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Article de revue

Entre crainte et fascination

Pages 42 à 43

Notes

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    Les travaux en psychologie cognitive expérimentale de Stanislas Dehaene et de ses collaborateurs du Collège de France explorent la perception subliminale au moyen de l’imagerie cérébrale. Ils mettent notamment en évidence un possible effet d’amorçage subliminal.

1Des images présentées si brièvement que l’œil ne les voit pas peuvent-elles avoir un effet sur nos émotions et nos comportements ? Rien n’est moins sûr, mais le supposé pouvoir d’influence des images subliminales alimente toujours les fantasmes.

2Dans la version originale du dessin animé Les aventures de Bernard et Bianca (1977), alors que les deux sourisse lancent dans une course-poursuite aérienne à bord d’une boîte de sardines, une femme nue apparaît subrepticement à la fenêtre d’un immeuble en arrière-plan. Il faut le savoir pour le voir mais, pendant moins d’une seconde, l’image est bien là, réelle. Les studios Disney l’ont supprimée par la suite, mais cette histoire a marqué les esprits au point de devenir l’un des exemples les plus célèbres d’images subliminales… alors qu’elle n’en est pas une ! Car, par définition, l’image subliminale disparaît si vite qu’il est impossible de la voir. Et ce, même si l’attention est focalisée sur celle-ci, car notre système sensoriel et cognitif n’a pas le temps de la traiter. « Dans le cas de Bernard et Bianca, on parle plutôt d’image cachée ou de perception implicite : l’information n’est pas traitée consciemment, parce que le spectateur n’y porte pas suffisamment attention », précise Jean-Baptiste Légal, chercheur en psychologie sociale à l’université Paris-Ouest-Nanterre-La-Défense.

Des effets sur le cerveau ?

3L’insertion d’images subliminales dans un film, une vidéo ou une publicité de 24 images seconde revient à en ajouter une 25e qui, à la vitesse de projection normale, apparaîtra à l’écran pendant quelques millisecondes seulement, soit trop peu pour que l’œil humain la détecte. Mais le cerveau, lui, peut réagir. Il a été prouvé que les contenus subliminaux (images, mais aussi textes) produisent des effets sur l’activité cérébrale [1] et sont capables, dans une certaine mesure, d’influencer nos émotions et nos choix. Des expériences menées en laboratoire, montrent qu’il est possible que des visages ou des objets présentés de manière subliminale et répétée renforcent l’attitude, positive ou négative, à l’égard de ceux-ci. Cet impact est toutefois subtil, et ne saurait nous faire aimer ou détester subitement quelqu’un, ou nous donner envie de consommer un produit que l’on n’apprécie pas. Tout au plus, le choix d’une boisson peut-il être orienté pendant un court moment, si nous avions au préalable envie de boire. Plus généralement, rappelle Jean-Baptiste Légal, « plus une décision est prise sur la base d’une réflexion longue et approfondie, comme l’achat d’un logement ou le choix d’un candidat politique, moins il y a de place pour les comportements automatiques associés à l’utilisation du subliminal. »

Un grand fourre-tout

4Malgré le corpus de données scientifiques, qui atteste de l’influence limitée des images subliminales sur nos faits et gestes, la crainte d’une manipulation des comportements ou des opinions par cette technique reste tenace. Sur Internet, les références aux images subliminales côtoient très souvent les discours complotistes, entre autres, au sujet des attentats du 11 septembre, des manigances publicitaires ou des tentatives de standardisation de la pensée humaine, et servent d’arguments à ceux qui entendent dénoncer la manipulation mentale par l’image. Par exemple, un site dédié aux faits inexpliqués explique que « les images subliminales agissent en forçant le coffre-fort de notre pensée de façon sournoise ». Si certaines de ces pages annoncent clairement leur couleur idéologique, et sont relativement faciles à discréditer, d’autres discours alimentent la rumeur plus subtilement, voire malgré eux ! Ainsi le Conseil supérieur de l’audiovisuel qui, en interdisant en 1992 le recours aux images subliminales à la télévision, reconnaît implicitement leur potentiel pouvoir de manipulation sur les télespectateurs. Il est vrai que, quatre ans plus tôt, l’apparition répétée de l’image du candidat François Mitterrand lors du journal télévisé d’une chaîne publique en pleine campagne présidentielle avait fait grand bruit.

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En 1988, en pleine campagne présidentielle, l’apparition répétée du visage du candidat Mitterrand, lors du JT d’une chaîne publique, fait grand bruit.

5Par ailleurs, la notion d’image subliminale est devenue un grand fourre-tout, qui inclut diverses procédés visuels, et nourrit les doutes et la confusion dans la tête du consommateur. Ainsi certains logos sont-ils parfois considérés comme porteurs de messages subliminaux alors même que, par définition, ce sont des images fixes. Ces astuces graphiques sont utilisées pour mettre en avant certaines valeurs de l’entreprise (un sourire de A à Z pour Amazon, par exemple). Le b.a.-ba du marketing !

6La publicité reste l’une des cibles préférées des pourfendeurs de la manipulation par l’image, qui dénoncent, notamment, l’utilisation à des fins promotionnelles de la sexualité dans bon nombre de spots d’hier et d’aujourd’hui. Ont notamment été montrées du doigt des marques de boissons alcoolisées (Heineken) ou de vêtements (Calvin Klein). Là encore, il s’agit davantage d’images cachées que subliminales, stricto sensu. Pour preuve, une fois le stratagème révélé, on ne voit plus que lui ! D’ailleurs, Jean-Baptiste Légal remarque que les publicitaires disposent d’autres techniques moins décriées, et plus efficaces, que les images subliminales pour valoriser leurs marques à l’écran, comme le placement de produits (céréales, ordinateurs, voitures…) dans une série télévisée, un spot sur Internet ou un jeu vidéo.

Naissance d’un mythe

À la fin des années 1950, James Vicary, publicitaire américain, prétend que la présence d’images subliminales stipulant « Drink Coca Cola Eat Pop corn » (en français, « Buvez du Coca Cola Mangez du Pop corn ») dans le film Picnic de Joshua Logan, a massivement augmenté la consommation de ces produits par les spectateurs. À l’époque, la presse, les publicitaires et le grand public y voient la démonstration du pouvoir de manipulation des images subliminales : le recours à ce procédé est interdit en 1958 aux États-Unis, en Australie et en Angleterre. Dans le même temps renaît l’intérêt pour le subliminal. Plusieurs équipes de scientifiques, pour en avoir le cœur net, tentent de reproduire l’expérience de Vicary, sans succès. En 1962, le publicitaire avoue avoir fabriqué cette rumeur à des fins promotionnelles. Trop tard : le mythe est né.
A. L. P.

Notes

  • [1]
    Les travaux en psychologie cognitive expérimentale de Stanislas Dehaene et de ses collaborateurs du Collège de France explorent la perception subliminale au moyen de l’imagerie cérébrale. Ils mettent notamment en évidence un possible effet d’amorçage subliminal.
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