Couverture de EPAR_589

Article de revue

L’absentéisme sans a priori

Pages 24 à 25

1L’union nationale des associations familiales (Unaf) a réalisé une étude sur l’absentéisme. Servane Martin et Rémy Guilleux, chargée de mission et vice-président de l’association, en analysent les résultats.

2L’étude qualitative L’absentéisme scolaire a été remise au gouvernement en septembre 2010 par l’union nationale des associations familiale (unaf). qui en a pris l’initiative et quel en était le but ?

3Servane Martin : C’est l’Unaf qui a fait réaliser pour la troisième fois une étude sur l’absentéisme. L’objectif était d’écouter élèves et parents au cours d’entretiens pour cerner la réalité des comportements d’absentéisme selon le niveau des élèves, le vécu des familles et leurs attentes et de démonter les stéréotypes. Proposer des solutions et peser sur la décision politique était enfin le but d’une telle étude. Au cours des 40 entretiens (analysant 30 situations dont certaines en binôme) nous avons eu de grandes surprises. Car l’absentéisme est souvent abordé à travers des statistiques qui faussent le problème. Le traitement administratif des problèmes (absences non excusées) ne permet pas de recenser réellement les élèves manquant les cours. Un mot des parents (authentique ou contrefait) suffit à justifier l’absence et à la faire disparaître de la liste. L’administration ferme les yeux, surtout lorsque les notes de l’élève sont correctes. Les parents, loin d’être démissionnaires, sont extrêmement préoccupés par le comportement de leurs enfants. Ils sont surtout critiques à l’égard du manque d’autorité de l’établissement. Ils souhaiteraient davantage de coéducation et notamment être informés immédiatement (non quinze jours après) lorsque leur enfant ne se présente pas au lycée ou au collège.

4Mais la circulaire du 23 mars 2004 préconisait pourtant une meilleure information des familles ?

5La circulaire n’est pas toujours appliquée. Il est vrai qu’un coup de téléphone immédiat permettrait de dialoguer avec les parents. Après responsabilisation des jeunes, des sanctions pourraient être prononcées qui montreraient le prix attaché à l’assiduité, dans l’intérêt de l’élève.

6Quelles remarques générales pouvez-vous faire ?

7D’abord on a constaté que tous les milieux étaient touchés par l’absentéisme, et tous les niveaux. Sachant que les lycées sont particulièrement laxistes puisque l’obligation scolaire est levée à 16 ans. Les contrôles sont donc très lâches… Nous avons regroupé les situations autour de plusieurs groupes d’élèves : ceux qui sont en difficulté scolaire (allant jusqu’à l’échec), élèves démotivés, parfois humiliés et découragés. Ceux qui sont en plein malêtre adolescent voire en difficulté psychique, fatigués, déprimés, happés par l’ordinateur, en manque de sommeil, en rébellion contre la famille. Enfin le grand groupe des élèves mal orientés : surdoués s’ennuyant en classe ou élèves dirigés dans une voie qui leur déplaît. Tous sont blasés ; ils s’arrangent pour avoir la moyenne mais sèchent autant qu’ils le peuvent. Le plus souvent ces jeunes ne ressentent nulle culpabilité. En gros l’institution scolaire devrait plutôt les remercier d’être là. Ils sont assez pragmatiques, ne comprenant pas la nécessité de l’assiduité. Et très vite, c’est l’engrenage. À partir d’un certain moment, ils manquent sans pouvoir s’arrêter, impuissants.

8Qu’en est-il des parents ?

9Ils ne forment pas un groupe monolithique. Certains sont complices et « couvrent » les absences, surtout si l’élève conserve un bon niveau. D’autres ont baissé les bras. Mais beaucoup s’inquiètent, cherchent à comprendre, sans cautionner cette attitude, et voudraient se sentir soutenus par une institution scolaire qui informerait les jeunes, les responsabiliserait, dialoguerait en confiance avec eux et réagirait aux absences. Il est clair que l’enquête a révélé une demande importante de liens et de cadre de la part des établissements.

10Dans cette étude, vous avez dégagé quelques solutions qui vous ont semblé suggérées par les jeunes et leurs parents. Quelles sont-elles ?

11L’essentiel est la nécessité d’une cohérence entre parents et école, sans laquelle rien ne pourra s’améliorer. Il faut développer la communication en amont sur le devoir d’assiduité, informer et faire réfléchir les jeunes sur cette notion, sur la loi ; mettre ensuite en place un cadre qui implique toute la communauté éducative et les parents. Surveiller les entrées et sorties, échanger avec les parents par téléphone, impliquer tous les professeurs et pas seulement le CPE, prévoir des sanctions, supprimer la mise à pied. Agir le plus vite possible, dès les premières absences, car l’addiction s’installe vite. Enfin, des solutions au cas par cas doivent être imaginées pour les adolescents en souffrance psychique.

12Brandir la menace de la suppression des allocations familiales va-t-il avoir une quelconque efficacité ?

13On n’a pas à punir les parents, qui sont plus victimes que coupables. Les parents font ce qu’ils peuvent et les jeunes se comportent en consommateurs sans se référer à la loi et à l’obligation d’assiduité. C’est largement en amont qu’il faut prendre le problème : donner du sens à l’obligation d’assiduité, travailler sur l’orientation afin d’éviter les impasses, repenser les rythmes scolaires, et surtout renforcer les liens famille/école.

14Quel va être l’avenir de cette étude, puisque la loi contre l’absentéisme a été votée le 28 septembre 2010 ?

15Rémy Guilleux : L’étude de l’Unaf a été diffusée au ministère de l’Éducation nationale, à différents partenaires, elle l’a aussi été par le réseau des associations familiales via les Udaf et dans les académies. Les Udaf conduisent des réflexions au plan local et examinent les situations concrètement. Notre travail a suscité des réactions. Nous restons modestes, tout en constatant que ce document a fait prendre conscience aux différents acteurs que les choses n’étaient pas si simples qu’on le pensait. L’absentéisme scolaire est une question complexe. Tels qu’ils sont apparus dans l’étude, les positionnements des parents comme des jeunes se sont révélés très divers. La situation ne se résume certes pas à comptabiliser les journées d’absence. Dans le cadre du Conseil supérieur de l’éducation où je représente l’Unaf, le projet de circulaire d’application de la loi du 28 septembre 2010 a été discuté en séance le 23 janvier. [Le décret d’application venait pourtant, contre l’avis général, d’être voté le 23 janvier 2011, ndlr]. Ce projet a fait l’unanimité contre lui. Le dispositif, notamment dans son aspect répressif à l’égard de certains parents, a été très contesté. En substance, les membres ont estimé que les parents avaient davantage besoin d’être accompagnés que d’être punis. Même si la question de la suppression des allocations familiales n’est qu’un point de la loi, c’est un élément qui a été souligné et fortement critiqué. Les allocations familiales ne sont pas faites pour cela. Leur suppression en cas d’absentéisme persistant est une réponse inadaptée. Mieux vaut faire de la prévention, dépister les situations pouvant provoquer le décrochage d’un élève. Il faudrait parvenir à une complicité responsable entre école et famille. Le message de la communauté éducative et des parents doit être cohérent : l’assiduité est un devoir, même lorsqu’il n’y a plus d’obligation scolaire.

16Selon l’étude, l’absentéisme est nécessairement en lien avec la vie de l’élève au collège et au lycée : ses rythmes de travail, les exigences du système, l’orientation.

17Dès l’enseignement élémentaire, les enfants sont fatigués car leurs activités ne sont pas équilibrées, mal réparties. On privilégie les disciplines intellectuelles, certains types d’apprentissages, en exerçant une pression fondée sur les évaluations précoces et l’obligation de performance. Au collège, maillon qui pose le plus de problèmes, on force le trait sur les connaissances générales en abandonnant la culture technique et le sport. Le résultat est qu’aujourd’hui 15 % à 20 % d’une classe d’âge sortent du système scolaire sans diplôme. Il y a quelque réflexion à mener autour des contenus, si l’on veut encourager la motivation.

18De même l’orientation est très souvent davantage subie que choisie. L’absentéisme a des raisons multiples. Les taux les plus forts se remarquent en lycées professionnels où la démotivation des élèves est très forte. Il y aurait des efforts à consentir pour permettre à des jeunes de choisir dans quelle voie ils s’engageront, de réussir leurs étapes, de trouver des passerelles pour circuler entre les filières de formation. Leur permettre aussi de découvrir le milieu professionnel, l’univers de l’entreprise. L’orientation devrait se présenter comme une rencontre avec le monde du travail.


Date de mise en ligne : 22/12/2015

https://doi.org/10.3917/epar.589.0024

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