Couverture de EPAR_590

Article de revue

Allô 119 !

Pages 32 à 33

Notes

  • [1]
    Les deux personnes chargées de répondre sont employées par un prestataire de service indépendant du Snated, elles ont suivi une formation spécifique de 18 heures. Ils sont une douzaine à se relayer, de 8 h à 23 heures tous les jours. La nuit, le service est assuré directement par deux écoutants professionnels.

1Allô, Enfance en danger ! À ce numéro, des écoutants professionnels reçoivent les appels d’enfants ou de leur entourage et signalent les maltraitances au département concerné.

2Il est 16 h 30, le préaccueil du 119 est assailli d’appels, d’enfants pour la plupart. C’est la sortie des classes, ils font des blagues. Certains, adeptes du comique de répétition, rappellent plusieurs fois d’affilée, puis finissent par se lasser. Chaque échange ne dure que quelques secondes, une ou deux minutes maximum ; quand du côté du plateau des écoutants professionnels les entretiens prennent en moyenne vingt minutes, une demi-heure. Aux appels muets, l’agent d’accueil [1] explique tout de même que le 119 est un numéro gratuit, ouvert 24 h sur 24, qui permet de signaler le cas d’un enfant en danger. Il ne raccroche jamais sans avoir prévenu. Aux groupes d’adolescents surexcités qui parlent dans tous les sens, il dit qu’il y a trop de bruit. Quand les insultes fusent, il conseille au jeune de recomposer le numéro une fois calmé. Un enfant appelle, il dit avoir 6 ans, sa mère l’aurait giflé après qu’il l’aurait insultée, puis il pouffe, ainsi que son copain. Le préécoutant remarque : « Tout ceci ne semble pas très sérieux. Je vais vous laisser vous amuser, mais si un jour vous avez des problèmes, vous pourrez rappeler. - D’accord, merci. »

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3Ne pas s’énerver ni entrer dans le jeu, recadrer parfois, mettre en confiance : c’est la base du préaccueil. Quelques plaisantins raccrochent d’eux-mêmes, une fois leur tirade terminée ou quand l’incohérence de leur scénario est démasquée. Comme lors de cet échange : « J’ai mal. – Tu as quel âge ? – 8 ans. Mon père m’a frappé. – Où est ta mère ? – Elle est morte, mon père l’a tuée à coups de couteau. – Ah ? Et il n’est pas en prison ? » Fin de la conversation. La formatrice prévient cependant qu’il faut rester prudent. Un été, un même groupe avait appelé plusieurs fois pour rire ; à la fin pourtant une des gamines avait exposé son cas, une histoire vraie et pas jolie. Donc parfois le jeu dure, mais n’a rien de gratuit, c’est une forme de test.

4En revanche, dès que l’appelant commence à exposer sérieusement une situation, l’agent l’interrompt rapidement : « Vous êtes à l’accueil, je vous passe un écoutant. » De temps en temps un doute subsiste ; ainsi cette voix masculine qui déclare qu’elle veut se « foutre en l’air », c’est difficile à évaluer. Ou encore ce garçon qui dit s’être enfermé dans sa chambre, son père va le frapper. On entend beaucoup de bruit autour de lui, « c’est la télé », explique-t-il. La préécoutante est sceptique mais l’enfant n’en démord pas ; dans le doute elle transmet. « On entend beaucoup de choses dans la voix, explique Pauline, psychologue de formation, écoutante depuis deux ans et demi. Les bruits de fond nous font imaginer le lieu où la personne peut être. Il y a une distance et en même temps il n’y en a pas. C’est un lien très particulier. »

5Nous voilà de l’autre côté de la vitre, au cœur du plateau du 119, avec ses écoutants professionnels. La pièce est spacieuse et lumineuse, le calme règne, les conversations sont feutrées. Sept écoutants sont de service en cette heure de pointe. Si les mineurs inondent le préaccueil, une fois le filtre passé, ils ne représentent plus que 10 % des appels traités. La belle-mère d’une fillette appelle, la petite a mentionné des jeux étranges effectués avec sa mère et son beau-père. Pauline demande des précisions, dans quelles circonstances ont été faites les déclarations ? Y a-t-il eu des précédents… ? Le père, qui avait envoyé sa compagne en éclaireur finit par prendre le combiné. Les faits sont graves et troublants, Pauline va alerter les services sociaux, elle explique la procédure et la marche à suivre. À la suite de l’entretien, elle remplit une fiche technique expliquant la nature de la situation évoquée, cette fiche sera transmise au département concerné, lequel est supposé renvoyer une réponse dans les trois mois, présentant les suites données au dossier. Dans les faits ce retour peut prendre plus de six mois et se limiter à quelques lignes. « C’est assez frustrant. On est vraiment une antenne relais, physiquement on n’est pas tellement là, on recueille des infos, on les passe et puis plus rien. Et ça dure le temps d’un appel », observe la jeune femme. Avec le temps cette frustration s’estompe, les anciens acceptent plus facilement d’être un maillon de la chaîne ; un cas chasse l’autre, même si chacun reste unique. Anne-Marie, qui est là depuis le début de l’aventure, remarque : « On oublie et heureusement ; si on n’oubliait pas les situations qu’on traite ça serait invivable, ingérable. »

1990

Naissance du Service national d’accueil téléphonique pour l’enfance maltraitée (Snatem) à l’issu d’une loi votée à l’unanimité et promulguée le 10 juillet 1989.
  • 1997 : création du numéro simplifié 119.
  • 1999 : mise en place d’un préaccueil qui permet de filtrer les appels ludiques ou muets.
  • Depuis 2008 le Snated est membre du réseau mondial Child Helpline International (créé en 2003), qui compte 147 membres dans 133 pays. Ce réseau rassemble des lignes d’assistance qui travaillent à la protection des enfants à travers le monde.
  • Le service est passé de 25 écoutants à ses débuts à 50 en 2010. Ces professionnels de l’écoute et de la protection de l’enfance sont en majorité des psychologues, mais le Snated cherche depuis un certain temps à diversifier les profils en recrutant aussi des éducateurs, des juristes, des assistantes sociales… Pour préserver la qualité de l’écoute, les postes sont à mi-temps. Les femmes sont plus nombreuses que les hommes ; moins de la moitié des écoutants exercent une autre activité salariée à côté.
  • De 2 à 9 écoutants sont présents ensemble sur le plateau.
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Les écoutants doivent faire preuve à la fois d’empathie et garder une certaine distance. « On ne peut pas sortir le mouchoir avec l’appelant, ce n’est pas aidant. »
© Peggy Pircher

Prendre le temps de parler

6Un bon écoutant doit être… à l’écoute, avoir de la patience, de l’empathie et garder une certaine distance. « On ne peut pas sortir le mouchoir avec l’appelant, ce n’est pas aidant », relève Anne-Marie. Les gens qui s’adressent au 119 ont décidé de le faire, le contact est donc assez facile, sauf quand ils veulent quelque chose de précis et ne l’obtiennent pas. Ils font souvent partie de l’entourage immédiat de l’enfant en danger, famille, voisins. L’écoutant, qui n’a là qu’un son de cloche, doit recueillir le plus d’éléments possible pour évaluer au mieux la situation et parvenir à se dégager des tentatives de manipulation et des rancœurs diverses, notamment en cas de conflit familial ou conjugal. Certains appels relèvent davantage de la divergence éducative, en particulier concernant l’alimentation, que d’une réelle maltraitance. Ainsi cette femme qui ne comprend pas que ses voisins sortent le soir en laissant seuls leurs trois adolescents à la maison. Parfois, l’écoutant bouscule un peu son interlocuteur : « En fait, les éléments que vous avez, ce sont des “on dit”. On ne peut pas transmettre ça ! » Ou encore cette écoutante qui s’exclame : « Attends ! Je te demande s’il te frappe, t’insulte, te pousse, te fait tomber… et tu dis oui à tout !? » Ou cette autre, incrédule : « Vous êtes en train de me dire que ceux qui agressent votre fils ont tous des excuses ! » Mais ils prennent toujours le temps de discuter pour mieux comprendre.

7Les situations particulièrement délicates concernent les suspicions de violences sexuelles sur des enfants en bas âge. « Quoi dire ? Comment aider le parent à évaluer ? Vers qui le réorienter en premier ? », sont les questions que se pose Pauline. Les jeunes peuvent également être difficiles à gérer, en cas de fugue par exemple. « Là, le lien est très fragile », puisque la seule solution est de contacter la police qui va les ramener chez eux, justement ce qu’ils refusent. « Les adolescents ne savent pas trop ce qu’ils veulent finalement. Il y a quelque chose qui ne va pas, mais ils ont du mal à mettre des mots dessus », explique Pauline. Et comme en écho à ses propos, en fin de soirée, une adolescente appelle : « À partir de quand on est maltraité ? » Pauline est obligée de balayer très large, elle explique : « Une claque de temps en temps ce n’est pas souhaitable, mais ce n’est pas de la maltraitance… - Et s’il y a des marques ? » Mais la jeune fille « ne lâche rien », elle n’est pas prête à parler. Pauline lui dit qu’elle peut rappeler quand elle le souhaite, évoque les différentes personnes susceptibles de lui venir en aide, comme l’assistante sociale de son lycée. Elle essaie de ne « rien oublier, en espérant répondre à sa demande et que quelque chose fera tilt ». Elle rentre chez elle un peu troublée. Mais qui sait ?, l’adolescente rappellera peut-être demain…

En 2010, le 119 a reçu :
  • 1 063 398 appels entrants (2 913 par jour) ;
  • 590 831 appels décrochés par le préaccueil (1 618 par jour) ;
  • 33 456 appels ont été transférés aux écoutants professionnels (91 par jour), dont
    • 22 701 ont fait l’objet d’une aide immédiate (69 par jour) et
    • 10 755 (29 par jour) d’une transmission au département concerné pour traitement par les services sociaux.
  • Plus de 80 % des situations d’enfant en danger ou en risque de l’être signalées aux départements sont confirmées par ces derniers.

8Snated Service national d’accueil téléphonique pour l’enfance en danger

Notes

  • [1]
    Les deux personnes chargées de répondre sont employées par un prestataire de service indépendant du Snated, elles ont suivi une formation spécifique de 18 heures. Ils sont une douzaine à se relayer, de 8 h à 23 heures tous les jours. La nuit, le service est assuré directement par deux écoutants professionnels.
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