Couverture de EPAR_594

Article de revue

Simon, skateur

Pages 50 à 51

Notes

  • [1]
    Une planche coûte entre 30 et 90 euros mais on peut garder les roues et les truks (essieux : il y en a deux par skate, qui servent de liaison entre la planche et les roues. La manière dont cet axe est serré détermine la façon de skater).
  • [2]
    Hype : chic, branché, à la mode.

1Simon, 21 ans, étudiant en 2e année de biologie, skate depuis dix ans, en quête de marches. Une autre façon de vivre la ville.

2La découverte. Je me souviens très bien, j’avais 10-11 ans, c’était à Toulon, un type allait chercher son pain, il a sauté le trottoir en faisant tourner sa planche, cette image m’est restée, j’ai eu envie de savoir faire comme lui. Mes parents m’ont offert pour mon anniversaire ma première planche. Et j’en ai fait pendant dix ans à côté de chez moi, porte de Bagnolet, au skate park. C’est le skate park le plus skaté et le plus nul de Paris d’ailleurs. Mais il y avait tout le temps un grand Noir, Jean-Marc, il faisait en sorte de veiller à ce que seuls ceux qui skataient utilisent l’espace, une sorte de médiateur bénévole, toujours présent. C’est lui qui m’a expliqué les bases. Je le revoie toujours, il doit avoir 30-35 ans, il a une sclérose en plaques, ça me fait quelque chose.

3Skater skater skater. Au début, on est beaucoup sur les fesses, ça prend du temps avant de savoir sauter un trottoir. En 5e, 4e, 3e, avec un copain de ma classe et trois autres gars du collège, on skatait tous les week-ends, sans exception. On descendait de Gambetta à Bastille, puis à gare de Lyon, à fond. Parfois on se perdait, on zigzaguait, mais on se retrouvait, c’est comme ça que les connexions se font petit à petit. C’est comme ça qu’on découvre, qu’on repère les endroits avec de jolies marches. On était beaucoup entre nous. Parce que skater, c’est rouler, rouler, sauter des trottoirs. On ne pense à rien d’autre qu’à skater, on skate comme des cons, on skate, on saute des trucs hauts, on se fatigue.

4Quand ça me prenait, quand j’avais une pulsion, il fallait que j’y aille. Si je terminais à 17 heures au lycée, je rentrais très vite, je fonçais à vélo jusque chez moi, à Gambetta, et j’allais skater. Pas en métro, parce que ça s’arrête le métro. Rien ne pouvait m’arrêter quand je voulais y aller. Il m’est arrivé parfois de péter une pièce, je galérais pour réparer la planche, ça entraînait une grosse frustration ; une fois j’ai même cassé une planche toute neuve, je m’en souviens, j’étais en colère, pas tant à cause de l’argent dépensé pour rien que pour la frustration de ne pouvoir skater. Parce que quand j’y suis, je ressens un vrai soulagement, l’énergie dépensée, les distances à parcourir. Je n’imagine pas pouvoir arrêter.

5Pratiquer. À partir de 14 ans, j’ai commencé à évoluer. Aujourd’hui, je fais des pauses. Et quand je reprends, c’est toujours le même plaisir, comme si ça maturait. Je retrouve toute entière l’énergie. Finalement on progresse vite. J’ai pratiqué beaucoup de sports, mais c’est celui-ci qui me tient le plus à cœur. Toujours, toujours ce même plaisir de fou quand je repars skater : l’été bien sûr, mais j’aime aussi skater l’hiver.

6Les risques. Il n’y a pas grand risque, même quand on descend 15 marches, car tout est progressif, c’est très psychologique. Quand on a compris comment sauter, ça va tout seul. On peut se lancer sur des rampes d’escalier de 20 marches et rater, se faire mal, mais on ne se casse rien. Les pros, qui skatent tous les jours, peuvent faire des chutes, mais rien de violent.

7Le stress. On peut être un peu stressé avant une figure ou des marches, mais il faut juste faire la même chose qu’au sol. Si on est confiant, le stress n’est pas si présent, on reste surtout concentré sur le mouvement. Les types bons sont ceux qui ont confiance en eux. Et la confiance s’acquiert en pratiquant.

8Les points de rencontre. Pendant un temps, ça ne m’a pas gêné de skater tout seul. J’ai de bons potes ici ou là, mais je ne suis jamais uniquement avec des skaters. J’ai juste le copain de ma classe du début, qui aujourd’hui graphe.

9Il existe deux points de rendez-vous principaux à Paris. Bastille et le Palais de Tokyo. J’ai de bons potes avec la clique de Bastille. Leur dynamique est intéressante. En fait, c’est intéressant de skater avec les autres, avec des gens plus forts, ça apporte, ça booste, c’est convivial. Le Palais de Tokyo, lui, est skaté depuis trente ans, c’est craqué de partout. Ils ne peuvent pas l’interdire. J’y suis beaucoup allé avec mon copain de collège.

10L’argent et le business. Au départ, ça couter cher, je cassais beaucoup de planches [1]. Et c’est un business bien tenu. Je n’ai pas beaucoup avancé dans les débuts parce qu’il fallait tout payer, la moindre vis, et tout mon argent de poche y passait. Je ne réfléchissais qu’en fonction du skate. Quand on connaît les gens, on se fait prêter des planches. Moi, je ne me retrouve pas là-dedans, c’est pour cela que je n’ai pas de vrais potes dans le milieu du skate.

11Au final, c’est frustrant : le plaisir est immense, mais le business est énorme. C’est cela qui est mauvais dans ce milieu, trop de personnes sont dans le business. Aux États-Unis, les skaters se font sponsoriser plus facilement, donc ça ne revient pas cher.

12Professionnels. Il n’y a pas beaucoup de professionnels. Très peu ne vivent que du skate, ils vivent plutôt des skateshop. Il y a environ entre 30 à 50 pros en France. Aux États-Unis, ça bouge beaucoup plus. En France, le cliché du skater, c’est un type cheveux longs, en noir, qui écoute du rock. Quand j’étais plus jeune, autour de 13-14 ans, ils avaient les cheveux longs ; ils sont plus conformes aujourd’hui.

13Je ne suis pas spécialement fier de dire que je skate. Les mecs qui surfent sont beaucoup plus hype [2] en ce moment.

14Compétitions. Les bons, on les connaît, même s’il n’y a pas de classement. Il existe quelques grosses compétitions officielles. J’ai participé à quelques-unes, mais je n’aime pas trop cela. Je ne suis pas bon, ça me stresse trop. Aujourd’hui ce qui est à la mode, c’est de tirer au sort, et le premier doit inventer une figure et la propose. Les autres suivent.

15Oui, c’est un sport de jeunes, les plus agés ont environ 30 ans. Au bout d’un moment on arrête. L’âge de la retraite c’est comme au foot.

16Un bon skater. Certains sont hyper bons mais ce n’est pas forcément beau à regarder. Il faut être créatif et technique. Certains n’ont que la technique, mais ce n’est pas passionnant. La technique est en perpétuel mouvement ; ce qu’on parvient à faire aujourd’hui n’était pas imaginable il y a cinq ans. On invente tout le temps de nouvelles combinaisons.

17Un bon skater ne peut pas tricher. Parce que la planche n’est pas attachée et il doit pourtant faire corps avec elle, c’est ce qui me fascine. Elle ne tient pas, elle n’est pas accrochée et pourtant… C’est impressionnant, les mouvements où le type saute et fait tourner sa planche.

18Les vrais skaters sont engagés dans leur vie. Engagés depuis longtemps, ils sont respectés, reconnus, ils aiment ce qu’ils font. Ils méritent la reconnaissance. Quelques uns peuvent même gagner beaucoup d’argent. Des accidents peuvent arriver, ils peuvent se briser les genoux, mais finalement c’est assez rare.

19Glisser dans la ville. C’est tellement agréable de rouler en faisant des petits zigzags, debout, sur deux roues. La vitesse, c’est bien aussi. J’aime éviter les gens. Quand il y a plein de monde, c’est ce que j’aime le plus. Tu sautes, la planche tourne sous tes pieds et pourtant tu es à fond.

20Une fois, une gamine s’est mise devant moi. J’allais trop vite, il était trop tard pour freiner ; j’ai sauté de ma planche et la gamine m’est passée entre les jambes. C’est à moi d’esquiver ; je ne prends jamais de risque, je fais gaffe. Je vais vite, ça a l’air risqué, mais je ne touche jamais personne.

21Le skate c’est avant tout un truc urbain. Moi, j’aime skater la rue, c’est plus engagé, plus intéressant que les park. C’est comme pour les autres cultures, le graph, le street art, c’est une alternative à l’utilisation de la ville, comme si on la détournait, et ça ne gêne personne. C’est une façon de se glisser dans la ville, d’en avoir un autre usage.

figure im1
figure im2
© Goldschmidt

Notes

  • [1]
    Une planche coûte entre 30 et 90 euros mais on peut garder les roues et les truks (essieux : il y en a deux par skate, qui servent de liaison entre la planche et les roues. La manière dont cet axe est serré détermine la façon de skater).
  • [2]
    Hype : chic, branché, à la mode.
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