Couverture de EPAR_598

Article de revue

Quoi de neuf ?

Pages 29 à 31

Notes

  • [1]
    Le Haut Conseil pour l’Éducation est un organisme consultatif. Il pro duit des rapports pour le ministère, visant à l’évaluer les dispositifs pédagogiques mis en place. Il a été créé suite à la loi d’orientation de 2005.
  • [2]
    Il a fallu négocier avec toutes les instances pour renouveler l’ensemble de l’équipe scolaire, trouver d’autres postes pour l’ancienne équipe, travailler avec les syndicats… Ensuite, il a aussi fallu refuser les demandes d’inscription d’enfants de parents de classes moyennes séduits par le projet, pour n’accueillir que les enfants du quartier.
  • [3]
    Didacticiens (spécialistes de l’enseignement et de l’apprentissage d’une discipline), en français, en maths, spécialistes de la psychologie de l’éducation, sociologues de l’éducation.
  • [4]
    Il n’y a pas de formation spécifique dans la pédagogie Freinet, mais de la co-formation.

1 Peu soutenues en France, les pédagogies alternatives permettent de lutter contre l’échec scolaire, y compris en milieu défavorisé.

2 Où en sont les pédagogies alternatives ?

3 Tout d’abord, elles sont très peu appliquées en France. C’est pour quoi ceux qui disent que la dégradation de l’école tient à ces pédagogies alternatives tiennent des propos erronés. Par ailleurs, elles sont diverses : pédagogies Freinet, de pro jet, institutionnelle, de coopération, Montessori …

4 L’important est d’observer comment elles fonctionnent. De même il est intéressant de repérer ce qui fonctionne et dysfonctionne dans les pédagogies classiques.

5 Ailleurs, comment s’y prend-on pour réformer l’école ?

6 Ce qui est naturel en France ne l’est pas ailleurs. Ainsi, dans certains pays, la mise en place des programmes ou des réformes se fait parfois de façon plus sereine. « En France, à chaque ministre, vous faites une réforme ! », plaisantent les observateurs étrangers. Ils ajoutent : « Mais si ça ne marche pas, c’est que vous n’expliquez pas les réformes aux enseignants ; vous ne les formez pas. » D’autant que les plus anciens d’entre eux ont déjà vu dix ou quinze ministres, donc dix ou quinze réformes … Cependant, on pourrait s’y prendre autrement et, par exemple, s’appuyer sur un certain nombre de recherches.

7 Quels sont les éléments de blocage en France ?

8 Tout d’abord, du côté de certains membres des corps d’inspection. Mais, comme les autres corps, ils sont constitués d’acteurs différents, avec des approches différentes. Ils produisent d’ailleurs une multitude de rapports passionnants qui dorment dans les tiroirs. Une véritable gabegie de la part du ministère, qui ne les utilise pas suffisamment !

9 Certes, la volonté de faire des économies à tout prix constitue un autre élément de blocage ; mais la plus grande des résistances tient surtout à la force des positions idéologiques en France. Chez nous, on ne se base pas sur les recherches, mais sur les discours d’opinion. À cela, il faut ajouter les freins dus à une certaine conception de la centralisation. Plus les responsables accèdent à des places élevées dans la hiérarchie, plus ils pensent connaître le terrain avec certitude ; or, bien souvent, ils ne le connaissent plus. D’ailleurs, certains de ceux qui aujourd’hui prônent la refondation de l’école sont généralement à ces places depuis plusieurs décennies, et ce sont donc eux qui ont construit l’école d’aujourd’hui. Le dernier paradoxe tient à ce que l’on ne s’appuie pas, en France, sur les personnes qui ont mené des expériences intéressantes, notamment les vieux militants pédagogiques.

10 Le ministère possède aujourd’hui une cellule innovation et expérimentation, chargée de faire remonter toutes les innovations, de les évaluer, et de les valoriser. L’institution voudrait-elle favoriser l’innovation ?

11 L’innovation peut être encouragée, reconnue ; mais, ces dernières années, l’innovation a été canalisée par le ministère et les rectorats de façon à pré-expérimenter ce qu’ils voulaient instituer à plus grande échelle. Le ministère n’a ainsi pas mis en place les instruments pertinents pour les rendre publiques et analyser les expérimentations et les innovations.

12 Le Haut Conseil pour l’Éducation[1] vous a commandé en 2010 un rapport sur l’évaluation des expériences liées à l’innovation. Ce rapport a fait grand bruit. Quelles ont été vos conclusions ?

13 On nous affirmait que beaucoup d’enseignants faisaient des expérimentations, plus ou moins novatrices ; mais, étonnamment, ni le ministère ni la Dgesco n’ont pu, dans un premier temps, nous transmettre des données précises. Cela tenait parfois au simple fait que la personne qui les avait construites était partie… Bref, nous avons constaté qu’en matière d’innovation, la France ne disposait pas d’instrument fiable. Les expérimentations, on le sait, entendent souvent lutter contre l’échec scolaire. Dans de nombreux endroits, l’école demeure le dernier symbole d’une présence républicaine, tous les autres services publics ayant peu à peu disparu. Les gens n’ont plus de travail, attendent des mois pour une consultation médicale … Alors que ces dispositifs devraient être étayés sur le terrain, on observe au contraire un mouvement centralisateur qui les freine. Les responsables du ministère se déplacent à quinze, passent une heure ici ou là, tout ayant été soigneusement préparé pour leur venue. Ils devraient plutôt venir seuls, et rester deux jours sur le terrain pour bien comprendre.

14 Une des conclusions du rapport a montré que les professeurs qui innovent n’avaient pas de moyens pérennisés, et devaient toujours dépenser une énergie folle pour pouvoir pour suivre leurs actions. Mais pire – et c’est ce qu’ils déplorent tous – ils n’ont jamais aucune reconnaissance par leur hiérarchie de leur investissement personnel. Ils intéressent surtout la presse locale, ou Le Café pédagogique ; mais ce qu’ils retiennent, c’est qu’ils se décarcassent pour rien. Des gens très bien se découragent ; seuls résistent les vieux militants, qui n’attendent plus grand-chose, qui savent depuis longtemps qu’ils n’ont rien à espérer de leur hiérarchie. Le paradoxe, c’est que l’Éducation nationale dit faire des expérimentations, sans s’en donner les moyens. En outre, elle ne réfléchit pas suffisamment au fait que pour expérimenter il faut s’affranchir des règles de fonctionnement qu’elle préconise.

15 De 2001 à 2006, vous avez mené une étude sur une école Freinet située dans un quartier populaire du Nord de la France, à Mons-en-Barœul (59). Quelles ont été vos conclusions ?

16 L’école maternelle et élémentaire de Mons-en-Barœul, située dans un quartier en très grande précarité, rencontrait de nombreuses difficultés. Les résultats scolaires étaient mauvais, les incivilités, fréquentes. Les parents qui le pouvaient en retiraient peu à peu leurs enfants, contribuant ainsi à la ghettoïsation de l’établissement.

17 Grâce à la volonté de l’inspecteur de la circonscription et grâce à différents professeurs inscrits dans le mouvement régional des pédagogies nouvelles qui étaient prêts à travailler ensemble mais sans moyens supplémentaires, nous avons pu mener cette étude [2].

18 Dix chercheurs ont suivi ce projet pendant cinq ans [3]. C’est le plus important travail dit empirique, c’est-à-dire appuyé sur des données concrètes, et non sur des discours d’opinion, qui ait été mené sur la question. Nous nous sommes intéressés à différents éléments : incivilités, apprentissages, rapport à l’école, relations avec les parents …

19 À l’arrivée, nous pouvons dire que, à Mons-en-Barœul, l’expérience a marché : les incivilités se sont faites plus rares, les élèves ont amélioré leurs performances, et c’est tout le rapport à l’école qui a changé. Les gamins montaient d’eux-mêmes dans les classes le matin, se mettaient eux-mêmes au travail, discutaient sans bruit.

20 On a pu montrer que, contrairement à ce que l’on affirmait jusqu’alors, la pédagogie Freinet n’était pas une pédagogie du passé, destinée aux seules classes moyennes ou faite pour les écoles situées en milieu rural.

21 Une telle pédagogie pourrait-elle être généralisée ?

22 Je suis toujours très prudent pour généraliser. Les professeurs étaient des professeurs expérimentés et soli des en pédagogie Freinet [4]. Comme toute pédagogie alternative, cette dernière doit être pratiquée par des gens compétents. Dans la pédagogie classique, certains maîtres sont aussi très compétents, mais on sait que, dans un certain nombre d’endroits, en particulier là où sont concentrées les problèmes sociaux, la pédagogie classique marche de plus en plus difficilement.

23 Dès qu’une école alternative ouvre, des tas de familles de classe moyenne veulent y inscrire leurs enfants : elles savent qu’ils s’y sentent mieux. Il y a donc une forte demande sociale. Par ailleurs, les moyens pérennisés permettent d’agir sur la durée. Or Mons-en-Barœul était ce genre de quartiers où, dans certaines familles, seuls les mômes se lèvent le matin, car les parents sont au chômage ; où certains n’ont que de petits trafics pour survivre ; où les relations avec la police sont tendues, les conditions de logement précaires… Tout cela pouvant conduire à des situations explosives. Le moindre événement peut perturber tout le quartier.

24 Or, cette école est parvenue à ce que d’autres liens soient tissés entre les habitants. Les effets sont allés bien au-delà des enfants. Même si tout cela reste fragile.

25 Qu’en est-il de l’investissement des maîtres ?

26 C’est tout l’intérêt, et c’est là que résident sans doute les limites de l’expérience : le facteur “engage ment” est fondamental.

27 Cela a bien marché parce que les maîtres s’investissaient au-delà de ce qui se fait d’habitude. C’était pour eux un choix de vie, plus qu’un choix professionnel. Mais peut-on demander cela à des enseignants ? Jusqu’où sont-ils prêts à accepter cela ? D’autant qu’ils ne sont pas particulièrement reconnus par l’Éducation nationale. C’est d’ailleurs un des paradoxes. Cette expérience de Mons-en-Barœul a eu une renommée internationale. Des chercheurs étrangers se sont déplacés, des télé visions étrangères sont venues ; je suis invité au Japon, en Corée … mais l’Éducation nationale n’en fait aucun cas. La France se lamente sur les dysfonctionnements scolaires, mais elle ne parvient pas à encourager les expériences qui marchent. Il existe un aveuglement des politiques, qui dépasse les clivages politiques.

28 Y a-t-il eu un suivi de ces élèves au-delà de l’école ?

29 Nous avons pu suivre les élèves du CP au CM2, de la maternelle au primaire. Nous avons effectivement enregistré de grands progrès dans les résultats et les performances.

30 Les élèves issus de cette pédagogie n’ont pas eu plus de mal que les autres élèves à l’entrée en 6e. Sur les résultats non plus, il n’y a pas eu de bouleversements fondamentaux : ceux qui étaient plutôt bons sont restés plutôt bons, ceux qui étaient moyens sont restés moyens, ceux qui étaient moins bons sont restés moins bons. Dans un premier temps, au collège, les élèves ont été déroutés par le fonctionnement disciplinaire, l’absence de travail collectif, le fait de ne pas avoir le droit de parler ensemble ; mais ils avaient développé des compétences d’analyse critique qui leur permettaient de se dire : « Ok, ici, c’est comme ça. Il faut s’adapter. » D’ailleurs, leurs professeurs les trouvent beaucoup plus autonomes que les autres élèves.

31 Aujourd’hui, qu’est devenue cette école ?

32 Elle tient le choc depuis plus de dix ans, même si certains piliers sont partis. Je pense, par exemple, à un couple d’enseignants, aujourd’hui à la retraite. Ils vivaient à 60 kilomètres de Mons-en-Barœul. À cinq ans de la retraite, ils avaient quitté leur poste dans une école de village pour s’investir dans le projet. Un autre des piliers est devenu conseiller pédagogique. Une des chevilles ouvrières de l’école maternelle a fait un Master 2 chez nous…

33 Des jeunes sont arrivés, et l’école tient le coup. Les “anciens” reviennent régulièrement. Car, dans la pédagogie Freinet, il y a une coformation, d’autant plus utile que la formation des maîtres est partie entièrement à la dérive.

34 Comment définiriez-vous ces pédagogies ? Leurs principes ?

35 Tout d’abord, l’ensemble de ces pédagogies repose sur un souci réel de l’enfant afin que l’élève en lui puisse fonctionner. L’idée première est que tout enfant est capable d’apprendre, pourvu que le milieu pédagogique favorise cela. Il s’agit donc de reconstruire des moyens permet tant de susciter le désir de connaissance des élèves. Chacun chemine à sa façon, à des rythmes différents. Il faut donc encourager ces cheminements, et les étayer de façon différente pour chacun.

36 L’expression tient une part importante dans ces pédagogies, quels que soit les moyens mis en œuvre : l’écriture à travers le texte libre, le dessin, la musique …

37 Par ailleurs, il s’agit de mettre en place des dispositifs qui servent à tous, et de faire en sorte que l’école fonctionne de façon démocratique, grâce à l’élaboration de règles que les élèves construisent eux-mêmes, à travers les conseils d’école.

38 Tous ces dispositifs sont très formalisés : on doit s’inscrire avant les échanges, un sablier mesure le temps de parole, un maître de jeu anime la séance et donne la parole …

39 Car ces pédagogies ne sont pas des pédagogies laxistes. Il existe un cadre ; la rigueur des dispositifs permet la souplesse des pratiques. Lorsque les gens découvrent cela, c’est extraordinaire. On est surpris de voir que les élèves montent spontanément en classe, s’y déplacent, ouvrent eux mêmes leur cahier, se lèvent pour aller boire s’ils en ont envie… Et sur pris aussi par l’absence de bruit, car les élèves parlent à voix basse.

40 De plus, ils font une distinction entre “travail” et “boulot”. Le boulot, c’est ce que l’élève est obligé de faire pour pouvoir aller plus loin. C’est souvent un peu casse-pied, comme les gammes pour un musicien. Ici, ce sont les tables de multiplication, les conjugaisons … Le travail, en revanche, c’est ce qui permet de s’investir, de s’exprimer, de se réaliser…

41 Enfin, une attention particulière est portée à l’articulation avec l’extra scolaire, par exemple dans le « quoi de neuf », cet entretien du matin qui permet à l’enfant de dire ce qui lui tient à cœur. À partir de là, des fils seront tirés vers un apprentissage.

42 Mais, ce qui m’intéresse maintenant, au-delà des différences affichées, c’est de savoir quelles sont les pratiques qui marchent. Et de savoir si elles marchent en milieu populaire. Car, on le constate aujourd’hui particulièrement en France, l’échec scolaire est socialement différencié.

43 À l’heure de la refondation de l’école, comment voyez-vous l’avenir ?

44 Nous sommes dans un pays curieux : l’école tourne mal, tout le monde est d’accord ; mais on a pensé ces dernières années qu’elle irait mieux en formant moins les professeurs ! C’est invraisemblable.

45 Les trois derniers ministères surtout ont cassé la formation. Les propositions actuelles permettent sans doute de freiner la casse, mais les projets sont encore loin d’être enthousiasmants. On ne peut vraiment pas dire que la formation des maîtres soit aujourd’hui la priorité qu’elle devrait être.


46 Dgesco

47 Direction générale de l’enseignement scolaire

48 Le Café pédagogique

49 Site dédié à l’éducation www.cafepedagogique.net

Notes

  • [1]
    Le Haut Conseil pour l’Éducation est un organisme consultatif. Il pro duit des rapports pour le ministère, visant à l’évaluer les dispositifs pédagogiques mis en place. Il a été créé suite à la loi d’orientation de 2005.
  • [2]
    Il a fallu négocier avec toutes les instances pour renouveler l’ensemble de l’équipe scolaire, trouver d’autres postes pour l’ancienne équipe, travailler avec les syndicats… Ensuite, il a aussi fallu refuser les demandes d’inscription d’enfants de parents de classes moyennes séduits par le projet, pour n’accueillir que les enfants du quartier.
  • [3]
    Didacticiens (spécialistes de l’enseignement et de l’apprentissage d’une discipline), en français, en maths, spécialistes de la psychologie de l’éducation, sociologues de l’éducation.
  • [4]
    Il n’y a pas de formation spécifique dans la pédagogie Freinet, mais de la co-formation.
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