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Lire à ce sujet La Famille connectée, de Jocelyn lachance (érès, coll. « L’école des parents », 2019).
Depuis la rentrée 2018, l’utilisation du téléphone portable est proscrite à l’école et au collège. Pour les uns, cette mesure en limite les usages déplacés, notamment à la récréation. Pour les autres, elle hypothèque l’essor des applications pédagogiques des nouvelles technologies.
L’interdiction du téléphone portable dans les écoles et les collèges vous semble-t-elle utile et pertinente ?
1 Rachel Panckhurst : Alors que le ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, clame son souhait de construire une « école de la confiance », cette loi me semble aller dans la direction strictement opposée. Depuis 2010, le Code de l’éducation prévoyait qu’il appartenait à l’équipe pédagogique et à la direction de l’établissement de réguler les usages du téléphone portable grâce au règlement intérieur, notamment en précisant les lieux où il était interdit (cour de récréation, réfectoire, etc.). Et cela fonctionnait très bien. Pourquoi faire voter une loi, si ce n’est pour imposer une forme de verticalité ? Cela revient en quelque sorte à faire preuve de méfiance vis-à-vis des équipes pédagogiques, à les déresponsabiliser.
2 Max Aubernon : Je ne considère pas du tout cette loi comme un désaveu ni comme une déresponsabilisation. Elle permet de fixer un cadre réglementaire commun à tous les établissements français et offre aux équipes pédagogiques une base juridique solide sur laquelle s’appuyer pour faire respecter l’interdiction des téléphones portables et accepter leur éventuelle confiscation. Par ailleurs, il incombe toujours aux établissements, par le biais de leur règlement intérieur, d’organiser les modalités de l’interdiction (exemple : le téléphone doit-il être déposé dans un casier ou simplement laissé éteint au fond du sac ?) ainsi que les cas précis d’usage pédagogique où il peut être autorisé.
3 De nombreux collèges avaient déjà opté pour l’interdiction du téléphone portable. Cette loi entérine donc une pratique installée ?
4 Rachel Panckhurst : D’après les témoignages de collègues enseignant au collège que j’ai pu recueillir, il semblerait que la loi ait entraîné un surcroît de travail administratif pour les conseillers principaux d’éducation et la direction des établissements. Désormais, en cas de transgression de l’interdit et de confiscation du téléphone, ils doivent envoyer des courriers officiels aux parents, rédiger des avis de sanction, des blâmes, etc. Un temps précieux qui pourrait sans aucun doute être utilisé à des tâches plus éducatives…
5 Max Aubernon : Personnellement, je n’ai pas observé un tel phénomène dans mon collège. Ce serait même plutôt l’inverse ! Il y a dix ans, j’avais en permanence sept à huit téléphones portables confisqués dans le coffre de mon bureau. Et dès que j’en rendais un, un autre venait le remplacer. Actuellement, nous n’en confisquons quasiment plus, au maximum un ou deux par mois. Et je tiens à préciser que le collège Boris-Vian se situe en zone d’éducation prioritaire et que nos élèves peuvent s’avérer très vivants ! Je ne suis pas naïf, j’imagine bien que certains se débrouillent pour utiliser leur téléphone en cachette sans se faire prendre. Mais je constate aussi que les usages de la plupart des jeunes ont beaucoup changé ces dernières années : ils ont petit à petit intégré l’idée que cet outil devait rester au fond de leur sac durant leur journée scolaire. Et quand ça n’est pas le cas, nous sommes là pour en parler avec eux, pour les guider vers une utilisation raisonnée.
6 Rachel Panckhurst : Justement, plutôt que d’interdire, ne serait-il pas plus approprié de faire un peu confiance aux élèves ? Dans la cour de récréation, par exemple, en plus d’autres activités, le téléphone peut constituer une soupape pour se détendre, écouter de la musique, jouer, lire, etc. Tous les élèves n’utilisent pas leur téléphone pour en faire de mauvais usages, filmer les autres ou les harceler…
7 Max Aubernon : Dans une cour de récréation, le téléphone portable peut être source de nombreux conflits (photos « volées » et diffusées sur les réseaux sociaux par exemple) ou devenir un objet de convoitise pour ceux qui n’en ont pas ou en possèdent un moins luxueux. Les collégiens n’ont pas encore la maturité suffisante pour gérer ces difficultés. D’ailleurs, quand nous les consultons, ils sont majoritairement favorables à cette interdiction, pour éviter les problèmes. Par ailleurs, les élèves sont pleins de ressources quand il s’agit de savoir comment s’occuper et décompresser pendant une récréation sans recourir à leurs écrans ! Chez nous, ils courent, jouent ensemble, participent aux activités sportives qui leur sont proposées entre midi et deux. Mon adjointe, auparavant en poste, à l’étranger, dans un établissement où le téléphone était autorisé, a été surprise par l’activité intense qui règne dans notre cour de récréation : elle était habituée à ce que les élèves restent assis sur des bancs, chacun dans son coin ou par petits groupes, rivés à leur portable !
8 Rachel Panckhurst : Pour en revenir aux risques de conflits dans la cour de récréation autour du téléphone portable, je jugerais beaucoup plus instructif de ne pas chercher à les empêcher à tout prix par l’interdiction. Et d’apprendre plutôt aux élèves à les régler, avec l’équipe pédagogique qui est là pour les protéger et les éduquer.
9 Max Aubernon : Interdire le téléphone portable ne nous dédouane en rien de notre mission éducative concernant cet outil, bien sûr. C’est une préoccupation constante des équipes pédagogiques, qui organisent notamment des ateliers et des conférences de prévention du cyberharcèlement. Nous, adultes, devons également nous montrer exemplaires dans l’utilisation de notre téléphone devant les élèves. L’éducation aux bonnes pratiques passe aussi par là ! Je n’hésite jamais à aborder le sujet avec un surveillant ou un enseignant quand il fait un usage inconsidéré de son Smartphone…
10 Que pensent les parents de l’interdiction du téléphone portable au collège ?
11 Max Aubernon : Je n’ai jamais vu un parent s’y opposer ! Du moment que leur enfant peut utiliser son téléphone et est joignable en dehors du collège, ils sont rassurés. Pour le reste, ils sont plutôt reconnaissants à l’équipe pédagogique d’imposer ce « sevrage » qu’eux-mêmes ont parfois bien des difficultés à exiger à la maison. Mais certains – pas si nombreux que ça – ont du mal à respecter le territoire de l’école et ont tendance à envoyer des SMS intempestifs à leur enfant pendant les heures de cours, pour répéter une énième fois telle ou telle consigne [1] ! Ceux-là sont prompts à répondre à notre invitation à venir récupérer le téléphone confisqué parce qu’il a sonné au mauvais moment. C’est alors l’occasion d’entamer avec eux un dialogue, de donner des explications.
12 Rachel Panckhurst : Je pense qu’il serait aussi important de faire un travail de communication en direction des parents pour que la richesse pédagogique de cet outil soit mieux comprise de tous.
13 Justement, l’interdiction du téléphone portable au collège est-elle susceptible d’en entraver les usages pédagogiques ?
14 Rachel Panckhurst : Je le crains fort, en effet. Cette loi posant le principe général de l’interdiction, elle peut rendre les enseignants réfractaires encore plus frileux vis-à-vis de l’utilisation de cet outil pendant leurs cours. Puisque désormais le règlement intérieur doit énoncer les cas exceptionnels où le téléphone est autorisé, ils pourront craindre d’être hors cadre. Et ceux qui oseront passer outre cette appréhension le feront en catimini, sans trop s’en vanter, comme si utiliser le téléphone était une pratique honteuse. Quel dommage ! Voilà qui ne va pas dans le sens d’une éducation incluant « les humanités scientifiques et numériques », comme le prône Jean-Michel Blanquer…
15 Max Aubernon : Soyons honnêtes. Jusque-là, très peu d’enseignants utilisaient le téléphone portable comme outil pédagogique ! Et je ne suis pas sûr que la loi change grand-chose. Elle fournira peut-être à certains sceptiques un prétexte pour continuer comme avant et ne pas s’ouvrir davantage aux pratiques numériques. Je suis pour ma part très favorable au développement des usages pédagogiques numériques dans la classe.
16 Rachel Panckhurst : Plutôt que de les encourager dans ce refus du numérique pédagogique – ce que fait, à mon sens, indirectement cette loi –, il faudrait au contraire les motiver et les former. Certains estiment encore que le recours au téléphone portable pendant leurs cours revient à cautionner les « mauvaises habitudes » des élèves.
17 Max Aubernon : Je pense en effet qu’il faut expliquer cette loi aux enseignants et les convaincre qu’elle ne stigmatise ni n’interdit les usages pédagogiques. Mais il faut aussi reconnaître que l’Éducation nationale produit des supports très bien faits pour accompagner ceux qui veulent intégrer les outils numériques dans leurs pratiques.
18 Rachel Panckhurst : Au Canada ou en Belgique, de nombreux établissements scolaires promeuvent le BYOD (bring your own device) : « Apportez votre équipement personnel de communication ». Nous pourrions nous en inspirer. Dans les collèges insuffisamment équipés en ordinateurs, le recours aux Smartphones des élèves peut permettre de pallier ce manque. Et même s’il existe une salle informatique, il n’est pas toujours aisé de la réserver au moment voulu. Or, les usages pédagogiques du téléphone portable peuvent se révéler très enrichissants pour les élèves et rendre les cours plus interactifs, plus ludiques. Un professeur d’histoire-géographie peut par exemple travailler sur la compréhension des applications de géolocalisation. Un professeur de français, organiser des compétitions de dictée sur Twitter avec d’autres établissements. Les possibilités sont infinies !
Notes
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Lire à ce sujet La Famille connectée, de Jocelyn lachance (érès, coll. « L’école des parents », 2019).