Notes
-
[1]
Personal well-being lessons for secondary schools: Positive psychology in action for 11 to 14 year olds, d’Ilona Boniwell et Lucy Ryan (éd. McGraw-Hill Education, 2012).
-
[2]
Né en 2015, ScholaVie propose des programmes d’éducation positive, des outils et des formations pour développer le bien-être de l’enfant et de l’adolescent, à l’école ou en famille.
Site : www.scholavie.fr -
[3]
« Bien-être et motivation scolaire », de Fabien Fenouillet, actes du Congrès francophone de psychologie positive des 21 et 22 novembre 2013 (Université de Lorraine).
-
[4]
Ce programme en 10 modules mensuels s’adresse à tous : parents, éducateurs, psychologues, etc. Renseignements sur scholavie.fr
-
[5]
Aujourd’hui, 26 classes de l’établissement bénéficient de nos programmes. Le programme Well-being concerne 19 classes du CM1 à la sixième, le programme de résilience 7 classes de cinquième. En France, une dizaine d’écoles les met actuellement en pratique.
1Laure Reynaud n’a cessé de questionner son expérience d’enseignante. Elle raconte ici le parcours qui l’a conduite à introduire en France le programme Well-being.
2J’aime l’école. Je l’ai toujours aimée, au point de ne jamais l’avoir quittée. Des études de droit, de sciences politiques puis, le diplôme de professeur des écoles en poche, j’occupe mon premier poste aux États-Unis : une expérience déterminante, qui marquera ma vie professionnelle. Là-bas, le professeur encourage, valorise le positif, est proche de ses élèves et considère que l’erreur fait partie de l’apprentissage. De retour à Paris, j’enseigne dans un établissement bilingue renommé, ouvert sur le monde et les pédagogies innovantes. J’y exerce quinze ans, dont trois en lycée, avec passion. Le temps de réaliser qu’être prof, c’est bien plus qu’enseigner.
La réalité du terrain
3Être prof, c’est transmettre des connaissances, bien sûr. Mais, pour que cela fonctionne, il faut se mettre en scène, donner du sens, motiver, se remettre en question, continuer à se former, diversifier ses méthodes, individualiser les apprentissages et valoriser les potentialités des élèves pour que chacun trouve sa place dans la classe. Être prof, c’est rendre les élèves auteurs de leurs apprentissages, pour qu’une journée d’école ne se résume pas à rester immobile et inactif pendant sept heures sur une chaise – une vraie torture ! C’est instaurer un climat de classe positif, permettre l’autonomie et libérer la créativité en alliant fermeté et bienveillance. C’est aussi éveiller, participer à la construction d’êtres humains en devenir, leur donner les ressources pour bâtir leur confiance en eux, surmonter leurs peurs, apprendre à se connaître et à mieux se comporter dans leur relation à autrui. Malheureusement, aujourd’hui, être prof, c’est être formé à la pédagogie, aux savoirs académiques, mais pas ou trop peu à l’humain, à la psychologie, à la réalité du terrain. Cela demande beaucoup de volonté et d’énergie. Bien sûr, le jeu en vaut la chandelle, car on est mille fois récompensé de ses efforts quand un élève se révèle, surmonte ses difficultés, sort de son mutisme et participe à la vie de la classe, prend goût à l’effort, trouve enfin un copain avec qui jouer. Mais c’est parfois ingrat et il arrive que l’on se sente démuni, seul face à ses élèves et à leurs problèmes. On s’essaie à la psychologie sans y avoir été formé, on entre dans l’intimité des familles sans y avoir été préparé, on tente de répondre aux défis qui se présentent sans forcément être accompagné, ni simplement rassuré. Maître à bord dans sa classe – et heureuse, pour ma part –, on s’aperçoit que le système dérive parce qu’il élude la question du bien-être de l’élève (et du professeur). Elle est pourtant la clé de toutes les réussites, la voie royale vers un apprentissage heureux, porteur de sens et de valeurs, qui dépasse la maîtrise des compétences académiques – bien sûr essentielle, mais pas plus importante que celle des compétences de vie. Les élèves heureux font des professeurs heureux. C’est une évidence. Mais voilà ! Ce qui me paraît du bon sens l’est moins pour certains collègues et directions, et notre Éducation nationale se montre trop frileuse sur cette question, même si elle semble enfin évoluer. Comme si mettre à l’honneur la motivation de l’élève, sa confiance en lui ou son estime de soi était révolutionnaire !
4Pour moi, en tout cas, il s’agit bien de la faire, cette révolution, à mon niveau, et de défendre une approche plus positive de l’enseignement et de ses finalités. Notre école va mal. Multiplier les réformes de contenu ne résoudra pas le fond du problème, voire l’aggravera en attisant la démotivation des professeurs, exaspérés par ces virages permanents. La vraie question, c’est l’être humain. Qui est l’élève censé être au cœur des apprentissages ? Comment apprend-il ? Quels sont ses besoins ? Que nous apprennent les sciences sur lui ? Comment redonner à l’enfant, à l’adolescent et à l’enseignant la joie d’apprendre ou de transmettre ? Autant de questions qui ont suscité chez moi, il y a quatre ans, une envie folle de trouver des réponses.
Changement de cap
5Pour prendre un peu de recul et réfléchir, je n’enseigne plus que quelques heures, en lycée. En côtoyant les plus grands, je mesure combien notre école abîme nos élèves, qui sont angoissés, pessimistes, peu créatifs. Je finis par me confier à ma direction qui, tout à fait réceptive, me remet un livre [1]. Il changera ma vie, m’apportera bien plus que les réponses que je cherche et sera l’occasion de belles rencontres. Avec la psychologie et l’éducation positives d’abord, nées aux États-Unis à partir des recherches de Martin Seligman, qui propose que les écoles enseignent les compétences du bien-être au même titre que les compétences académiques : une révélation ! Et avec l’un des auteurs de l’ouvrage, le Dr Ilona Boniwell, créatrice du programme de bien-être et climat scolaire Well-being, avec qui je m’associerai ensuite pour fonder ScholaVie, pour une éducation positive [2].
6Pour mon plus grand bonheur, ma hiérarchie me confie la mission d’élaborer une synthèse de mes recherches. Ce travail me conduira virtuellement et physiquement dans des établissements innovants, surtout à l’étranger (Canada, Angleterre, Australie, etc.). Ma direction est convaincue par les programmes que je présente, bâtis sur les apports de la recherche en psychologie positive, validés scientifiquement, construits avec de vraies fiches pédagogiques séquencées et détaillées, qui prennent en considération l’élève dans sa globalité et donnent au professeur les outils nécessaires pour dispenser ces savoir-être. Convaincue de l’urgence de la situation, au vu des travaux de recherche montrant la chute spectaculaire du bien-être des élèves français durant leur scolarité [3], elle prend la décision d’expérimenter dès la rentrée suivante le programme Well-being dans des classes de CM1-CM2. Je formerai et accompagnerai les professeurs volontaires. Parallèlement, je reprends les études pour me former à la psychologie positive.
Un engagement exigeant
7Une journée d’information sur l’éducation positive est organisée, ouverte à l’ensemble de la communauté éducative (enseignants, administratifs, représentants des parents et des élèves), ainsi qu’une formation initiale de deux jours pour les professeurs.
8Il s’agit d’intégrer des leçons sur les compétences psychosociales à l’emploi du temps des élèves, à raison d’une séance tous les quinze jours : apprendre la confiance en soi, identifier et activer ses forces, pratiquer l’attention consciente, reconnaître et exprimer ses émotions, réguler les émotions négatives et développer les émotions positives, apprendre la motivation, adopter l’empathie, la gratitude, la bienveillance, la créativité, etc. Un livret du maître est à la disposition des enseignants (en version papier puis numérique) avec, pour chaque leçon, un récapitulatif des objectifs et compétences travaillées, son déroulement précis, un inventaire du matériel nécessaire, des références scientifiques ainsi que des fiches d’activités pour les élèves. Des réunions régulières sont prévues pour partager les pratiques, les questions, exprimer son ressenti, mettre en place des projets communs : un spectacle sur la confiance en soi, une exposition sur l’amitié, la rédaction d’un abécédaire sur le vivre ensemble, la participation à un concours sur le sommeil, la conception d’un « mur » de la gratitude dans les couloirs de l’école…
9L’enthousiasme est là, même si se familiariser avec cette nouvelle approche se révèle exigeant. Trouver des créneaux dans un emploi du temps surchargé et souvent haché est perçu comme un défi. Pour contrer cette réelle difficulté, nous encourageons l’interdisciplinarité. À la fin des leçons, nous proposons d’aborder autrement chaque compétence et de la réinvestir dans une autre matière. Après deux ans de pratique, la contrainte temporelle est mieux gérée. Les professeurs travaillent sur le sommeil en mathématiques, sur les émotions en cours de sciences, d’anglais ou de vocabulaire… Ce changement de posture demande un fort investissement. Pour autant, aucun des enseignants volontaires ne fait marche arrière. D’autres les rejoindront même l’année suivante et l’expérience sera étendue aux classes de sixième.
10Aujourd’hui, les professeurs se sont approprié la méthode et se montrent encore plus créatifs, exerçant leur liberté pédagogique dans le cadre qui leur est offert. Leur pratique se nourrit aussi de leurs réflexions car ce programme les engage personnellement, en les renvoyant à eux-mêmes : qui suis-je en tant qu’homme, enseignant ? Quelles sont mes forces, mes valeurs, mes émotions ? Elle s’inspire aussi des questions, réactions et besoins exprimés par les élèves, très engagés dans le processus. J’ai la chance de rencontrer ces derniers deux fois par mois et d’échanger avec eux. Ils aiment le côté ludique et différent de cet apprentissage qui a du sens, leur permet de s’exprimer et qu’ils trouvent utile, qui leur fait du bien, les aide à se connaître et à avoir plus confiance en eux. Du côté des enseignants, les retours sont unanimes : le climat de classe est plus positif, le regard des élèves entre eux plus ouvert et respectueux, eux-mêmes les connaissent davantage, avec leurs forces et leurs faiblesses, leurs émotions et leurs difficultés ; ils les trouvent plus souriants et plus confiants. Les parents partagent cet engouement et souhaitent accompagner au mieux leurs enfants sur ce chemin. C’est d’ailleurs à leur demande qu’en 2015, avec ScholaVie, nous avons créé le PEPS, le Programme d’éducation positive et scientifique [4]. Ils manifestent aussi leur gratitude envers cette école pionnière qui, depuis trois ans, accompagne ce travail et le prolonge par un programme de résilience, Apprendre à rebondir, destiné aux élèves de cinquième. Avec ce dernier, les deux piliers de l’éducation positive sont enfin réunis : le bien-être et la résilience [5].
11Par son contenu, l’approche Well-being affecte aussi le bien-être des enseignants, qui, s’il n’est pas affiché, est l’un des objectifs visés. Il n’y a pas d’âge pour apprendre à être, à découvrir qui l’on est, à s’équiper d’outils pour exprimer, identifier et réguler ses émotions, activer ses forces, etc. Permettre cette initiation dès le plus jeune âge, c’est offrir un formidable bagage pour la vie. Qu’attendons-nous, parents, enseignants et éducateurs, pour encourager cet apprentissage ?
12« Quand j’étais petit, ma mère m’a dit que le bonheur était la clé de la vie. À l’école, quand on m’a demandé d’écrire ce que je voulais être plus tard, j’ai répondu “heureux”. Ils m’ont dit que je n’avais pas compris la question, je leur ai répondu qu’ils n’avaient pas compris la vie », a dit John Lennon.
Notes
-
[1]
Personal well-being lessons for secondary schools: Positive psychology in action for 11 to 14 year olds, d’Ilona Boniwell et Lucy Ryan (éd. McGraw-Hill Education, 2012).
-
[2]
Né en 2015, ScholaVie propose des programmes d’éducation positive, des outils et des formations pour développer le bien-être de l’enfant et de l’adolescent, à l’école ou en famille.
Site : www.scholavie.fr -
[3]
« Bien-être et motivation scolaire », de Fabien Fenouillet, actes du Congrès francophone de psychologie positive des 21 et 22 novembre 2013 (Université de Lorraine).
-
[4]
Ce programme en 10 modules mensuels s’adresse à tous : parents, éducateurs, psychologues, etc. Renseignements sur scholavie.fr
-
[5]
Aujourd’hui, 26 classes de l’établissement bénéficient de nos programmes. Le programme Well-being concerne 19 classes du CM1 à la sixième, le programme de résilience 7 classes de cinquième. En France, une dizaine d’écoles les met actuellement en pratique.