mais qui la sous-tend, à ce qui est en deçà de la constitution [99]. Et l’on voit alors que la philosophie de l’institution apparaît comme une philosophie critique de la constitution, laquelle est aussi opératoire dans le domaine politique. C’est cette philosophie de l’institution qui autorise Merleau-Ponty à critiquer la refonte constitutionnelle annoncée par de Gaulle. L’insuffisance de cette dernière n’étant rien d’autre que l’insuffisance d’un acte qui croit en son pouvoir fondateur absolu, insuffisance qui renvoie à celle de toute politique qui se veut créatrice, à toute sur-évaluation de l’acte de pure constitution et en dernière instance à l’insuffisance d’une philosophie de la constitution, de la pure conscience constituante.
Notes
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[1]
Les aventures de la dialectique, Préface, p. 9, Folio essais, Paris, 2000 ; noté par la suite AD.
-
[2]
Signes, préface, p. 9, Folio essais, Paris, 2001 ; noté par la suite S.
-
[3]
En effet, si deux œuvres ont pour objet principal la politique, à savoir Humanisme et terreur et les Aventures de la dialectique, il faut aussi souligner que la politique est rencontrée dans les autres œuvres : Phénoménologie de la perception, Sens et non-sens, Signes ainsi que dans les cours sur l’institution.
-
[4]
S., préface, p. 9.
-
[5]
Les propos repris à la suite des Essais sont des articles précédemment publiés dans Les Temps Modernes, L’express et Le Monde.
-
[6]
Ces trois ambiguïtés sont successivement abordées dans L’homme et l’adversité ; l’ambiguïté politique, comme manifestation de l’ambiguïté plus générale de notre rapport au monde, étant explicitée dans la dernière partie, p. 384 et sq.
-
[7]
Par cette formule, nous voulons ici distinguer la période de l’époque, ainsi que nous y invite Merleau-Ponty dans la préface de Humanisme et terreur ; par période, il faut entendre une durée où la politique est avant tout sans crise, sans violence et dont la dimension essentielle est celle de l’administration d’un droit établi, alors que l’époque est « un de ces moments où le sol traditionnel d’une nation ou d’une société s’effondre, et où, bon gré mal gré, l’homme doit reconstruire lui-même les rapports humains, alors la liberté de chacun menace de mort celle des autres et la violence reparaît », H.T., p. 44. Dans le premier moment historique la politique est celle de la continuation de l’institution alors que la seconde est le moment même de l’institution.
-
[8]
Sens et non-sens, La Guerre a eu lieu, p. 257, Nagel, Paris, 1963 ; noté par la suite SNS.
-
[9]
« Nous avons désappris la « pure morale » et appris une sorte d’immoralisme populaire, qui est sain. L’homme moral ne veut pas se salir les mains. C’est qu’il a d’ordinaire assez de loisir, de talent ou de fortune pour se tenir à l’écart des entreprises qu’il désapprouve et se préparer une bonne conscience. Le peuple n’a pas cette liberté-là : le mécanicien dans un garage, s’il voulait vivre, était bien obligé de réparer les voitures allemandes. », SNS., La Guerre a eu lieu, p. 259.
-
[10]
SNS., La Guerre a eu lieu, p. 251.
-
[11]
« quand on a vécu, comme nous l’avons tous fait […], dans Paris, avec la présence des Allemands et tout ce que cela signifiait, on comprend comment cette expérience était de nature à nous orienter de plus en plus sur ce qui se passe, sur les événements, sur l’extérieur, sur la vie politique et sociale. Et par conséquent, le cours des choses jouait dans le même sens que la philosophie de l’existence, qui elle aussi, de son côté, par ses moyens abstraits de philosophie, nous orientait vers le monde. » ; La philosophie de l’existence in Parcours 2, p. 259, Verdier, Lagrasse, 2001.
-
[12]
Formule que nous empruntons à la préface des Aventures de la dialectique, p. 9.
-
[13]
S., p. 26.
-
[14]
S., p. 14.
-
[15]
« À propos d’un vote du groupe parlementaire ou d’un dessin de Picasso, que d’heures, que d’arguments consumés, comme si l’Histoire Universelle, la Révolution, la Dialectique, la Négativité étaient vraiment présentes sous ces maigres espèces. » S., Préface, p. 14.
-
[16]
S., p. 14-15.
-
[17]
S., p. 15.
-
[18]
Nous reprenons les termes de Merleau-Ponty.
-
[19]
« Cependant, cette transformation de la connaissance de l’homme que nous ne pouvons espérer de déterminer par une méthode rigoureuse, à partir des œuvres, des idées et de l’histoire, elle s’est sédimentée en nous, elle est notre substance, nous en avons le sentiment vif et total quand nous nous reportons aux écrits ou aux faits du début de ce siècle. Ce que nous pouvons essayer, c’est de repérer en nous-mêmes, sous deux ou trois rapports choisis, les modifications de la situation humaine. », S., p. 367.
-
[20]
Les Propos de Signes sont des articles repris dont les titres ont été revus.
-
[21]
SNS., Préface, p. 8.
-
[22]
AD., p. 9
-
[23]
Principes qui viennent remplacer la téléologie naturelle de la philosophie politique antique, laquelle, à partir, du bien proprement humain, déduit les conditions de développement de la vie vertueuse ainsi que la forme politique la plus appropriée à cette fin.
-
[24]
Propos principalement recueillis dans Propos d’économique, Propos de Politique et Propos sur les pouvoirs.
-
[25]
Ch II, § 6 : Le critère de la pratique dans la théorie de la connaissance, p. 49.
-
[26]
ibid.
-
[27]
AD., p. 97.
-
[28]
Texte publié en 1952 dans les Temps Modernes.
-
[29]
« le but de cet article, écrit Sartre, est de déclarer mon accord avec les communistes sur des sujets précis et limités, en raisonnant à partir de mes principes et non des leurs », Situations VI, Les communistes et la paix, p. 168.
-
[30]
AD., p. 142.
-
[31]
AD., p. 139.
-
[32]
AD., p. 140
-
[33]
L’être et le néant, Tel Gallimard, Paris, 1993, p. 493
-
[34]
AD., p. 150 ; nous soulignons.
-
[35]
AD., p. 139.
-
[36]
AD., p. 139.
-
[37]
AD., p. 139. Si le social est une « seconde nature », comme la première il peut être objet d’une approche technicienne le modifiant. Le politique apparaît alors comme une « sorte d’ingénieur politique ». L’approche technique est ainsi une conséquence de l’objectivisme, tout comme l’approche en terme de « création pure » est une conséquence du subjectivisme sartrien.
-
[38]
AD., Préface, p. 14.
-
[39]
AD., Préface, p. 10.
-
[40]
L’attitude offensive de l’URSS, qui succéda à son attitude défensive, marqua un tournant radical de sa politique : il ne s’agissait plus d’une politique de lutte des classes, mais d’une politique volontariste, où la lutte des classes, bien loin d’être le moteur de l’histoire et de sa politique, est devenue la justification des actions politiques déterminées au sommet de l’appareil étatique. Celles-ci n’étaient donc plus l’émanation de la conscience prolétarienne, mais l’émanation de « la conscience des chefs » : « Un communisme tout volontaire apparaissait, entièrement fondé sur la conscience des chefs, renouveau de l’État hégélien, et non pas dépérissement de l’État » ; AD., p. 316. Ainsi, l’URSS avait définitivement rompu avec la politique marxiste – en développant un marxisme orthodoxe –, avec sa dialectique, jouant alors le jeu d’un État comme un autre. Ce changement d’orientation politique de l’URSS, cette rupture avec la politique marxiste, Merleau-Ponty la remarquait dans le guerre de Corée. Et c’est à partir de là qu’il remit en question son « attentisme marxiste » qualifié dans Sens et non-sens comme position politique de lendemain de la guerre ; SNS., p. 10. Cependant, s’il n’y a plus à attendre de la politique soviétique une orientation marxiste de l’histoire, l’attentisme est alors dépourvu de sens, et la position politique de sympathie communiste doit être revue, dans la mesure où, sur fond d’offensive soviétique, elle risque de devenir une simple adhésion à la politique de l’URSS. Le positionnement politique n’est jamais abstrait, il est toujours sur fond de situation actuelle.
-
[41]
AD., Préface, p. 13-14.
-
[42]
S., Préface, p. 15.
-
[43]
AD., p. 282.
-
[44]
Et ainsi c’est dans une autre perspective que la révolution sera retrouvée, dans une relativisation radicale que le marxisme orthodoxe ne peut admettre.
-
[45]
Propos d’un Normand, I, CLXVIII, 1er avril 1909.
-
[46]
Éléments de philosophie, IV, De l’action, ch 1, p. 225, idées Gallimard, Paris, 1970.
-
[47]
Entretiens au bord de la mer, premier entretien, in Les passions et la sagesse, p. 1268, Pléiade, Gallimard, 1960.
-
[48]
Propos sur les pouvoirs, 35, 3 décembre 1931.
-
[49]
ibid.
-
[50]
ibid.
-
[51]
« De braves gens se laisseront convaincre, et gouverneront l’usine selon la force, sans remords et même sans méchanceté. Ou plutôt ils se feront méchants par raison, absolument comme Lénine et Trotsky se faisaient méchants par raison. Les uns et les autres sont convaincus qu’ils travaillent à des fins qui les dépassent, Patrie ou Humanité », Propos de politique, XLV.
-
[52]
Entretiens au bord de la mer, 5e entretien, p. 1313.
-
[53]
« l’histoire humaine est donc l’histoire des signes », Esquisses de l’homme, IX, 28 avril 1923 ; nous reviendrons par la suite sur cette notion de signes.
-
[54]
Propos de politique, XXXVI, 1er avril 1931, p. 143 ; ou dans Propos sur les pouvoirs, 102, p. 266, Folio essais, Gallimard, Paris, 1985.
-
[55]
« La pensée ne vit que par un signe qui renvoie à autre chose, et encore à autre chose », Les idées et les âges, p. 147, in Les passions et les sagesse.
-
[56]
Comprenons dans l’histoire : les hommes « feraient l’histoire, ou plutôt ils la déferaient, sans respect, ni religion », Propos de politique, XXXVI, p. 144.
-
[57]
ibid. p. 144.
-
[58]
Entretiens au bord de la mer, p. 1372.
-
[59]
Propos sur les pouvoirs, 103, p. 269.
-
[60]
« il me plaît de découvrir en ce monde politique où chacun décrète, préfère, choisit, improvise en idée, il me plaît de découvrir une nature économique qui nourrit tout et porte tout suivant des lois inflexibles », Propos sur les pouvoirs, 103, 16 avril 1921, p. 269 ; et : « La politique n’a guère changé et ne changera guère. C’est que la structure de l’homme est toujours la même ; et ce qu’en disait Platon est encore vrai aujourd’hui », Propos de politique, LXXVI, p. 303 ; dans ce propos la nature fixe invoquée relève encore de l’économie.
-
[61]
« Si jamais j’ai écrit quelque chose d’utile, j’ai écrit une Statique, et non une Dynamique », Histoire de mes pensées, in Les Arts et les Dieux, p. 175, Pléiade, Gallimard, Paris, 1960.
-
[62]
AD., Préface p. 10.
-
[63]
ibid.
-
[64]
Entretiens au bord de la mer, 9e entretien, p. 1373.
-
[65]
AD, Préface, p. 11.
-
[66]
Propos de politique, LI, p. 205 ou Propos sur les pouvoirs, 107, p. 279
-
[67]
Propos sur les pouvoirs, 139, p. 351 et sq.
-
[68]
C’est à cette autre perspective, dépassant l’opposition réforme-révolution, que travaillera Merleau-Ponty en développant le thème de l’institution.
-
[69]
Propos de politique, LI, 23 janvier 1932, p. 201 et sq. ou in Propos sur les pouvoirs, 107, p. 277.
-
[70]
Propos de politique, LXVIII, p. 269 et sq.
-
[71]
« On voit par là que, si la philosophie est strictement une éthique, elle est, par cela même, une sorte de connaissance universelle », Éléments de philosophie, introduction, p. 16.
-
[72]
AD. p. 10.
-
[73]
Les idées et les âges, tome I, p. 242, Gallimard 1927 ; in Les passions et la sagesse, p. 147, Pléiade, Gallimard, 1960.
-
[74]
ibid. p. 133 ; in Les passions et la sagesse p. 236.
-
[75]
Ainsi tenons-nous tout d’abord le printemps comme un signe-événement naturel.
-
[76]
Les idées et les âges, tome I, p. 242, Gallimard, Paris, 1927 ; in Les passions et la sagesse p. 148.
-
[77]
SNS., Le doute de Cézanne, p. 32.
-
[78]
L’institution est à la fois ce qui est institué et le processus même. Elle n’est pas un simple produit inerte, ni un pur processus de production dont le produit tomberait à l’extérieur. Et si l’institution est si éminemment dialectique, c’est dans la mesure où elle se distingue de la constitution qui appelle toujours comme un acte premier, sans réversibilité, opéré par un constituant. Ainsi, le sujet constituant produit en extériorité le constitué, et comme celui-ci tombe dans l’extériorité, il ne peut produire aucun effet en retour sur le constituant. L’acte de constitution est orienté dans un seul sens, sans réciprocité : « Donc [il y a] sujet institué et instituant, mais inséparablement, et non sujet constituant ; [donc] une certaine inertie, – [le fait d’être] exposé à… – mais [c’est ce qui] met en route une activité, un événement, l’initiation au présent, qui est productif après lui […], qui ouvre un avenir », L’institution, p. 35, Belin, Paris, 2003.
Le sujet instituant ne pouvant être séparé du sujet institué, de par une interaction immanente à l’institution, il est irréductible à la figure du sujet constituant, lequel est isolable du constitué comme son produit – produit qui porterait totalement le sens que lui aurait conféré celui qui produit. Le sens du constitué est identique au sens qu’il a pour le sujet constituant et aucun débordement de sens n’est possible, tout se jouant dans le constituant : « Constituer en ce sens est presque le contraire d’instituer : l’institué a sens sans moi, le constitué n’a de sens que pour moi et pour le moi de cet instant » ; L’institution, p. 37. -
[79]
Les idées et les âges, tome II, p. 128, Gallimard, Paris, 1927 ; in Les passions et la sagesse, p. 233.
-
[80]
ibid. p. 134 ; in Les passions et la sagesse, p. 237.
-
[81]
ibid. p. 134 ; in Les passions et la sagesse p. 237.
-
[82]
« La voix est le plus ambigu et le moins stable des signes. On sait que, faute d’œuvres résistantes, le langage parlé se décompose en dialectes, et se perdrait bientôt en un ramage presque animal. Mais la voix a trouvé fort anciennement le moyen de se faire objet, et vraisemblablement d’après les leçons de la danse » ; Les idées et les âges, tome II, p. 138-9, Gallimard 1927 ; in Les passions et la sagesse p. 240
-
[83]
Histoire de mes pensées, Hegel et Hamelin, p. 244, Gallimard 1936 ; in Les arts et les dieux, Histoire personnelle, p. 175, Pléiade, Gallimard.
-
[84]
Les dieux, livre II, ch1 : L’éternelle histoire. Après avoir distingué trois formes de religion comme trois étapes distinctes (religion de la nature, religion politique, religion de l’Esprit), Alain revient sur ce terme d’étape et le corrige : « Mais plutôt, veux-je dire, ce sont les étages de l’homme » (p. 95 Gallimard 1947) réduisant ainsi l’histoire des religions à une co-présence en l’homme d’éléments auxquels ces religions se rattachent : ventre, poitrine et tête (p. 95-6).
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[85]
Ce dernier propos a été publié pour la première fois sous le titre « La Démocratie peut-elle renaître en France ? » dans L’Express du 3 juillet 1958.
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[86]
Lettre à Sartre du 8 juillet 1953, in Parcours deux, p. 146.
-
[87]
Demain…, S., p. 556.
-
[88]
Cette situation du P.C.F. concernant la question de la participation au gouvernement était envisagée par Merleau-Ponty dans Pour la Vérité (publié pour la première fois en janvier 1946 dans les Temps Modernes et repris dans Sens et non-sens) comme un double jeu tactique du PC ; or, nous voyons que dans le propos qui nous intéresse, la politique du P.C.F. ne bénéficie plus de cette faveur.
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[89]
« Cette solution abstraite et naïve oublie que compromis et double jeu ne sont pas des créations arbitraires des partis, qu’ils expriment sur le plan politique la situation vitale du monde », Pour la Vérité, in SNS, p. 287. Le double jeu était alors imputé par Merleau-Ponty à l’influence de facteurs brouillant les lignes marxistes de l’histoire, ibid. p. 288.
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[90]
Demain…, S., p. 559-560.
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[91]
cf. propos 52 et 102, in Propos sur les pouvoirs, p. 147-149 et 265-267, Folio, Gallimard, 1998.
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[92]
Demain…, S, p. 560.
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[93]
ibid.
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[94]
ibid., p. 556.
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[95]
ibid., p. 561.
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[96]
ibid., p. 561.
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[97]
L’institution, p. 38.
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[98]
Le recours à la voie référendaire, pour entériner un changement constitutionnel – comme ce fut le cas pour la ve République, soumise à l’approbation populaire le 8 septembre 1958 – est l’une des formes d’un tel contrat.
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[99]
C’est ce niveau d’un monde institué, en deçà des actes de la conscience constituante et de son intentionnalité (comme acte), que Merleau-Ponty met en évidence dans Le philosophe et son ombre. Cet essai philosophique de Signes se présente comme une lecture des Ideen II de Husserl, laquelle vise à dévoiler un impensé de Husserl (S., p. 270), un envers de la constitution, « un envers des choses que nous n’avons pas constitué », S., p. 293.